Comment mesurez-vous votre écosystème entrepreneurial?

Le tire de cet article est la première phrase du rapport publié par la fondation Kauffman intitulé Mesure d’un écosystème entrepreneurial (pdf en anglais). Et c’est une question cruciale. Depuis des années, les universités, les villes, les régions, les pays tentent d’évaluer s’ils sont assez innovants et entrepreneuriaux. Et malheureusement, cela est souvent mesuré par les conditions cadres mais pas par les résultats. Parfois pour de bonnes raisons, parce que les parties prenantes peuvent offrir des conditions favorables mais en définitive ce sont les entrepreneurs et les entreprises qui « font », l’écosystème n’étant là que pour aider…

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La fondation Kauffman propose un ensemble de métriques pour aider à évaluer votre écosystème Il s’agit de propositions ambitieuses car les métriques ne sont pas faciles à obtenir, mais elles m’ont semblé très intéressantes et j’ai pensé utile de les décrire ici. Elles sont classés en quatre catégories:

DENSITÉ

1- Nombre de nouvelles et jeunes entreprises pour 1000 habitants,
où «jeune» peut signifier moins de cinq ou dix ans. Ce premier élément montrera, de la manière la plus simple, comment l’entrepreneuriat évolue au fil du temps par rapport à la population.

2- Part de l’emploi représenté par les nouvelles et jeunes entreprises.
Le dynamisme entrepreneurial ne doit pas seulement être mesuré par le nombre d’entreprises – il devrait également inclure toutes les personnes impliquées dans ces entreprises. Cela inclut fondateurs et employés.

3- Densité des entreprises nouvelles et jeunes en termes de secteurs spécifiques.
Certains endroits peuvent déjà avoir un secteur économique particulier qui a été identifié comme la pièce maîtresse d’un écosystème, tels que les industries de fabrication ou «créatives». Ici aussi il convient d’utiliser la taille de la population comme dénominateur.

FLUIDITE

4- Flux de la population ou des personnes se déplaçant entre villes ou régions.
Le dynamisme entrepreneurial implique des gens qui vont et viennent. Du point de vue de l’écosystème, cela signifie que l’environnement entrepreneurial doit être fluide pour permettre aux entrepreneurs de s’engager. L’envers, bien sûr, est que les limites à la fluidité restreindront dynamisme entrepreneurial.

5- Flux de population au sein d’une région donnée.
Les individus doivent également être en mesure de trouver la bonne adéquation avec différents emplois dans une région. Le rythme auquel ils sont capables de passer d’un emploi à l’autre et entre les organisations devrait être un indicateur important de dynamisme.

6- Le nombre (et la densité) des entreprises à forte croissance,
qui sont responsables d’une part disproportionnée de la création d’emplois et l’innovation. Une concentration d’entreprises à forte croissance indique si oui ou non les entrepreneurs sont en mesure d’allouer des ressources à des fins plus productives. Et il faut noter qu’une forte croissance n’est pas nécessairement synonyme de haute technologie.

CONNECTIVITÉ

7- Connectivité des programmes ou des ressources pour les entrepreneurs.
Un écosystème entrepreneurial dynamique n’est pas simplement une collection d’éléments isolés – les connexions entre les éléments importe tout autant que les éléments eux-mêmes. La diversité de votre population entrepreneuriale est susceptible d’être élevée, et il est peu probable qu’un guichet unique pour servir les entrepreneurs fasse beaucoup de bien. Les entrepreneurs se déplacent dans un écosystème, assemblant des connaissances et de l’aide de différentes sources, et la connectivité des organisations de soutien devrait contribuer à soutenir le développement d’un solide réseau d’entreprise.

8- Taux de spin-off.
La «généalogie» d’entreprises d’une région donnée, telle que mesurée par les liens entre les entrepreneurs et les entreprises existantes, est un indicateur important de vitalité.

9- Le réseau des « dealmakers »
Les personnes avec un riche capital social, qui ont des liens nombreux au sein des économies régionales ou qui ont un rôle de médiation des relations, des connexions et de facilitateur dans la création des entreprises jouent un rôle essentiel dans un écosystème entrepreneurial dynamique.

DIVERSITÉ

10-La diversification économique,
un concept important, car aucune ville ou de la région ne devrait être excessivement dépendante d’une industrie en particulier. Au niveau des pays, la recherche a montré que la complexité économique est corrélée avec la croissance et l’innovation.

11- Activité et assimilation des immigrants.

Historiquement, les immigrants ont une propension entrepreneuriale très élevée.

12- Mobilité économique
C’est à dire la probabilité de monter ou descendre l’échelle économique à travers différents quintiles de revenu. L’objectif est d’améliorer la qualité de vie des citoyens, d’élargir les possibilités offertes, et de créer un cercle vertueux d’opportunités, de croissance et de prospérité.

Jacques Lewiner et l’innovation

J’ai eu la chance de rencontrer cet après-midi Jacques Lewiner, universitaire et entrepreneur français de renom, qui a beaucoup contribué à faire de l’ESPCI une école d’ingénieurs totalement atypique dans le paysage français. C’est sans doute l’école qui « innove » le plus, en particulier par ses spin-offs.

Lewiner-at-ESPCI

Nul besoin de vous relater la rencontre car tous ses messages se trouvent dans une excellente interview qu’il a donné au journal Le Monde en novembre dernier intitulée « En France, il existe un énorme potentiel d’innovation ». L’article est en ligne (et payant semble-t-il) mais il en existe aussi une version pdf. Je me permets donc de la recopier ci-dessous. Sa philosophie est simple: il faut encourager et encourager encore, avec beaucoup de flexibilité; il faut fortement encourager l’entrepreneuriat avec la Silicon Valley, Boston et Israel comme modèles.

Une anecdote avant de vous laisser lire l’interview: il s’est amusé à me rappeler plusieurs fois que sa vision des choses ne lui a pas fait que des amis tant il pense que la proximité avec l’industrie et la flexibilité sont essentielles. Mais il m’a raconté n’être que le successeur d’une lignée illustre à la philosophie similaire: Paul Langevin fut un scientifique de renom, un inventeur et auteur de brevets sur les sonars et… un communiste. L’ESPCI fut fondée par des ingénieurs inquiets du retard pris par la France et ses universités en chimie après la perte de l’Alsace et la Lorraine en 1870. La culture protestante facilita peut-être des liens plus étroits entre académie et industrie. (Voir l’Histoire de l’École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris)

« En France, il existe un énorme potentiel d’innovation »

Pour le chercheur et entrepreneur Jacques Lewiner, il faut en finir avec l’idée que la recherche n’est pas compatible avec la création de richesse. Jacques Lewiner est directeur scientifique honoraire de l’école d’ingénieurs ESPCI ParisTech. Cet ancien chercheur aux « mille brevets » (en tenant compte des nombreux pays où ces brevets ont été déposés) est également à la tête du fonds de dotation ESPCI Georges-Charpak destiné à aider les chercheurs à mettre leurs idées en application. Il est aussi le doyen de la valorisation à Paris Sciences et Lettres (PSL), université de recherche regroupant plusieurs établissements. En parallèle à sa carrière de chercheur, il a créé ou cofondé de nombreuses entreprises, dont Inventel (fabricant de box Internet), Finsecur (sécurité incendie), Cytoo (analyse cellulaire) et Fluigent (gestion des fluides).

Qu’entendez-vous par innovation ? C’est ce qui permet de transformer des connaissances acquises – par l’étude, l’imagination, la recherche… – en un produit, un procédé, un service nouveau. Parmi ces connaissances, celles issues de la recherche ont un très fort effet de levier. Mais l’innovation ne donne pas forcément un prix Nobel. Et réciproquement, des idées magnifiques intellectuellement peuvent s’avérer sans intérêt industriel ! Par exemple, j’étais convaincu de l’intérêt des matériaux plastiques piézo-électriques, pour lesquels une tension électrique apparaît lorsqu’on les déforme. J’ai déposé des brevets et je pensais que ces dispositifs seraient utilisés partout. C’était il y a plus de vingt ans et ce n’est toujours pas le cas. Seuls quelques sièges de voiture ont pu détecter grâce à eux la présence d’un passager… En fait, souvent, les ingrédients de l’innovation sont déjà là, mais il manque quelqu’un pour les réunir. Lorsque nous avons imaginé les premières box Internet avec Eric Carreel, en créant Inventel, cela n’avait rien de génial. Nous avons simplement eu l’idée de mettre dans un même appareil un modem, un routeur, un pare-feu, une interface radio… Nous avons eu d’ailleurs beaucoup de mal à convaincre les opérateurs de l’intérêt d’un tel appareil, mais, heureusement pour nous, Free est arrivé et a ouvert le marché.

Vous n’avez pas toujours rencontré le succès, comme le montre l’aventure du premier livre électronique, commercialisé par Cytale, qui déposa le bilan en 2002. Quelles leçons tirez-vous des échecs ? Par définition, innover, c’est prendre des risques. Rien n’est acquis d’avance. En cas d’échec, il faut en analyser les raisons et ainsi gagner une expérience que les autres n’ont pas. C’est un enrichissement. Je me souviens d’ailleurs très bien de mon premier échec. J’étais convaincu d’avoir trouvé de nouvelles propriétés des « électrets », équivalents en électricité de ce que sont les aimants dans le magnétisme. J’ai finalement réalisé qu’ils étaient déjà connus depuis plus d’un siècle. Toutefois, ils pouvaient permettre la conception de nouveaux capteurs, en particulier les microphones. J’ai essayé de convaincre de grands industriels en les abordant par leur centre de recherche, et non par leur service commercial. C’était une erreur. Ces laboratoires n’avaient évidemment aucun intérêt à défendre une invention qu’ils n’avaient pas trouvée ! J’ai alors eu la chance de rencontrer un entrepreneur remarquable, Paul Bouyer, avec lequel j’ai pu créer ma propre entreprise. L’avenir s’offrait à nous, mais j’ai fait en un temps record toutes les erreurs possibles. Je voulais tout faire moi-même, sans comprendre l’importance du travail en équipe. L’aventure a duré un an…

Dans quelle position la France est-elle en matière d’innovations ? Il existe un potentiel énorme chez nous. Les gens sont bien formés et la recherche est de qualité. La culture de base est donc en place. Mais il existe trop d’obstacles entre la découverte scientifique et l’application qui séduira le marché. Notre système bride trop les initiatives. Il faut simplifier les lois françaises et en finir avec certaines absurdités.

Lesquelles ? Avant la loi Allègre de 1999, un chercheur ne pouvait même pas entrer dans un conseil d’administration ! Cela a changé, mais des absurdités persistent. Aujourd’hui, il est très difficile pour un chercheur de devenir consultant: l’autorisation peut lui parvenir au bout d’un temps très long, parfois un an, et, en plus, il faut que cela soit hors de son domaine de compétence ! Heureusement, certains dégourdis arrivent à se débrouiller, mais cela est un frein pour la grande majorité. A l’ESPCI ParisTech, pour aider nos chercheurs, nous avons créé un fonds de dotation. Nous nous faisons fort de répondre dans les deux semaines à un chercheur qui déclare une invention. Dans certains établissements, cette réponse peut prendre de six mois à dix-huit mois ! Un tel délai est de nature à retarder la publication scientifique du chercheur. On pourrait imaginer une règle qui stipule qu’au-delà de deux mois l’absence de réponse signifie accord.

Les brevets sont-ils indispensables ? Oui, ils sont utiles de deux manières. D’une part, ils évitent en cas de succès que l’innovation ne soit copiée et, d’autre part, ils sécurisent les investisseurs lors d’une levée de fonds. Mais les brevets peuvent parfois être comme des mirages. Le CNRS a longtemps reçu beaucoup de redevances de brevets de Pierre Potier sur les médicaments antitumoraux Taxotere et Vinorelbine. Mais, tombés dans le domaine public, ces brevets ne rapportent plus. [En 2008, ils représentaient 90 % des redevances du CNRS]. Pour créer de la richesse à partir de la recherche, il faut également favoriser la création d’entreprises innovantes. A l’ESPCI ParisTech, nous aidons à la prise de brevets mais aussi à la création de start-up, en leur accordant des conditions très favorables en contrepartie de 5 % de leur capital. C’est un modèle de fonctionnement similaire à celui de l’université de Stanford [en Californie], dont le portefeuille de participations dans des start-up (comme Google) représente plus que les revenus des brevets. Certains établissements demandent des parts de 10 % à 25 % dans les start-up, et exigent en plus le remboursement des prêts consentis. C’est beaucoup trop gourmand et décourageant pour les chercheurs. Il y a quelques années, l’Ecole centrale estimait que ses start-up généraient sur dix ans un chiffre d’affaires cumulé de 96 millions d’euros. Pour l’ESPCI ParisTech, sur la même période, c’était 1,4 milliard. Et pour l’Institut Technion, en Israël, 13 milliards en 2013. Ne me dites pas qu’on ne peut pas faire pareil en France !

Peut-être est-ce une question de culture. Peut-on la changer ? Il ne faut pas opposer recherche et création d’activité économique. Mais c’est vrai qu’en France persiste parfois encore l’idée que les chercheurs ne doivent pas bénéficier financièrement de leurs travaux. Or, il n’est pas choquant que la bonne recherche crée aussi de la richesse économique. Nous devons créer un terreau favorable en laissant le plus de liberté possible aux chercheurs. Nous pouvons aussi améliorer la formation des chercheurs et ingénieurs. L’université de Stanford ou le Technion sont ici aussi des modèles. La première, avec son Biodesign Center, favorise le mélange des cultures entre physiciens, chimistes, médecins, biologistes, informaticiens… Dans le cadre de leur cursus, ses étudiants doivent déposer un brevet, voire fonder une entreprise ! A PSL, nous avons créé dans cet esprit un nouveau parcours, l’Institut de technologie et d’innovation, dans lequel recherche et innovation sont mêlées.

Beaucoup d’économistes fondent leurs espoirs sur le numérique pour doper la croissance. Qu’en pensez-vous ? Bien entendu, le numérique aura sa place dans le futur puisqu’il interviendra dans tous les métiers. On assimile parfois numérique et sociétés Internet. Ces dernières rencontrent parfois des succès phénoménaux, parfois éphémères. Beaucoup échouent. Le secteur qui peut bénéficier directement de la recherche est le secteur industriel, créateur d’emplois et d’activités. Sommes-nous arrivés au pic du développement et des innovations ? Certainement pas. Au contraire, un monde nouveau est en train de s’ouvrir pour les nouvelles générations à la confluence de la chimie, de la physique, de la biologie, de l’électronique et des technologies de l’information. Tout cela continuera à se traduire par une amélioration de la qualité de vie. Ne mettons pas d’obstacles artificiels sur ce chemin et soyons donc optimistes sur les résultats qui en découleront.

Propos recueillis par David Larousserie
Le Monde le 23 novemvre 2014

L’invention est la mère de la nécessité!

Je lis en ce moment le remarquable De l’inégalité parmi les sociétés de Jared Diamond.

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Je ne pensais pas en le commençant que j’aurais quoi que ce soit à en extraire qui soit lié à l’entrepreneuriat ou à l’innovation. Et j’avais tort. Je viens de lire un passage sur les inventions humaines et l’innovation, qui m’a beaucoup plus. Le voici.

Le point de départ de notre discussion est l’idée courante que résume le diction : « La nécessité est la mère de l’invention. » Autrement dit, il y aurait invention lorsqu’un besoin demeure insatisfait, qu’on s’accorde généralement à reconnaître que telle technologie est limitative ou laisse à désirer. Mus par la perspective de l’argent ou de la renommée, des inventeurs en herbe perçoivent le besoin et s’efforcent d’y répondre. Un inventeur finit par trouver une solution supérieure à la technologie existante, peu satisfaisante. Et la société l’adopte dès lors qu’elle est compatible avec ses valeurs et ses autres technologies.
Très rares sont les inventions conformes à ce lieu commun de la nécessité mère de l’invention. EN 1942, en pleine Seconde Guerre Mondiale, le gouvernement américain lança le projet Manhattan dans le but explicite d’inventer ka technologie nécessaire pour fabriquer une bombe atomique avant que l’Allemagne nazie n’y parvînt. Le projet fut achevé en l’espace de trois ans et coûta 2 milliards de dollars (plus de 20 milliards d’aujourd’hui). Parmi les autres exemples, on citera Ed Whitney, inventeur en 1794 de l’égreneuse de coton pour remplacer la laborieux nettoyage à la main du coton cultivé dans le sud des Etats Unis ; ou James Watt qui, en 1769, inventa la machine à vapeur pour résoudre le problème du pompage de l’eau des mines de charbon britanniques.
Ces exemples bien connus nous conduisent à supposer à tort que les autres grandes inventions ont été aussi des réponses à des besoins clairement perçus. En réalité, beaucoup d’inventions, voire la plupart, ont été le fait de gens mus par la curiosité ou la passion du bricolage, en l’absence de toute nécessité. Une fois le système inventé, il restait à lui trouver une application. Il a fallu une utilisation prolongée pour que les consommateurs en viennent à éprouver le sentiment d’un « besoin ». D’autres systèmes, inventés sans but précis, ont été finalement utilisés à d’autres fins que nul n’avait prévues. On sera peut-être surpris d’apprendre que ces inventions en quête d’usage comprennent la plupart des grandes percées technologiques des temps modernes, de l’avion et de l’automobile en passant par le moteur à combustion interne et l’ampoule électrique jusqu’au phonographe et au transistor. L’invention est donc la mère de la nécessité, plutôt que l’inverse.
L’histoire du phonographe de Thomas Edison, l’invention la plus originale du plus grand inventeur des temps modernes, en est un bon exemple. Lorsqu’Edison fabriqua son premier phonographe en 1877, il publia un article exposant dix usages possibles de son invention : conserver les dernières paroles des mourants
enregistrer des livres pour les aveugles, annoncer l’heure et enseigner l’orthographe. La reproduction de la musique n’était pas au premier rang de ses priorités. Quelques années plus tard, Edison confia à son assistant que son invention n’avait aucune utilité commerciale. Quelques années encore, et il changea d’avis et se mit à commercialiser son appareil…. comme dictaphone de bureau. Quand d’autres entrepreneurs créèrent des juke-box où il suffisait d’introduire une pièce de monnaie pour qu’un phonographe se mit à jouer un morceau de musique populaire, Edison protesta que c’était dégrader son invention, ainsi détournée de son usage sérieux. Ce n’est qu’une vingtaine d’ann6es plus tard qu’il admit à contrecœur que le principal usage de son appareil était d’enregistrer et de jouer de la musique.
Le véhicule à moteur est une autre invention dont les usages nous paraissent évidents aujourd’hui. Lorsque Nikolaus Otto mit au point son premier moteur à gaz en 1866, cela faisait près de 6 000 ans que les besoins de transports terrestres étaient satisfaits par les chevaux, de plus en plus complétés depuis quelques décennies par les chemins de fer et les locomotives à vapeur. Il ne manquait pas de chevaux et les chemins de fer donnaient toute satisfaction. Le moteur d’Otto était faible, lourd et de plus de 2 mètres de haut, il ne représentait guère un avantage sur les chevaux. Il fallut attendre 1885 pour que, le moteur ayant été suffisamment amélioré, Gottfried Daimler entreprit d’en installer un sur une bicyclette et de créer ainsi le premier cyclomoteur. Il attendit 1896 pour construire le premier camion,
En 1905, les véhicules à moteur étaient encore des jouets pour les riches, coûteux et peu fiables. On resta largement satisfait des chevaux et des chenrins de fer jusqu’à la Première Guerre mondiale, où l’armée se rendit compte qu’elle avait réellement besoin de camions. Après la guerre, le lobbying intensif des fabricants de camions ct des armées finit par convaincre le public de ses besoins, permettant ainsi aux camions de commencer à supp1anter les chariots dans les pays industrialisés. Même dans les plus grandes villes américaines, le changement prit cinquante ans.
En l’absence de demande publique, les inventeurs doivent souvent s’obstiner durablement parce que les premiers modèles donnent des résultats trop médiocres pour être utiles. Les premiers appareils photo, les premières machines à écrire et les premiers postes de télévision étaient aussi redoutables que Je premier moteur à gaz d’Otto avec ses 2 mètres de haut. Du coup, il est difficile à un inventeur de prévoir si son prototype pourra finalement trouver un usage et justifie donc qu’il consacre encore du temps et de l’énergie à le mettre au point. Chaque année, les Etats-Unis d6livrent 70 000 brevets, dont une poignée seulement parvient en fin de compte au stade de la production commerciale. Pour chaque grande invention ayant finalement trouvé un usage, on ne compte pas celles qui sont restées suite. Même des inventions qui répondent au besoin pour lequel elles ont initialement conçues peuvent ensuite se révéler plus utiles pour d’autres fins non prévues. Alors que James Watt a mis au point sa machine à vapeur afin de pomper l’eau des mines, elle devait bientôt alimenter en énergie les filatures de coton, puis (avec bien plus de profit) propulser les locomotives et les bateaux.

Dans la vision populaire, les rôles respectifs de l’invention et de la nécessité se trouvent inversés. Elle surestime aussi l’importance des génies rares tels que Watt et Edison La législation sur les brevets ne fait qu’encourager cette « théorie héroïque de l’invention », parce que le détenteur d’un brevet doit prouver la nouveauté de son invention. D’un point de vue financier, les inventeurs ont tout intérêt à dénigrer les travaux antérieurs, voire à les passer sous silence. Dans la perspective du juriste, l’invention idéale est ce1le qui surgit sans précurseurs, comme Athéna de la cuisse de Zeus.
En réalité, même pour les inventions modernes les plus fameuses et apparemment les plus décisives, l’affirmation toute simple suivant laquelle « X a inventé Y » dissimule des précurseurs négligés. Par exemple, on dit souvent que James Watt a inventé la machine à vapeur en 1769, prétendument à la suite de l’observation de la vapeur s’échappant du bec d’une théière. Malheureusement pour cette merveilleuse fiction, Watt a en fait l’idée de sa machine à vapeur en réparant un modèle de Thomas Newcomen, que ce dernier avait inventé cinquante-sept ans plus tôt et dont plus d’une centaine avaient été fabriqués en Angleterre avant l’intervention de Watt. Quant au moteur de Newcomen, il venait à la suite de la machine à vapeur de l’Anglais Thomas Savery brevetée en 1698, elle-même précédée par la machine à vapeur que le Français Denis Papin conçut (mais ne fabriqua point) autour de 1680 et qui, à son tour, avait des précurseurs dans les idles de l’homme de science hollandais Christiaan Huyghens et d’autres. Il ne s’agit en aucune façon de nier que Watt ait grandement amélioré le moteur de Newcomen -en y intégrant un condensateur à vapeur et un cylindre à double action – de même que Newcomen avait grandement amélioré celui de Savery.
On peut rapporter de semblables histoires pour toutes les inventions modernes sur lesquelles on est suffisamment renseigné. Le héros traditionnellement crédité de l’invention a emboité le pas à de précédents inventeurs qui avaient des buts semblables et avaient déjà produit des schémas, dca prototypes ou, comme dans le cas de Newcomen, des modèles couronnés par le succès commercial. La fameuse « invention » par Edison de l’ampoule électrique incandescente dans la nuit du 21 octobre 1789 a été en fait une amélioration de maintes autres ampoules électriques brevetées par d’autres inventeurs entre 1841 et 1878. De même, l’aéroplane mécanique piloté des frères Wright avait été précédé par les p1aneurs pilotés d’Otto Lilienthal et l’aéroplane à moteur mais non habité de Samuel Langley. Le télégraphe de Samuel Morse avait précédé par ceux de Joseph Henry, William Coke et Charles Wheatstone ; enfin 1’égreneuse d’Ed Whitney, pour nettoyer le coton en courte soie (indigène) prolongeait des égreneuses en usage depuis des milliers d’année pour le coton en longue soie (Sea Islands).
Tout cela n’est pas pour nier que Watt, Edison, les frères Wright, Morse et Whitney aient réalisé de grands progrès et, ce faisant, aient accru ou inauguré la réussite commerciale. La forme de l’invention finalement adoptée eût sans doute été quelque peu différente sans la contribution de l’inventeur reconnu. Mais, dans le dessein qui est le nôtre, la question est autre : la physionomie générale de l’histoire du monde eût-elle été sensiblement changée si quelque inventeur de génie n’était point né à tel endroit et à telle époque ? La réponse est claire : le personnage n’existe pas. Tous les inventeurs célèbres et reconnus ont eu des prédécesseurs et des successeurs capables et ils ont réalisé leurs améliorations à une époque où la société était à même d’utiliser leur produit. Toute la tragédie du héros qui a mis au point le disque de Phaïstos est d’avoir conçu quelque chose que la société de son temps ne pouvait exploiter sur une grande échelle.
[Pages 354-360]

Conversation tout azimut sur la science entre Gérard Berry et Etienne Klein

Très belle conversation « tout azimut » entre Etienne Klein, le physicien et Gerard Berry, médaille d’or du CNRS pour ses travaux en informatique dans l’émission Conversation Scientifique. Il y est question de tellement de belles choses « provocatrices ». Un seul exemple: ce qui coûte le plus cher, entre quelque chose qui coûte les yeux de la tête et quelque chose qui coûte la peau des fesses. L’informaticien prône le Berry pour mesurer le froid, 5 Berry, 6 Berry.

Berry

Plus sérieusement, il parle de la difficulté à prédire et des promesses impossibles, du courage en sciences. Le physicien comprend l’énergie, l’informaticien, l’information comme une grande partie des nouvelles générations. Berry nous parle aussi de la machine et de l’humain. La machine numérique, l’ordinateur, va très vite, mais n’a pas beaucoup plus d’intelligence qu’une machine à vapeur. Par contre l’ordinateur est partout. Mais nous, humains, sommes intuitifs, il n’y a aucune intuition dans un ordinateur. Nous sommes très complémentaires. A nouveau, je ne suis pas les transhumanistes qui croient que la machine va nous dépasser – du moins à court terme. Berry est très embêté par la notion d’intelligence en informatique. La performance n’est pas de l’intelligence, mais il y a eu beaucoup de choses intéressantes comme l’apprentissage; retrouver des gens dans des bases de données de photos fascine Berry.

Sur la politique de la science, Berry exprime beaucoup de prudence et de sagesse. « Prétendre qu’un sujet de recherche va arriver tout de suite est le meilleur moyen de le tuer. » Il répondait à une question sur l’ordinateur quantique. « Ce fut le cas de l’intelligence artificielle ». Il y a des gens prêts à promettre la lune et encore plus de gens prêts à les croire. On promet des choses sensationnelles, sur des choses intéressantes; il faut chercher dans ces domaines, mais ne pas promettre. Parmi les retombées possibles, mais imprévisibles, il y aura des choses intéressantes.

Il parle aussi de neurosciences. De l’apprentissage fascinant des enfants que l’on comprend difficilement. Pourquoi le cerveau se fige-t-il au bout d’un certain temps. Berry est fasciné par le temps, « de longues minutes ». Sa fascination vient du fait que le cerveau traite l’information, mais on ne comprend pas la créativité, le cerveau est une machine immense dont on ne comprend pas le fonctionnement. Mais encore une fois, il sera difficile, sans doute très difficile de comprendre comment le cerveau fonctionne. Berry ne croit « pas plus que ça » à notre capacité à construire des neurones artificiels pour simuler les mécanismes du cerveau. On découvre aussi que le plaisir et l’ennui, la motivation sont essentiels à l’apprentissage. Enfin Berry lance une petite pique sur l’état actuel de la recherche. « Il ne faut pas faire du nouveau quand on veut avoir du succès. Ou plutôt il faut se battre » (comme dans tout art).

Je vous laisse découvrir le dernier quart d’heure où il est question du collège de Pataphysique, ou relisez mon premier paragraphe…

Space Invader à Paris

Un billet très court sur Space Invaders à Paris. Jusqu’à présent, plus de 1100 céramiques ont été créées, la plupart d’entre elles détruites par ailleurs.

En septembre 2014, j’ai commencé à visiter Paris. De temps en temps j’ajoute plus d’informations à leur sujet. Voici des fichiers pdf de certains arrondissements:
le 1er,
le 2ème,
le 3ème,
le 4ème,
le 5ème,
le 6ème,
le 7ème,
le 8ème,
le 9ème,
le 10ème,
le 11ème,
le 12ème,
le 13ème,
le 14ème,
le 15ème,
le 16ème,
le 17ème,
le 18ème,
le 19ème,
le 20ème,
la banlieue de Paris,
et aussi un document sur les récentes invasions: les 1000+.

Si vous êtes intéressés par mon fichier excel avec plus de 1000 entrées sur les invasions parisiennes, demandez-moi! Et voici ma carte de Paris. Cependant, j’ai reçu un message de l’équipe d’Invader en juin 2015. Ils se plaignent du taux élevé de destruction de leurs œuvres et m’ont demandé de cacher autant d’informations que possible sur l’emplacement des Space Invaders. Mes cartes sont donc désormais privées et mes pdfs beaucoup moins instructifs. Désolé pour cela, et bonne chance à ceux qui cherchent eux juste pour prendre des photos …

SI-PA-stats

SI-PA-stats1

SI-PA-stats2

Une nouvelle start-up à un milliard créée par de jeunes fondateurs? Sauf qu’ils ont quitté Etsy…

Etsy est l’annonce d’introduction en bourse la plus récente à ce jour. C’est un site d’e-commerce bien connu, basé à New-York, financé par Caterina Fake, Stewart Butterfield, Joshua Schachter & Union Square Ventures (Albert Wenger et Fred Wilson) à ses débuts, puis par Accel Partners, Index Ventures et Global Tiger, avec plus de 100M$ amassés vant l’introduction en bourse.

Les trois fondateurs (Robert Kalin, Chris Maguire, Haim Schoppik) ont diplômés de l’Université de New York vers 2005, juste avant la création de leur start-up, alors qu’il devaient avoir 25 ans environ. Mais il n’y a pas d’info sur eux dans le document S-1. Kalin a été PDG jusqu’en juillet 2008 (revint entre décembre 2009 et juillet 2011). Nombre d’employés et les co-fondateurs Maguire (développement de logiciels) et Schoppik (CTO) sont partis en août 2008.

Etsy-founders
Les fondateurs: Robert Kalin, Chris Maguire, Haim Schoppik

et mon habituelle table de capitalisation. Intéressant de vérifier ce que sera la valeur à l’IPO…
Etsy-captable
Cliquez sur l’image pour agrandir

Quelques sorties récentes dans la biotech suisse montrent des caractéristiques intéressantes

Au cours des 12 derniers mois, trois start-up de la région de Zurich ont connu une sortie. Molecular Partners est devenue publique sur la bourse suisse (voir mon post du 21 novembre) et deux autres start-up ont été acquises, Covagen par Janssen (voir le communiqué e presse d’août 2014) et GlycoVaxyn par GSK (communiqué e presse de février 2015), à chaque fois pour environ CHF200M. J’aavais déjà écrit un billet intitulé le dilemme des fondateurs suisses en décembre 2013. Mais je n’avais pas à l’époque publié de tables de capitalisation individuelle. Ici, elles y sont.

EquityTable-Covagen
Table de capitalisation de Covagen – cliquez sur l’image pour agrandir

EquityTable-GlycoVaxyn
Table de capitalisation de GlycoVaxyn – cliquez sur l’image pour agrandir

Le tableau suivant compare quelques caractéristiques intéressantes telles que les niveaux d’investissements et de dilution:
SwissBiotechDataFeatures
cliquez sur l’image pour agrandir

J’aurais pu ajouter la part des universités qui était dans la gamme de 5-8% à l’incorporation avant d’être atteindre des niveaux de 0.2 à 1.8% à la sortie. Un autre point intéressant est que l’introduction en bourse semble induire moins de dilution et plus de création de valeur que le M&A.

La préférence de liquidation est une autre caractéristique intéressante. Le cas GlycoVaxyn montre un mécanisme complexe. Malgré la complexité du mécanisme et parce que le prix d’acquisition était beaucoup plus élevé que le montant investi par les VCs, les résultats sont semblables à ce qu’aurait donné une répartition proportionnelle.

J’ai ajouté ces tableaux et quelques autres à ma synthèse régulière. La voici:

En Suisse romande, l’EPFL a connu quelques sorties dans les 2 dernières années : Jilion, Sensima, Aïmago, Composyt. Intéressant de noter que les valeurs de sortie étaient plus faibles et les VCs inexistants. Mais les VCs ont été actifs aussi dans les 5 dernières années. Espérons que certains jolis résultats vont se produire dans un avenir proche …

« Vous avez de l’argent, mais vous avez peu de capital »

Voici ma dernière contribution en date à to Entreprise Romande. Merci à Pierre Cormon pour m’avoir donné la possibilité de cette libre tribune.

YouHaveMoneyButLittleCapital

« You have money but you have little capital. » C’est en substance la phrase que l’ambassadrice des Etats Unis en Suisse, Madame Suzie Levine, a prononcé lors d’une cérémonie en l’honneur des alumni de ventureleaders – un groupe de jeunes entrepreneurs suisses – cérémonie organisée le 15 novembre dernier à Berne.

Elle a précisé qu’elle la reprenait de mémoire après l’avoir entendue de l’un de ses interlocuteurs récents. Je la cite aussi de mémoire et depuis cette date, j’y ai repensé de nombreuses fois en essayant de la comprendre.

Vous, c’est bien sûr la Suisse. De l’argent, nous en avons. La Suisse est riche. Elle se porte bien, socialement, économiquement et financièrement. Et les entreprises suisses investissent sagement. Il ne serait donc pas juste de prendre le « peu de capital » au pied de la lettre, si l’on définit le capital par ce que l’on investit. Je me sens obligé de la répéter « Vous avez de l’argent, mais vous avez peu de capital. »

La première explication, la plus évidente sans doute, tient à la constatation factuelle de la faiblesse du capital-risque suisse. Les chiffres varient de 200 millions à 400 millions par an, selon que l’on définit ce capital-risque comme l’argent investi dans les entreprises suisses (indépendamment de l’origine de ce capital) ou le capital investi par des institutions financières suisses (indépendamment de la géographie des entreprises). A titre de comparaison, le capital-risque en Europe est de l’ordre de 5 milliards et aux Etats Unis de 30 milliards, soit 75 fois moins qu’aux Etats-Unis alors que la population n’est que 40 fois moins nombreuse.

Une deuxième explication, peut-être moins connue, est liée à la relative absence des « business angels » (BAs). Alors que la Suisse compte la plus grande densité de « super-riches » et l’un des niveaux de vie les plus élevés au monde [1], les investissements par les particuliers dans les start-up suisses sont limités. Les start-up suisses ne profitent malheureusement pas de cette manne potentielle : les montants investis par les BAs sont de l’ordre de 50 millions par an et de 30 milliards aux Etats Unis. Et situation pire encore, l’essentiel des investissements américains se fait dans deux régions (la Silicon Valley et Boston), ce qui ne permet plus de relativiser les chiffres par rapport à la taille des populations.

Certain acteurs tels que la SECA, l’association suisse des investisseurs en capital ou le Réseau à travers son « manifeste en faveur des start-up suisses » [2] ont pris la mesure de ce déficit. Ils font ainsi pression pour créer de nouveaux fonds de fonds en capital-risque et défiscaliser les investissements privés dans les start-up.

Enfin, mais ceci serait en soi l’objet d’un autre article, la transition entre business angels qui fournissent les premiers fonds (jusqu’au million en général) et les capitaux-risqueurs qui interviennent à partir de 5 à 10 millions est beaucoup moins naturelle qu’aux Etats Unis par manque de confiance et de connaissance mutuelles.

Je crains toutefois que la citation-titre de cet article ne puisse pas être expliquée par la seule et simpliste constatation des chiffres. La troisième explication, je devrais dire interprétation, du mot capital, est celui de capital humain ou culturel. La force des investissements américains dans l’innovation n’a pas été que financière. Elle tient d’une attitude individuelle plus que du raisonnement économique.

Une remarque : il est peut-être utile de rappeler que le capital-risque institutionnel (celui des fonds de pension et des entreprises) est né de la vision de quelques individus qui croyaient au potentiel de l’innovation par l’entrepreneuriat ; ce sont les business angels qui ont créé le capital-risque (et pas l’inverse). Cette vision vient d’un optimisme typiquement américain et aussi au fait plus prosaïque que ces premiers business angels avaient eux-mêmes gagné de l’argent en pariant sur l’innovation.

L’argent suisse est moins aventureux et surtout, on me l’a souvent dit, un capital issu d’une création de valeur économique plus traditionnelle, peut-être moins innovant. Il est aussi transmis par héritage. Comme il a été plus durement acquis, la crainte est plus forte de le perdre ou la confiance moindre de pouvoir le faire à nouveau fructifier. La prise de risque et l’absence de stigmate lié à l’échec sont des caractéristiques propres à l’entrepreneuriat américain, cela est bien connu. On peut ainsi mieux comprendre les (bonnes) raisons du plus grand conservatisme suisse (et européen).

Plus grave encore, car le capital financier voyage aisément et de nombreuses start-up suisses vont chercher leurs investisseurs à Londres, Boston ou San Francisco, ce capital culturel fait défaut en Suisse. Je ne parle pas de la qualité des cadres des grandes entreprises et PMEs qui gèrent parfaitement leurs entreprises et qui ne les quittent que rarement (à raison peut-être !) pour créer leurs entreprises. Je parle de la quasi-inexistence d’hommes et de femmes qui ont réussi dans le monde des start-up. On se lasse à toujours citer Daniel Borel comme « role model » suisse de l’entrepreneur high-tech. La Silicon Valley aura créé dans le même laps de temps des milliers de millionnaires dans la technologie, riches individus qui ont systématiquement réinvesti leur argent et surtout leur temps dans de nouvelles aventures.

J’avais trouvé la citation un peu injuste, à la première écoute, pour l’avoir mal comprise mais au pire facile à corriger si elle ne se référait qu’au manque de capital financier. Je me rends compte après réflexion qu’elle fait référence à une situation encore plus grave tant il faut du temps si nous le souhaitons pour changer une culture.

[1] Le Matin (mai 2012) : http://www.lematin.ch/economie/suisse-affiche-forte-densite-superriches/story/25762272
[2] Bilan (juin 2014) : http://www.bilan.ch/node/1015095

PS: le tableau qui suit n’était pas dans l’article mais je l’avais repris dans mon livre pour expliquer les différences « culturelles » entre capital-risque américain et européen.

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Mon top 10 des livres (à lire absolument)

Après avoir lu quelques listes de top 10 et « à lire absolument » je vais faire ici un exercice que je n’avais encore jamais fait. Je suis passé à travers mes lectures passées, du moins celles que j’avais résumées sur ce blog et j’ai rapidement construit mon propre top 10 / à lire. Si vous voulez une liste exhaustive, vous pouvez aller sur la catégorie A lire ou à voir de ce blog. Voici donc mon classement:

# 1: Les quatre étapes vers l’épiphanie par Steve Blank,
(sous-titré des stratégies réussies pour les produits gagnants)

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Même s’il est assez pénible à lire en raison de la densité de conseils et de « check-list », c’est le livre incontournable pour tout entrepreneur qui doit comprendre les relations complexes entre le développement d’un produit et d’un service et la vente aux clients. Voici mon article, en date de novembre 2013.

#2: The Hard Thing about Hard Things par Ben Horowitz.
(Bâtir une entreprise quand il n’y a pas de réponses faciles)

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La description la plus honnête et la plus dure de ce que signifie l’esprit d’entreprise. Comme le grand Bill Davidow disait: «Être un entrepreneur n’est pas fait pour les âmes sensibles». Pour en savoir plus, mon article de mai 2014.

#3: Regional Advantage par AnnaLee Saxenian.
(Culture et concurrence dans la Silicon Valley et sur la Route 128)

Pas un livre sur l’entreprise, mais sur les clusters de haute technologie. Saxenian expliquait (déjà) en 1994 pourquoi la Silicon Valley avait gagné. C’est le livre à lire pour comprendre ce que les start-up sont vraiment et pourquoi elles sont importantes pour l’économie, le progèes, les emplois. Un avis indirect etn en anglais, daté d’octobre 2011.

# 4: Le Cygne Noir par Nassem Nicholas Taleb.
(La puissance de l’imprévisible)

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Ce livre n’est pas directement lié à l’innovation et à l’entrepreneuriat, mais les start-up qui réussissent sont des événements très improbables avec une puissance d’impact considérable. Un livre fascinant. J’en ai d’abord parlé en juillet 2012 mais je mentionne le concept et l’auteur tant de fois que vous pouvez aussi vérifier les balises Cygne Noir et Taleb.

#5: The Man Behind the Microchip par Leslie Berlin.
(Robert Noyce et l’invention de la Silicon Valley)

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La meilleure (en fait presque la seule!) biographie d’un entrepreneur que j’ai lue jusqu’à aujourd’hui. C’est un livre magnifique, émouvant et rempli d’informations. Vous pouvez lire mon bref compte rendu de février 2008, mais vous pouvez également en lire plus sur Les bricolages de Robert Noyce daté d’août 2012.

# 6: Les plus grandes réussites du web par Jessica Livingston.
(Histoires des premiers jours de start-up)

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De grands entretiens avec des fondateurs de start-up avec mon article de juin 2008. J’avais lu auparavant et j’ai lu depuis de nombreux autres livres construits avec de tels entretiens. Sans aucun doute le meilleur.

#7: I’m Feeling Lucky par Douglas Edwards
(ou comment je suis retombé sur mes pieds dans la Silicon Valley)

Je ne pouvais pas avoir un top 10 sans un livre sur Google! Celui-ci est mon préféré (mais proche du #8). Quand un expert en marketing est embauché par deux fondateurs fous et apprend qu’il ne sait pas tant de choses que cela sur le marketing et bien d’autres choses. Et en plus, c’est le plus drôle des livres de cette liste. Mon résumé de décembre 2012.

#8: How Google Works par Eric Schmidt & Jonathan Rosenberg, avec Alan Aigle.
(Les règles du succès au siècle de l’Internet )

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J’ai d’abord pensé qu’un livre écrit par le président et ancien PDG de Google ne serait pas très éclairant. J’avais tort. Des leçons de grande qualité. D’excellents conseils. Un compte-rendu récent en date de novembre 2014.

# 9: L’art de se lancer
par Guy Kawasaki.
(Le guide tout terrain pour tout entrepreneur)

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Le meilleur livre sur ce que vous devez dire avec une présentation PowerPoint ou écrire dans un plan d’affaires. Une explication simple, directe sur le lancement de n’importe quel type d’entreprise. Un de mes articles les plus anciens (et les plus courts), en date de mars 2008.

#10: Against Intellectual Monopoly par Michele Boldrin et David K. Levine.

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Une analyse importante de la crise de la propriété intellectuelle: « Il est courant d’affirmer que la propriété intellectuelle sous la forme du droits d’auteur ou de brevets est nécessaire pour l’innovation et la création d’idées et d’inventions telles que les machines, les médicaments, les logiciels, les livres, la musique, la littérature ou le cinéma. En fait la propriété intellectuelle est l’attribution par le gouvernement d’un monopole privé coûteux et dangereux sur les idées. Nous montrons par la théorie et l’exemple que le monopole intellectuelle n’est pas nécessaire à l’innovation et dans la pratique dommageable pour la croissance, la prospérité et la liberté. » Je ai écrit de nombreux articles sur ce livre et ses auteurs, le dernier étant daté de mai 2013.

# 11: Something Ventured

Il est si difficile de construire de telles listes que je triche deux fois! D’abord avec un document vidéo sur la Silicon Valley. Vous devez absolument écouter Sandy Lerner, la co-fondatrice de Cisco. Et ce film est visible gratuitement sur youtube, alors aucune excuse de ne pas voir ce film passionnant. Mon résumé date de février 2012.

# 12: Le débat inachevé sur l’individu et l’État entre Peter Thiel et Mariano Mazzucato

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Ma deuxième extension de ce top 10 est faite de deux livres! Peter Thiel est l’auteur de Zero to One (notes sur les start-up ou comment construire l’avenir). Mariana Mazzucato a écrit L’État Entrepreneurial (détruire les mythes de l’opposition service public – secteur privé). Et encore une fois, j’ai produit tant d’articles à leur sujet que vous pouvez également vérifier les balises Mazzucato et Thiel. Après les terribles événements liés à « Je Suis Charlie » qui se sont passés à Paris les 7-9 janvier 2015, ces deux livres nous rappellent la complexité des relations entre individus et groupes (sociétés, instituions, états) et leurs interactions (non dénuées de tensions) quand ils créent et innovent.

L’internet souterrain selon Jamie Bartlett

Je ne pensais pas quand j’ai acheté ce livre fascinant sur les faces cachées de l’Internet que je le relierai à mes trois articles précédents. Le monde est dangereux, le monde physique est dangereux, nous le savons tous comme cela a été confirmé à Paris la semaine dernière (Hommage le 8 janvier, Nous sommes tous tristes le 7 janvier). Il est également certain que le monde en ligne peut être dangereux comme l’illustre Jamie Bartlett dans The Dark Net. Je ne suis pas sûr que les auteurs de Comment le Web est né (voir mon post du 2 décembre) avaient envisagé ces possibilités.

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Dans sa conclusion, il déclare: La technologie est souvent décrite comme «neutre». Mais elle pourrait être décrite plus précisément comme puissance et liberté. […] Le Dark Net est un monde de puissance et de liberté: d’expression, de créativité, d’information, d’idées. La puissance et la liberté nous dotent de facultés créatrices et destructrices. Le Dark Net magnifie les deux, il rend plus facile l’exploration de tous les désirs, la possibilité d’agir sur nos impulsions les plus sombres, de nous consacrer à toutes névroses. […] Chaque individu réagit différemment à la puissance et la liberté que la technologie procure. Il peut être plus facile de faire le mal, mais ceci reste toujours un choix.

Dans son livre Bartlett parle des trolls (vous pouvez également lire l’article récent de la MIT Tech Review – Les chasseurs de trolls), des loups solitaires (telles que Berwick), des services cachés de Tor, de Bitcoin, des sites illégaux vendant des drogues tels comme la « Route de la Soie », de pornographie et de pédophilie en ligne, d’auto-mutilation et enfin des transhumanistes contre les anarcho-primitivistes. Écrit de cette façon, je ne suis pas sûr que je fais un bonne publicité pour ce livre, mais la vérité est que, à l’exception du terrorisme, l’auteur aborde de nombreux côtés sombres de l’Internet. Il fait une description juste et intéressante de ce que l’Internet cache (« à proximité de sa surface » [Page 238]).

Ce sont des sujets importants sur la liberté, sur l’évolution de notre monde, et je ne peux que citer un célèbre penseur français: sur France Culture, au début de cette semaine, Régis Debray est de revenu sur les attaques terroristes à Paris et a expliqué que « l’occident, c’est la prééminence de l’individu sur le groupe. L’orient c’est l’inverse. » Et sans que je sois sûr de comprendre s’il y avait jugement de valeur ou pas, d’ajouter: « Et l’occident représente aujourd’hui la modernité ». Je crois fermement en ces valeurs et je comprends les risques qui leur sont liés, mais je ne pense pas que nous avons beaucoup de choix. Vous pouvez lire The Dark Net si ces sujets vous intéressent.