Archives de catégorie : La Silicon Valley et l’Europe

Pour une Silicon Valley européenne?

Un bref passage au journal du soir de la Radio Suisse Romande, Forum, m’a donné l’occasion de revenir sur un sujet qui m’est cher, la Silicon Valley. Vous pouvez écouter cet extrait de 5 minutes eviron ici.

Forum-SiliconValleyEuropeenne

Leo Apotheker, ancien patron de HP et de SAP a publié une chronique intitulée, Pour une Silicon Valley européenne. Le texte est assez court, le voici en intégralité, mais j’ai mis en gras ce qui me semble important. Ensuite je reprends mon point de vue donné à la radio.

« Il est temps d’en prendre vraiment conscience. L’Europe ne peut se permettre de rester à la traîne. Il est urgent qu’elle s’unisse autour d’une volonté et d’actions communes pour concentrer les efforts et les ressources. Faute de quoi, l’Union européenne manquera le train de l’avenir. Aujourd’hui, seule une poignée d’acteurs européens figure parmi le «top 10» des géants du high-tech. Parmi eux, des SSII qui emploient un nombre important d’Européens. Le classement est donc un peu faussé, car ces SSII sont plus orientées vers le déploiement de technologies –activité à moindre valeur ajoutée– que vers la création et la commercialisation de technologies, où se trouve l’enjeu essentiel. Les exemples de Microsoft, Google ou SAP montrent, en effet, que si l’on veut devenir un leader dans le domaine du numérique, il est indispensable de créer une plate-forme utilisée par beaucoup d’autres. Cet enjeu dépasse la seule filière des TIC. Si ces dernières sont économiquement et socialement essentielles en tant que telles, c’est surtout leur capacité à s’intégrer horizontalement dans d’autres industries qui importe. Exemple, dans l’automobile où l’informatique représente aujourd’hui 70% de la valeur du véhicule…

« En outre, face à des concurrents comme les Etats-Unis et la Chine qui, rien que sur leur marché domestique, opèrent à l’échelle d’un continent, l’Europe a, elle aussi, tout intérêt à se mettre en ordre de bataille. Aborder le sujet en ordre dispersé, chaque pays, chaque région, chaque ville initiant ses propres démarches locales, aurait des effets regrettables. Au bout du compte, la démarche ne pèse pas grand-chose au niveau mondial. Une étude du cabinet AT Kearney a d’ailleurs clairement identifié les problèmes qui empêchent l’Europe d’être vraiment compétitive au niveau mondial. Contrairement aux Etats-Unis ou à la Chine, elle est éclatée en 27 marchés différents et ne bénéficie pas d’une langue commune. Les industries TIC y ont plus difficilement accès à des crédits de financement. Elles se concentrent trop sur l’accumulation de brevets, et sont insuffisamment performantes en termes d’innovation. Elles manquent d’ingénieurs, mais elles manquent encore plus cruellement de capacités commerciales et de marketing. C’est donc bien à l’échelle de notre continent que de tels déséquilibres seront dépassés et qu’est susceptible de se créer un environnement propice à la constitution de futurs leaders européens fournisseurs de plates-formes.

« Une telle politique européenne volontariste commune de l’Union européenne pourra jouer sur de multiples leviers : un environnement financier et fiscal de nature à attirer les capitaux indispensables; la concentration sur le haut de gamme des produits et services; des investissements dans la formation et les entreprises bien choisis pour faciliter l’émergence de «champions » européens; l’appui à la création d’une culture de «gagnants » en aidant le développement des start up…dans le but de créer les géants de l’industrie de demain! Il s’agit en somme de réunir, de concentrer ses forces et de faciliter les éclosions de toute nature. La recette, en son temps, a montré son efficacité à quelques encablures de San Francisco. Cela s’appelle la Silicon Valley. Le nom avait été inventé en 1971, c’était il y a déjà quarante-deux ans… Il est peut-être temps que le «Vieux » Continent se libère de ce qualificatif et se décide enfin, dans les têtes et dans les faits, à créer sa propre Silicon Valley.

Leo Apotheker, Dirigeant d’entreprise allemand, Léo Apotheker a été PDG de SAP (d’avril 2008 à février 2010) et d’Hewlett-Packard (de septembre 2010 à septembre 2011)

Le sujet est un vrai complément au rapport Tambourin que j’ai mentionné plusieurs fois récemment. Ma réaction est la suivante: Ce n’est pas tellement le fait de créer une Silicon Valley le problème mais de savoir pourquoi nous n’en avons pas! (Et de plus, il n’y aura jamais de nouvelle Silicon Valley.) L’Europe est clairement passée à côté des technologies de l’information (ordinateurs, téléphones portables, internet). Les USA ont créé environ une centaine de grandes entreprises depuis 1970, dans ces domaines, les européens sans doute un vingtaine seulement. L’Europe et les USA ont la même taille.

En grande partie parce que l’Europe soutient plus les entreprises établies (PMEs et grands groupes) et ce que j’appelle l’innovation incrémentale (l’amélioration des produits existants). Les américains ont su faire des révolutions technologiques et créer de nouvelles grands entreprises et des nouveaux produits (Apple, Google, Facebook, mais aussi Genentech en biotech) tout en protégeant leur industrie. Or les entreprises ne sont pas éternelles, elles vivent entre 50 et 100 ans, et comme les humains, c’est triste, mais il faut que les jeunes remplacent les vieux… Si nous ne créons pas de jeunes grandes entreprises qu’arrivera t il quand nos vieilles entreprises mourront?

Culturellement, politiquement, économiquement, nous ne sommes pas sensibles à ce problème et comme l’Europe est en crise, avec 27 pays qui rament en effet dans des directions différentes, il n’y a pas accord sur le diagnostic. Un jeune pense rarement start-up et plus à travailler dans une grande entreprise par exemple. L’investissement dans les start-up est bien plus élevé aux USA. J’aimerais fournir la part de ces domaines dans l’économie des USA, de l’Europe et la Suisse (surtout en termes de produits, c’est ce qui compte ici, plus que des services.) Ce n’est tant un problème de coordination, qui serait tout de même idéale, on ne va pas avoir 27 MIT en Europe par exemple, qu’un problème d’accord sur le diagnostic et donc d’investir largement dans la créativité et l’avenir (que nous ne connaissons pas) et pas seulement dans ce qui va bien ou existe déjà…

Le capital risque en Europe et aux USA

Une très brève note sur une excellente présentation de Jean-David Chamboredon, partenaire du fonds ISAI intitulée Funding Innovation in Europe. J’en retiens deux slides qui montrent l’une le taux de succès de l’investissement dans une start-up, l’autre abordant un sujet qui m’est cher, la comparaison du VC en Europe et aux USA. Merci à ma collègue Marie-Laure de m’avoir mentionné cette étude 🙂

ISAI-VCreturns

ISAI-USvsEU

Le modèle de l’innovation suisse: est-il le meilleur?

Présentation très intéressante du journal Le Temps et de Xavier Comtesse sur l’innovation en Suisse (en comparaison des USA). (Merci à Pascal pour m’avoir donné le lien 🙂 ). L’article est intitulé Le modèle de l’innovation suisse: est-il le meilleur? (Même document sur le site Prezi)

Prezi-SwissInnovation

Avant vous laisser éventuellement lire le contenu de la contribution de Comtesse, voici ma brève réaction: c’est en effet une excellente analyse, mais la conclusion peut être trompeuse!
On pourrait avoir l’impression que les USA n’ont pas de grandes entreprises innovantes comme la Suisse en a avec Novartis, Roche ou Nestlé. Mais je crains que ça ne soit une vision trompeuse. Les USA n’ont pas que des start-up et malheureusment nous en avons peu qui croissent. Sans oublier, le sujet de la création d’emplois, voir Création d’emplois: qui a raison? Grove ou Kauffman

Voici le résumé copié sur Prezi: Depuis plusieurs années la Suisse se retrouve en tête des classements mondiaux de l’innovation, ce ne fut pas toujours le cas notamment durant les années 90. Alors… Faisons-nous mieux que la Silicon Valley ?

La Silicon Valley a développé un modèle en 8 points forts
– Excellent système universitaire de proximité
– Transfert de savoir vers l’économie – technopark, coach, prix, etc.
– Capital risque abondant
– Des start-ups qui grandissent vite et innovent dans la rupture
– Un marché IPO efficace qui prend le relais (Exit Strategy)
– Des dépenses en R&D très importantes
– Un fort taux de brevets par habitant
– Une forte volonté d’entreprendre de ses habitants

Les 7 forces du modèle suisse
: La Suisse a un système d’innovation très différent de celui de la Silicon Valley mais finalement tout aussi performant, notamment pour les grandes entreprises.
– Pas de masterplan fédéral pour l’innovation
– Une concentration dans les sciences du vivant
– D’abord, une innovation portée par les grandes entreprises
– L’innovation incrémentale plus que celle de rupture
– Une formation de qualité à tous les niveaux
– Des conditions cadres très favorables à l’économie
– Un système de transfert des savoirs/technologies très performant

Quels sont les forces et faiblesses de la Suisse?
– Oui, nos universités sont excellentes
Plus de la moitié des jeunes universitaires suisses suivent l’une des cents meilleures universités au monde, aucun pays n’a un tel résultat
– Non, l’industrie du Capital Risque est très faible en Suisse:
La Suisse sous-performe largement dans le secteur du capital risque (investissement 2011 pour la Suisse: 737 Millions, pour les USA 29’500 Millions).
– Non, nos start-up ne grandissent pas assez vite:
L’excellent taux de survie est suspect, cela veut dire que les start-up sont protégées par le système académique ou le financement fédéral
– Non, on a peu d’IPO en Suisse:
Un faible nombre d’IPO (Initial Public Offering) démontre la faiblesse de croissance des start-ups ou des PME en Suisse
– Oui, la R&D du privé est très importante mais plus chez les grandes entreprises que chez les PME:
La part du privé est très importante en Suisse, notamment dans les sciences du vivant (pharma, biotech et medtech,etc.)
– Oui, on dépose beaucoup de brevets:
mais là aussi ce sont d’abord les grandes entreprises La proportion de dépôt de brevets est très important en Suisse, cela est dû notamment par la forte présence de très grandes entreprises
– Non, le suisse entreprend deux fois moins que l’américain
La culture entrepreneuriale est très forte aux USA, plus du double qu’en Europe,
– Oui, les conditions générales de création d’entreprises y sont très favorables:
La Suisse devant les petits pays innovants tels que la Finlande, Israël et la Suède
– Oui, le transfert technologique a lieu en Suisse
La Suisse compte une cinquantaine d’incubateurs, de technoparks ou autres centres de transfert Suisse Silicon Valley

Ces deux modèles comme nous venons de le voir sont très différents. Ils marchent bien tous les deux mais leurs différences objectives ne permettent pas de les comparer comme on le fait bien trop souvent, notamment dans le domaine des start-ups…

Les choix sûrs ne sont pas toujours de bons choix

Je lis en ce moment I’M Feeling Lucky – Falling On My Feet in Silicon Valley de Douglas Edwards. Je craignais que ça ne soit qu’un livre de plus sur Google. Ce n’est pas du tout le cas. Les leçons sont assez incroyables. J’y reviendrai bientôt. Mais une anecdote mérite à elle seule cet article et la leçon en est que les choix «sûrs» ne sont pas toujours de bons choix. L’histoire se trouve aux pages 256-258.

Lorsque Google compris son échec dans la mise en œuvre d’un logiciel de CRM pour gérer les emails de ses utilisateurs, «il ne me fallut pas longtemps pour faire la liste des fournisseurs de CRM. Moins d’une demi-douzaine d’acteurs offraient des produits stables et bien testés. […] Larry avait un ami d’université, David, qui nous conseillerait sur les caractéristiques souhaitables, et David ajouta, en passant, que lui et un ami développaient un produit CRM appelé Trakken. […] Intéressé? Intéressé par un produit non testé, en cours de développement avec un unique client minuscule? Bien sûr, c’est exactement ce que je cherchais – une autre technologie risquée sans aucun soutien et aucune feuille de route pour le valider. Je remerciai David pour son aide et, parce qu’il était un ami de Larry, lui assurai que nous serions heureux de lui envoyer notre demande de proposition. [Pendant ce temps, Google analysa les acteurs en place] Je me sentais confiant pour convaincre Larry et Sergey de desserrer les cordons de la bourse et faire bien cette fois: dépenser de l’argent pour la qualité et la stabilité d’un système auprès d’un fournisseur respecté. J’espérais que l’ami de Larry avait compris l’allusion et nous avait oubliés. [Il n’avait pas fait.] Je ne voulais pas qu’il se plaigne auprès de Larry quand ses espoirs seraient anéantis. Je me décidai de prévenir ce risque en parlant à Larry directement. « En fait, » Larry recommanda, « vous devriez embaucher ces gars-là. Ils sont très intelligents. Ils vont travailler dur pour développer le produit et nous pouvons investir dans leur entreprise. […] Ils vont être très réactifs. « Je pourrais dire que j’ai été surpris, indigné, incrédule, mais ce serait un euphémisme. Je ne pouvais pas croire que Larry allait vers du bas de gamme à nouveau au lieu d’acheter la fiabilité. Quand j’ai informé les autres fournisseurs, ils pensaient que j’étais soit corrompu soit un idiot. […] «Si vous croyez que vous pouvez construire un outil qui ressemble au nôtre en trente jours, vous vous trompez. Il nous a fallu quatre ans et 1 200 clients » […] Je serais encore en train de maudire la décision de Larry aujourd’hui s’il n’y avait pas eu une petite chose: Larry avait absolument raison. […] En quelques mois, nous avions le système CRM que nous souhaitions, selon nos spécifications, totalement stable et intuitif à utiliser. […] Alors qu’est-ce que j’ai appris de tout cela? J’ai appris que les solutions évidentes ne sont pas les seules et que les choix «sûrs» ne sont pas toujours de bons choix. Je croyais qu’une diligence raisonnable consistait à trouver le produit que la plupart des gens utilisaient, puis mettre la pression sur le fournisseur pour baisser le prix. Je n’avais pas parlé à Larry pour ne pas le faire. Nous avons des tolérances différentes face au risque et des idées différentes sur ce que deux personnes intelligentes, qui travaillent seules pouvaient accomplir dans un domaine technique complexe – et c’est pourquoi j’ai passé sept ans à travailler dans les médias traditionnels, tandis que Larry a trouvé un partenaire et a fondé sa propre entreprise. Il s’avère que deux personnes intelligentes, travaillant sur des problèmes techniques complexes, peuvent accomplir de très grandes choses.

L’échec comme apprentissage

Il s’agit de ma troisième chronique dans la revue Entreprise Romande (et merci à eux pour le travail d’édition et l’occasion qui m’est donnée de m’exprimer sur des sujets qui me sont chers)

Tout entrepreneur sait que l’échec fait partie intégrante de son activité: un contrat manqué, un client perdu, un recrutement qui ne donne pas satisfaction … Alors pourquoi l’échec est-il à ce point stigmatisé dans la culture européenne, et notamment en Suisse? Freeman Dyson, physicien d’origine anglaise en parle avec lucidité: «Vous ne pouvez raisonnablement pas obtenir une bonne innovation sans passer par un nombre énorme d’échecs. Prenons l’exemple des bicyclettes: des milliers de modèles bizarres ont été construits et testés avant qu’on ne trouve celui qui marche vraiment. Vous ne pouvez jamais construire théoriquement une bicyclette. On en fabrique depuis une centaine d’années, et il est toujours compliqué de comprendre comment cela fonctionne. Il est même difficile de le formuler comme un problème mathématique. Ce sont les essais et les échecs qui ont permis de trouver comment le faire, et l’erreur était essentielle!» L’image du deux-roues est parfaite: reprocherait-on à un jeune enfant ses multiples chutes qu’occasionnera son apprentissage?

ECHEC ET CRÉATIVITÉ

La Silicon Valley est connue pour sa tolérance à l’échec, qui, loin d’être un stigmate, est même valorisé. «Dans la Silicon Valley, si nous n’avions pas toléré l’échec, nous n’aurions pas pu prendre des risques et nous aurions beaucoup moins d’entrepreneurs que nous n’en avons aujourd’hui. Si vous échouez pour les bonnes raisons, c’est-à-dire à peu près toutes, sauf être corrompu, stupide ou paresseux, alors vous avez appris quelque chose qui vous rendra plus utile», témoigne Randy Komisar, installé dans la Silicon Valley, comme le sont les autres personnes citées dans cet article. «Vous seriez surpris du nombre d’investisseurs qui préfèrent parier sur quelqu’un qui a goûté aux fruits amers de l’échec. En échouant, vous apprenez ce qu’il ne faut pas faire. Lancez-vous et vous découvrirez qu’il n’y a pas d’échec; vous aurez dégagé l’horizon et ouvert votre esprit et vous vous serez réinventé», témoigne à son tour Larry Marshall.

La peur de l’échec a des causes profondes. Le système scolaire encourage plutôt l’enfant à se taire s’il ne connaît pas la réponse qu’à tester des hypothèses, de peur de la réprimande. L’expérimentation, la créativité, les « processus d’essai et d’erreurs », ne sont jamais assez encouragés à la faveur de disciplines plus rationnelles. «En effet, nous avons des difficultés psychologiques et intellectuelles avec les essais, les erreurs et l’acceptation de cette série de petits échecs nécessaires dans la vie. Vous avez besoin d’aimer perdre. En fait, la raison pour laquelle je me suis immédiatement senti chez moi en Amérique, c’est précisément parce que la culture américaine encourage le processus d’apprentissage par l’échec, à la différence des cultures d’Europe et d’Asie, où l’échec est stigmatisé et gênant, nous dit Nicolas Taleb, l’essayiste d’origine libanaise et auteur du Cygne Noir.

Les start-up européennes n’échouent pas ! Leur taux de survie est de 90% après 5 ans d’existence. Mais est-ce une bonne nouvelle ? Dans les premiers mois de Google, son fondateur Larry Page considérait qu’un taux de succès de projets individuels de 70% était idéal. « Au dessus, nous n’aurions pas pris assez de risque. » Et l’échec est à ce point digéré que les Américains ont créé la FailCon (une conférence sur l’échec) en 2009. En échangeant sur leur expérience de l’échec, en public (parce que l’échec reste malgré tout un tabou même aux Etats-Unis), les participants apprennent de leurs pairs et en sortent renforcés. Le célèbre entrepreneur et investisseur Vinod Khosla y admettait avoir plus souvent échoué qu’il n’avait réussi. «L’échec n’est pas souhaitable, il fait juste partie du système, et il serait grand temps de l’intégrer ». Cela expliquerait-il pourquoi nous ne créons pas de Google en Suisse et en Europe?

PRÉPARATION AU SUCCÈS

Malgré tout, l’échec restera toujours imprévisible. «Bien sûr le business, tout comme la vie, n’est jamais un long fleuve tranquille. L’échec peut survenir à tout moment et de manière inattendue, comme le succès, d’ailleurs. Mais le vrai succès consiste à gérer les échecs. A chaque revers de fortune, il faut être capable de retourner la situation. Il faut réunir des gens qui savent qu’il y aura des problèmes, qui aiment les résoudre et qui peuvent travailler en équipe. Cela me rappelle qu’il faut être humble. Je célèbre donc l’échec, cela tempère le caractère et prépare au succès », remarque Kamran Elahian.

Alors, faut-il n’avoir pas peur d’échouer? La réponse la plus émouvante vient sans aucun doute de Steve Jobs qui, ne l’oublions pas, échoua à faire grandir Apple dans les années 1980: « Je ne l’avais pas ressenti au début, mais être viré de chez Apple était la meilleure mais être viré de chez Apple était la meilleure chose qui pouvait m’être jamais arrivée. Le fardeau du succès céda la place à la légèreté d’être à nouveau un débutant, moins pétri de certitudes. Cette liberté me permit d’entrer dans une des périodes les plus créatives de ma vie ». Et mieux encore : « Ne jamais oublier que je vais mourir bientôt est le moyen le plus important que j’ai jamais utilisé pour m’aider à faire les grands choix de mon existence. Parce que presque tout, les espérances, la fierté, la crainte de la honte ou de l’échec, ces choses s’évanouissent face à la mort, ne laissant vivace que ce qui compte vraiment. Ne pas oublier que l’on va mourir est le meilleur moyen que je connaisse d’éviter le piège de penser que l’on a quelque chose à perdre. Vous êtes déjà à nu. Il n’y a aucune raison de ne pas suivre les aspirations de son cœur. »

A quand une FailCon en Suisse?

Un étudiant chinois me fit découvrir il y a quelques années le proverbe suivant: Shi Bai Nai Cheng Gong Zhi Mu, qui signifie «l’échec est la mère du succès ». L’Asie intègre peut-être plus vite que l’Europe cette importante notion.

Jeunes de France : Barrez-vous ! Ou Battez-vous !

Le débat fait rage depuis quelques jours. Vous l’avez sans doute découvert si vous suivez l’actualité française. Sinon, voici une occasion de le découvrir. Ce soir (ou jamais!) est une des meilleures émissions de télévision que je connaisse. Le mardi 11 septembre, les deux auteurs des chroniques Barrez-vous ! et Battez-vous ! étaient réunis. Le sujet commence à 34’45 sur le stream video.

Si vous avez lu Start-Up, je disais la même chose, à ma manière. Allez voir la Silicon Valley (« Go West! ») pour mieux revenir (comme du Bellay?) Il n’est pas question de défaitisme, peut-être d’individualisme (et non pas d’égoïsme) et surtout d’optimisme à la Voltaire. L’explication de Marquardt sur l’accusation de jeunisme (à 44’22) est intéressante. Un moment important du débat fut la rencontre, je veux dire l’accord, entre Félix Marquardt et Olivier Besancenot (49’50). C’est à ce moment-là que, je crois, s’exprima le meilleur de l’échange.

Et pour mémoire:

Jeunes de France, votre salut est ailleurs : barrez-vous !
3 septembre 2012
Par FÉLIX MARQUARDT Fondateur des Dîners de l’Atlantique et des Submerging Times Dinners , MOKLESS Rappeur, auteur interprète, membre du groupe Scred Connexion, MOULOUD ACHOUR Journaliste
Jeunes de France, ceci n’est pas une incitation à l’évasion fiscale mais à l’évasion tout court. Comme on dit au Maghreb et dans les quartiers les plus défavorisés de France, vos aînés vous prennent pour des ânes sans oreilles («khmar bla ouinedine»). Leurs beaux discours dissimulent de plus en plus maladroitement une vérité bien embarrassante : vous vivez dans une gérontocratie, ultracentralisée et sclérosée, qui chaque jour s’affaisse un peu plus.
Comment qualifier autrement, en 2012, une société où une élite de quelques milliers de personnes, dont la moyenne d’âge oscille autour de 60 ans, décide d’à peu près tout ?
Comment qualifier autrement un système qui, depuis maintenant plus de trente ans, s’accommode du fait qu’un jeune sur quatre, quasiment, se trouve au chômage (dans bon nombre des quartiers évoqués plus avant, c’est même plutôt un sur deux) et dans lequel, de manière générale, on renâcle encore à confier des responsabilités d’encadrement à qui que ce soit de moins de 40 ans, voire de 50 ans ? Sachez-le. Une société qui traite sa jeunesse de pareille manière est une société en déclin. Droite ou gauche, politique de rigueur ou de relance, le seul enjeu de nos jours est de savoir si l’an prochain nous connaîtrons une croissance du PIB de 0,5% ou de 1% et si le taux de chômage sera en deçà ou bien au-dessus de 10% – et ces chiffres, déjà affligeants, s’aggraveront dans les années qui viennent, soyez-en sûrs.
Le roi est nu et la triste réalité est là : pour la première fois depuis bien longtemps dans cette partie du monde, une génération au moins – la vôtre – vivra, vous le pressentez d’ailleurs, moins bien que la précédente. N’en déplaise à certains, cette donnée fondamentale n’est pas le fruit d’un complot ourdi par les riches et les puissants de la planète, en proie qu’ils sont à des luttes de pouvoirs et d’ego qui les occupent bien assez entre eux.
Par-delà les chocs qui font tanguer le navire planétaire, un grand rééquilibrage est à l’œuvre : pour la première fois depuis cinq cents ans, des hommes blancs d’un certain âge, issus d’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord, ne président plus seuls – ce sera de moins en moins le cas – aux destinées du monde. Il suffit de passer quelques jours, voire quelques minutes, à Istanbul, Djakarta, Mumbai ou São Paulo pour en prendre conscience. Et quelques minutes de plus pour réaliser que ce n’est que justice. Et que, trop souvent, ceux qui prétendent défendre les intérêts des classes populaires en France le font sans une pensée pour les 3 milliards d’êtres humains qui vivent avec 2 dollars par jour ou moins… Ce qui, si le progressisme est encore un humanisme, est au mieux illogique, au pire rien de moins qu’immoral.
Grandissant dans la France des Trente Glorieuses, vos aînés ont connu un âge d’or. Aujourd’hui c’est au tour des Brésiliens, des Chinois, des Sénégalais et des Colombiens, chacun avec leurs problèmes et défis, bien évidemment, mais unis par cette foi en l’avenir qui caractérise les puissances en devenir.
Jeunes de France, barrez-vous, sinon pour vous du moins pour vos enfants . Votre salut est, littéralement, ailleurs. Non pas dans la fuite, en quittant un pays dont les perspectives économiques sont moroses, mais en vue de vous désaltérer et de vous réinventer pour revenir riches d’expériences nouvelles, imprégnés de la créativité et de l’enthousiasme qui fleurissent aujourd’hui aux quatre coins du monde, ayant fait les rencontres qui vous changeront avant que vous n’en fassiez profiter la France.
N’hésitez plus, choisissez une destination où le monde est en train de se faire, là, tout de suite, que ce soit Tbilissi – où la ministre de l’Economie, la patronne de la police nationale et le seul conseiller du Président sont tout juste trentenaires – Le Caire, Shanghai, Mexico ou Santiago… Barrez-vous parce que rien ne vaut l’ivresse qui vient avec la conscience du monde et de l’autre du voyageur : partir, c’est découvrir qu’on ne pense pas, ne travaille pas, ne communique pas de la même manière à Paris, à Guangzhou ou au Cap.
Barrez-vous, plus prosaïquement, pour améliorer votre niveau de vie. Car si vous ne gagnerez pas automatiquement plus d’argent en (re)démarrant votre carrière à l’étranger, la probabilité que votre niveau de vie s’accroisse sensiblement au bout de quelques années le cas échéant est statistiquement bien meilleure que si vous restez embourbé en France (ceci vaut d’ailleurs tant pour les apprentis restaurateurs, coiffeurs, chauffeurs que pour les banquiers).
Partez, revenez, repartez encore, revenez de nouveau. Une vertu centrale de vos pérégrinations sera d’enfin réconcilier la France, forte de vos lumières, avec la réalité du monde qui nous entoure. Trop souvent encore, notre pays fonctionne en effet en vase clos, la topographie du débat public y relevant d’une curieuse forme de schizophrénie où les grands bouleversements planétaires ne donnent lieu qu’à de petits débats gaulois. Le gouffre de plus en plus béant entre la situation réelle de la France et les propositions de ses dirigeants ne sera pas comblé par d’autres que vous, qui, à force de voyages, de rencontres et de découvertes, pourrez sortir ce pays de l’abrutissement engendré par l’autarcie intellectuelle qui est la sienne depuis une trentaine d’années au bas mot.
Jeunes de l’Hexagone, ce n’est pas uniquement votre pays de naissance qui est vôtre mais le monde tout entier. Faites-vous violence si nécessaire mais emparez-vous-en. Il y va de votre avenir. Et de celui de la France.
www.barrez-vo.us

et la réponse:

Jeunes de France, battez-vous !
9 septembre 2012 à 19:07
Par FRANÇOIS-XAVIER BELLAMY 26 ans. Normalien, agrégé de philosophie, enseignant en zone urbaine sensible, puis en classes préparatoires littéraires. Maire adjoint (sans étiquette) de Versailles, délégué à la jeunesse et à l’enseignement supérieur.

C’est la rentrée ; en cette période où des millions de jeunes retrouvent le chemin des cours, l’actualité semble accumuler sur leur avenir des nuages plus noirs que jamais. C’est le moment qu’ont choisi trois auteurs pour signer, dans ces pages, une tribune au titre encourageant : «Jeunes de France, votre salut est ailleurs : barrez-vous !» (Libération du 4 septembre).
Ce texte est un passionnant mélange de toutes les pulsions qui habitent l’inconscient collectif de notre génération. La première d’entre toutes, un fatalisme à toute épreuve, qui proclame avec assurance l’inéluctable déclin de nos sociétés occidentales, en trouvant d’ailleurs des raisons de s’en réjouir : notre pauvreté future, et bien méritée, serait le corrélat nécessaire du développement du tiers-monde – comme si l’activité humaine, dépourvue de toute créativité, était un jeu à somme nulle…
La même passivité inspire un discours victimaire, qui nous présente comme des «ânes sans oreilles», maltraités par une gérontocratie qui nous abuse. Je ne nous pensais pas si bêtes ! Cette lamentation puérile converge avec un individualisme absolu, qui ne se reconnaît aucun héritage et aucun devoir, puisque nous sommes «du monde tout entier». Le propos aboutit donc à un résultat simple et logique : «Barrez-vous !». De deux choses l’une : soit nos auteurs ont voulu expliquer qu’il était bon d’aller voir ailleurs comment tourne le monde pour revenir plus intelligents. Voilà qui n’est pas bien nouveau ; il aurait suffi de rappeler que «les voyages forment la jeunesse», rien n’a changé de ce point de vue. Soit il faut prendre au sérieux leur argumentation, ce qu’ils semblent parfois ne pas oser faire eux-mêmes.
La France est en crise ; la croissance est ailleurs ; vous ne devez rien à personne : partez ! Alors, cette incitation à l’évasion apparaît brutalement dans sa prodigieuse lâcheté. Jeunes de France, notre pays va mal. Il est inutile de détailler les difficultés dans lesquelles il se trouve pris ; si nous ne les connaissons pas toutes, elles viendront à nous bien à temps.

Un quiz pour les nouveaux étudiants EPFL de 2012

J’ai une petite tradition de soumettre un quiz lié aux start-up chaque année aux nouveaux étudiants de l’EPFL. Le voici:

J’étais à Helsinki la semaine dernière, et là, le président de Nokia a fait un exposé. «Le monde est en crise et la solution à nos problèmes viendra des créateurs et entrepreneurs. […] C’est pourquoi l’esprit d’entreprise devrait être chéri, ce n’est pas un métier, c’est un état d’esprit. […] Encore une fois, c’est un état d’esprit. »

La 1ère mission de l’EPFL est d’enseigner, sa 2ème mission est la recherche. Sa 3ème mission peut-être moins connue, est l’innovation et le transfert de technologie, qui comprend l’entrepreneuriat. Si vous avez des idées créatives, nous sommes ici pour vous aider. Plus sur http://vpiv.epfl.ch/innogrant

Pour vous montrer que ceci a été entendu au sommet des meilleures universités, tant le président de l’Université de Stanford que le président de l’EPFL ont été des entrepreneurs, ils ont été les fondateurs de 3 start-ups chacun. Je vais offrir une bouteille de champagne au premier étudiant qui m’envoie par email les noms de ces 6 entreprises. Je suis Lebret Hervé et je soutiens les entrepreneurs à l’EPFL.

La réponse se trouve ici, mais plus important encore, je vais revenir rapidement sur le discours de Risto Siilasmaa, le chairman de Nokia.

Le statut de l’innovation

A mon retour de congé d’été, j’ai lu quelques courriers d’amis ou collègues, ayant tous en commun un point de vue sur de nouvelles (en fait d’anciennes) tendances de l’innovation. Merci à Jean-Jacques, Andrea, Will et Martin :-). Voici les quatre articles en question:
Les Misérables – Europe not only has a Euro crisis, it also has a growth crisis. That is because of its chronic failure to encourage ambitious entrepreneurs publié par the Economist (Juillet 2012).
Small is not beautiful publié par the Economist également (Mars 2012).
In bid for start-ups, venture capitalists elbow their way into the spotlight from the International Herald tribune, (non disponible en ligne).
In Silicon Valley, Chieftains Hold Sway With Few Checks and Balances publié par the New York Times (Juillet 2012)

Le second est probablement le plus facile à résumer. Le message est si important qu’il est bon de le marteler à nouveau: l’innovation n’est pas un problème de grandes entreprises ou de petites (les PMEs), mais de croissance rapide (les gazelles, les start-up). Et laissez-moi ajouter: il s’agit aussi d’une culture de l’essai et de la prise de risque. « Plutôt que de se concentrer sur la taille, les décideurs devraient examiner la croissance. » […] « Dans une économie en bonne santé, les entrepreneurs peuvent facilement créer des entreprises, les meilleurs se développent rapidement et les moins bons sont rapidement balayés. La taille n’a pas d’importance. La croissance compte. »

Le premier article est plus complexe à décrire et je n’ai vraiment aimé que la première moitié. La seconde moitié explique que l’Europe se débat en raison de mauvaises lois sur les faillites, de l’accès difficile au financement et d’une mauvaise législation sur le travail. Je ne suis pas certain que ce soient les causes de notre crise de l’innovation. J’ai préféré la première partie, comme par exemple: « la culture de l’Europe est profondément hostile aux entrepreneurs; vouloir croître une start-up en un géant est tout aussi contre-culturel que les piercings ou les arts du spectacle. » […] « Ils auront du mal à embaucher des professionnels pour aider leurs entreprises à grandir, parce que les cadres européens sont extrêmement frileux. Les jeunes entrepreneurs découvrent rapidement que les entreprises établies en Europe ont tendance à ne pas aimer travailler avec des entreprises minuscules. » Et en conséquence, « les géants sont tous vieillissants ».

« L’Europe a donné naissance à seulement 12 nouvelles grandes entreprises entre 1950 et 2007. L’Amérique du Nord en a produit 52 dans la même période (voir tableau ci-dessus). » […] « Beaucoup d’entrepreneurs en herbe quittent l’Europe tout simplement. Il y a environ 50’000 Allemands dans la Silicon Valley, et on estime qu’il y a 500 start-up avec les fondateurs français dans la baie de San Francisco. Une des choses qu’ils y trouvent est une tolérance l’échec. » La solution n’est pas simple, mais il y a de l’espoir: « Il existe des programmes pour rendre les universitaires moins réfractaires à l’entrepreneuriat et exposer les étudiants aux notions entrepreneuriales. »

This leaves the wunderkinder of the Internet free to run their companies without interference. The question is whether this is merely a bubble in corporate governance or a trend that will spread to the rest of corporate America. »

Les deux derniers articles sont sans doute moins importants, mais donnent de nouvelles tendances intéressantes dans la Silicon Valley. L’article suivant montre que les capital-risqueurs sont de plus en plus visibles (pour séduire les entrepreneurs) et surtout grâce à ou à cause au nouveau fonds Andreessen Horowitz. Mais il y a là aussi débat (et je suis d’accord avec le commentaire qui suit):  »Je ne comprends pas très bien la célébrité des capital-risqueurs. Nous devrions soutenir les acteurs. Les entrepreneurs font le travail et méritent le crédit. » Mais Andreessen ajoute un commentaire intéressant sur la dynamique du capital-risque:. « Chaque année, 15 start-up représentent 97 pour cent de tous les bénéfices de capital-risque. Pour réussir, ils devront poursuivre ces 15 sociétés. Et ils doivent se marketer de façon agressive auprès des journalistes et des blogueurs qui suivent les start-up. » Le dernier article se plaint du trop de pouvoir des fondateurs et managers face au conseil d’administration ou aux actionnaires ». […] « Depuis que Google est devenue publique en 2004 d’une manière qui a donné le contrôle à ses fondateurs, les dirigeants de la Silicon Valley ont été avares quant les droits de vote des actionnaires. » […] « Les conseils d’administration sont destinés à agir comme un contrôle sur les cadres, ou du moins à proposer leur expertise et leurs conseils aux décideurs. Dans la Vallée, cependant, l’idée du CEO visionnaire domine, et il y a peu de place pour les administrateurs. » […] « Donc, la nouvelle tendance dans la Silicon Valley semble être de gérer les entreprises cotées comme des entreprises non cotées sans un apport important du board et des actionnaires. Cela laisse les petits génies de l’Internet libres de gérer leurs entreprises à leur guise, sans ingérence. La question est de savoir si il s’agit simplement d’une bulle spéculative dans la gouvernance d’entreprise ou d’une tendance qui se propagera au reste de l’Amérique des entreprises.  »

Start-up: Anti-bible à l’usage des fous et des futurs entrepreneurs

Voici un nouveau livre et il s’intitule start-up! L’auteur Bruno Martinaud a la gentillesse de citer le mien dans son introduction pour montrer les différences entre l’Europe et les Etats Unis (du moins la Silicon Valley). Mais la copie s’arrête là car si Bruno Martinaud a, je crois, un point de vue similaire au mien sur le monde des start-up, son ouvrage est, comme il le décrit, une (anti-)bible à l’usage des fous et des futurs entrepreneurs.

Vous y trouverez nombre de conseils utiles que je n’ai pas fourni, mon objectif était plus l’inspiration, la stimulation alors que Bruno Martinaud va plus loin tout en montrant la folie de l’ouvrage, du moins sa difficulté et ses incertitudes. Non pas une bible donc, car il n’y a pas une réponse, mais une anti-bible! Je vais comme à mon habitude en faire mon analyse, non pas un résumé, mais sous la forme plutôt de quelques impressions. Tout d’abord, dommage que le livre n’existe qu’en français, une version anglaise serait utile à nombre d’Européens au moins! Mais cela viendra peut-être…

Martinaud veut « changer le rapport au risque » en mentionnant « qu’un étudiant [américain] connaîtra 10 à 14 emplois différents avant 38 ans ». Alors autant tenter l’aventure! Il faut donc dédramatiser l’échec [pages 3-4]. Il utilise la théorie du Black Swan de Taleb pour expliquer que si Microsoft ou Google sont des événements improbables, leur impact est lui considérable [page 7]. High risk, high reward en quelques sorte, mais au delà de l’aspect spéculatif, c’est l’impact sur nos sociétés de l’innovation par les start-up qui est illustré. Je suis moins d’accord avec lui quand il affirme [page 13] « qu’un entrepreneur qui a déjà réussi a 50% de plus de chances de réussir dans son projet suivant qu’un primo-entrepreneur ». Si je sais le sujet du serial entrepreneur en vogue, j’ai des données contradictoires sur le sujet (j’ai à peu près des taux similaires de 28% de succès pour les 2 groupes; par contre le taux chute pour les serial entrepreneurs qui ont échoué  – article à venir!).

Un entrepreneur agit (avant de réfléchir) explique-t-il au chapitre 1. Il voit et il agit. Et d’ajouter en citant le STVP, « savoir échouer vite et fréquemment, à moindre coût et toujours avec élégance. » Je le suis totalement sur les complémentarités des fondateurs: l’association des profils scientifique et business ne fonctionne pas, car les deux aspects doivent être compris et portés simultanément par les mêmes cerveaux. Ce qui compte est le type d’intelligence et pas la compétence. Je vous laisse découvrir les pages 30-33.

« Tout comme dans le choix d’une vague, la probabilité de se tromper est importante et incompressible. L’entrepreneur avant tout s’engage, accepte les risques et les zones d’ombre qui subsistent. L’essentiel de ce qui fait le succès final lui est inconnu et, plus encore, inaccessible à ce stade et bien peu de choses séparent souvent les plus grandes opportunités des pires pièges à rat. » [page 80] Mais tel le surfeur, l’entrepreneur est aussi un visionnaire qui sait provoquer sa chance.

Martinaud vous explique dans des synthèses bien venues le marché, le produit, la finance et vous y (re)découvrirez avec profit les grands classiques de l’innovation écrits par Clayton Christensen (The Innovator’s Dilemma), Geoffrey Moore (Inside the Tornado, Crossing the Chasm), Guy Kawasaki (The Art of Start), Steve Blank (Les quatre étapes vers l’épiphanie), Eric Ries (The Lean Start-up) ou Randy Komisar(The Monk and the Riddle, Getting to Plan B) . Vous y (re)découvrirez que l’entrepreneuriat est exploratoire et itératif, où l’éxécution est tout: « une idée vaut 1, un projet vaut 10, et une éxécution vaut 100 » [page 263]. Il rappelle aussi la fréquente « impossibilité psychologique pour le porteur de projet de remettre en cause sa vision » et les pièges relatifs à cet attachement trop grand [page 158].

Aussi parle-t-il de se projeter sans prévoir (chapitre8) car l’entrepreneuriat est de « nature chaotique, non-linéaire, complexe » (ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’outils à maîtriser!) [page 189]. Et ainsi, « un projet entrepreneurial nécessite en moyenne trois à quatre fois ce que l’on estime au départ! » [page 226]. Martinaud aborde le débat du business plan, que les investisseurs souvent ne lisent pas. Il prône son usage comme exercice utile de structuration mais aussi utile à la crédibilité de l’entrepreneur. Comme outil de planification? Peut-être moins! Il nuance le propos de Kawasaki qui préfère le pitch au business plan [page 245] mais lisez tout de même Kawasaki ou le chapitre 11!

Martinaud décrit donc très bien cet animal à cinq pattes qu’est l’entrepreneur, ce schizophrène au comportements et rôles contradictoires [page 265]. Mais il espère aussi par cette jolie anti-bible montrer que l’entrepreneur est un personnage essentiel à nos sociétés et ainsi changer cette situation où « trois fois moins d’étudiants français [européens?] que leurs homologues européens créent des entreprises » [page 292].

Les start-up se cachent pour mourir

Nouvelle chronique de la série « la start-up du mois » que j’écris pour l’EPFL

03.06.12 – La hantise de l’échec explique sans doute l’absence d’un Google européen. Tandis qu’outre-Atlantique les start-ups naissent et meurent au grand jour, leurs homologues du vieux continent s’accrochent à la vie, parfois en dépit du bon sens.

La 4ème start-up du mois n’existe pas ! Du moins pas à l’EPFL, ni même en Suisse ou en Europe. Je parle de la start-up qui échoue. Les start-up européennes sont un véritable paradoxe. Nous nous plaignons souvent de ne pas avoir de grands succès à la Google, Apple ou Facebook, mais nous n’avons pas non plus d’échec ! Dans un travail de doctorat publié en 2011, le chercheur et professionnel du transfert de technologie Sven de Cleyn montre que moins de 10% des start-up universitaires européennes ferment boutique [1] ; dans une étude datant de 2008, l’ETHZ avait des métriques similaires, avec 88% de taux d’activité [2]. L’EPFL ne déroge pas à la règle.

En réalité, ce phénomène curieux s’explique aisément. Les start-up européennes se focalisent sur la survie, au point que Sven de Cleyn a dû utiliser ce paramètre pour définir le succès. L’échec est tellement stigmatisé culturellement qu’il doit être évité, presque à tout prix. Voilà une des raisons fondamentales de nos difficultés. Dans l’excellent film Something Ventured, elles sont appelées des « mort-vivants » par les Californiens, adeptes d’une vision manichéenne : le succès ou la mort !

Pourtant, l’échec est loin d’être une mauvaise chose. Il est même nécessaire. Qui n’est pas tombé plusieurs fois en apprenant à pratiquer le ski, le roller ou plus simplement la bicyclette ? Comment ne pourrait-on pas échouer dans la tâche autrement plus complexe qui consiste à amener une technologie ou un produit innovant sur le marché ? Schumpeter, célèbre économiste de l’innovation, avait créé le concept de «destruction créatrice», en expliquant que le nouveau remplace l’ancien, et que cela est en fait une bonne chose. Il utilisait une image saisissante : « Ce n’est pas le propriétaire de diligences qui construit les chemins de fer. »

Dans son célèbre discours à Stanford en 2005, Steve Jobs ne dit pas autre chose : « Ne jamais oublier que je vais mourir bientôt est le moyen le plus important que j’ai jamais utilisé pour m’aider à faire les grands choix de mon existence. Parce que presque tout, les espérances, la fierté, la crainte de la honte ou de l’échec, ces choses s’évanouissent face à la mort, ne laissant vivace que ce qui compte vraiment. Ne pas oublier que l’on va mourir est le meilleur moyen que je connaisse d’éviter le piège de penser que l’on a quelque chose à perdre. »

Alors, vous me direz que cela est plus facile à dire qu’à vivre ! En effet, il est difficile de mentionner les échecs, de donner des exemples, tant les entrepreneurs semblent réticents à s’exposer. Je pourrais en citer un certain nombre, mais sans le consentement des entrepreneurs. J’aurais presque pu intituler cet article « Recherche échec de start-up désespérément ».

Il semble que les start-up se cachent pour mourir. Jamais n’ont lieu de funérailles dignes pour celles qui échouent. Pourtant, la FailCon a brisé ce tabou. Cette conférence s’adresse aux entrepreneurs de technologie, investisseurs, développeurs et concepteurs. Elle est dédiée à l’étude de leurs propres échecs et des autres, pour se préparer au succès. Lors de la première édition à San Francisco en 2011, le célèbre Vinod Khosla admettait avoir plus souvent échoué qu’il n’avait réussi. L’échec n’est pas souhaitable, il fait juste partie du système, et il serait grand temps de l’intégrer. A quand une FailCon en Suisse?


[1] Sven H. De Cleyn, The early development of academic spin-offs: holistic study on the survival of 185 European product-oriented ventures using a resource-based perspective.University of Antwerpen, 2011
[2] Oskarsson I., Schläpfer A.,The performance of Spin-off companies at the Swiss Federal Institute of Technology Zurich.ETH transfer 2008.