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L’entrepreneuriat en action de Philippe Mustar – épisode 2

L’entrepreneuriat en action de Philippe Mustar est un très bon livre, comme je l’avais supputé dans mon post précédent.

Je viens de finir la lecture de l’analyse de DNA Script que j’ai trouvée très convaincante. Plus de 70 pages qui décrivent une aventure qui se construit en avançant souvent en aveugle, et avec énormément d’incertitudes. On apprend en agissant bien souvent. Voici la page de conclusion qui vous donnera je l’espère envie de lire ce qui précède.

Dans les discussions que j’ai avec eux, les créateurs de DNA Script n’ont jamais donné le sentiment ou exprimé le fait qu’ils ont pris des risques. Sylvain ne perçoit le risque que comme un coût d’opportunité pour l’entrepreneur : « le coût du temps passé à travailler sur un projet qui peut ne pas marcher alors qu’on aurait pu consacrer ce temps à un autre emploi ou à un autre projet qui aurait mieux marché ». Thomas, lui, distingue deux types de risques. Le premier est lié la perception psychologique de l’échec notamment par l’entourage de l’entrepreneur, il existe toujours en France mais diminue. Ce type de risque n’a pas été très présent pour lui. Le second est le risque matériel.

« Normalement, si on fait bien les choses, le risque matériel du patrimoine de chaque individu est bien protégé – même si parfois des entrepreneurs font n’importe quoi. Le risque matériel pour des gens comme nous, c’était de devoir retrouver un emploi. Voilà tout ».

Ce qui n’aurait pas été difficile pour les trois ingénieurs.

Devenir entrepreneur, toujours pour Thomas, ce n’est pas tant prendre des risques que « sortir de sa zone de confort », et cela dans au moins trois domaines : la nécessité d’apprendre, les responsabilités à assumer et la quantité de travail à accomplir.

Tout d’abord, le primo-entrepreneur va devoir apprendre énormément de choses dans des domaines très variés. « Il faut avoir envie d’apprendre, sentir que sa journée est accomplie quand on se dit qu’on a vraiment appris des choses ».

Ensuite, il doit affronter de fortes responsabilités.

« Dans les grandes entreprises les cadres qui ont des postes importants restent très protégés par l’organisation ; certains ont fait perdre énormément d’argent à leur société sans réelles conséquences. À l’inverse, Sylvain, Xavier et moi, si la boîte va mal, nous sommes directement responsables de l’emploi des salariés de l’entreprise, tout comme de l’argent de nos investisseurs. Les uns et les autres nous ont fait confiance. Ça c’est une grosse responsabilité. L’entreprise est une personne morale, qui a un intérêt qui peut être différent de l’intérêt du dirigeant ou de celui de n’importe lequel des salariés. Nous avons la charge de cette personne morale parce que, aujourd’hui, sans nous, elle ne peut pas être autonome. Il faut constamment se demander : quel est le meilleur intérêt pour l’entreprise ? »

Enfin, l’entrepreneur doit sortir de sa zone de confort notamment sur la quantité de travail qu’il doit accomplir. « Il y a une quantité de travail monumentale, tout le temps, à chaque instant, sur des choses très différentes, c’est une charge mentale considérable. On dit que la réussite c’est 10% de talent et 90% de transpiration, c’est vrai ».

L’entrepreneuriat en action de Philippe Mustar

Le journal Le Monde vient de publier un article sur un livre récent de Philippe MustarL’entrepreunariat en action. Ou comment de jeunes ingénieurs créent des entreprises innovantes.

Les débuts sont très intéressants comme le montrent les extraits qui suivent: « Ces histoires soulignent que la création d’une entreprise innovante est un processus expérimental pour lequel personne ne sait à l’avance ni quels seront les résultats ou le point d’arrivée, ni même quelles connaissances et compétences sont nécessaires pour mener à bien cette expérimentation. À la différence de nombreux récits et « cas » de création d’entreprises, où ces tests et ces essais-erreurs sont oubliés, où l’on présente la maison terminée sans les échafaudages qui ont permis de la construire, la lectrice ou le lecteur sont ici invités à entrer dans ces expériences (avec non seulement leurs réussites mais aussi leurs impasses et leurs échecs), et dans la fabrication du contenu technique ou économique de ces innovations (contenus qui, on le verra, sont inextricablement liés). » [Page 11]

Et par ailleurs [Page 13] « [Le livre] n’apporte pas de recettes ou de liste de préconisations, il cherche plutôt à rendre intelligible des processus et des mécanismes, et par là même à les rendre plus facilement maîtrisables par ceux qui se préparent à créer une entreprise. »

Puis page 27, « À ceci près que je défends l’idée que la découverte ou la création d’opportunités, et l’exploitation de ces opportunités ne constituent pas deux moments séparés et se font dans un seul et même mouvement. » avec la note de bas de page suivante : « Dès 2004, Per Davidson dans son ouvrage Researching Entrepreneurship (New York, Springer) critique cette séparation et insiste sur l’imbrication des phases de découverte et d’exploitation. Il critiquera également âprement cette notion d’opportunité. Une autre critique importante s’attaque à la préexistence d’opportunités qui seraient découvertes par les entrepreneurs, Sharon Alvarez et Jay Barney défendent l’idée que les opportunités sont construites par les entrepreneurs et qu’elles n’existent pas indépendamment d’eux. Pour cette perspective constructiviste les opportunités ne peuvent pas exister en dehors de l’imagination de l’entrepreneur de son futur monde. Alvarez S. A. et Barney J. B., 2007, “Discovery and Creation: Alternative Theories of Entrepreneurial Action”, Strategic Entrepreneurship Journal, 1: 11-26. »

La première partie est consacrée à une startup biotech cherchant à produire un ADN de synthèse, DNA Script. J’y ai trouvé des témoignages convaincants quant à la complexité de situations. Par exemple:


« Oui, c’est une bien meilleure idée de faire des pelles plutôt que d’essayer de creuser. Il vaut mieux vendre des pelles que d’être chercheur d’or parce que la probabilité que tu trouves un filon est extrêmement faible. Alors que tu es sûr de vendre des pelles à tous ceux qui cherchent un filon. Oui, faisons un outil qui va permettre à tous les chercheurs d’or de creuser plus vite, plus profond et de trouver plus facilement » (Sylvain). [Page 45] Voici un premier choix cornélien qui impactera la création de valeur finale et dont la décision n’est pas aussi simple que le disent les entrepreneurs…


« Je rencontre beaucoup d’entrepreneurs qui ne voient que ces aspects : qui va être le CEO, comment on va se répartir les parts… tout cela en réalité c’est accessoire, comme le logo ou le nom de la boîte. Ce qu’il faut avant tout c’est le concept et la motivation, il faut se mettre d’accord sur un projet de vie professionnelle ensemble : est-ce vraiment ce qu’on a envie de faire ? Pourquoi ? Quelles sont nos motivations ? Quel est l’engagement de chacun dans le projet ? Et c’est seulement après qu’on voit les détails, les pourcentages, les trucs divers. Il est important de très bien faire cela, d’avoir un processus même pour le faire ». [Page 47] Autres sujets critiques, sur ce qui est essentiel et accessoire car un entrepreneur ne peut pas tout faire d’un coup.

Passionnant et à suivre !

The Microchip Revolution (épisode 3) : la maturité

Vous trouverez l’épisode 1 ici et l’épisode 2 . Si les années 60 correspondent aux premiers jours des semiconducteurs qui se sont terminés avec la crise pétrolière en 73, la maturité est venue dans les années 80 avec une seconde crise venue de la concurrence japonaise.

Il y avait encore beaucoup d’incertitude comme le montrent les auteurs dans les chapitres consacrés à Cypress, IDT, Micron. Par exemple :

Un autre exemple de l’incertitude au sujet de quelle technologie était supérieure pour les produits de mémoire à l’époque est celui de 1986, lorsque j’étais fondateur d’une start-up de semi-conducteurs avec un plan d’affaires basé sur la fabrication de produits RAM bipolaires. C’était Synergy Semiconductor. Nous avons été financés par deux sociétés de capital-risque de premier plan de Sand Hill Road, Sequoia Capital et Mayfield Funds. Même ces partenaires VC prétendument intelligents ne pouvaient pas prédire la supériorité de la technologie MOS dans le secteur des puces mémoire. Rodgers et Cypress ont fait le bon pari sur CMOS. Il est également intéressant de noter que Sequoia Capital avait investi dans Synergy avec la technologie bipolaire et Cypress avec la technologie CMOS, couvrant ainsi leurs paris. (Synergy n’est jamais devenu public, a lutté pendant 10 ans et a finalement été racheté par Micrel.)

Intel ne pensait pas avoir besoin de CMOS pour ses produits de mémoire ou de processeur pendant des années. Ils savaient que CMOS était un processus plus complexe, et donc plus coûteux, et ils ne faisaient pas encore face aux limitations de haute puissance de leur processus. Intel n’est passé au CMOS pour les produits de mémoire qu’en 1986. [Page 260]

L’entrepreneuriat est la capacité de faire face à ces incertitudes et aussi d’agir en prenant des risques :

Je savais déjà que [Rodgers] était un gars spécial, très intelligent, en grande forme, qui courait tous les jours et probablement un preneur de risque, mais là c’était fou [plonger dans un endroit dangereux à Hawaï]. Et si le moment était mal choisi et qu’il était aspiré dans le tube ? Comment vais-je obtenir de l’aide, c’est une marche de 15 minutes sur la lave. Mais il l’a fait. Et puis il a sauté. Et il l’a fait deux fois ! Cet événement définit Rodgers. Il est sûr de lui, voire égoïste, mais capable de soutenir ses décisions par des actions et prêt à prendre des risques même si les paramètres ne sont pas totalement connus. Peu de temps après l’escapade de saut de lave, il a quitté AMD et a lancé Cypress Semiconductors. [Page 252]

Alors qu’il était encore chez AMD, [Rodgers] a reçu un appel d’un capital-risqueur qui vérifiait les références d’un dirigeant et d’un inventeur de Fairchild et qui essayait également de lever des fonds pour démarrer une nouvelle entreprise. Cela a fait réfléchir Rodgers : « Si ce type peut lever des fonds et lancer une nouvelle entreprise, pourquoi ne puis-je pas le faire? » Et il a commencé à explorer la possibilité de faire exactement cela. [Page 253]

Cela me rappelle l’une de mes citations préférées sur l’entrepreneuriat, de Tom Perkins, le célèbre P du KPCB (Kleiner, Perkins, Caufield & Byers) : La différence est une question de psychologie: tout le monde dans la Silicon Valley connaît quelqu’un qui réussit très bien dans les petites entreprises de haute technologie, les start-ups; alors ils se disent: « Je suis plus intelligent que Joe. S’il a pu gagner des millions, je peux gagner un milliard ». Alors ils le font et ils pensent qu’ils réussiront et en pensant qu’ils peuvent réussir, ils ont une bonne chance de réussir. Cette psychologie n’existe pas tellement ailleurs.

The Microchip Revolution (épisode 2) : les tous premiers jours

Si vous avez manqué l’épisode 1, il est ici. Toute la culture de la Silicon Valley nait dans ces premières années. En voici quelques exemples.

Aux débuts du semi-conducteur, il s’agissait principalement d’une recherche de haute qualité: Avec un patron absent, Sherman Fairchild, sur la côte Est, le groupe pouvait se concentrer principalement sur la recherche pure, sans patron pour les déranger. Leur direction principale venait d’une concurrence intense entre eux. Aucun VC ou grande entreprise ne financerait quoi que ce soit de ce genre maintenant ! [Page 14] Les auteurs ont raison. Seul Google le fait peut-être avec ou sans VC ou l’approbation de la hiérarchie et la pression des pairs est similaire.

Ils fabriquent et expédient enfin leur premier produit en 1958, 100 transistors à IBM. [Page 17]

Jack Kilby a reçu le prix Nobel de physique en 2000 pour l’invention du circuit intégré. Malheureusement, Bob Noyce était décédé 10 ans plus tôt et Jean Hoerni 3 ans plus tôt. Le prix Nobel n’est jamais décerné à titre posthume. La communauté scientifique a convenu de manière informelle que Kilby et Noyce avaient inventé la puce et qu’ils en méritaient tous les deux le crédit. [Page 21]

Le chapitre 2 ne concerne pas une startup, Hughes Research Labs, basée à Los Angeles.

Nous n’avions pas d’options d’achat d’actions; peu d’entre nous savaient même ce qu’ils étaient. [Page 48]

Avoir des dirigeants dynamiques qui ont laissé libre cours à de jeunes ingénieurs et scientifiques ambitieux signifiait que les ingénieurs et les chercheurs étaient stimulés par la concurrence entre eux plutôt que par les couches de gestion au-dessus, ce qui a contribué à créer une explosion de papiers et de brevets. Cependant, dans les deux cas [chez Fairchild et Hughes RL], le transfert de technologies de la R&D à la production n’a pas été facile. Bien qu’il s’agisse d’organisations distinctes, les deux étaient de très grandes structures d’entreprise. Mais dans le cas de HRL, avoir la R&D et la production au même endroit physique signifiait que les discussions entre les deux groupes étaient assez fréquentes.

Une autre difficulté était l’absence de programme d’options d’achat d’actions chez HRL. Cela a certainement causé un chiffre d’affaires personnel important, en particulier parmi les jeunes scientifiques non attachés qui entendaient parler du nouveau monde utopique et de ses packages d’options d’achat d’actions lucratifs, dans la Silicon Valley. [Page 67]

Chapitre 3: Intersil, une occasion perdue.

Une autre généalogie de la Silicon Valley et en extrait, l’impact de Jean Hoerni.

Intersil a été fondée par Jean Hoerni, l’un des huit traîtres. Les débuts sont mieux décrits comme un mélange de génie et de chaos. Les deux personnalités les plus polyvalentes étaient Jean Hoerni et Don Rodgers, le vice-président des ventes et également un ex-Fairchild. Hoerni avec 2 doctorats en physique était un génie timide assez introverti mais enclin à des sautes d’humeur imprévisibles. Rodgers était un extraverti. Il venait de l’équipe des ventes de Fairchild des années 1960, bruyante, dure, endurante et encline à la boisson. L’une des premières frustrations était l’inefficacité du service marketing. [Page 71]

La personnalité controversée et rebelle de Hoerni a souvent séduit les jeunes cadres et ingénieurs qui cherchaient également la prochaine opportunité et rejetaient également le conformisme et l’autorité, en partie à cause du traumatisme de la guerre du Vietnam.

Lorsque j’ai [Luc Bauer] commencé à travailler avec Hoerni, il m’a fortement conseillé de ne pas être aveuglément fidèle à une entreprise, mais uniquement à mes propres ambitions et objectifs. Il a dit que si votre employeur ne vous aide pas à les atteindre, vous feriez mieux de changer d’entreprise ou de créer la vôtre parce que la vie est trop courte. [Page 74]

Mais Intersil n’a pas réussi comme Intel… raison pour laquelle Bauer parle d’occasion perdue. Il suffit de regarder dans le tableau suivant les chiffres d’affaires d’Intersil (fondée en 67, IPO 72) et d’Intel (fondée en 68, IPO 71)

Joe Rizzi, l’un des fondateurs d’Intersil a résumé ses sept années chez Intersil en deux mots: Occasion perdue. Il a déclaré que toutes, ou la plupart des sept catégories de produits, auraient pu devenir des entreprises importantes à elles seules, avec suffisamment de soins et de concentration pour soutenir leur croissance. À l’époque, l’incertitude du marché poussait à la diversité des produits. La concentration étroite d’Intel sur un produit était un pari risqué. [Page 102]. Intersil a réalisé un chiffre d’affaires de $572M en 2014 et a été acquise par Renesas en 2017. Intel est désormais une entreprise de $71,9B …

The Microchip Revolution par Bauer et Wilder (épisode 1)

J’ai ressenti un peu de nostalgie lorsque j’ai reçu l’e-mail suivant: “L’idée de faire un livre sur le démarrage des semi-conducteurs me taquinait depuis un moment, j’ai finalement trouvé un copain de longue date qui a été d’accord de faire ce livre avec mois ces 2 dernières années. On a été beaucoup aidé dans cette mission par le Computer History Museum (CHM) de Mountain View, CA. Le livre se concentre sur la période entre la fin des années 50 jusqu’à la fin des années 90, sur l’histoire du développement des processus industriels MOS et CMOS principalement mais pas seulement du point de vue des chefs, mais aussi des travailleurs des fab et des managers de fab que nous étions à ce moment. On décrit le développement de 9 compagnies que nous connaissions bien et qui avaient développé des technologies originales: Fairchild, Hughes, Intersil, Eurosil, Intel, AMD, IDT, Cypress, et Micron. Le titre est The Microchip Revolution – A Brief History.”

J’ai rencontré Luc Bauer au début des années 2000 lors d’un investissement dans une startup dans laquelle il était un business angel et un mentor. Je me souviens comment il m’a fait la leçon en disant que Kleiner Perkins était beaucoup plus professionnel que nous ! Luc est un gentleman, ce qui ne veut pas dire qu’il ne peut pas être dur quand il est frustré ; quand les gens ont travaillé dur dans la Silicon Valley comme lui, ils peuvent être vraiment durs ! Mais nous sommes restés en contact et j’étais si heureux de commencer à lire son livre il y a quelques jours.

SiliconValleyGenealogy-All

Ceci est un poster de la « Silicon Valley Genealogy » des startups dans le semi-conducteur du milieu des années 50 au milieu des années 80. C’est ce que Luc décrit à travers 9 entreprises dont je suis sûr qu’elles figurent sur cette affiche. Au fait, Luc est là aussi.

Son livre commence par Fairchild et les huit traîtres et cela se comprend aisément car Fairchild est à l’origine de la généalogie. D’ailleurs, le livre est dédié à l’un des huit traîtres, Jean Hoerni, un ressortissant suisse et l’une des rares personnes dont j’ai entendu parler avec 2 doctorats. Luc a la même double culture et double formation (Diplômé de l’EPFL Lausanne et puis de Caltech)

Voici donc quelques extraits: « Une bonne partie de notre motivation [pour écrire le livre] était de revivre l’intensité de nos vies lorsque nous avons débuté dans cette industrie : les heures interminables et stressantes à la recherche des facteurs de diminution des rendements, la grande excitation et des cris de joie lorsque vous voyez un tout nouveau produit de circuit intégré prendre vie et fonctionner parfaitement lorsque la tranche traitée « à chaud hors du four » est placée pour la première fois sur la sonde de test électrique. Un autre grand facteur de motivation pour nous était de propager une histoire importante aux jeunes générations, à savoir que travailler dans les domaines de la haute technologie est difficile et épuisant, mais aussi une source de joie et de fierté car il est facile de voir l’impact de votre travail acharné sur l’entreprise pour laquelle vous travaillez et éventuellement sur le monde dans lequel vous vivez. »

Permettez-moi de redire ceci, en gras cette fois: Un autre grand facteur de motivation pour nous était de propager une histoire importante aux jeunes générations, à savoir que travailler dans les domaines de la haute technologie est difficile et épuisant, mais aussi une source de joie et de fierté car il est facile de voir l’impact de votre travail acharné sur l’entreprise pour laquelle vous travaillez pour et éventuellement sur le monde dans lequel vous vivez.

Plus à venir j’en suis sûr!

Le mouvement lean startup – mon scepticisme

J’ai relu aujourd’hui un texte sur l’importance du mouvement lean startup. Je n’ai jamais été un grand fan. Bien sûr, vous devez interagir avec les clients (au moins pour vendre quelque chose) mais vous ne devez pas devenir l’esclave de vos clients ni pivoter dès que vous ne pouvez pas obtenir de validation de leur part.

Ne vous méprenez pas, je suis un grand fan de Steve Blank et du développement client, j’utilise beaucoup son travail. Mais il y a tellement d’incertitude, l’outil ne doit pas remplacer la vision et l’intuition de l’entrepreneur. Laissez-moi citer encore Horowitz par exemple: « Déterminer le bon produit est le travail de l’innovateur, pas le travail du client. La cliente ne sait ce qu’elle pense qu’elle veut qu’en fonction de son expérience avec le produit actuel. L’innovateur peut prendre en compte tout ce qui est possible, mais doit souvent aller à l’encontre de ce qu’elle sait être vrai. En conséquence, l’innovation nécessite une combinaison de connaissances, de compétences et de courage. Parfois, seul le fondateur a le courage d’ignorer les données. »

Cela m’a rappelé que j’avais lu quelque chose à ce sujet de Peter Thiel. Je l’ai retrouvé dans un article de 2014: Les entrepreneurs doivent-il avoir des compétences en start-up ? Deux réponses contre-intuitives. Voici ce que Thiel avait dit: « Qu’est-ce que je pense du mouvement Lean Startup et de la pensée itérative où vous obtenez les commentaires des gens en opposition à la complexité qui peut ne pas fonctionner. Personnellement, je suis assez sceptique de toute la méthodologie Lean Startup. Je pense que les très grandes entreprises ont fait quelque chose qui était un peu plus qu’un saut quantique, une amélioration prodigieuse qui les différencie vraiment de tout le monde. Ils n’ont généralement pas fait de vastes enquêtes sur les clients; les gens qui dirigeaient ces entreprises, parfois, pas toujours, ont souffert de formes légères de syndrome d’Asperger, de sorte qu’ils ne sont pas réellement influencés et pas si facilement découragés par ce que les autres leur ont dit de faire. Je pense que nous sommes trop concentrés sur l’itération comme une modalité et pas assez d’essayer d’avoir un lien ESP virtuel avec le public et à trouver par nous-mêmes. »

Et ce matin, j’ai trouvé une autre contribution au débat datant de 2015, qui mérite d’être lu: Peter Thiel a raison sur le Lean Startup .

En deux mots, « Lean Startup est mieux utilisé comme outil pédagogique pour ceux qui ont besoin d’un peu d’aide pour apprendre à utiliser leurs neurones miroirs pour ressentir les besoins réels des vraies personnes qu’ils cherchent à servir. Cela peut aider réduire le gaspillage. Cela peut aider à ralentir le taux de déclin des organisations qui sont disruptéess. »

Deeptech generation – un guide à destination des chercheurs et doctorants.

Deux très jolis documents publiés par la BPI, la banque publique d’investissement, illustrent parfaitement les enjeux de la « deepetech » et par une multitude de témoignages la passion et les motivations de chercheurs devenus entrepreneurs. Je vous encourage à lire en ligne ou après les avoir téléchargés (ici pour le pdf Génération Deepetch).

Vous trouverez les versions slideshare à la fin du post et oici quelques témoignages éclairants qui peut-être contribueront à créer de nouvelles vocations.

Il ne faut surtout ne pas avoir peur de créer sa startup, même si cela peut sembler complexe et sans fin. Que le résultat soit positif ou un peu moins, cela reste une aventure que l’on ne vous retirera pas, comme le doctorat. L’entrepreneuriat apporte tellement dans votre vie, dans votre cursus. L’entrepreneuriat est une formation continue qui ne peut être que valorisante.

La transition entre mon doctorat et le statut d’entrepreneur est venue naturellement. La technologie de […] étant mon sujet de doctorat, nous avions déjà développé plusieurs prototypes que nous avions évalués et qui étaient prometteurs. On ne pouvait pas s’arrêter là et ne pas faire bénéficier les utilisateurs finaux, qui ont réellement besoin, de cette innovation. On a décidé de créer la startup et de se lancer jusqu’à la commercialisation du dispositif.

Le monde de l’entrepreneuriat m’a ouvert à de nouveaux horizons et m’a apporté des expériences que je n’aurais jamais imaginées quand nous avons commencé il y a quelques années.

La création de startup est une très belle expérience, humaine avant tout. En créant […] j’ai fait des rencontres que je n’aurais jamais faite autrement. C’est aussi une expérience de travail, car faire de la recherche et aboutir à un produit fini cela n’est pas du tout la même chose. Enfin, en tant que directeur de laboratoire je considère que la valorisation fait partie de mes missions, et cela nous apporte également beaucoup de visibilité au niveau régional, car nous créons de la valeur et des emplois.

Ce qui pousse à faire ça c’est une expérience humaine : vouloir aller au bout d’un domaine qui nous passionne. Il ne faut pas le faire parce que c’est à la mode mais bien parce que ça nous passionne.

Lorsque l’on passe de chercheur à entrepreneur tout change : le regard des anciens collègues et des amis, les perspectives d’évolution. Il faut se poser la question : « Suis-je en cohérence avec mes valeurs personnelles ? »

Passer de scientifique à entrepreneur, c’est bien souvent mettre ce que l’on aime de côté. Il faut se mettre à la finance, à la PI, aux contrats… C’est un vrai changement d’état d’esprit. En parallèle, les rencontres et l’apparition de nouvelles opportunités demandent une vraie agilité dans la manière de réfléchir et de remettre constamment en question la vision de notre travail.

Contribuer à la création de […] m’a permis de découvrir un monde inconnu, celui du monde industriel et du marketing, et m’a apporté beaucoup de choses : du respect supplémentaire de mes collègues, de la reconnaissance […] et de la gratitude […] pour l’impact positif (à venir) sur l’activité économique de la région. Cela m’a apporté une vraie satisfaction car mes recherches universitaires trouvent des consommateurs et donc une vraie utilité. Et plus de collaborateurs travaillent sur mes idées depuis que j’ai créé l’entreprise.

Les start-up expliquées à ma fille par Guillene Ribière

Les start-up expliquées à ma fille par Guillene Ribière est un excellent petit ouvrage (118 pages) qui démystifie le monde des start-up tout en faisant une description précise, honnête et … amusante par les images que l’auteur utilise. Comme le titre l’indique chacun devrait l’offrir à sa fille ou à son fils d’ailleurs. Mais comme je constate régulièrement que la proportion des jeunes filles entrepreneurs est de l’ordre de 10% à 20% de cette population assez unique, l’effort doit sans doute être redoublé pour nos filles.

L’ouvrage est à la fois riche en données et en conseils. Je n’en donnerai dans ce premier post que quelques exemples. Comme la fille de l’auteur se plaint du trop grand soutien donné aux start-up, Guillene Ribière donne des chiffres: sans doute 2000 startup créées par an en France (environ 300 en Suisse pour la comparaison). Le soutien public moyen serait de 130000 euros (répartis en 50000 de financement, 48000 de soutien par pôle emploi et 30000 en accompagnement – page 8). J’ai calculé grâce à elles que les 150 meilleures startup génèrent individuellement environ 15 millions d’euros de chiffre d’affaire annuel [Page 9].

Quant aux investisseurs, ils doivent aimer le risque car selon elle, sur 10 start-up 5 meurent, 4 survivent et une réussit très bien (page 11). A titre de comparaison Josh Lerner indiquait en 2002 [1] qu’une entrée en bourse rapportait en moyenne 2.95x l’investissement initial en 4.2 années, une acquisition 1.4x la mise en 3.7 années, qu’un investissement sur 6 (16%) était une petite totale, et que 45% des investissements était une perte. Si on retire les 9% les plus performants on passe d’un gain de 19% à une perte… Cela me parait cohérent!

Les conseils de Guillene Ribière sont tout aussi éclairants:

Lélia: Qu’est-ce qui donne à penser à cette équipe qu’elle va réussir? Elle a une chance sur deux de déposer le bilan selon les statistiques.
Estelle: Parfois rien du tout! Ils y croient, c’est tout. Et c’est un des puissants facteurs de réussite. Cette envie profonde est une baguette magique pour start-up.
[Page 12] L’auteur a aussi le don pour expliquer le « marché » et le « besoin client » avec une simplicité lumineuse!

A suivre mais surtout à lire!

[1] Josh Lerner When Bureaucrats Meet Entrepreneurs: the Design of Effective ‘Public Venture Capital’ Programnes. The Economic Journal, 112 (February), F73±F84.Royal Economic Society 2002

Conseils aux jeunes (et aux plus vieux) par Jack Ma, le fondateur de Alibaba

Merci à mes chers collègues de m’avoir mentionné cette interview émouvante et inspirante de Jack Ma, le fondateur d’Alibaba. Il conseille des personnes de tout âge sur le travail et l’entrepreneuriat.

Si vous avez 25 ans, ne vous inquiétez pas, toute erreur est profit.

Avant 20 ans, soyez un bon élève.
Avant 30 ans, suivez quelqu’un. Allez dans une petite entreprise, vous apprenez la passion, vous apprenez à rêver. Ce n’est pas l’entreprise où vous allez qui compte, c’est le boss que vous suivez.
Entre 30 et 40 ans, travaillez pour vous-même. Il est temps d’être entrepreneur.
Entre 40 et 50 ans, faites ce que vous faites bien. Il est trop tard pour faire quelque chose de nouveau.
Lorsque vous avez entre 50 et 60 ans, travaillez pour les jeunes.
Lorsque vous avez plus de 60 ans, passez du temps pour vous-même. Allez à la plage!

Mais quand vous avez 25 ans, faites assez d’erreurs. Vous tombez, vous vous relevez, vous tombez, vous vous relevez.

Startup, Arrêtons la mascarade

Startup, Arrêtons la mascarade est le titre d’un nouvel ouvrage écrit par Nicolas Menet et Benjamin Zimmer. Le tire est bien sûr accrocheur et ce c’est pas forcément une qualité, car il laisse entendre que le phénomène n’est que mascarade alors que les auteurs ont une analyse plus subtile.

Le début est certes assez polémique avec une première partie intitulée « Comment en est-on arrivé là ? » et des phrases telles que « nous avons assisté à l’émergence d’un mythe : celui de l’entrepreneur du digital, autrement dit, le startuper » [page 15] comme si l’entrepreneuriat et les startup se résumaient au monde du numérique; ou des simplifications telles que « tout le monde peut constituer très simplement son propre portefeuille d’entreprises non cotées » [page 22] alors que la personne avertie sait qu’il est quasiment impossible d’investir dans les startup les plus visibles si l’on n’est pas connecté ou assez riche…

Mais leur analyse de la crise actuelle, de l’emploi précaire, de l’autoentrepreneur et de « la subjectivité prime sur l’objectivité. Le vécu est vérité » [Page 23] reste une analyse intéressante. Idem en expliquant que « En mettant en avant la technologie comme seul vecteur de progrès, une partie de la startup-sphère se fourvoie probablement et ne pense pas aux conséquences de cette croyance prométhéenne. » Et d’ajouter une jolie citation de Michel Serres « la science c’est ce que le père enseigne à son fils. La technologie, c’est ce que le fils enseigne à son père. » [Page 29] Je ne peux m’empêcher de mentionner à nouveau la passionnante analyse de Facebook publiée par Wired: Inside the Two Years that Shook Facebook — and the World.

Le chapitre 3 sur la nouvelle économie est assez convenu, je trouve, et le chapitre 4 également, mais j’ai tout de même aimé leur citation [page 62]: « la « coolitude » n’est que la dernière itération d’un ensemble de pratiques faussement empathiques qui n’ont d’autres buts que de soumettre un groupe d’individus à un autre groupe d’individus. Le tutoiement et la stratégie de proximité avec les salariés (bureau commun, pas de marqueurs hiérarchiques) mises en pratiques par les managers n’ont d’autres visées que de leurrer et d’accentuer le contrôle des salariés. »

Le meilleur chapitre est le cinquième la startup, première ou ultime utopie? car il est tout en subtilité. D’un côté « la startup peut être vue comme l’aboutissement ultime du capitalisme selon le cheminement suivant: la société de consommation renforce l’expression de la singularité; la créativité de chacun s’éveille car l’épanouissement personnel est permis, c’est même une injonction sociale; la société du divertissement et des médias permet de flatter les désirs narcissiques; la technologie est accessible à tous; la crise économique du début du XXIe siècle impose des stratégies nouvelles de transformation des activités productives… ça y est, le décor est planté pour que des milliers de nouveaux prolétaires du digital soient tentés par le mirage de l’aventure entrepreneuriale et viennent assouvir les appétits des capitalistes. » [Page 68]

Mais par ailleurs « la startup cristallise les espoirs des sociétés contemporaines et recèle des opportunités exceptionnelles. On l’a dit, la startup comporte dans son ADN une composante révolutionnaire. Elle est un lieu où les comportements normalisés peuvent changer et elle produit ses propres normes. Elle s’oppose à l’ordre établi, chamboule les règles et les dispositifs en place. le cadre économique libéral est aussi synonyme de liberté. Liberté de créer et d’inventer les nouveaux modèles. Liberté d’expérimenter de nouveaux mondes de gouvernance , de nouveaux modes de ventes. » [pages 71-2]. Cette phrase me rappelle la citation de Pitch Johnson: « Les entrepreneurs sont les révolutionnaires de notre temps […] La démocratie fonctionne mieux quand il y a un peu de turbulence dans la société, quand ceux qui ne sont pas encore à l’aise peuvent grimper l’échelle économique en utilisant leur intelligence, leur énergie et leur habileté pour créer de nouveaux marchés ou mieux servir les marchés existants. »

Même si parfois les auteurs tombent dans des petits travers comme « la technologie est dorénavant facilement accessible grâce à l’innovation open source » ou « et on le sait, la startup n’existe que parce qu’Internet existe. » Je crains que la technologie ne soit pas d’accès aussi simple et les startups existaient bien avant l’internet… Mais leu conclusion résume bien le chapitre: « Rendons nous à l’évidence: la startup augure un avenir plein de promesses en même temps qu’elle est le symptôme d’un société déliquescente » [pages 72-3]. Un « en même temps » très macronien!

La banale histoire de Tom, objet du chapitre 6, doit être lue par tout apprenti entrepreneur. Il pourra peut-être éviter quelques erreurs.

La troisième et dernière partie m’a déçu, mais je m’y attendais un peu. Pas l’argument selon lequel l’économie sociale et solidaire serait l’avenir des startup; c’est possible. Mais j’ai du mal à croire que les écosystèmes à travers des incubateurs et des accélérateurs plus professionnels pourront réellement mieux planifier, sélectionner et accompagner. Je crains que cela ne relève plus du fantasme que de la réalité.

Je vais conclure en mentionnant une excellente video de Randy Komisar qui décrit l’entrepreneur et en voici un bref extrait:

« Le caractère de l’entrepreneur? Certaines personnes l’ont et d’autres pas. Certaines personnes peuvent ne pas penser qu’elles l’ont et peuvent l’avoir. Beaucoup de gens pensent qu’ils l’ont, et ils ne l’ont pas.

Le caractère entrepreneurial est très, très à l’aise avec l’incertitude et l’ambiguïté. Ce caractère d’entrepreneur est très capable de comprendre et de cibler des opportunités que les autres ne voient pas et est tenace quant à leur poursuite. Dans le même temps, ils restent perméables à aux idées et à corriger ler cours des choses à partir des commentaires du marché et des personnes qui pourraient avoir plus d’expérience ou plus d’idées qu’eux. Il y a une personnalité qui fonctionne dans cet environnement. Et il y a une personnalité qui n’est pas à l’aise. »

Et comme en effet l’entrepreneuriat n’est pas pour tout le monde (c’est peut là qu’est la mascarade), Komisar ajoute:

« Mais si vous n’êtes pas entrepreneur, c’est Ok. Il y a beaucoup d’autres valeurs à créer. Il y a beaucoup d’autres choses à «attaquer» sur le marché qui seraient peut-être plus appropriées. Donc je pense que vous pouvez apprendre beaucoup. Et je pense que vous pouvez accélérer votre capacité à apprendre plus en construisant un contexte. »

https://ecorner.stanford.edu/video/how-do-you-teach-high-tech-entrepreneurship/