Un autre géant du capital-risque est mort – Don Valentine

Je viens d’apprendre la mort de Don Valentine, le fondateur de Sequoia. Pour ceux d’entre vous qui ne le connaissent pas, vous pouvez visiter mes précédents messages qui le mentionnent, que ce soit au travers du tag #sequoia ou la recherche du nom Valentine. Ou notez simplement qu’il fut investisseur dans Atari, Apple, Oracle, Cisco, Electronic Arts…

Ou alors lisez simplement deux de mes citations préférées:

« il y a seulement deux véritables visionnaires dans l’histoire de la Silicon Valley. Jobs et Noyce. Leur vision était de construire de grandes entreprises … Steve avait vingt ans, aucun diplôme, certaines personnes disaient qu’il ne se lavait pas, et il ressemblait à Hô Chi Minh. Mais c’était une personnalité brillante, et c’est un homme brillant maintenant … Succès phénoménal de la jeunesse … Bob était une de ces personnes qui pouvait prendre du recul parce qu’il était excessivement rationnel. Steve ne le pouvait pas. Il était très, très passionné, très compétitif. »

« Eh bien, nous mettrons tout l’argent sur la table, vous donnerez votre sang, vos larmes et votre sueur et ainsi nous partagerons l’entreprise l’entreprise », ceci avec les fondateurs. Ensuite, si nous devons embaucher plus de personnes, nous ferons la même chose, ce sera une sorte d’arrangement 50/50. Alors que cette bulle devenait de plus en plus folle, vous savez, ils venaient et disaient: « Eh bien, vous savez, nous vous donnerons, pour tout l’argent, 5%, 10% du contrat ». Et, vous savez, c’est une question d’offre et de demande. C’est reparti dans l’autre sens maintenant. Mais, en commençant avec une équipe, il est typique de dire, disons, quelque part entre 40 et 60%, à partager maintenant. S’ils ont la meilleure chose depuis le fil à couper le beurre et que vous pensez qu’ils l’ont et qu’ils l’ont, vous savez, alors vous perdrez probablement le marché car l’un de ces types le saisira. »

RIP DON

Une lettre vers et sur l’Amérique

En examinant de vieilles archives, j’ai redécouvert une lettre écrite par un membre de la famille en octobre 1993. À l’époque, je vivais en Californie. Je l’ai relue, l’ai tellement adorée pour des raisons personnelles, mais aussi l’ai trouvée si clairvoyante que j’ai décidé de la partager ici. J’espère que certains l’aimeront.

Dites-moi, mes bons amis, qu’est-ce donc que l’Amérique ? La rudesse des confins, cette impossible frontière où l’homme se trouve par la violence dépouillé du mensonge, où la vérité se fait jour ? Les vieilles terres du sud, si charnelles, si indolentes, si cruelles ? Les coups de vents dévastateurs et les cyclones dans les affaires qui font migrer les gens d’un bout à l’autre du pays ? Les Noirs, les Jaunes, les basanés, les mordorés et ces Indiens qui ouvrent des casinos dans leurs réserves, histoire de reprendre un peu de pouvoir aux Blancs ? Les Indiens sont un songe déglingué, comme la route 66, comme le train des Rocheuses. En Europe, nous vivons paradoxalement l’Amérique sur le mode du regard, plus que sur celui de l’écrit ou de la pensée. Tout le monde ne lit pas Tocqueville, puis, quel est le successeur de Tocqueville ? Reste l’image. Une fatrasie d’images où régnait la violence et le mélo, entre pop-corn et ice-cream, les hommes tannés des westerns, statues de poussière et de vent, les comédiens éblouissants des musicals, Miles Davies, tête baissée, lunettes noires, visage émacié, poussant sur sa trompette dans une encoignure, des suffragettes excitées et des sodomites en délire. Le vrai et le faux de mélangent, se confondent. La mémoire bégaye. De Niro ne cesse de retourner vers ses compagnons, les aciéristes, par un soir de pluie, gravissant une rue boueuse bordée de petits pavillons, dans le décor gris-bleu, monstrueux et hétéroclite, des fonderies ; Kennedy s’effondre encore à l’arrière de sa grande voiture décapotable, sous l’œil effaré de Jackie ; et je contourne toujours Long Island et Brooklyn pour aborder le défi orgueilleux des tours de Manhattan. Ou je survole de hautes montagnes, des déserts, des lacs, des plaines sans fin, où l’œil accroche, jalonnant l’immensité, pressées, serrées, des grappes de gratte-ciel, termitières du jour, monuments de verre et de béton dans le silence des nuits, édifiés à la gloire dont ne sait quel dieu mort.

Je regarde parfois CBS Evening News, je vois des gens s’inquiéter de tout et de n’importe quoi, jusqu’à l’obsession. Hantés par le cancer, la cellulite, le lait empoisonné, l’amaigrissement hâtif, la fumée de tabac, la main lest des hommes et le regard de l’autre. Je me demande : qu’est devenue la fière Amérique ? Ou n’a-t-elle jamais existé que dans les discours des présidents sur l’état de l’Union ? Qu’est-ce donc l’Amérique ? Thoreau et les transcendantalistes, Charles Ives, l’assureur musicien, qui a capté comme personne le fracas des orphéons, la fête et les lenteurs provinciales, l’immensité des terres et la simplicité des êtres ? Ou les Noirs qui sont peut-être les plus américains des Américains puisqu’ils ont vraiment perdu leurs racines (l’Afrique n’est pas lieu, mais un mythe et des rythmes alors que les émigrants ont encore des familles, qui en Sicile, qui en Corée, qui au Mexique, qui en Irlande) ? Ou ce « melting pot » qui ne se mélange pas, mais qui unit parce qu’à la manière des féodaux, l’appartenance vise les personnes, la foi jurée, requiert l’individu au plus noble de lui-même ? (Peut-être ne faut-il pas trop se moquer des Bibles déposées dans les chambres d’hôtel. Elles symbolisent le rapport direct, intime que les protestants établissent entre l’homme et son créateur. Transposé, on aperçoit le rapport direct, transcendant toutes les médiations administratives, juridiques, institutionnelles, qui unit l’homme américain à l’Amérique : Dieu, c’est l’Amérique. Comme Dieu, serait-elle inaccessible à notre intellect ?) On trouve de tout, semble-t-il en Amérique. Serait-elle le grand magasin du créateur, la Samaritaine de l’éternité ? L’Amérique est-elle hors du temps ? Alice au pays des décombres erre parmi les silos abandonnés, les usines désertées, les jerricanes au rebut, les pneumatiques usés, les carrosseries rouillées, pour découvrir dans un champ d’épandage l’inattendu, le surprenant, l’éternellement neuf. L’Amérique pionnière et fatiguée.

Je me dis ceci, mais peut-être ai-je tort. L’attitude ambigüe que nous les Vieux Européens avons à l’égard de l’Amérique tient passablement du rapport parents-enfants qui mêle ambition, espoir, attente et déception, surprise et incompréhension, ravissement et exaspération, tendresse et colère. Reconnaissance, méconnaissance. Un être neuf est sorti de nous, qui nous prolonge mais qui n’est pas nous-mêmes et dont le destin nous échappe. America, America, le rêve de l’émigrant, mais aussi en quelque manière notre rêve à tous. La nouvelle Jérusalem ou la nouvelle Babylone. Quelque chose frappe, si l’on tente de survoler les siècles. L’autre côté. L’autre côté des collines, l’autre côté des montagnes. Nous sommes gens de petits témoins, d’horizons limités. Qui se sont souvent querellés, battus, entretués de vallée à vallée, de château à château, de bourg à bourg, de pays à pays. Moins pour prendre, sinon par rapine, moins pour s’agrandir que pour asseoir un lieu, un domaine, un territoire comme partie de soi, d’où l’autre sera exclu, toléré à la rigueur, toujours en situation d’extranéité. Et soudain, voilà que ces Lilliputiens s’en vont. Vous rendez-vous compte, mes amis, de ce que représente pareil départ ? Il ne s’agit pas exactement de voyage, de la curiosité du voyageur – il y a toujours eu des Hérodote, des Marco Polo. Pas davantage de commerce ou de l’errance qui suit les voies de l’échange. La démographie, l’économie, la politique des puissances, la religion peuvent nourrir les motivations et suffire à l’historien. Encore faut-il une détermination plus haute qui oriente les choix. Comment la nommer ? L’appel de l’inconnu, la volonté de force le destin, la capacité d’affronter le mystère ? Nous sommes des êtres de manque, dit le philosophe. Des êtres de désir. Manquer, c’est avoir le désir d’autre chose, qu’on ne peut définir puisqu’on en a une idée négative. Une audace inouïe : nier le présent pour s’ouvrir au mystère. Debout, les yeux ouverts sur l’horizon. Affronter l’immensité océane et ses fureurs, aborder des terres aussi vastes que la mer, s’enfoncer au profond de forêts immenses, cathédrales d’ombre grouillant d’une vie étrange, suivre la trace du soleil dans les mirages d’or du désert, découvrir des mœurs bizarres, incompréhensibles, sauvages, et des peuples plus nombreux que les grains de sable sur la plage. Mais surtout être devant la démesure dans la démesure dans céder. Et rester, ou revenir, avec dans la tête, le petit monde lointain, si lointain, quitté il y a si longtemps, dont les contours minuscules s’engourdissent lentement dans le sommeil du souvenir. Qu’y avait-il au cœur de cette volonté obstinée ? Peut-être la trace secrète d’une très longue mémoire. Après tout, chacun de nous descend plus ou moins de lointains envahisseurs. Celtes, Francs, Germains, Goths, quels étaient nos ancêtres ? Et avons-nous gardé dans les recoins de nos désirs l’empreinte de ces anciennes migrations ?

Asie, Afrique, Amérique, tous ces continents n’étaient pas également offerts au peuplement des colons. L’Asie, l’Afrique, des mondes trop remplis déjà ou des natures trop difficiles, trop hostiles. Restait l’Amérique et singulièrement l’Amérique du Nord à l’occupation lâche et dont la façade atlantique, vers le 40e parallèle, n’était somme toute pas si dépaysante pour des Européens. L’esprit d’entreprise du protestantisme a fait le reste. On pouvait bâtir sa Nouvelle Angleterre et s’imaginer qu’on allait reproduire en l’épurant dans une sorte de rêve virgilien la vieille mère Europe. Qu’est-ce alors que l’Amérique ? Vue rétrospectivement, elle peut apparaître comme le développement d’une simple conjoncture historique, comme le fruit du hasard et de la nécessité. Ou bien dira-t-on tel était le destin inscrit, quasiment de toute éternité, sur ce morceau de continent ? Pourquoi faut-il, que songeant à l’Amérique, j’ai le sentiment d’une réalité infiniment vieille et d’une promesse toujours inachevée ? En ce sens, si l’Amérique découle d’un destin, ce destin est toujours à venir, demeure toujours une ouverture sur l’inattendu.

Ceci par exemple, qui relève de l’entendement. Nous autres, Français, avons la religion du texte bien conduit, selon l’ordre des raisons : nous aimons une réflexion bien menée et quoi de plus aimable que d’aller de l’idée à ses conséquences ; nous sommes des législateurs de l’écriture. Le pragmatisme américain tend à n’avancer d’idées générales qu’étayées par l’analyse des faits. [C’est moi qui souligne.] Cela ne le libère pas de préjugés, mais lui donne une puissante mobilité et le prémunit contre l’excès des systèmes. Or je crois que dans la crise intellectuelle que nous vivons, nous ne parviendrons pas à nous diriger si nous ne retrouvons pas une compréhension satisfaisante du multiple et de la multiplicité, laquelle est bloquée, ou du moins contrariée, par le besoin de l’interprétation unitaire, besoin profondément enraciné en ce qu’il relève de la théologie chrétienne et de ses antécédents hébraïques. Parce que l’Amérique est essentiellement multiple, parce que l’unitaire n’est chez elle que le moyen d’associer et de coordonner ces multiplicités dans la foi en l’Amérique et la foi en l’individu, peut-être les pensées neuves nous viendront-elles d’outre-Atlantique. Et à notre habitude, nous les systématiserons. Pour le plaisir de l’ordre. Éternelle jeunesse de l’Amérique ? Mais qu’est-ce donc que l’Amérique.

Pardonnez-moi de vous écrire si tard. (J’espère que cette lettre tarabiscotée vous parviendra.) Je vous remercie de m’avoir donné de vos nouvelles. Si peu de gens le font. Mais je suis un mauvais épistolier. Je cours après les sous qui eux courent après les habiles et le temps me manque.

Je vous embrasse,
Georges, le 2 octobre 1993.

Deeptech generation – un guide à destination des chercheurs et doctorants.

Deux très jolis documents publiés par la BPI, la banque publique d’investissement, illustrent parfaitement les enjeux de la « deepetech » et par une multitude de témoignages la passion et les motivations de chercheurs devenus entrepreneurs. Je vous encourage à lire en ligne ou après les avoir téléchargés (ici pour le pdf Génération Deepetch).

Vous trouverez les versions slideshare à la fin du post et oici quelques témoignages éclairants qui peut-être contribueront à créer de nouvelles vocations.

Il ne faut surtout ne pas avoir peur de créer sa startup, même si cela peut sembler complexe et sans fin. Que le résultat soit positif ou un peu moins, cela reste une aventure que l’on ne vous retirera pas, comme le doctorat. L’entrepreneuriat apporte tellement dans votre vie, dans votre cursus. L’entrepreneuriat est une formation continue qui ne peut être que valorisante.

La transition entre mon doctorat et le statut d’entrepreneur est venue naturellement. La technologie de […] étant mon sujet de doctorat, nous avions déjà développé plusieurs prototypes que nous avions évalués et qui étaient prometteurs. On ne pouvait pas s’arrêter là et ne pas faire bénéficier les utilisateurs finaux, qui ont réellement besoin, de cette innovation. On a décidé de créer la startup et de se lancer jusqu’à la commercialisation du dispositif.

Le monde de l’entrepreneuriat m’a ouvert à de nouveaux horizons et m’a apporté des expériences que je n’aurais jamais imaginées quand nous avons commencé il y a quelques années.

La création de startup est une très belle expérience, humaine avant tout. En créant […] j’ai fait des rencontres que je n’aurais jamais faite autrement. C’est aussi une expérience de travail, car faire de la recherche et aboutir à un produit fini cela n’est pas du tout la même chose. Enfin, en tant que directeur de laboratoire je considère que la valorisation fait partie de mes missions, et cela nous apporte également beaucoup de visibilité au niveau régional, car nous créons de la valeur et des emplois.

Ce qui pousse à faire ça c’est une expérience humaine : vouloir aller au bout d’un domaine qui nous passionne. Il ne faut pas le faire parce que c’est à la mode mais bien parce que ça nous passionne.

Lorsque l’on passe de chercheur à entrepreneur tout change : le regard des anciens collègues et des amis, les perspectives d’évolution. Il faut se poser la question : « Suis-je en cohérence avec mes valeurs personnelles ? »

Passer de scientifique à entrepreneur, c’est bien souvent mettre ce que l’on aime de côté. Il faut se mettre à la finance, à la PI, aux contrats… C’est un vrai changement d’état d’esprit. En parallèle, les rencontres et l’apparition de nouvelles opportunités demandent une vraie agilité dans la manière de réfléchir et de remettre constamment en question la vision de notre travail.

Contribuer à la création de […] m’a permis de découvrir un monde inconnu, celui du monde industriel et du marketing, et m’a apporté beaucoup de choses : du respect supplémentaire de mes collègues, de la reconnaissance […] et de la gratitude […] pour l’impact positif (à venir) sur l’activité économique de la région. Cela m’a apporté une vraie satisfaction car mes recherches universitaires trouvent des consommateurs et donc une vraie utilité. Et plus de collaborateurs travaillent sur mes idées depuis que j’ai créé l’entreprise.

Chercheurs et entrepreneurs : c’est possible ! (suite)

Un deuxième article sur ce livre éclairant après celui-ci. Une multitude citations qui rendent ce livre passionnant. L’importance de l’humain; l’entrepreneuriat n’est pas une science. L’expérience du terrain compte sans doute autant que le savoir académique, tant les aventures sont uniques malgré leurs traits communs. Voici quelques nouveaux exemples:

« Les premières rencontres avec les investisseurs sont des dialogues entre êtres humains : on va voir en vous la personne qui prend des risques, qui a la capacité de développer une stratégie et d’exécuter des plans. Trois critères majeurs intéressent les investisseurs : l’équipe, en particulier le CEO [Chief Executive Officer] qui crée et inspire la troupe au quotidien, et ensuite le produit et la taille du marché potentiel. » Pascale Vicat-Blanc.

« Il est essentiel de s’ouvrir le plus tôt possible de son idée, de son projet. Les contacts en amont sont très riches et peuvent être assez simples. » Stéphane Deveaux. [Page 43]

« La création d’une entreprise est d’abord un travail de définition et d’élaboration d’une offre et du positionnement de cette offre dans le marché », explique Éric Simon. « J’ai rencontré une société qui a tout de suite été très enthousiaste. Nous avons dû résoudre de nombreux défis techniques que nous n’avions pas rencontrés dans le monde de la recherche. [Mais ce premier gros client] nous a conduit dans une impasse. […] J’ai tenu bon et j’ai retenu que même si l’on un client important, il faut tout de suite se diversifier pour ne pas être à sa merci. » [Page 55]

Si les études de marché et les formations en marketing sont souvent présentes dans les incubateurs, il n’empêche que certaines expériences restent difficilement transmissibles. Les chercheurs-entrepreneurs insistent sur l’importance du terrain. « Nous avons ainsi fait beaucoup d’entretiens, de visites aux clients, de prospection pour connaître réellement notre marché. C’est la meilleure étude de marchés si l’on compare à l’achat d’études toutes faites. » Benoit Georis, Keeno [Page 61]

Suivent des discussions sur l’importance relative des investisseurs publics et privés si spécifiques à la France. Oui passionnant!

Chercheurs et entrepreneurs : c’est possible !

Voici un livre que je découvre sur des histoires de startup du numérique français, celles issues d’Inria, l’institut national (pour la recherche en informatique et en automatique) dédié aux sciences du numérique. Il est intitulé Chercheurs et entrepreneurs : c’est possible !

Je n’en ai lu que quelques pages mais les citations que j’ai lues sont si parlantes que je ne peux pas m’empêcher d’en extraite quelques exemples :

« Nos amis créaient leur boîte dans la Silicon Valley, comme Bob Metcalfe avec 3Com ou Bill Joy avec Sun. J’ai fait le tour des groupes que je connaissais outre-Atlantique, au MIT, à Berkeley, à Stanford, en leur expliquant notre projte. leur réaction positive nous a confortés dnas l’idée de nous lancer. » La Silicon Valley fut souvent source d’inspiration…

« Ce qui m’intéressait ce n’était pas de faire de la recherche en soi, c’était de faire progresser la technologie pour résoudre des problèmes bien réels. Nous avions de plus en plus de financements ; nous avons fait des configurateurs de satellites pour l’aérospatiale, de ports, de bâtiments et un simulateur stratégique pour les sous-marins nucléaires » dit Pierre Haren, le fondateur de Ilog. Le produit oui, mais avant tout pour des clients…

« Par définition, [nous étions] une société de haute technologie. [… mais ] Comme dans toute création, au début, on fait tout même le ménage ! Nous nous sommes occupés de la démarche commerciale, de l’optimisation de l’offre, et même des locaux. Quand on s’occupe d’une société, on n’est jamais tranquille, on ne prend jamais ses aises. Que l’on soit dix ou dix mille, le responsable est toujours au charbon. » selon Christian Saguez, fondateur de Simulog et d’ajouter « Mon premier conseil aux chercheurs hésitants, c’est de faire la pas de la création sans chercher le confort à tout prix. Vous apprenez la varie vie et c’est toute la beauté d’entreprendre. Avec Simulog on a dû tout inventer et le modèle a marché. »

Une multitude de leçons… Je vais lire la suite très bientôt. Merci à Laurent pour ce cadeau. 🙂

PS: j’en profite pour ajouter un document qui décrit le soutien à l’entrepreneuriat autour d’Inria:
Entrepreneurship Support at and around Inria as of October 2019

The Code de Margaret O’Mara – La Silicon Valley et la reconstruction de l’Amérique

Il y a environ 15 ans, un collègue qui connaissait ma passion pour la Silicon Valley me demandait pourquoi la région devrait survivre et continuer ainsi dans les années, voire les décennies à venir. Je venais d’arriver à l’EPFL et maintenant que je quitte cet endroit où il y a tant de gens que j’aime, je peux donner la même réponse à mon collègue: le talent et le capital réunis là-bas, avec une expertise qui semble ne jamais être perdue et un appétit pour les expériences et le risque sans trop craindre l’échec, du moins son absence de stigmatisation sont les raisons pour lesquelles la Silicon Valley a un avenir radieux. Oui, elle présente de nombreux inconvénients et faiblesses, mais même en cas de crise majeure, il y a toujours, quoi que nous puissions en penser, suffisamment de diversité pour qu’elle continue à briller.

Margaret O’Mara pense probablement la même chose. Au moins, elle a écrit l’une des histoires les plus complètes de la région et décrit brillamment tous ses attributs forts et faibles, positifs et négatifs.

The Code
Silicon Valley and the Remaking of America
de Margaret O’Mara

Vous devez comparer tout cela comme une course de chevaux, explique Morgenthaler. C’est comme ça que la high-tech a fonctionné. Le cheval était la technologie. La course était le marché. L’entrepreneur était le jockey. Et le quatrième et dernier ingrédient était le propriétaire et entraineur – l’investisseur de haute technologie. Vous pourriez avoir le meilleur jockey, mais s’il montait un cheval lent, vous ne gagneriez pas. Même chose si vous avez un cheval rapide, mais un terrible jockey. Sans une bonne technologie, une bonne équipe talentueuse n’irait pas loin. Et la course devait avoir de bons enjeux. Conduire un cheval rapide pour gagner une course locale ne rapporterait pas beaucoup, mais le Derby du Kentucky était une autre affaire. Donc, cela était lié au marché. Celui-ci devaient avoir des clients et une croissance, sans saturation. [Pages 11-12] (Vous pouvez consulter l’archive du Computer Museum archive sur Morgenthaler ici (en pdf).)

Le flot ne portait pas sur le transfert de technologie, mais sur le talent – sur les personnes qui allaient des laboratoires de Stanford aux bureaux de son parc de recherche pour se rendre dans les entrepôts délabrés et les bâtiments de bureaux préfabriqués qui commençaient à s’étendre vers le sud jusqu’à El Camino Real. Partout ailleurs dans les années 1950, le monde universitaire était une véritable tour d’ivoire, entourée de murs imprenables entre ville et robe, entre recherche «pure» et entreprise. A Stanford, ces murs se sont dissous. [Page 32]

« Les inventions viennent d’individus », a observé Regis McKenna, « pas des entreprises. » [Page 152]

« Les bonnes idées et les bons produits se trouvent pas dizaines », [Arthur Rock] a expliqué plus tard. « Une bonne exécution et une bonne gestion – en un mot, les bonnes personnes – sont rares. »

Le commentaire de John Doerr est peut-être plus controversé: beaucoup plus tard, l’un des VC les plus performants et les plus influents de la région, John Doerr, a plongé dans le métier après avoir avoué qu’un facteur majeur guidant ses décisions était la « reconnaissance des motifs ». « Tous semblent être des Blancs, des hommes, des nerds qui ont quitté Harvard ou Stanford et qui n’ont absolument aucune vie sociale. Alors, quand je voyais cette tendance se répéter », a-t-il conclu, « il était très facile de décider d’investir ». [Page 76]

Après l’entrée en bourse de HP en novembre 1957, le cours de son action a augmenté. Pourtant, depuis le début, les deux fondateurs ont consciemment présenté leur entreprise comme une entreprise soucieuse d’améliorer la qualité de son travail. « Je pense que beaucoup de gens supposent, à tort, qu’une entreprise existe simplement pour gagner de l’argent », a dit un jour Packard aux responsables de HP. « Bien qu’il s’agisse d’un résultat important de l’existence d’une entreprise, nous devons aller plus loin pour trouver les véritables raisons de notre existence. » Une éthique non hiérarchique, conviviale et axée sur le changement du monde, associée à une focalisation sans faille sur la croissance du marché et les fondamentaux du business – HP a créé le modèle pour les générations d’entreprises à venir de la Silicon Valley. [Page 33]

Le fabricant de missiles, l’université entrepreneuriale, la sensibilité particulière des entreprises, les réseaux professionnels, l’argent public, la main-d’œuvre d’élite (et homogène): de nombreux ingrédients clés se sont réunis à Palo Alto au milieu des années cinquante. [Page 38]

O’Mara combine des anecdotes, des histoires et des tendances économiques. Par exemple, plus de 500 entreprises sont entrées en bourse en 1969. Seulement 4 en 1975. […] En 1969, le secteur national du capital-risque avait mobilisé plus de 170 millions de dollars en nouveaux investissements. En 1975, il avait amassé de pâles 22 millions de dollars. De plus, un seul investissement sur quatre était allé à des entreprises de technologie. [Page 158]

Elle montre qu’il y avait des milliers d’entreprises similaires (et inconnues) à celle qui sont devenues des succès phénoménaux. Parallèlement à Apple, il y avait eu ProcTech (ou Processor Technology), IMSAI, Cromemco, Xitan, Polymorphic. Vector Graphic, avec un investissement initial de 6 000 dollars en 1976, a atteint 4 000 unités et 400 000 dollars de ventes en 12 mois, et 25 millions de dollars cinq ans plus tard. En 1977, 50 000 ordinateurs personnels étaient utilisés. [Pages 144-6]

(Une brève paranthèse: elle mentionne un livre que je ne connaissais pas: The Innovation Millionaires: How They Succeed by Gene Bylinsky (Charles Scribner’s Sons, New York, 1976.)

Elle illustre également clairement le rôle de l’intervention et du soutien publics. Je ne savais pas par exemple à quel point John Doerr était impliqué dans la lutte contre la proposition 211 en 1996. Cela montre que, malgré l’opinion générale selon laquelle la Silicon Valley n’a aucun intérêt pour la politique, au contraire, de nombreux individus et institutions sont beaucoup plus intéressés que généralement perçu. (Voir Proposition 211 ) [Paragraphe « The Litigator » – Pages 333-8]

De même, Peter Thiel, célèbre libertarien, ardent défenseur des États faibles et du président Trump, illustre bien la complexité de la situation: il est le fondateur (financier) de Palantir, une start-up dont les revenus au moins au début de son histoire, venait du gouvernement… [Pages 384-7]

Mais la culture n’est jamais loin. Lorsque le président russe Medvedev s’est rendu dans la Silicon Valley en 2010 pour tenter de comprendre les secrets de la région, il a conclu qu’il n’y avait tout simplement pas assez d’appétit pour le risque. « C’est un problème de culture, me dit Steve Jobs aujourd’hui. Nous devons changer la mentalité. » [Page 388]

Donc, le succès de Silicon Valley ne s’arrête pas… « À la mi-2018, Facebook avait réalisé 67 acquisitions, Amazon en avait 91 et Google en avait 214. » [Page 391] Rappelons-nous bien que dans le groupe GAFAM, deux entreprises ne sont pas basées dans la Silicon Valley, montrant à quel point la région est puissante, ne serait-ce qu’en termes de perception! (Voici une référence à un ancien post qui montre l’importance des acquisitions: L’A&D de Cisco publiée en 2016.)

C’est également du point de vue architectural mentionné sur la page 392. Avec le nouveau bâtiment de Facebook en 2015, ou Amazon biosphères et Apple Park.

Et bien sûr il y a les nouveaux riches. « Quelques années après son introduction en bourse, Google compte plus de 1 000 employés ou anciens employés disposant d’une fortune de 5 millions de dollars, dont une massothérapeute ». [Page 392]

En conclusion de ma lecture, une dernière citation:

« À mesure que la richesse augmentait, se développa aussi le mythe selon lequel Silicon Valley était capable de générer des entreprises innovantes les unes après les autres. Il s’agissait d’accepter la prise de risque et de ne pas pénaliser les échecs. Il s’agissait de donner la priorité à l’ingénierie – trouver le meilleur talent technique, sans parti pris quant à l’origine ou au pédigré. Il s’agissait de cette « reconnaissance de motif » identifiée avec tant de fatalité par John Doerr, à la recherche du prochain dropout de Stanford ou de Harvard avec une idée folle mais brillante.

Parmi toutes ces affirmations, le dérapage de Doerr est le plus proche du secret de la vallée. « Les investisseurs de la côte ouest ne sont pas plus audacieux parce qu’ils sont des cow-boys irresponsables ou parce que le beau temps les rend optimistes », a écrit Paul Graham, fondateur de l’incubateur technologique le plus influent de la vallée, Y Combinator, en 2007. « Ils sont plus audacieux parce qu’ils savent ce qu’ils font. » Les acteurs puissants de Valley connaissaient la technologie, connaissaient les gens et connaissaient la formule qui fonctionne.

Ils recherchent des « hommes du meilleur niveau » (qui sont très rarement des femmes) dans les meilleurs programmes d’ingénierie et d’informatique du pays, ou dans les jeunes entreprises les plus prometteuses, et qui ont été validés par une autre personne qu’ils connaissent déjà. Ils recherchent ceux qui ont le même feu ardent qu’un Gates ou qu’un Zuckerberg, l’ascétisme et la focalisation de Kapor ou Andreessen ou de Brin et Page. Ils financent ceux qui travaillent sur une version légèrement meilleure que quelque chose qui a déjà été tenté – un meilleur moteur de recherche, un meilleur réseau social. Ils entourent ces entrepreneurs chanceux de soutien et de talents chevronnés; ils placent leurs noms dans les médias et leurs visages sur la scène des meilleures conférences. Ils choissisent des gagneurs et, en raison de l’expérience accumulée et des relations dans la vallée, ceux qu’ils ont choisis gagnent souvent. » [Pages 399-400]

Loonshots ou comment développer les idées folles selon Safi Bahcall

Voici l’un des meilleurs livres sur l’innovation que j’ai lu depuis des années. L’importance des idées folles, quelques ingrédients pour les faire murir, et surtout l’attitude à adopter pour les rendre moins folles. Plus important encore, les idées folles ont beaucoup plus d’impact sur nos vies que nous ne le pensons. À lire absolument. Voici quelques extraits pour vous convaincre …

Loonshot: un projet négligé, largement rejeté, son champion classé comme déséquilibré.

La thèse du Loonshot:
1. Les avancées les plus importantes proviennent des Loonshots, des idées largement rejetées et dont les champions sont souvent déclassés comme fous.
2. Des groupes importants de personnes sont nécessaires pour traduire ces avancées en technologies qui gagnent des guerres, en produits permettant de sauver des vies ou en stratégies qui changent les industries.
3. L’application de la science des transitions de phase au comportement des équipes, des entreprises ou de tout groupe ayant une mission fournit des règles pratiques pour améliorer et accélérer la lecture des échecs.
[Page 2]

Bush a changé la recherche publique de la même manière que Vail a changé la recherche des entreprises. Tous deux ont reconnu que les grandes idées – les avancées qui modifient le cours de la science, des affaires et de l’histoire – échouent plusieurs fois avant de réussir. Parfois, elles survivent par pure chance. En d’autres termes, les avancées qui changent notre monde sont nées du mariage du génie et de la sérendipité. [Page 37]

Mais ceux qui réussissent vraiment – les ingénieurs de la sérendipité – jouent un rôle plus humble. Plutôt que de défendre n’importe quel loonshot, ils créent une structure exceptionnelle pour nourrir de nombreux loonshots. Plutôt que des innovateurs visionnaires, ce sont des jardiniers prudents. Ils veillent à ce que à la fois les loonshots et les franchises soient bien entretenues, qu’aucune ne domine l’autre et que chaque camp entretienne et soutient l’autre. [Page 38]

Comme nous le verrons dans les chapitres suivants, gérer le toucher et l’équilibre est un art. La sur-gestion du transfert provoque un type de piège. La sous-gestion de ce transfert en cause un autre. [Page 42]

Un champion du projet

Du côté créatif, les inventeurs (les artistes) pensent souvent que leur travail doit parler pour lui-même. La plupart trouvent n’importe quel type de promotion désagréable. Du côté des entreprises, les cadres (les soldats) ne voient pas le besoin de quelqu’un qui ne fabrique pas ou ne vend pas de choses – de quelqu’un dont le travail consiste simplement à promouvoir une idée en interne. Mais les grands champions de projets sont bien plus que des promoteurs. Ce sont des spécialistes bilingues, qui parlent couramment le langage artiste et le langage soldat, qui peuvent rapprocher les deux côtés. [Page 63]

Les réponses contrariennes, vécues en toute confiance, créent des investissements très attractifs. [Page 63]

LSC: Listen to the Suck with Curiosity.
LSC, pour moi, est un signal. Lorsque quelqu’un conteste le projet dans lequel vous avez investi des années, le défendez-vous avec colère ou enquêtez-vous avec une véritable curiosité? [Page 64]


Quelques célèbres créateurs de Loonshots…
https://fr.wikipedia.org/wiki/Akira_End%C5%8D
https://fr.wikipedia.org/wiki/Juan_Trippe
https://fr.wikipedia.org/wiki/Edwin_H._Land

Des années plus tard, Land devint réputé pour son proverbe: «N’entreprenez de programme que si l’objectif est manifestement important et si sa réalisation est pratiquement impossible». [Page 96]

Ensuite, l’auteur a une thèse étonnante sur la taille de l’équipe. « Je montrerai que la taille de l’équipe joue le même rôle dans les organisations que la température pour les liquides et les solides. Lorsque la taille de l’équipe franchit un « nombre magique », l’équilibre des incitations se déplace d’une focalisation sur les loonshots vers une focalisation sur les carrières.
Ce nombre magique est

où G est le taux de croissance des salaires avec promotion (par exemple 12%); S décrit la structure hiérarchique – si elle est étroite, chaque responsable dispose d’un petit nombre de reports directs et il y a de nombreuses couches hiérarchiques, alors que si elle est large, il y aura plus de reports directs et moins de hiérarchie – E est le ratio equity qui lie votre paye à la qualité de votre travail. Le dernier paramètre F est le rendement de la politique par rapport à l’adéquation projet-compétence.
Dans de nombreux cas, le nombre magique M est égal à 150… [pages 195-200]
Safi Bahcall a de nombreuses autres descriptions étonnantes, notamment l’importance des lois statistiques de puissance (power law) dans l’innovation [Page 178] ou celle-ci [Page 240]

Pour qu’une pépinière autonome se développe – dans une entreprise ou un secteur – trois conditions doivent être remplies:
1- Séparation de phases: groupes de franchise et de franchise distincts
2- Equilibrage dynamique: échanges homogènes entre les deux groupes
3- Masse critique: groupe de lonnshot suffisamment puissant pour s’enflammer.

Appliquées aux entreprises, les deux premières sont les premières règles Bush-Vail discutées dans la première partie. La troisième masse critique concerne l’engagement. S’il n’y a pas d’argent à payer pour embaucher de bonnes personnes ou pour financer des idées et des projets en début de phase, un groupe non averti dépérira, quelle que soit sa qualité. Pour prospérer, un groupe indépendant doit avoir une réaction en chaîne. Un laboratoire de recherche qui produit un médicament performant, un produit à succès ou des conceptions primées attirera les meilleurs talents. Les inventeurs et les créatifs voudront apporter de nouvelles idées et surfer sur la vague d’une équipe gagnante. Le succès justifiera plus de financement. Plus de projets et plus de financement augmentent les chances de plus de succès – le saut positif d’une réaction en chaîne.

Combien faut-il de projets pour atteindre la masse critique? Supposons que les probabilités soient de 1 sur 10 que n’importe quel tireur d’élite réussisse. Une masse critique pour déclencher la réaction avec une grande confiance nécessite d’investir dans au moins deux douzaines de ces échecs (un portefeuille diversifié de dix de ces loonhsots a 65% de chances de produire au moins un gain; deux douzaines, une probabilité de 92%).

L’innovation de rupture à nouveau [Page 263]

Utilisez « l’innovation de rupture » pour analyser le passé. Encouragez les loonshots pour tester vos convictions.

Dans un article abordant la controverse récente concernant la notion d’innovation de rupture, Christensen explique pourquoi Uber n’est pas disruptif, selon sa définition, et pourquoi l’iPhone a également été conçu comme une innovation incrémentale. Au chapitre 3, nous avons vu qu’American Airlines – un grand acteur établi, et non pas un nouveau venu – a mené l’industrie du transport aérien après la déréglementation en proposant de nombreuses innovations « incrémentales », brillantes et destinées aux clients haut de gamme. Des centaines de jeunes compagnies aériennes à bas coûts, « innovateurs de rupture» , ont échoué.

Si le transistor, Google, l’iPhone, Uber, Walmart, IKEA et le Big Data d’American Airlines, ainsi que d’autres idées transformant le secteur, étaient tous au début des innovations viables et que des centaines d ‘« innovateurs de rupture » ont échoué, peut-être que la distinction entre incrémental et disruptif, bien qu’intéressante d’un point de vue académique ou rétrospectif, est moins essentielle que d’autres notions pour guider les entreprises en temps réel.

C’est au moins pourquoi je n’utilise pas cette distinction dans ce livre. J’utilise la distinction entre le type S et le type P parce que les équipes et les entreprises, ou toutes les grandes organisations, développent des croyances profondes, parfois consciemment, souvent pas, à la fois sur les stratégies et les produits. Peut-être que tout ce que vous êtes certain de savoir sur vos produits ou votre modèle d’entreprise est correct, et que les personnes qui vous racontent une idée folle qui remet en question vos convictions sont erronées. Mais que se passe-t-il si elles ne le sont pas? Ne préféreriez-vous pas découvrir cela dans votre propre laboratoire ou votre étude pilote plutôt que de le lire dans un communiqué de presse publié par l’un de vos concurrents? Combien de risques êtes-vous prêt à prendre en rejetant leur idée?

Nous voulons concevoir nos équipes, sociétés et nations afin de se nourrir des loonshots – de manière à maintenir l’équilibre délicat avec nos franchises – afin d’éviter de devenir comme l’empereur Qianlong. Celui qui a rejeté ces « objets étranges ou ingénieux », les mêmes objets étranges et ingénieux qui sont revenus entre les mains de ses adversaires, des années plus tard, et ont condamné son empire.

Echouer rapidement ou réussir lentement?

Voici ma dernière contribution en date à Entreprise Romande dans leur dernière édition spéciale de l’été « Time, ever elusive ».

If you are not a susbscriber, here is a copy

Echouer rapidement ou réussir lentement?
Hervé Lebret, responsable de l’Unité start-ups, EPFL

Slow food, slow thinking, slow growth. Après des décennies de frénésie hyperactive et sans doute destructrices, l’humanité semble vouloir se mettre sur pause. Pourtant depuis des années je me plains de ne pas voir les startups suisses et européennes croître assez rapidement et corolaire naturel de ne pas voir échouer assez vite ces « morts vivants » comme on les appelle dans la Silicon Valley, ces startups qui n’ont ou n’auraient aucun avenir. Alors me suis-je moi aussi trompé ?

Le débat entre partisans de la destruction créatrice schumpetérienne, de la « disruption » et ceux d’un progrès incrémental plus durable est aussi vieux sans doute que le mot innovation lui-même. Quand je suis tombé dans la marmite des startups lors de mes séjours américains, je me suis rapidement demandé pourquoi l’Europe n’avait pas connu de succès fulgurants comme les GAFAs (Google, Apple, Facebook, Amazon). Que cela soit souhaitable ou pas, la question est légitime ; cette différence n’est-elle pas liée à un autre phénomène moins connu, à savoir que nos startups ne meurent jamais ou du moins pas assez vite?

Récemment le Swiss Startup Radar [1] donnait le point de vue d’un Israélien: « En Suisse, j’observe un focus sur ce qu’on appelle le taux de survie. Les startups sont soutenues si elles disposent de garanties – par exemple sous forme de brevets – et si elles sont prudentes. C’est pourquoi huit startups de l’EPF de Zurich sur dix sont encore actives cinq ans après leur création. En Israël, par contre, on accorde davantage d’attention à l’impact économique. Ce qui compte, c’est la perspective de croissance et la création d’emplois. » Le taux de survie des entreprises après 5 ans en Suisse comme aux USA est de 50%. Il est de 90% pour les startup technologiques issues des institutions académiques suisses. On peut répondre que les chercheurs issus de ces institutions prestigieuses sont mieux formés et plus à même de résister aux tempêtes entrepreneuriales. Alors pourquoi dans la Silicon Valley où les chercheurs ne sont sans doute pas moins bien formés, le taux de survie n’est-t-il que de 75% au bout de cinq ans. Et surtout moins de 50% après 10 ans alors que nous en sommes à toujours 80% en Suisse ? En réalité la multiplicité des aides, essentiellement publiques, contribue probablement à une survie artificielle et une croissance trop lente.

Je crains que le débat restera ouvert et vif après cette chronique et de ne convaincre que les déjà convaincus. L’impact et la croissance ne peuvent pas passer que par la prudence et la modération; ils sont aussi le résultat de prises de risque et de financements spécialisés qui sans aucun doute augmentent le taux d’échec : « le monde des startups n’est pas fait pour les cœurs sensibles » déclarait Bill Davidow, grand capital-risqueur américain, les attentes sont extraordinaires et la casse y est terrible. L’horizon d’investissement du capital-risque est très court. Le succès doit être visible en moins de cinq à dix ans et le succès doit être fulgurant pour ces investisseurs. C’est un monde qui ne fait pas de prisonniers et les échecs sont à la hauteur des ambitions, et pire très rapides (le célèbre « fail fast »). Pour avoir plus d’impact, pour créer plus de valeur capitalistique et aussi plus d’emplois, il faut aussi des investissements de ce genre. Il n’est pas question de la survie de startups de quelques dizaines d’employés, mais de l’impact d’un Google qui en à peine vingt ans aura créé presque 100’000 emplois, peut-être plus que toutes les startups européennes combinées. On pourra reprocher beaucoup d’impatience à cette industrie et je comprends que certains entrepreneurs et décideurs politiques ou économiques en soient les premiers critiques. Je reste persuadé qu’il s’agit là d’une part du prix à payer pour cet impact plus grand.

[1] https://www.startupticker.ch/en/swiss-startup-radar

Bill Campbell, le coach qui valait mille milliards (suite et fin).

Un second et bref article comme suite à celui-ci, ici. Quelques notes.

Eric Schmidt et ses co-auteurs insistent sur l’importance des équipes, des personnes et des produits. Par exemple:

« Dans notre livre précédent, How Google Works, nous soutenons qu’il existe une nouvelle génération d’employés, les créatifs intelligents, qui sont essentiels pour obtenir cette vitesse et cette innovation. Le créateur intelligent est une personne qui combine la profondeur technique avec le sens des affaires et la créativité. […] En faisant des recherches pour ce livre et en discutant avec les dizaines de personnes que Bill avait coachées au cours de sa carrière, nous nous sommes rendu compte que cette thèse passait à côté d’un élément important du puzzle de la réussite des entreprises. Il existe un autre facteur tout aussi essentiel à la réussite dans les entreprises: des équipes qui agissent comme des communautés. Intégrer les intérêts et mettre de côté les différences pour être obsédé individuellement et collectivement par ce qui est bon pour l’entreprise. […] Mais adhérer à ces principes est difficile, et cela devient encore plus difficile quand il faut tenir compte de facteurs tels que des industries en transition rapide, des modèles économiques complexes, des changements technologiques, des concurrents intelligents, des attentes exorbitantes des clients, une expansion mondiale, des coéquipiers exigeants… […] Pour apaiser les tensions et transformer une équipe en une communauté, vous avez besoin d’un coach, quelqu’un qui travaille non seulement avec les individus, mais aussi avec les équipes. » [Pages 22-4]

« Bill a commencé sa carrière en tant que spécialiste de la publicité et du marketing, puis a ajouté les ventes à son portefeuille après avoir rejoint Apple. Mais, grâce à ses expériences dans le monde de la technologie, chez Apple, Intuit, Google, etc, Bill en est venu à apprécier la prééminence de la technologie et du produit dans l’ordre hiérarchique des affaires. « Le but d’une entreprise est de partir de votre vision du produit et de la concrétiser », a-t-il déclaré à une conférence. « Vous définissez ensuite tous les autres composants autour du produit – la finance, les ventes, le marketing – pour faire en sorte que le produit soit commercialisé et s’assurer du succès. » Ce n’était pas comme cela que les choses se passaient dans la Silicon Valley, ou dans la plupart des autres endroits, lorsque Bill est arrivé en ville dans les années 1980. Le modèée alors était que mêm si une entreprise pouvait être lancée par un technologue, les pouvoirs en place feraient bientôt appel à un homme d’affaires ayant de l’expérience dans les domaines de la vente, du marketing, de la finance ou des opérations, pour diriger l’entreprise. Les gestionnaires ne pensaient pas aux besoins de l’ingénieur et ne se concentraient pas sur le produit d’abord. Bill était un homme d’affaires, mais il croyait que rien n’était plus important qu’un ingénieur à qui on donnait du pouvoir. Son argument récurrent: les équipes produits sont le cœur de l’entreprise. Ce sont elles qui créent les nouvelles fonctionnalités et les nouveaux produits. » [Pages 67-8]

À nouveau, à propos des équipes et de la confiance: « Il n’est pas surprenant que lorsque Google a mené une étude pour déterminer les facteurs qui influent sur les équipes les plus performantes, la sécurité psychologique est arrivée en tête de liste [1]. Les notions communes selon lesquelles les meilleures équipes sont composées de personnes possédant des compétences complémentaires ou de personnalités similaires ont été réfutées; les meilleures équipes sont celles qui ont le plus de sécurité psychologique, et cela commence par la confiance. » [Page 84]

À propos du talent: « Bill recherchait quatre caractéristiques chez les personnes. La personne doit être intelligente, pas nécessairement du point de vue académique, mais davantage du point de vue de sa capacité à se mettre rapidement au diapason dans différents domaines, puis à établir des liens. Bill appelait cela la capacité à faire des « analogies lointaines ». La personne doit travailler dur et doit avoir une grande intégrité. Enfin, la personne devait avoir la caractéristique difficile à définir: le cran. La possibilité de se faire assommer et d’avoir la passion et la persévérance nécessaires pour se relever et recommencer. » [Page 116]

Enfin, et peut-être plus important encore, à propos des fondateurs: « Il y avait une place très importante dans son cœur pour les personnes qui ont le courage et les compétences nécessaires pour créer une entreprise. Ils sont suffisamment sains d’esprit pour savoir que chaque jour est une bataille pour leur survie contre tous les obstacles et assez fous pour penser qu’ils peuvent réussir de toute façon. Et les garder de manière significative est essentiel au succès de toute entreprise. Trop souvent, nous pensons que la gestion d’une entreprise est un travail d’opérations et, comme nous l’avons déjà vu, Bill considérait l’excellence opérationnelle comme très importante. Mais lorsque nous réduisons le leadership de la société à son essence opérationnelle, nous nions un autre élément très important: la vision. Plusieurs fois, les responsables opérationnels arrivent et, même s’ils dirigent mieux l’entreprise, ils en perdent le cœur et l’âme. » [Page 178]

En conclusion, les gens, les gens, les gens…

[1] On trouvera plus de détails sur cette étude dans James Graham, «Ce que Google a appris de sa quête pour bâtir l’équipe parfaite», « What Google Learned from Its Quest to Build the Perfect Team » New York Times, 25 février 2016.

L’idéologie de la Silicon Valley selon Fred Turner et Jean-Pierre Dupuy (entre autres)

Excellent numéro de la célèbre revue Esprit sur l’idéologie de la Silicon Valley. Vous y trouverez des contributions de Emmanuel Alloa, Jean-Baptiste Soufron, Fred Turner, Shoshana Zuboff, Antonio Casilli, Jean-Pierre Dupuy.

J’ai surtout été frappé par l’étonnant entretien avec Fred Turner: Ne Soyez pas malveillants. Utopies, frontières et brogrammeurs. C’est en fait une traduction originellement publiée par LogicMag, que vous pouverz aussi découvrir en anglais: Don’t Be Evil. La lecture en vaut vraiment la peine. C’est son explication des racines de la Silicon Valley qui m’ont le plus étonné et comment elles influencent encore aujourd’hui cette région qui en définitive n’est pas très idéologique, même si les autres auteurs ont des points de vue variés.

Par exemple: « Pour trouver son origine, il faut remonter au communautarisme des années 1960. Il y avait en fait deux courants dans la contre-culture. L’un, la nouvelle gauche (New Left), faisait de la politique pour changer la politique, en étant fortement axée autour des institutions, sans vraiment se méfier de la hiérarchie. L’autre – et c’est dans ce courant que le monde de la technologie a trouvé son élan –, c’est ce que j’appelle les néo-communautaristes. Entre 1966 et 1973 a eu lieu la plus grande vague de développement de communautés qu’ait connue l’Amérique. Ces gens -s’appliquaient à abandonner la politique et la bureaucratie pour se tourner vers un monde dans lequel ils pouvaient modifier leur conscience. » Puis « Quant à savoir si cette tradition techno-utopique est aussi ancrée dans l’industrie technologique aujourd’hui qu’elle ne l’a été par le passé, cela varie selon l’entreprise. À certains égards, Apple est très cynique. La marque commercialise sans arrêt des idées utopiques. Elle commercialise ses produits comme étant des outils de transformation utopique et ce, dans un esprit de contre-culture. Dès la naissance de l’entreprise, Apple a repris toute une série d’emblèmes de la contre-culture. Dans d’autres entreprises, en revanche, c’est sincère. J’ai récemment passé beaucoup de temps chez Facebook, et ils veulent sincèrement construire ce que Mark Zuckerberg appelle un monde plus connecté. Je ne saurais pas dire si leurs pratiques correspondent à leurs convictions. Il y a environ une dizaine d’années, j’ai passé beaucoup de temps chez Google. Ce que j’y ai observé est une boucle intéressante. Celle-ci commençait par : « Ne soyez pas malveillants. » La question se posait alors de savoir : « D’accord, qu’est-ce qui est bien ? » L’information donne aux individus des moyens pour agir, elle les autonomise. Il est donc bon de fournir de l’information. Qui fournit cette information ? Ah d’accord, c’est Google qui la fournit. Donc vous vous retrouvez avec cette boucle, où ce qui est bon pour les individus est bon pour Google, et vice versa. C’est un espace difficile à vivre. L’élan pour sauver le monde est tout à fait sincère, mais les gens ont tendance à confondre cet élan avec celui qui consiste à faire le bien de l’entreprise. C’est une vieille tradition protestante. »

Jean-Pierre Dupuy dans « La nouvelle science des données » explique brillamment qu’il n’y a pas de science des données. La science concerne les causes, les données concernent davantage les corrélations qui ne peuvent pas vraiment aider aux prévisions (j’espère avoir compris son message!). Permettez-moi de citer une phrase: « L’idéologie qui accompagne le big data, quant à elle, annonce l’advenue de nouvelles pratiques scientifiques qui, faisant passer l’exigence théorique au second plan, mettent en péril l’avancée des connaissances et, plus grave encore, minent les fondements mêmes d’une éthique rationnelle. »

Je ne peux que vous encourager à vous procurer cette excellente publication.