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La collectivité bénéficie-t-elle suffisamment des retombées de l’innovation ?

Voici une nouvelle chronique écrite pour Entreprise Romande. Je reviens sur un sujet qui m’est cher, innovation et société.

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L’entreprise est plus que jamais au centre des débats politiques de par son rôle dans la création d’emplois et de richesses – individuelles et collectives. Elle est indirectement l’enjeu de la montée des populismes et des tentations protectionnistes mondiaux. En son sein et hors de ses murs, l’innovation est le sujet de tensions similaires : la collectivité bénéficie-t-elle suffisamment des retombées de l’innovation ?

Mariana Mazzucato et l’état entrepreneurial

Un livre récent aborde le sujet du rôle respectif des entreprises et de l’Etat dans l’innovation : Mariana Mazzucato, professeur à l’université du Sussex, développe dans The Entrepreneurial State [1], un ouvrage passionnant et quasi-militant, l’argument que les Etats n’ont pas perçu les fruits non seulement des investissements réalisés dans leurs universités, ni même indirectement des aides et soutiens fournis aux entreprises, investissements et soutiens qui seraient à l’origine des innovations majeures des cinquante dernières années.

Mazzucato illustre brillamment comment l’iPhone et l’iPad intègrent des composants financés initialement par la puissance publique : depuis les composants électroniques développés pour les programmes spatiaux et militaires en passant par les écrans tactiles ou le GPS, jusque Siri, l’outil de reconnaissance vocale (qui a des sources à l’EPFL), l’auteur montre qu’Apple a magistralement intégré des technologies initiées par l’argent public. Google est aussi issu d’une recherche faite à l’université de Stanford. Mazzucato ajoute que les essais cliniques de nouveaux médicaments sont essentiellement faits dans des hôpitaux financés par l’argent public à partir de molécules elles-aussi issues des laboratoires universitaires.

Mazzucato prône donc des réformes majeures aussi bien sur la gouvernance des aides initiales que sur la fiscalité. Elle souhaite que l’impôt vienne compenser l’absence ou l’insuffisance de retours directs vers les universités ou provenant des entreprises d’autant plus qu’il est en effet indéniable que les multinationales optimisent facilement leur fiscalité. Elle montre ainsi qu’Apple a su profiter des règles internationales pour créer des filières au Nevada ou en Irlande pour minimiser son imposition.

La chercheuse anglaise est convaincante en affirmant qu’Apple doit payer plus. Mais payer comment ? En payant une licence pour le GPS, mais à qui ? Je ne suis même pas sûr que le GPS soit breveté. Et si l’internet avait été breveté, il n’aurait sans doute pas eu le même développement (je ne vais pas revenir sur les limitations du Minitel français). En cherchant plus de retours directs (qui ne sont pas si négligeables que l’on pourrait croire – Stanford aura reçu plus de $300M de sa participation dans Google et plus de $200M des premiers brevets de la biotechnologie), le risque serait grand de démotiver les créateurs et de freiner l’innovation. Je doute que la solution se trouve dans une plus grande rigueur des règles nationales.

Peter Thiel et l’individu entrepreneur

Peter Thiel, entrepreneur et investisseur libertarien est tellement opposé à de telles vues qu’il encourage les jeunes motivés par l’entrepreneuriat à abandonner leurs études en leur offrant des bourses de $100’000 et imagine même de déplacer les entreprises vers des navires offshore au large de la Californie pour qu’elles échappent totalement à l’impôt. Il est effrayé par toute forme d’initiative publique qui selon lui devient rapidement bureaucratique. Il est bon d’ajouter que la devise de Thiel montre aussi un certain scepticisme quant aux bénéfices sociaux de l’innovation : « nous voulions des voitures volantes ; à la place, nous avons eu 140 caractères. » [2]

En amont, il y a donc la question des retours directs et du rôle réel de l’Etat. Mais sans la créativité inouïe de Steve Jobs pour Apple, sans l’ambition démesurée de Larry Page et Sergei Brin pour Google, sans la vision de Bob Swanson, fondateur de Genentech, le monde n’aurait sans doute pas vécu les mêmes révolutions technologiques. En aval par contre, se pose la question de créer des règles internationales sur l’innovation. Laissez-moi faire une large digression. L’Internet, autre innovation initiée par la puissance publique, est devenu un enjeu majeur dans les domaines politiques, fiscaux et économiques. Or « la neutralité et l’auto-organisation font partie des options libertariennes […] et sont en contradiction avec la politique. L’humanité doit saisir cette opportunité de rediscuter de ce que l’on considère comme important. […] Internet permet l’émergence d’un espace politique mondial, mais celui-ci est toujours largement à inventer. Le temps de cette invention, Internet aura probablement disparu !» [3]

Si je penche par expérience plutôt du côté de Thiel pour l’innovation comme acte individuel d’exception finalement assez éloigné de l’investissement public qui en est pourtant la semence, je ne peux admettre en conséquence que le collectif soit abandonné. Il est le terreau qui permet l’éclosion des talents exceptionnels. Les entreprises ont aussi leur part de responsabilité dans cette négligence à oublier le rôle de la puissance publique. Comme toute activité humaine complexe, l’innovation est un délicat équilibre entre privé et public. Mais surtout aujourd’hui les enjeux sont devenus mondiaux. La question n’est pas tant comme l’affirme Mazzucato que le rôle de l’Etat a été largement sous-estimé dans ce processus, mais bien plus que le retour par l’impôt est très largement diminué par la globalisation et son absence de gouvernance économique.

L’impôt comme unique solution globale?

Les collectivités retirent-elles quoi que ce soit de l’argent public dépensé pour l’école, les routes, la sécurité ? Non, parce que ce n’est pas un investissement au sens propre avec idée de retour. C’est une mise à disposition d’infrastructure qui permet aux citoyens et aux entreprises de vivre correctement et de se développer. Et ils paient des impôts en retour. Et quand le Darpa finance Stanford, il n’est pas sûr qu’un étudiant de Corée n’en bénéficiera pas pour travaille plus tard pour Samsung. L’idée de faire payer des champions nationaux me semble d’un autre âge.

Reste l’impôt dans une vision renouvelée de la gouvernance mondiale. Que l’innovation soit du domaine privé ou public, la globalisation du monde ne permettra bientôt plus de se réfugier derrière les arguments de qui est fondamentalement à son origine. Non seulement les individus mais aussi les Etats devront accepter un plus grand partage de ses bénéfices, au risque de graves crises. A l’heure où la Suisse doit revoir sa politique fiscale et croit pouvoir se retrancher comme ses voisins derrière ses frontières, il est bon de voir que les tensions actuelles méritent de revisiter la position de l’innovation dans la société avant que de nouvelles crises majeures n’émergent. Un vœu pieux ?

[1] The Entrepreneurial State – Debunking Public vs. Private Sector Myths. 2013, Anthem Press, http://marianamazzucato.com
[2] Peter Thiel. Zero to One – Notes on Startups or How to Build the Future. Sept. 2014, Crown Business press, http://zerotoonebook.com
[3] Boris Beaude. Les fins d’Internet. 2014, FYP Editions, http://www.beaude.net/ie

Les fins d’Internet par Boris Beaude

L’Internet n’est que le reflet du progrès technologique et de la globalisation. Tout comme avec ces deux sujets, des tensions sociales et politiques sont naturellement apparues, mais rendues plus aigües encore par les spécificités du Réseau et la révolution qu’il a créée en beaucoup moins de temps que les évolutions passées du Monde. (J’ajouterai plus bas que les déceptions provoquées par des attentes excessives de la technologie ont joué elles aussi un rôle.)

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La 4ème de couverture du livre Les fins d’Internet rappelle que l’Internet a révolutionné le Monde dans les domaines de l’information, de la production, de la collaboration et des transactions. Son auteur Boris Beaude est géographe de formation, ce qui est d’importance dans sa manière d’aborder son sujet. Beaude contribue à la réflexion sur les contraintes créées par le Réseau de manière synthétique et détaillée, dans un petit livre (95 pages) dense et passionnant.

(Je n’en dirai pas autant du livre d’Evgeny Morozov, To Save Everything, Click here, qui est aussi dense, sur des sujets connexes, mais trop provocateur ou extrême pour être totalement convaincant. J’y reviendrai peut-être plus tard dans un autre post.)

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L’Internet (tout comme la globalisation) a révolutionné le Monde (page 15) en re-balançant les priorités (et recréant des tensions) entre:

Avant l’Internet Depuis l’Internet
Egalité Liberté
Société / Collectif Individu
Vie privée Vie publique / Transparence
Propriété Gratuité

Beaude mentionne aussi (page 24) les problèmes liés à
– la liberté d’expression,
– l’intelligence collective,
– l’ouverture,
– la décentralisation,
– la neutralité,
qui sont les titres de ces chapitres.

L’Internet perturbe donc les valeurs locales dans les territoires, mais l’Internet (qui « est un nom propre au même titre que la France ou l’Union européenne » – page 14) est tout sauf virtuel; il est un espace immatériel. Il faut pourtant qu’il puisse survivre aux intérêts particuliers. L’Internet rend la distance (et le temps) moins pertinents sans les abolir ce qui « rend plus évidente sa disjonction avec la pluralité des espaces territoriaux » (page 23). Il perturbe les Etats qui ont pu mettre des valeurs plus hautes que la liberté (sécurité, propriété aux USA auxquelles il faut ajouter la dignité, la vie privée, en Europe). Beaude est bien géographe !

Et d’ajouter : « Un espace commun à l’humanité ne suffit manifestement pas à créer spontanément des valeurs communes. Or les contrats sociaux sont au cœur de la politique. Ils proposent de renoncer à des libertés en déléguant collectivement l’autorité au nom de libertés jugées plus fondamentales » (page 29). Cf le « ma liberté s’arrête où commence celle des autres ». L’Internet est à la fois un espace de liberté et un espace de non-droit (propriété intellectuelle battue en brèche, surveillance généralisée, utilisation privée des données, la liste est longue.)

Et c’est bien là entre autres que le bât blesse. Pas seulement dans le monde de l’Internet, mais également dans le domaine de l’innovation technologique où les experts impressionnent souvent le politique et la société. Il se créée ainsi des tensions entre individu et société, entre privé et public, entre experts et décideurs. « Le code informatique est à présent la loi » (page 47).

Sur l’intelligence collective : « Croire aux potentiels des individus, c’est précisément ne pas croire à celui d’un seul, c’est accepter la faillibilité individuelle, tout en reconnaissant la puissance d’appréciation qui réside en chacun » (page 38). Suit une section sur la démocratie et « la difficulté à organiser du commun avec du particulier » (et le fameux, le « pire système à l’exception de tous les autres ».) De plus le caractère largement minoritaire des contributeurs à l’intelligence collective sur Internet (par exemple 0.0002% des utilisateurs du Wikipédia francophone) en est une limite supplémentaire, sans oublier la disparition de leur indépendance et la privatisation de cette intelligence (pages 40-46).

Il faut aussi lire son excellente synthèse sur gratuité et propriété. La propriété intellectuelle bien sûr avec les émergents Copyleft et Creative Commons. La gratuité n’existe que parce qu’un tiers paye; pas seulement la publicité mais aussi des sponsors dans le cas de Wikipédia ou Mozilla. Cela n’est pas si nouveau puisqu’aussi bien la Presse que la Télévision utilisaient ces méthodes. Juste une question d’échelle et une forte dématérialisation. Les coûts minimaux de copie et de transmission révolutionnent le monde, mais la production initiale des biens doit être financée. Netflix et Spotify montrent que de nouveaux modèles sont possibles, mais si seul l’agrégateur ou le distributeur sont suffisamment rémunérés, la source du contenu risque de s’épuiser en qualité si ce n’est en quantité… Et en même temps, Beaude rappelle que la gratuité est aussi facteur de liberté.

Autre sujet subtil : l’hypercentralité (Google, Facebook,Twitter) pose de fantastiques problèmes, le moindre n’étant pas le contournement des lois et de la fiscalité (page 75). Ainsi les « liens faibles » (ceux qui ne sont ni quotidiens ni intenses) sont eux aussi essentiels. Mais menacés ?

Beaude rappelle bien à propos que le quatrième amendement de la constitution américaine impose un mandat à toute perquisition. Il pose la constitutionnalité de la surveillance opérée par la NSA (page 81).

Comment l’Internet a-t-il pu en arriver à donner des résultats de Google et de Twitter différents selon les pays, des offres d’iTunes, de Netflix ou de YouTube différentes, voire inexistantes selon la géographie ? (Page 85). Cette neutralité disparue va conduire à la neutralisation d’Internet, voire sa disparition (page 89). « La neutralité et l’auto-organisation font partie des options libertariennes […] et sont en contradiction avec la politique. […] L’humanité doit saisir cette opportunité de rediscuter de ce que l’on considère comme important, vraiment important. […] Le défi est d’une rare complexité. Il va falloir choisir entre la fin d’Internet ou la mondialisation de la politique» (pages 91-93).

Beaude indique donc que le dilemme est simple : « En respectant les contrats sociaux nationaux, Internet est partitionné selon les Nations. En ne respectant pas les contrats sociaux nationaux, Internet risque d’être partitionné plus encore dans un avenir relativement proche » (page 35). « Internet permet l’émergence d’un espace politique mondial, mais celui-ci est toujours largement à inventer. Le temps de cette invention, Internet aura probablement disparu ! » (page 36)

Comme d’habitude ma synthèse est imparfaite, mais si let sujet vous intéresse ou vous intrigue, lisez Beaude !

Thiel-FlyingCars

Enfin et ce n’est pas tout à fait le sujet de Beaude, il y a aussi une certaine déception face aux promesses de la technologie et de l’Internet en particulier… Au motto de Thiel – « nous voulions des voitures volantes, nous avons eu 140 caractères » – que j’ai déjà cité ici, ce qui ne serait pas si grave, on pourrait ajouter la citation du patron de TF1 – « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible.[…] Rien n’est plus difficile que d’obtenir cette disponibilité » – ou celle de Jeff Hammerbacher: “Les meilleurs esprits de ma génération réfléchissent à la manière de faire les gens cliquer sur des publicités, cela pue. » Ce qui me ramène à Morozov dont les arguments sur le « centrisme » et le « solutionisme » de l’Internet me semblent bien excessifs. Ce ne sont pas les promesses exagérées de l’Internet qui sont décevantes, c’est le risque de dérive et de disparition de l’Internet qui est le vrai problème – mais ceci est un autre sujet.)

Ray Kurzweil raconte n’importe quoi

Comme souvent, excellente émission de Marc Voinchet sur France Culture ce matin. Tout d’abord excellente invitée, Cécile Lafontaine pour son livre Le corps-marché, La marchandisation de la vie humaine à l’ère de la bioéconomie qui au delà de son sujet pose des questions sur la tension entre individu et société. Elle apporte d’excellentes réponses aux débats ouverts par Thiel. Mais là je m’arrête et vous laisse découvrir l’entretien si le sujet vous intéresse.

FranceCulture-Matins

De plus le très pertinent Xavier de la Porte a rédigé une excellente chronique que je me permets de copier directement du site de France Culture (pour pouvoir la traduire sur la partie EN de mon blog): Le cerveau, ce n’est pas 1 million de lignes de code

Quand on s’intéresse à ce que le monde du numérique dit du corps et de la vie, il y a des chances pour qu’on tombe assez vite sur des prédictions intimidantes : « bientôt, nous serons tous des cyborgs », et « en 2045, nous aurons complètement fusionné avec les machines » . Un des spécialistes de ce genre de déclarations, c’est un type du nom de Ray Kurzweil – dont je vous ai déjà parlé ici. Inventeur assez génial, homme d’affaire avisé, Kurweil est devenu depuis une vingtaine d’années le promoteur d’un courant qu’on appelle le transhumanisme – et qui considère que l’homme fusionnera bientôt avec les machines, donnant ainsi naissance à une post-humanité –, des idées que Kurzweil vend dans le monde entier à coup de livres et de conférences, des idées qu’il vend aussi à des entreprises sur-puissantes : Google l’a engagé pour diriger un programme sur l’apprentissage du langage par les machines. Le problème avec Kurzweil – et beaucoup de transhumanistes – c’est leur force de conviction qui passe par un discours scientifico-techno-philosophique dont on sent bien qu’il cloche, sans qu’on sache bien où. Or, dernièrement, je suis tombé sur la preuve que Kurzweil racontait n’importe quoi. Ca m’a réjoui et je tiens à partager cette réjouissance avec vous.

Ça concerne un aspect important du transhumanisme : la conviction toujours répétée que très bientôt, nous pourrons dupliquer nos cerveaux dans des ordinateurs. Kurzweil pense que ce sera possible en 2020, et d’ailleurs, il a conservé le cerveau de son père décédé dans cette perspective. Et à l’appui de sa thèse, voici le type de discours que Kurzweil peut tenir : “Le design du cerveau est dans le génome. Le génome humain, c’est 3 milliards de paires de bases, soit six milliards de bits, ce qui fait à peu près 800 millions de bits après compression. En éliminant les redondances […], cette information peut être compressée en à peu près 50 millions de bits. Or le cerveau, c’est à peu près la moitié de ça, environ 25 millions de bits, soit un million de lignes de codes ». Et voilà, en une démonstration implacable et intimidante, Kurzweil nous prouve qu’un million de lignes de codes suffiraient à dupliquer le fonctionnement du humain. (Je dis « suffiraient » parce que c’est peu 1 million de lignes de code, à titre de comparaison, Microsoft Office 2013, c’est 45 millions de lignes de code).

Sauf que pour une fois, quelqu’un s’est manifesté pour expliquer que Kurzweil racontait n’importe quoi. Cette personne s’appelle Paul Zacharie Myers, c’est un biologiste reconnu de l’Université du Minnesota, spécialisé en génétique du développement et il tient un blog du nom de Pharyngula. Et c’est sur son blog que Myers explique très calmement pourquoi Kurzweil raconte n’importe quoi. Voici sa démonstration. La prémisse du raisonnement de Kurzweil, est « Le design du cerveau est dans le génome ». Totalement faux, dit le chercheur. Le design du cerveau n’est pas encodé dans le génome. Ce qui est dans le génome, c’est une collection d’outils moléculaires, c’est la part régulatrice du génome, celle qui rend les cellules sensibles aux interactions avec un environnement complexe. Pendant son développement, le cerveau se déplie grâce à des interactions entre cellules, interactions dont nous ne comprenons aujourd’hui qu’une petite partie. Le résultat final, c’est un cerveau qui est beaucoup plus complexe que la somme des nucléotides qui encodent quelques milliers de protéines. On ne peut pas du tout déduire un cerveau des séquences de protéines de son génome. La manière dont vont s’exprimer ces séquences est dépendante de l’environnement et de l’histoire de quelques centaines de milliards de cellules, interdépendantes les unes des autres. Nous n’avons aucun moyen pour calculer en principe toutes les interactions et fonctions possibles d’une simple protéine avec les dizaines de milliers d’autres qui sont dans la cellule, qui serait la première étape essentielle à l’exécution de l’algorithme improbable de Kurzweil. A l’appui de sa démonstration, le chercheur prend quelques exemples de quelques protéines et on montre à quel point les interactions sont nombreuses, complexes et surtout, encore méconnues.

Ce qui est très intéressant, c’est que Myers tient bien à préciser qu’il n’est pas hostile à l’idée que le cerveau est une sorte d’ordinateur, et qu’on pourra un jour reproduire artificiellement ses fonctions. Mais, explique-t-il, il ne faut pas pour autant raconter n’importe quoi, comme le fait Kurzweil, et bâtir ses raisonnements sur des prémisses fausses. Et pan dans ta gueule Kurzweil. Si seulement plus de chercheurs pouvaient prendre la peine d’apporter leur savoir pour interroger les discours transhumanistes, ça nous éviterait peut-être d’entendre bien des absurdités et d’assister à une autre marchandisation de la vie humaine, celle qui consiste à vendre du rêve biotechnologique.

Quand Peter Thiel parle des start-up – Humain après tout

Comme vous l’avez remarqué si vous avez lu mes posts précédents, j’ai été très impressionné par les notes de Peter Thiel sur les start-up. J’ai écrit 7 longs articles. J’avais été impressionné de la même manière par Mariana Mazzucato et son État entrepreneurial, même si avec 5 posts seulement!

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Je l’ai dit déjà, j’aurais aimé assister à leur débat dans quelques jours à la conférence Humain après tout, Toronto 2014. Mais apparemment, ils ne participent plus à la même table ronde… (Après avoir lu ce qui suit, je vois que Taleb aurait été un excellent ajout).

– Il discutera du thème « L’économie de l’ incertitude radicale ».
Comment les êtres humains réagissent vraiment face à des conditions de véritables « inconnus non-connus »? Selon Frank Knight, « l’incertitude doit être prise dans un sens radicalement distinct de la notion familière de risque, dont elle n’a jamais été correctement séparée… Le problème essentiel est que « le risque », dans certains cas, est une quantité mesurable, tandis qu’à d’autres moments, il est d’une nature tout à fait différente, et ces différences peuvent être extrêmes et cruciales pour certains phénomènes… il semble que l’incertitude mesurable, ce qui est le risque, tel que nous allons utiliser le terme, est bien différente d’une incertitude incommensurable qui n’est du coup pas du tout une incertitude. « La littérature économique depuis Knight a très bien explicité la facilité avec laquelle les marchés ont tendance à sous-estimer et sur-estimer ces points fondamentaux. Cependant, l’économie ne répond pas adéquatement aux conséquences de l’incertitude « Knightienne », parce que la discipline a du mal à modéliser ce phénomène. Pour obtenir une pleine mesure de cela, il faut entrer dans le domaine de la psychologie et des neurosciences. C’est là que se trouve la définition. L’incertitude radicale, comme beaucoup d’autres concepts, est trop importante pour être laissée à la seule sphère économique.

– Elle fera partie de la table ronde « Innovation : les retours privés produisent-ils les retours sociaux dont nous avons besoin ? »
Les premières machines ont remplacé et multiplié le travail physique des humains et des animaux. Les machines qui suivront remplaceront et multiplieront notre intelligence. La force motrice de cette révolution, soutiennent les « techno-positivistes », accroîtra la puissance de l’informatique (ou réduira son coût) de manière exponentielle. L’exemple célèbre est la loi de Moore, du nom de Gordon Moore, fondateur d’Intel. Depuis un demi-siècle, le nombre de transistors sur une puce semi-conductrice a doublé au moins tous les deux ans. Mais l’âge de l’information a coïncidé avec – et doit, dans une certaine mesure, avoir causé – des tendances économiques défavorables: stagnation des revenus médians réels; inégalité croissante des revenus du travail et de la répartition des revenus entre le travail et le capital, et chômage de plus en plus long. Les gains importants en richesse et la prospérité matérielle créée par nos entrepreneurs est-elle suffisante pour produire les rendements sociaux souhaités demandés dans le monde d’aujourd’hui ?

Les start-up sont un domaine idéal pour étudier la tension entre les individus et la société. Une sorte de nouvelle manière d’aborder le problème de la poule et l’oeuf… En effet, elles pourrait expliquer l’écart croissant entre les Etats-Unis et l’Europe dans de nombreuses dimensions. Mazzucato serait sur ​​du côté du collectif, Thiel plus proche de l’individuel. Mais il n’y a pas de provocation ou de caricature dans cette classification. Les pensées de Thiel et Mazzucato sont profondes. Je suis d’accord avec la plupart de ce qu’ils disent, en désaccord sur des sujets mineurs, bien que la plupart des gens pourraient penser que leur pensée ne peut être conciliée. Je pense vraiment que la combinaison de leur point de vue est une approche intéressante pour comprendre que sont l’innovation et ses enjeux …

PS (8 mai 2014): Je viens de trouver cette vidéo de Thiel à SXSW.

Quelque chose de pourri dans le royaume Silicon Valley?

J’avais déjà abordé la difficulté qu’avait la Silicon Valley à parler ou traiter de politique dans Les promesses de la technologie. Décevantes ? et surtout dans La Silicon Valley et la politique – Changer le monde. J’y faisais allusion à deux articles (que je qualifie d’exceptionnels) écrits par George Packer dans le New Yorker en 2011 et 2013. C’est un article publié le 27 janvier sur le même site, Tom Perkins and Schadenfreude in Silicon Valley de Vauhini Vara, qui me pousse à me poser la question: Y a-t-il quelque chose de pourri dans le royaume Silicon Valley?

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Cet article est plutôt le énième révélateur d’une situation qui mérite l’attention. Quatre jours plus tôt, Le Monde publiait l’article de Jérôme Marin, A San Francisco, les protestations anti-Google dérapent. Le résumé de cette situation peut se faire simplement, mais je vous encourage à lire ces articles (surtout ceux de Packer dont la profondeur de l’analyse m’avait enthousiasmé):

De nombreux nouveaux millionnaires (en particulier employés de Twitter et Facebook), et même quelques milliardaires (voir Les milliardaires de la technologie en 2013) ont contribué à l’accélération récente de la gentrification de San Francisco. Or les autorités de San Francisco ont plutôt encouragé le phénomène et à une échelle plus large, le débat commence à faire rage. D’un côté une population qui exprime sa frustration devant cette situation nouvelle en bloquant les célèbres bus privés qui transportent ces employés high-tech de leur domicile à leur bureau (Cf. Un bus de Google bloqué, la colère monte à San Francisco du même Jérôme Marin) ou un employé de Google à son domicile. De l’autre, le « dérapage » de Tom Perkins qui compare ces protestations aux attaques des Nazis contre les Juifs…

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Ces réactions sont vraiment le révélateur d’un débat de plus en plus visible entre les tenants de la Main Invisible (laissez les riches être plus riches et le marché s’auto-régulera pour le bénéfice de tous) et des opposants de plus en plus déterminés aux conséquences de ce libéralisme exacerbé. Comme si Occupy Wall Street déménageait dans la Silicon Valley. Les Américains réagissant toujours assez vite, la mairie de San Francisco a pris la décision de faire payer à ces bus privés l’usage des arrêts de bus publics. Vauhini Vara mentionne aussi que Mark Zuckerberg est devenu le plus grand donateur privé en 2013 aux USA (avec le montant de $1 milliard de dollars…) et que Sergueï Brin se classe 5ème.

Mon avis n’a que peu d’importance et je vous laisse juger. Laissez moi juste ajouter (et vous comprendrez où je me situe en admettant que cela vous intéresse!) que les grandes entreprises américaines paient des montants ridicules d’impôt en utilisant légalement toutes les possibilités offertes par la législation du commerce mondial. En 2011, Le Monde publiait Etats-Unis: profit ne rime pas forcément avec impôt, dont voici un extrait:

Sur 280 entreprises parmi les 500 plus grosses entreprises américaines,, 111, soit 40%, ont bénéficié d’un taux d’impôt moyen de 4,6%. Il doit bien y avoir une explication rationnelle à ce traitement particulier me direz-vous, une chute des résultats par exemple, qui justifie une moindre pression fiscale ? Le problème, c’est que d’après les données compilées dans ce rapport, cet argument ne tient pas. Les 111 entreprises dont nous parlons ont même enregistré un total de bénéfices supérieur aux autres. Entre 2008 et 2010 l’opérateur télécom Verizon a accumulé 32,5 milliards de dollars de bénéfices, le conglomérat General Electric totalise 10,4 milliards de profits, quant au fabricant de jouets, Mattel, il a gagné plus d’un milliard de dollars sur la période. Pourtant, aucune de ces entreprises n’a payé l’impôt fédéral.

«Ce n’est pas un rapport contre les entreprises, précise l’étude dans son préambule. Au contraire, à l’instar de la plupart des Américains, nous voulons que les affaires aillent bien. Dans une économie de marché, nous avons besoin de managers et d’entrepreneurs, comme nous avons besoin de salariés et de consommateurs. Mais nous avons aussi besoin d’un meilleur équilibre sur le plan de la fiscalité».

Le milliardaire américain Warren Buffet appelait récemment les pouvoirs publics à lui faire payer plus d’impôts sur le plan individuel dans le sens d’une plus grande justice fiscale. Les multinationales sont elles capables d’un tel sursaut citoyen ?

Puisque j’avais commencé en mentionnant que la Sillcon Valley avait changé le monde, je termine pas une citation entendue ce matin sur France Culture et que je donne de mémoire: « Si vous ne changez pas le cours de l’Histoire, c’est l’Histoire qui vous changera. »

La Silicon Valley et la politique – Changer le monde

Mon collègue Andrea vient de me mentionner cet article exceptionnel sur la Silicon Valley et son manque d’intérêt, pour ne pas dire sa méfiance, de la politique. Il a été publié dans le New Yorker en mai 2013 et est intitulé: Changer le monde – la Silicon Valley transfère ses slogans et son argent vers la sphère de la politique de George Packer (voici le lien vers l’article du New Yorker).

130527_r23561_p233« Dans la Silicon Valley, le gouvernement est considéré comme lent, composé de médiocres, et criblé de règles obsolètes et inefficaces. » Illustration de Istvan Banyai.

Tout cela n’est pas si éloigné d’un post récent que j’ai publié : Les péchés capitaux de la Silicon Valley. L’analyse des George Packer est cependant bien plus profonde et subtile et tout à fait fascinante. Je ne vais pas analyser l’article, vous devez le lire, même si c’est un long article, et pour vous y vous encourager, en voici cinq extraits rapidement traduits:

– « Quand ils parlent de la raison pour laquelle ils ont lancé leur entreprise, les gens dans la high-tech ont tendance à parler de changer le monde « , commente M. Green. « Je pense que c’est réellement sincère. Mais d’autre part, ces gens sont tellement déconnectés de la politique. En partie parce que les principes de fonctionnement de la politique et les principes de fonctionnement de la technologie sont complètement différents. » Alors que la politique est transactionnelle et opaque, basée sur des hiérarchies et des poignées de main, explique M. Green, la technologie est empirique et souvent transparente, basée sur les données.

– Morozov , qui est âgé de vingt-neuf ans et a grandi dans une ville minière en Biélorussie, est le plus féroce critique de l’optimisme technologique en Amérique. Il démonte sans relâche la langue de ses adeptes . « Ils veulent être ouvert, ils veulent être perturbateurs, ils veulent innover » m’a dit Morozov. « L’objectif avoué est, à bien des égards, le contraire de l’égalité et de la justice. Ils pensent que tout ce qui vous aide à contourner les institutions est, par principe, responsabilisant ou libérateur. Vous pourriez ne pas être en mesure de payer pour les soins de santé ou votre assurance, mais si vous avez une application sur votre téléphone qui vous alerte sur le fait que vous avez besoin de faire plus d’exercice ou que vous ne mangez pas assez sainement, ils pensent qu’ils résolvent le problème. »

– Un système de « production par les pairs » pourrait être moins égalitaire que ces vieilles bureaucraties méprisées, dans lesquelles « une personne pouvait obtenir les points d’entrée appropriés et ainsi acquérir une place socialement qu’elle vienne d’une famille riche ou pauvre, d’une famille instruite ou ignorante. » Autrement dit, « les réseaux de pairs » pourraient restaurer la primauté de « formes de capital à base de classe et purement sociales » et nous renvoyer à une société où ce qui importe vraiment, c’est qui vous connaissez, pas ce que vous pourriez accomplir. (…) La Silicon Valley est peut-être la seule région où les Américains n’aiment pas reconnaître le fait qu’ils viennent de milieux modestes. Selon Kapor, ils auraient alors à admettre que quelqu’un les a aidés en cours de route, ce qui va à l’encontre de l’image de soi de la Vallée.

– « Il y a cette attitude pleine de conneries, cette attitude ridicule ici, selon laquelle si quelque chose est nouveau et différent, ce doit être vraiment bien, et qu’il doit toujours y avoir une nouvelle façon de résoudre les problèmes qui dépasse les anciennes limitations, les potins de blocage. Et avec un soupçon du genre « Nous sommes plus intelligents que tout le monde ». C’est non-sens total. »

– « C’est l’une des choses dont personne ne parle dans la vallée, » m’a dit Marc Andreessen. Essayer de lancer une start-up est «absolument terrifiant. Tout est contre vous. » Beaucoup de jeunes s’éteignent sous la pression. Comme capital-risqueur, il voit plus de trois mille personnes par an et finance seulement vingt d’entre eux. «Notre travail quotidien est de dire non aux entrepreneurs et de tuer leurs rêves » ajoute-t-il. Pendant ce temps, « chaque entrepreneur doit prétendre dans toutes ses interactions que tout va bien. A chaque soirée où vous allez, à chaque recruteur, à chaque entrevue. il faut dire « Oh , c’est fantastique! » mais à l’intérieur, votre âme vient d’être disloquée, non? C’est un peu « tout le monde vit dans le meilleur des mondes. »

Y a-t-il quelque chose de pourri au royaume du VC?

A la suite de mon récent post, Y a-t-il quelque chose de pourri au royaume des brevets?, je ne pouvais pas m’empêcher cette question provocatrice, malgré tout le respect que j’ai pour cette activité. Quand Kleiner Perkins, un des meilleurs VC de la Côte Ouest (pour ne pas dire une des meilleurs VC), Charles River, un des meilleurs VC de la Côte Est et Index, un des meilleurs VC européens co-investissent dans une société de brevets (un « Patent Risk Manager ») telle que RPX, j’ai pensé qu’il y avait là un événement assez remarquable. Et Randy Komisar que j’ai mentionné dans mon dernier post est sur le conseil d’administration de RPX… Il y a quelques jours, RPX a annoncé son intention d’entrer en bourse, alors comme à mon habitude, j’en ai bâti la table des actionnaires. Les données restent dépendantes de la date d’entrée en bourse et du prix réel par action… Dernière remarque: Les fondateurs de RPX sont des anciens d’Intellectual Ventures.

Y a-t-il quelque chose de pourri au royaume des brevets?

J’ai été surpris de ne pas lire plus de presse sur les actions récentes de Intellectual Ventures (IV). Vous pouvez y lire le nom des sociétés poursuivies pour infraction à la propriété intellectuelle d’IV.

Si vous ne connaissez pas Intellectual Ventures, vous devez au moins savoir que IV a acheté environ 30’000 brevets (ou dépôts de brevet) et a levé des milliards de dollars. Jusqu’à présent, personne n’était tout à fait sûr de la stratégie d’IV, mais avec cette annonce, les choses sont claires: IV n’est autre qu’un patent troll.

Au même moment, Paul Allen n’a pu obtenir réparation pour sa plainte en infraction sur ses brevets. Plus ici. Je dois ajouter que j’ai eu connaissance des deux informations sur le site web Xconomy.

Voici aussi pour moi l’occasion d’ajouter que je n’ai jamais été un grand fan de la PI, de la propriété intellectuelle, des brevets et du droit d’auteur. Je n’ai pas de bonne alternative à proposer, mais il me semble que l’innovation est plus question de rapidité et d’avance sur la concurrence. Je sais que tout cela n’est pas simple. J’ai un peu travaillé dans le domaine et je donne encore des cours sur le sujet. Ceux que cela intéresse pourront cliquer sur l’image qui suit ou sur ce lien.

Intellectual Ventures fut fondée par Nathan Myhrvold, qui fut aussi directeur technique (CTO) de Microsoft. Pas besoin d’ajouter ce que fut le role de Paul Allen chez Microsoft. Tout ceci pourrait presque être amusant si on se souvient que Microsoft n’a pas vraiment eu besoin de brevets pour réussir (ni même du fait que quantité de gens ont sans vergogne pillé ses logiciels…)

Obama

La première et peut-être la dernière fois que je publie un post sur un sujet qui n’a rien à voir avec les start-up (encore que…). La nouvelle est simplement ENORME pour l’Amérique et pour le Reste du Monde.

Cela nous montre que tout est possible même si parfois risqué. incertain.

Passion, ambition shall prevail!

Voici enfin une photo prise il y a quelques jours dans une rue de Soho à New York.

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