Archives de catégorie : Innovation

Qu’est-ce qu’une start-up? (partie 3)

Mon collègue Jean-Philippe Solvay m’a récemment demandé de réagir à un message Facebook demandant ce qu’est exactement une start-up. Et comme vous pouvez le lire dans ce message facebook, ce n’est pas si facile de répondre. Une des meilleures références données dans le post est l’analyse assez exhaustive de swombat.com.

Dans le passé, j’ai écrit deux messages sur le sujet: dans la Partie 1 en 2011, j’avais donné ma définition: « Une start-up est une entreprise qui est née d’une idée et a le potentiel pour devenir une grande entreprise » ainsi que la très bonne définition de Steve Blank: « les start-up sont des entités temporaires destinées à la recherche d’un modèle d’affaires extensible et reproductible. » (Il y a toutefois quelque chose avec quoi je ne suis pas à l’aise chez Steve Blank de: je voudrais supprimer le mot « modèle », et le remplacer par « business » car une start- peut savoir ce qu’elle veut faire, mais ne l’a pas encore validé. Les start-up copiant des modèles d’affaires existants n’en seraient pas…)

Puis, dans la « partie 2 » en janvier 2013, j’ai ajouté ce qui suit: « Une start-up est une société qui explore, qui est à la recherche d’un modèle d’entreprise, d’un marché, de clients et tente d’innover. Elle cherche généralement un grand marché (« scalable/extensible ») et donc les entreprises de services ne sont pas des start-up (sauf sur le web). Il est donc aussi question de croissance forte et rapide car pour ces marchés émergents, la concurrence est rude et les gagnants peu nombreux. Il faut souvent aller vite. C’est aussi pourquoi c’est un état d’esprit: vous êtes curieux, dans un monde incertain, en essayant d’apporter de nouvelles choses au monde, voire de le changer. Parce que vous êtes à la recherche d’un modèle d’affaires, vous n’avez pas assez de clients payants, et vous aurez probablement besoin de capitaux externes (business angels, capital-risque), sauf si vos futurs clients acceptent de payer en ‘avance. C’est pourquoi il existe une forte corrélation entre le statut de start-up et avoir des investisseurs. »

Je suis d’accord avec la plupart des caractéristiques indiquées dans les contributions Facebook ou swombat: « les start-up sont de nouvelles entreprises focalisées sur l’innovation et la croissance dans des situations de grande incertitude (ou de risque) ». Elles n’ont pas à être dans la technologie et si c’est le cas, ielles sont appelées start-up high-tech. Peut-être que l’innovation n’est pas si importante, comme beaucoup d’entre elles copient les autres, mais la croissance (la scalability) est critique. Les entreprises de services ou de consulting ne sont généralement pas des start-up parce que la croissance est linéaire, et non exponentielle (avec le nombre d’emplois).

Permettez-moi d’ajouter un autre point: si le mot a été créé, il doit y avoir une bonne raison! Quand est-il apparu? Wikipedia affirme qu’il est devenu populaire avec la bulle dot.com des années 90. Cependant, j’ai trouvé le terme dans Regional Advantage de Saxenian (1994) et même dans Silicon Valley Fever (1984). Il ne fait aucun doute que le terme a émergé avec les clusters technologiquse tels que la Route 128 et la Silicon Valley, raison pour laquelle il est associé à la haute technologie ainsi qu’au capital-risque. Mais toutes les start-up ne font pas partie de ces entités géographiques. Microsoft et Amazon sont basées à Seattle, qui n’est pas vraiment un cluster. Quand ils n’appartiennent pas à un cluster géographique, ils appartiennent à une grappe technologique, principalement IT (électronique, logiciel, internet) ou biotech / medtech. Tesla Motors est considéré comme une start-up, car elle appartient à l’écosystème de la Silicon Valley même si elle est dans un secteur où il existe très peu de start-up. Je ne pense pas que EasyJet ait jamais été appelée une start-up, car elle n’appartient à aucun cluster (technologique ou géographique). Donc, j’aurais tendance à définir une start-up comme « une nouvelle entreprise focalisée sur la croissance dans des situations de grande incertitude, et appartenant à un cluster technologique ou géographique ».

PS: en regardant le sujet à nouveau, j’ai découvert un débat sur ​​la façon d’épeler le mot … En 2007, j’avais décidé pour « start-up », mais « start up » et « startup » étaient employés également. Il semble « startup » soit maintenant de plus en plus populaire. Je m’en tiens à « start-up » pour le moment, pour être cohérent avec ce que j’ai toujours fait. De même je ne mets pas de « s » au pluriel…

La culture suisse tolère-t-elle l’échec?

Voici ma quatrème contribution à Entreprise Romande. Je me rends compte qu’il y ait souvent question d’échec et d’innovation. Ce nouvel article maintient la tradition. Et comme il s’agissait d’un numéro spécial sur l’échec, je me permets de vous fournir l’éditorial de la rédactrice en chef.

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Voici donc l’Editorial d’Entreprise romande – 5 juillet 2013 Par Véronique Kämpfen, rédactrice en chef:

La tolérance à l’échec favorise la croissance

Nous ne sommes pas tous égaux vis-à-vis de l’échec. Un constat confirmé par une étude fouillée de Barclays parue fin 2012. Tout d’abord, les Européens ont plus de mal à voir l’échec de manière positive (69%) que les Américains (71%), les Asiatiques (80%) et les Moyens-Orientaux (91%). Ensuite, les entrepreneurs ont une attitude moins négative face à l’échec que le reste de la population. Ils sont nombreux à penser que les échecs ont forgé leur caractère, que cette épreuve leur a appris beaucoup et qu’ils ont su rebondir rapidement. Les entrepreneurs sont en outre largement plus optimistes que le reste de leurs concitoyens. Ce phénomène est décrit dans la littérature médicale: il semblerait qu’un nombre élevé d’entrepreneurs à succès seraient caractérisés par une forme génétique de biais psychiatrique, qui les prédisposerait à être créatifs, enthousiastes et peu craintifs vis-à-vis de la prise de risques. John Gartner, le psychiatre à l’origine de cette étude, souligne les traits de ces caractères particuliers: « Avoir ce genre de confiance en soi peut entraîner un aveuglement face aux risques, parce que ces personnalités ne pensent pas pouvoir échouer. (…) Si elles échouent néanmoins, elles ne resteront pas longtemps abattues et seront rapidement énergisées par une idée complètement nouvelle ».

De manière plus générale, l’étude Barclays montre que la tolérance à l’échec est essentielle à la croissance. Le processus de «destruction créative», qui veut que des idées, des modèles technologiques et d’affaires obsolètes laissent la place à de nouvelles impulsions, est essentiel pour le progrès économique et la création d’emplois. Pour que ce processus soit efficace, il faut des entrepreneurs ayant envie de prendre des risques, ainsi qu’un environnement qui accompagne leurs efforts. Jusqu’à présent, la Suisse semble tirer son épingle du jeu, comme l’attestent sa bonne santé économique et son excellent classement en termes d’innovation et de compétitivité. Les Suisses n’étant pas les champions de la tolérance vis-à-vis de l’échec, il faut qu’ils soient soutenus par des conditions-cadre adaptées et entourés au mieux pour que celles et ceux qui ont la fibre entrepreneuriale puissent se lancer… sans trop prendre de risques! Ces thèmes sont traités de manière très détaillée dans Le Magazine d’Entreprise romande, encarté dans ce journal. Le tabou de l’échec et de la faillite y est analysé sous toutes ses formes et mis en perspective grâce à des conseils pratiques et à des témoignages d’entrepreneurs. Bonne lecture et… bel été!

et voici ma contribution:

La culture suisse tolère-t-elle l’échec?

« La société nous donne tellement de baffes à travers l’éducation qu’on a peur d’être créatif, car on montre ses faiblesses. En exprimant ses rêves, on fait un strip-tease intellectuel, on craint que les autres les considèrent comme mauvais, pas bien, pas bons et pas justes. » C’est ce qu’affirme d’Elmar Mock, inventeur de la Swatch et fondateur de Créaholic. Le système scolaire suisse n’est en effet pas connu pour sa créativité. Le célèbre « faut se gaffer » romand pourrait faire sourire ; quant à nos enseignants, ils semblent accorder plus d’importance à la rigueur qu’à la créativité de nos chères têtes blondes. Le droit à l’erreur est inconsciemment refoulé. Si l’on accepte l’idée qu’innover c’est avant tout créer dans des situations d’incertitude, l’affirmation a de quoi inquiéter. Pourtant la Suisse est championne du monde de l’innovation dans la quasi-totalité des rapports mondiaux. Contradiction ?

L’innovation est une chose subtile. L’innovation ne se réduit pas à l’invention et l’innovation n’est pas seulement technologique ; elle est le résultat qu’un processus, au bout duquel sont créés des produits, des services ou des procédés nouveaux qui font la démonstration qu’ils répondent à des besoins (marchands ou non marchands). Le processus conduisant à l’innovation est long, imprévisible et peu contrôlable ; l’innovation ne se planifie donc pas et il faut accepter l’échec.

Clayton Christensen, professeur à la Harvard Business School, a bâti une théorie autour de l’innovation de rupture, celle qui permet l’émergence de nouveaux produits révolutionnaires comme l’Internet, le téléphone portable mais aussi les compagnies aériennes à bas coût, celle qui permet aussi à de nouveaux acteurs d’émerger et de remplacer leurs concurrents vieillissants. Selon Christensen, l’innovation de rupture ne peut se produire au sein des institutions établies. Les meilleures entreprises sont à l’écoute de clients qui ne souhaitent que l’amélioration des produits existants et ne souhaitent que rarement de nouveaux produits. Les Etats Unis ont vu plus de 80 nouvelles entreprises majeures émerger depuis 1970 ; la France, seulement 4. Et la Suisse?

La Suisse est championne du monde de l’innovation tout d’abord parce que les conditions cadre sont excellentes. Tout est fait pour que les entreprises réussissent, en minimisant barrières et contraintes. Ensuite, parce qu’il existe une culture du travail bien fait. L’apprentissage contribue dès les premières années de formation à maintenir cette tradition et les entreprises suisses sont connues pour être à l’écoute de leurs clients pour faire évoluer les produits existants dans la bonne direction. Mais de quelle innovation parle-t-on ? Celle qui donne naissance à des ruptures technologiques? Non, plutôt un autre type d’innovation, l’innovation incrémentale, faite de « graduelles, continuelles améliorations de techniques ou de produits existants ; l’innovation incrémentale ne change généralement pas fondamentalement la dynamique d’une industrie, ni ne requiert un changement de comportement » d’après wikipedia. La Suisse est championne de l’innovation incrémentale, à travers un tissu dense de PMEs performantes. L’échec est donc relativement peu absent, quand l’attention à tous les détails est permanente. Mais cela est-il suffisant ?

Non seulement le système scolaire suisse n’est pas connu pour sa créativité, mais de plus les spin-off académiques ne créent que peu d’emplois. Si l’on accepte le corolaire que l’innovation est source de croissance et de nouveaux emplois, nous ne sommes peut-être pas aussi innovants qu’il serait souhaitable. Nous sommes évidemment performants pour l’innovation incrémentale, mais certainement pas aussi bons dès qu’il s’agit de rupture. A part un exemple qui me vient naturellement en tête, la Swatch. Mais Nicholas Hayek n’était pas le produit de la culture suisse ! On pourrait ajouter Nespresso, mais Eric Favre inventeur du produit aura souffert des réticences initiales chez Nestlé au point de dire : « L’économie suisse manque de vrais entrepreneurs ! » La difficulté à intégrer le risque, la nouveauté radicale peut rendre myope face aux changements en cours et engendrer d’autres échecs, comme le témoigne le grounding de Swissair, qui a été vécue comme un traumatisme national. Les Etats-Unis ont perdu TWA et Panam, mais ils ont su inventer le concept de low cost avec Southwest ou JetBlue, qui les a allègrement remplacés. L’Europe, avec easyJet et d’autres compagnies, n’a fait que suivre le modèle américain.

Les start-up suisses ne meurent jamais. Elles ont un taux de survie de 90% après 5 ans. Alors qu’outre-Atlantique et même en Suisse pour les entreprises traditionnelles, le taux est inférieur à 50%… Cela peut vouloir dire, en citant Xavier Comtesse, que « les start-up sont protégées par le système académique ou le financement fédéral. » Parce qu’échouer serait un stigmate inacceptable ? Ou parce que prendre des risques, cause inévitable d’un taux d’échecs plus important, serait trop dangereux ? Sans être aussi pessimiste, j’ajouterai que nos start-up restent souvent d’excellents bureaux d’ingénieurs, au savoir-faire reconnu, mais la composante service finissant par l’emporter sur les produits, la société survit sans importante création d ‘emplois et sans forte croissance. J’ai souvent demandé à des entrepreneurs qui avaient échoué de partager leur expérience. En vain ! Nos experts et mentors ne poussent pas nos jeunes entrepreneurs dans cette direction; je l’ai si souvent entendu, que j’ai presque fini par m’habituer. Nos business angels ont une grande méfiance d’investisseurs à risque plus agressifs dont ils redoutent l’approche plus binaire du « ça passe ou ça casse. »

Daniel Borel, entrepreneur emblématique : «Dans notre secteur, si on n’innove pas constamment, si on n’a pas le courage de prendre des risques, on disparaît. Raison pour laquelle je préférerais me lancer dans sept projets quitte à en rater trois, que de ne rien louper, par chance, en ayant misé sur un seul projet. » […] « On n’apprend que de ses échecs, rarement de ses succès. Le succès peut être votre pire ennemi: il vous fait croire que vous êtes fort, très fort, que vous pourriez même marcher sur les eaux. Et c’est à ce moment-là que vous vous noyez. »

La culture suisse n’est certainement pas très tolérante avec l’échec. Elle favorise un type d’innovation (incrémentale) qui peut expliquer les forces du pays. Son tissu de PMEs performantes est sans doute le résultat de cette culture prudente, exigeante. Il y a raison d’en être fier. Mais j’aime la citation de l’ancienne star du Hockey, Wayne Gretzky : « Je patine à l’endroit où le palet va être, et non là où il a été. » Toute la question est de savoir si la Suisse sera demain à la bonne place pour récupérer le palet…

Michel Rocard et le gâchis des talents

A voix nue est une excellente émission de France Culture. Chaque invité y raconte sa vie pendant les 5 jours de la semaine. Michel Rocard était l’invité du 17 au 21 juin. C’est passionnant, mais j’ai retenu une anecdote amusante, choquante, tout à fait en liaison avec mon précédent blog sur l’élite technique française et ses gâchis.

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Laissez moi d’abord vous rappeler ce que je disais des migrations et des élites dans l’article AnnaLee Saxenian, Migrations, Silicon Valley, et Entrepreneuriat: «L’élite technique de pays comme la France ou le Japon allait automatiquement vers des postes à statut élevé au sommet des grandes entreprises ou de la fonction publique. Ils sont peu incités à étudier ou travailler à l’étranger, et souvent cette élite doit faire face à des coûts d’opportunité importants s’ils le font. Par conséquent, relativement peu suivent une formation universitaire aux États-Unis, et ceux-ci reviennent souvent dans leur pays directement après l’obtention du diplôme. Ceux qui restent dans la Silicon Valley pour une plus longue période ne sont pas susceptibles d’avoir accès au capital, aux opportunités professionnelles, ou même au respect quand ils rentrent.»

Quand Michel Rocard parle de l’ambition qu’avait son père pour lui, il est question de l’Ecole Normale Supérieure, voire de l’Ecole Polytechnique. Yves Rocard « a failli être prix Nobel de physique ». Il avait aussi plus de respect pour la science que pour la politique. Dans l’épisode 1 (à la minute 19 environ), Michel Rocard explique que son père rêvait de Polytechnique pour son fils, l’ENS semblant inaccessible. « Mon père rappelait beaucoup un mot terrible de Georges Clémenceau en 1919 : vous voulez empêcher l’Allemagne de se relever, créez-y une Ecole Polytechnique. C’était une allusion terrible que mon père partageait à la moisson de belles cervelles que fut le concours d’entrée à l’Ecole Polytechnique pour en faire des administrateurs et pas beaucoup de chercheurs ».

Je n’ai pas pu trouvé la citation ailleurs, mais même si elle était incorrecte, le message reste tristement valide. Comme AnnaLee Saxenian l’a écrit plus haut les sociétés française et japonaise gâchent une partie de leurs talents en ne les laissant pas exprimer leur créativité, en les décourageant parfois sans en avoir conscience…

L’innovation en Suisse: tout changer ou continuer?

Joli débat hier sur l’innovation en Suisse dans l’émission Forum de la RTS dont voici l’avant propos: La Suisse a-t-elle oui ou non une bonne politique d’innovation et de soutien aux start-ups? A cette question, difficile d’obtenir deux réponses aussi discordantes que celle de Fathi Derder et de Xavier Comtesse. L’un estime que tout va plus ou moins bien, l’autre que tout est à faire ou à refaire. Doit-on y voir un conflit de générations? La Suisse a-t-elle une vue d’ensemble suffisante de sa politique d’innovation? Le débat entre Fathi Derder, conseiller national PLR vaudois et président du Réseau, un organe de promotion de l’innovation, et Xavier Comtesse, directeur romand d’Avenir Suisse, avec la réaction de Pascal Jaussi, fondateur et directeur de Swiss Space Systems.

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L’EPFL est au coeur de l’innovation suisse. [Laurent Gillieron – Keystone]

Le débat fut intéressant à plus d’un titre et j’en ai retenu quelques points clés:
– Roche et Novartis [sans oublier Nestlé] cachent la réalité car les startup ne créent pas d’emplois, moins que Macdo en suisse…
– Nous sommes peut-être les numéro 1 mais l’avenir n’est pas garanti, loin de là. Nous naviguons trop à vue.
– Il serait utile avoir un tableau de bord qui donne les métriques… et pas seulement sur la science et l’éducation, mais sur l’innovation.
– Un problème spécifique à la Suisse est qu’il n’y a pas beaucoup d’aide quand le projet est ambitieux! On préfère beaucoup de petits projets.
– Il y a donc un risque de voir partir les meilleurs projets…
– Enfin on ne doit pas « cocooner » les entrepreneurs, même s’ils ont besoin d’aide.

Tout cela n’est pas s’en me rappeler le débat récent que j’ai lu dans le Monde et dont j’ai fait hier un post ici: Le rôle de l’Etat dans l’innovation: Ni austérité, ni keynésianisme! entre Philippe Aghion et Phillip Blond. La Suisse a de vrais problèmes, l’Europe aussi.

Le rôle de l’Etat dans l’innovation: Ni austérité, ni keynésianisme!

Un long article dans Le Monde du 13 juin sur le rôle de l’Etat dans l’innovation « Ni austérité, ni keynésianisme! ». Intéressantes réflexions que je me permets de commenter à ma manière, en y ajoutant références et commentaires en caractères gras, entre parenthèses ou par liens web…

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Voilà deux penseurs qui veulent réformer l’Etat pour le rendre plus juste et plus efficace. Mais l’un, Philippe Aghion, proche des socialistes, veut le rendre intelligent, l’autre, Phillip Blond, inspirateur du concept de « Big Society » des conservateurs britanniques, veut le réduire à sa portion congrue. Confrontation.

Pensez-vous que les Etats sont responsables de la crise ? Ou est-ce que ce sont les entreprises qui sont condamnables?

Phillip Blond (P.B.) – Dans tout système complexe, c’est le système dans son ensemble qui est responsable. Les sphères publiques et privées s’interpénètrent beaucoup plus qu’on ne le pense. Le système s’est effondré, et tout le monde est coupable. Il est indéniable que l’on a socialisé les pertes et privatisé les gains. Et que ceux qui en ont profité représentent une toute petite partie de la population.

Philippe Aghion (P.A.) – La réponse dépend de ce que l’on considère être à la source de la croissance. Durant les « trente glorieuses », la France et ses voisins européens étaient des économies en rattrapage. L’Etat-providence traditionnel était alors bien adapté. La politique industrielle reposait sur les grandes entreprises publiques et les subventions aux champions nationaux. La politique sociale consistait essentiellement à compléter les petits salaires car il n’y avait pas de chômage. Mais à partir des années 1980, l’économie s’est mondialisée, de sorte que l’innovation est devenue notre principal moteur de croissance. Or l’innovation implique la création et destruction permanente d’entreprises et d’emplois. Il faut alors réinventer la politique industrielle pour la rendre plus ascendante (« bottom-up ») et plus « pro-concurrence ». La politique sociale doit également changer pour mettre davantage l’accent sur la sécurisation des parcours professionnels pour aider les travailleurs à rebondir d’un emploi à un autre. Autrement dit, il faut remplacer l’Etat-providence par l’Etat stratège qui investit dans le capital humain, l’innovation et la sécurisation des parcours professionnels. Un Etat qui gère le cycle par l’offre plutôt que par la demande, en aidant les entreprises et les individus à maintenir leurs investissements innovants en période de récession : de keynésien, il faut devenir « schumpetérien ».

[HL: vaste sujet que l’approche Schumpeterienne de création destructrice. Voir mon long post sur Schumpeter].

P.B.- Je suis d’accord. Le keynésianisme récompense les entreprises en place et leur manque d’innovation. Il ne fait qu’accroître le fossé entre la situation actuelle et celle qu’il faudrait atteindre pour avoir une économie compétitive. Et donc le système s’effondre. Ni l’austérité ni le keynésianisme ne fonctionnent. Mais les responsables politiques ne comprennent rien à l’innovation. Il faut de nouveaux acteurs, visionnaires, pour mener des innovations de rupture. Et que les pays se mettent ensemble pour mener à bien un projet courageux.

M. Blond, votre projet de « Big Society », qui transfère des prérogatives de l’Etat vers les citoyens et les associations locales, était justement un projet innovant, adoubé par le premier ministre britannique, David Cameron. Mais est-il un succès?

P.B.- Oui! Ce projet trouve de plus en plus d’adeptes. Certes, les conservateurs l’ont gâché. Ils ont adopté les idées sociales du projet ; mais pas les mesures économiques. Ce qui a étranglé l’ensemble, car l’un ne fonctionne pas sans l’autre. Mais les travaillistes l’adoptent ! Ce projet part du constat que l’Etat échoue avec son principe de bénéfice universel. Il dépense des milliards sans rien résoudre. Il ne pallie pas le manque de gens compétents ; ni les ravages de l’alcoolisme. Car il faut davantage individualiser les aides. Etre plus près des gens. Que les services soient rendus localement. Que les gens prennent en charge ce dont ils ont besoin. Le retour sur investissement est alors bien supérieur parce que ce système élimine la bureaucratie. Un exemple : si vous confiez un délinquant à un groupe social, une association, plutôt que de le mettre en liberté surveillée, sous le contrôle de l’Etat, le taux de récidive baisse de 66 % à 15 %.

P.A.- Certes, la décentralisation permet de réduire les déficits structurels : je pense notamment au mille-feuille administratif et à l’assurance-maladie. Mais il ne faut pas qu’elle crée plus d’inégalités.
En Finlande, les instances locales définissent une partie des programmes éducatifs, mais l’Etat central définit le cursus de base, contrôle la qualité des professeurs sur l’ensemble des territoires et veille à ce que tout élève bénéficie du tutorat nécessaire pour ne pas perdre pied. De même pour la santé. En Suède, la santé a été décentralisée. Mais les grosses interventions demeurent centralisées.

[HL: Autre difficulté, un certain mélange des genres entre système social (protection, éducation, santé) d’un côté et innovation, créativité de l’autre. J’ai de plus en plus l’intuition que les deux peuvent être assez déconnectés, même s’il y a des enchevêtrements certains. La Finlande est un cas typique que j’ai souvent abordé ici.]

P.B.- Ce n’est pas le process qu’il faut évaluer. Mais les résultats. Par exemple, financer des associations de recherche d’emploi en fonction du nombre de gens qui trouvent du travail grâce à elles.

P.A.- J’adhère à la culture de l’évaluation et du résultat. Cela devient d’autant plus important pour un Etat stratège qui est obligé de cibler ses investissements et de donner la priorité aux secteurs et activités les plus porteurs de croissance.

M. Aghion, votre idée d’un Etat stratège confirme au contraire le rôle essentiel de l’Etat, mais à condition qu’il mette en oeuvre de nouveaux principes très éloignés de l’Etat-providence. Pouvez-vous préciser votre pensée?

P.A.- L’enjeu auquel sont confrontés les pays de la zone euro, et en particulier du sud de l’Europe, est celui de réduire les déficits publics tout en investissant dans la croissance de long terme et sans porter atteinte à la cohésion sociale.

Il faut donc un « Etat intelligent » qui investit de façon ciblée dans l’éducation, la recherche, l’aide aux PME innovantes, et dans la dynamisation du marché du travail. Et également un Etat dont les investissements transforment la gouvernance : par exemple, les universités d’excellence, aux normes de gouvernance internationale qui ont vu le jour grâce au grand emprunt.

[HL: on voit ici les grands enjeux habituels. Difficile d’être en désaccord.]

P.B.- Avoir des Etats stratèges ne suffit pas. Il faut des actions qui partent de la base (« bottom-up ») pour sortir de cette récession sociale. Notre modèle économique crée des travailleurs qui bénéficient de moins en moins du gâteau qu’est le PIB, même s’il double de taille, comme c’est le cas depuis les années 1960. Il ne s’agit plus d’avoir un Etat-providence, mais un Etat qui distribue l’éducation, la culture, l’excellence, le caractère. J’entends par « caractère » la discipline, la résilience, l’aptitude à se relever. Des études sociologiques ont prouvé que plus vous êtes pauvre, plus vous manquez de la discipline nécessaire pour avoir ce caractère.

[HL: De nouveau on voit ici de grands enjeux. Un peu moins évidents, car d’ordres plus culturels]

M. Blond, vous être pour le développement des PME, les commerces de proximité ; et contre les supermarchés ! Ne pensez-vous pas que les grandes entreprises ont un rôle essentiel à jouer?

P.B.- Ce qui me pose problème n’est pas que les grands groupes soient grands, mais qu’ils empêchent l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché. Ils ont des rentes monopolistiques, non innovantes. Ce système fonctionne avec quelques leaders et beaucoup de gens à la traîne. Le coût nécessaire pour innover est trop élevé pour ceux qui sont loin derrière.

P.A.-> Il est de fait que les grandes entreprises n’innovent pas autant que les PME car elles ont davantage peur de voir des produits de remplacement Ce n’est pas pour rien que les grandes innovations se font souvent en dehors des grandes entreprises, bien que souvent impulsées par d’anciens salariés de ces entreprises qui justement les quittent pour innover. Cela dit, des sociétés de grande taille ont un avantage, y compris pour innover, dans des secteurs à forts coûts fixes, comme les industries de réseau et l’industrie aéronautique.

[HL: A nouveau un débat que Joseph Schumpeter puis Clayton Christensen ont formidablement étudié. (Sans oublier Doriot!)]

Mais elles ne doivent pas empêcher les petites entreprises de se développer. Or, en Europe, beaucoup de barrières entravent la croissance des PME. Comparé aux Etats-Unis, le marché du travail est trop rigide ; le marché du crédit est insuffisant, il n’y a pas assez de capital-risque. En outre, en France, les grands groupes n’aident pas assez les PME, ce qui inhibe l’innovation

Que faut-il faire pour favoriser la création et le développement d’entreprises?

P.A.- Supprimer les barrières administratives, rendre la fiscalité plus simple, plus incitative, et moins incertaine. En outre, il faut libéraliser le marché du travail, mettre de l’ordre dans le système bancaire, créer un Small Business Act, comme aux Etats-Unis.

[HL: Vaste sujet qui me rend infiniment sceptique. Aussi bien le sujet de la diminution des barrières que d’un SBA ne m’ont jamais semblé être les éléments critiques d’une innovation dynamique (par rapport aux autres arguments exposés plus haut)]

P.B.- Si j’étais le patron d’un grand groupe, j’investirais dans des PME pour innover. Sinon, les grands groupes ne survivront pas à la globalisation. Et si j’étais patron de PME, j’essaierais de créer une chaîne de petites entreprises qui concurrenceraient les grandes. En Italie, les PME se prêtent entre elles. C’est un système très résilient. Il faut aussi un système bancaire décentralisé. A défaut, les banques ne prêtent pas aux PME, car elles ne savent pas distinguer les bonnes des mauvaises. Elles n’ont pas les informations nécessaires. Elles ne font qu’agréger des données d’un groupe d’entreprises, font des moyennes et concluent que ça ne vaut pas le coup d’investir dans ce groupe. Elles ne prêtent à aucune ; et aucune ne peut donc se développer.

[HL: une idée originale et stimulante… optimiser la puissance des clusters…]

P.A.- C’est pourquoi, il faut un Etat qui privilégie le ciblage dit horizontal de ses investissements : recherche, création d’incubateur pour faciliter le passage des idées à leur concrétisation, subvention des équipements de laboratoire et autres moyens d’innovation, subvention du capital-risque.

[HL: par contre ces idées là peuvent rester lettre morte dans forte volontés individuelles et/ou locales]

Et lorsque l’Etat fait du ciblage vertical, il doit privilégier les secteurs porteurs de croissance et veiller à préserver la concurrence et l’entrée de nouvelles entreprises dans ces secteurs afin de stimuler encore plus l’innovation, car on innove précisément pour échapper à la concurrence. Il faut aussi casser le système d’achat public. Prendre en compte la valeur ajoutée sociale des fournisseurs, estimer ce qu’ils apportent à l’économie et à l’emploi local.

Retrouvez le programme du sommet international des think tanks économiques sur www.isbtt.com

Annie Kahn et Philippe Escande

Sommet mondial des « think tanks »
A moins d’une semaine du Sommet mondial des « think tanks » économiques, co-organisé les 17 et 18 juin par l’Institut de l’entreprise et Le Monde, nous croisons les regards de dirigeants et d’économistes sur l’avenir de l’entreprise en quatre volets. Nous poursuivons cette série avec Philippe Aghion et Phillip Blond, qui succèdent à Antoine Frérot et Mo Ibrahim (Le Monde daté 13 juin), Jean-Marc Daniel et Xavier Huillard (Le Monde daté 11 juin). Programme: www.isbtt.com/fr/programme

Philippe Aghion et Philippe Blond

Philippe Aghion est économiste, professeur à l’université Harvard et à l’Ecole d’économie de Paris. Il est membre du conseil d’analyse économique. Il a publié en 2011 Repenser l’Etat (Seuil). En 2012, il a signé l’appel des économistes en faveur de François Hollande.

Phillip Blond est philosophe, théologien et politologue ; directeur du groupe de réflexion ResPublica. Son ouvrage Red Tory (Faber and Faber, 2010) a inspiré le concept de « Big Society » défendu par l’actuel premier ministre britannique, David Cameron.

Lorsque l’âge n’empêche pas la créativité: un rare exemple en mathématiques

Je parle rarement ici (mais parfois) de Science ou de Mathématique. Seulement quand cela m’aide à illustrer ce que l’innovation ou la créativité ont en commun, et parfois quand je vois des crises analogues dans ces domaines (voir par exemple mes articles sur Dyson, Thiel, Ségalat ou Smolin). Et il y a un autre point connexe: il est souvent affirmé que les grandes découvertes scientifiques et les projets d’entreprise sont réalisés à un jeune âge.

YitangZhang
Yitang Zhang

Vous n’avez probablement jamais entendu parler de Yitang Zhang qui a stupéfié le monde des mathématiques le mois dernier en ayant résolu un problème vieux de plusieurs siècles. C’est un mathématicien totalement inconnu et plus surprenant, il a (plus de) 50 ans. Pour ceux qui s’intéressent au problème, vous pouvez lire d’abord l’article de Nature First proof that infinitely many prime numbers come in pairs. Fondamentalement, Zhang a prouvé qu’il existe une infinité de paires de nombres premiers dont la distance est inférieur à un nombre N donné. Les mathématiciens rêvent encore de prouver que N est égal à 2 – la conjecture des nombres premiers jumeaux -, mais Zhang est le premier à prouver que N existe … même si N vaut 70 millions!

Contre les monopoles intellectuels – 3ème et dernier acte

Voici mon troisième et dernier message sur le livre de Levine et Boldrin. Je couvre ici les deux derniers chapitres sur l’industrie pharmaceutique (chapitre 9) et leurs conclusions (chapitre 10). Paresseux comme d’habitude, ce sont surtout certains des extraits. Pour rappel vous pouvez trouver ici les partie 1 et partie 2.

L’industrie pharmaceutique

Le modèle traditionnel prédit qu’il devrait y avoir de nombreux producteurs potentiels d’un médicament, que l’industrie devrait être dynamique et concurrentielle, et donc très innovante avec de nouveaux arrivants contestant fréquemment les opérateurs historiques au moyen de médicaments supérieurs et innovateurs.

Certaines personnes estiment l’industrie pharmaceutique et certaines personnes la méprisent: il y a peu de moyen terme. L’industrie pharmaceutique est l’exemple type de tous les supporters du monopole intellectuel. Il est l’exemple vivant que, sans les brevets qui protégent les inventeurs, la production de nouveaux médicaments miracles que nous avons pris l’habitude de vivre ne se seraient pas matérialisée, notre espérance de vie serait beaucoup plus courte, et des millions de gens seraient morts des maladies. Le « Big Pharma » a plutôt réussi. Dans le camp opposé, le Big Pharma est le fléau de l’humanité: un club d’hommes blancs oligopolistiques qui, en contrôlant la médecine dans le monde entier et en refusant de vendre des médicaments à leur coût marginal, laissent mourir des millions de personnes pauvres. […] Tout cela semble bien compliqué, alors laissez-nous traiter cela avec soin et, pour une fois, jouer le rôle des sages: media stat virtus, et sanitas.

Quelle est la force de l’argument pour les brevets dans l’industrie pharmaceutique? Alors que le Big Pharma n’est pas forcément le monstre que certains représentent, l’argumentaire pour les brevets dans l’industrie pharmaceutique est beaucoup plus faible que la plupart des gens pensent. [Pages 242-243]

Les auteurs font une analyse longue et intéressante de l’histoire de l’industrie chimique avec la France et le Royaume-Uni jouant les monopoles tandis que l’Allemagne et la Suisse pouvaient innover.

[Page 249] Voici comment Murmann résume les principales conclusions de son étude historique sur les industries européennes des colorants pendant la période 1857-1914. Les entreprises de colorants synthétiques britanniques et françaises qui initialement dominaient l’industrie en raison de leurs positions sur les brevets, mais plus tard perdirent leurs positions de leadership sont des exemples importants. Il semble que ces entreprises n’ont pas réussi à développer des capacités supérieures dans la production, la commercialisation et la gestion précisément parce que les brevets les protégeaient de la concurrence. Les entreprises allemandes et suisses, par contre, ne pouvaient pas déposer de brevets sur leurs marchés d’origine et seules les entreprises qui ont développé des capacités supérieures ont survécu dans leur marché intérieur concurrentiel. Lorsque les brevets français et britanniques expirèrent, les principales entreprises allemandes et suisses sont entrées dans le marché britannique et français, capturant de grandes part de ventes au détriment des anciens acteurs.

Les auteurs analysent aussi l’Italie et l’Inde qui n’avaient pas jusque récemment de politiques sur les brevets. « Fait intéressant cependant, nous n’avons pas pu trouver un seul analyste indépendant affirmant que la quantité supplémentaire de brevets pharmaceutiques peut stimuler l’industrie indienne et sera assez grande pour compenser les autres coûts sociaux. Plus précisément, la conséquence positive de l’adoption des brevets dans des pays tels que l’Inde est, selon la plupart des analystes, la conséquence de la discrimination par les prix. L’argument est le suivant: un pouvoir de monopole permet la discrimination des prix – c’est é dire la vente du même bien à un prix élevé aux gens qui l’apprécient plus (généralement des personnes plus riches que la moyenne) et pour un prix modique à des personnes l’estimant peu (généralement les gens plus pauvre que la moyenne). En raison de l’absence de protection par brevet, il y a beaucoup de nouveaux médicaments qui ne sont pas commercialisés dans les pays pauvres par leur producteur initial, parce que celui-ci n’est pas protégé par des brevets fiables dans ce pays. [Page 253]

[Un autre] doute vient du constat suivant: s’il était vrai que l’imitation et le «piratage» de nouveaux médicaments est si facile, en l’absence de protection des brevets, des entreprises locales seraient déjà en production et la commercialisation de ces médicaments aurait lieu dans le pays en question. [Page 254]

La pharma aujourd’hui
Quelques faits supplémentaires: le top 30 des entreprises dépensent environ deux fois plus dans la promotion et la publicité que dans la R&D, et le top 30 sont là où les dépenses privées de R&D sont réalisées, dans l’industrie. Ensuite, nous constatons que pas plus de 1/3 – plus probablement 1/4 – d’approbation des nouveaux médicaments sont considérés par la FDA pour avoir un avantage thérapeutique par rapport aux traitements existants, ce qui implique que, sous des hypothèses les plus généreuses, seulement 25-30% du dépenses totales de R&D va vers de nouveaux médicaments. [Page 255]

Pour résumer et aller plus loin, voici les symptômes du malaise que nous devrions étudier plus avant.
– Il y a de l’innovation, mais pas autant qu’on pourrait le penser, compte tenu de ce que nous dépensons.
– L’innovation pharmaceutique semble avoir des coûts gigantesques et la commercialisation de nouveaux médicaments encore plus, ce qui rend le prix final pour les consommateurs très élevé et croissant.
– Certains consommateurs sont pénalisés plus que d’autres, même après l’extension mondiale de la protection des brevets. [Page 256]

D’où les médicaments viennent-ils? [Pages 257-260]
Les nouveaux médicaments utiles semblent venir dans un pourcentage croissant de petites entreprises, les start-up et des laboratoires universitaires. […] Ensuite, il y a le pas ce détail, qui n’est pas sans importance, que la plupart des laboratoires universitaires sont en fait financés par l’argent public, l’argent principalement fédéral qui coule à travers le NIH. L’industrie pharmaceutique est beaucoup moins essentielle pour la recherche médicale que leurs lobbyistes pourraient vous le faire croire. En 1995, […] environ 11,5 milliards de dollars provenait du gouvernement, avec 3,6 milliards de dollars de plus de la recherche universitaire non financée par le gouvernement fédéral. L’industrie avait dépensé environ 10 milliards de dollars. Cependant, l’industrie a un crédit d’impôt d’environ 20%, de sorte que le gouvernement a également pris en charge environ 2 milliards de dollars du coût de la recherche «de l’industrie». […] En 2006, le total était de 57 milliards de dollars alors que le budget des NIH la même année (la NIH est la plus grande, mais en aucun cas la seule source de financement public pour la recherche biomédicale) a atteint 28,5 milliards de dollars. […] Il est bon aussi de rappeler que le «cocktail» moderne qui est utilisé pour traiter le HIV n’a pas été inventé par une grande société pharmaceutique. Il a été inventé par un chercheur universitaire: David Ho.

Il est vrai que, sans une forte incitation que la perspective de succès d’un brevet induit, les chercheurs ne feraient pas un travail aussi dur qu’ils le font. C’est un fait, alors considérons la question une fois de plus. Nous observons que, bien que l’incitation à breveter et à commercialiser les découvertes a dû être augmentée par le Bayh-Dole Act autorisant la brevetabilité de ces résultats de recherche, il n’y a aucune preuve que, depuis 1980, année où la loi a été adoptée, les grandes découvertes scientifiques médicales ont afflué en masse des laboratoires des universités américaines.

Il reste donc une question ouverte: est-ce que la brevetabilité des innovations biomédicales fondamentales a créé une incitation à s’engager dans des projets et de recherche socialement plus importants? Quelles découvertes médicales et pharmaceutiques ont été vraiment fondamentales et d’où viennent-elles?

Voici les quinze avancées les plus importantes de la médecine: la pénicilline, les rayons x, la culture de tissus, l’éther (anesthésique), la chlorpromazine, l’hygiène publique, la théorie des germes, la médicine basée sur les preuves, les vaccins, la pilule, les ordinateurs, la thérapie de réhydratation orale, la structure de l’ADN, la technologie des anticorps monoclonaux, les risques pour la santé du tabagisme. Combien de noms dans cette liste ont été brevetés, ou étaient dus à certains brevets précédents, ou ont été obtenus au cours d’un projet de recherche motivé par le désir d’obtenir un brevet? Deux: la chlorpromazine et la pilule. […] Maintenant, considérons la liste des produits pharmaceutiques actuels qui se vendent le plus dans le monde, et il y a en 46. Les brevets n’avaient à peu près rien à voir avec le
développement de 20 parmi les 46 médicaments les plus vendus. […] Notez cependant que dans ces 26, 4 ont été découverts complètement par hasard et 2 ont été découverts dans des laboratoires universitaires avant que la loi Bayh-Dole ait même été conçu. En outre, quelques-uns ont été simultanément découverts par plus d’une entreprise menant à des batailles juridiques longues et coûteuses, mais les détails ne sont pas pertinents pour notre propos. Plus de la moitié des médicaments les plus vendus dans le monde entier ne doivent pas leur existence aux brevets pharmaceutiques.

Recherche de rente et redondance. [Pages 260-263]
La prochaine question est donc, si ce n’est pas dans les nouvelles découvertes médicales fondamentales, où va tout l’argent de la R&D pharmaceutique? […] 54% des demandes de médicaments approuvées par la FDA impliquent des médicaments qui contenaient des substances actives déjà sur le marché. […] 35% étaient des produits contenant de nouveaux principes actifs, mais seulement une partie de ces médicaments ont été jugés avoir des améliorations cliniques suffisantes par rapport aux traitements existants pour obtenir le statut de priorité. En fait, seulement 238 des 1035 médicaments approuvés par la FDA contiennent de nouveaux ingrédients actifs et ont eu des évaluations prioritaires sur la base de leurs performances cliniques. En d’autres termes, environ 77% de ce que la FDA approuve est «redondant» du point de vue strictement médical. […] Triste mais vrai, ironiquement, les me-too ou copycat sont de loin le seul outil disponible capable d’induire une sorte de concurrence dans un marché par ailleurs monopolisé. ..] L’aspect ironique des me-too, de toute évidence, c’est qu’ils sont très coûteux en raison de la protection des brevets, et ce coût, nous le prenons en charge, nous-mêmes, sans raison valable. […] Dans la mesure où les nouveaux médicaments sont des remplacements pour les médicaments qui existent déjà, ils ont une valeur économique faible voire nulle dans un monde sans brevets – mais le coût de l’ordre de 800 millions de dollars pour les mettre sur le marché, parce que l’existence de brevets oblige les producteurs à « inventer quelque chose » de sorte que l’USPTO puisse prétendre être suffisamment qu’il est différent du médicament original breveté.

Des bibliothèques ont été remplies d’ouvrages sur le lien évident entre le marketing et l’absence de concurrence. L’industrie pharmaceutique ne fait pas exception à cette règle, et la preuve que le professeur Sager, et bien d’autres, indique a une explication simple et claire: en raison de la généralisation et de l’extension sans fin et des brevets, les grandes sociétés pharmaceutiques ont pris l’habitude de fonctionner comme des monopoles. Les monopoles innovent aussi peu que possible et seulement quand ils sont forcés à, le faire ; en général, ils préfèrent passer du temps à chercher des rentes via la protection politique, tout en essayant de vendre à un prix élevé leurs vieux produits reconditionnés aux consommateurs impuissants, via des doses massives de publicité.

Les auteurs terminent avec une analyse économique des coûts sociaux et des avantages des brevets et de l’absence de brevets, et proposent des solutions dans le dernier chapitre.

Conclusions: Le mauvais, le bon et le truand

Edith Penrose, a conclu que «Si nous n’avions pas un système de brevet, il serait irresponsable, sur la base de notre connaissance actuelle de ses conséquences économiques, de recommander sa création. Mais puisque nous avons un système de brevet depuis longtemps, il serait irresponsable, sur la base de nos connaissances actuelles, de recommander son abolition

Mais les auteurs affirment: « Sur la base des connaissances actuelles » abolir progressivement mais efficacement la protection de la propriété intellectuelle est la seule chose socialement responsable à faire. […] Une vision réaliste du monopole intellectuel, c’est qu’il s’agit d’une maladie plutôt que d’un traitement. Il ne résulte pas d’un effort pour accroître l’innovation, mais d’une combinaison délétère d’institutions médiévales – les guildes, les licences royales, les restrictions commerciales, la censure religieuse et politique – et d’un comportement de recherche de rente de monopoles qui cherchent à augmenter leur richesse au détriment de la prospérité publique. [Pages 277-78]

Une myriade d’autres institutions juridiques et informelles, de pratiques commerciales et de compétences professionnelles ont grandi autour d’elle et en symbiose avec elle. Par conséquent, une élimination brutale des lois de propriété intellectuelle peut provoquer des dommages collatéraux d’une ampleur intolérable. Prenons par exemple le cas des produits pharmaceutiques. Les médicaments sont non seulement brevetés, ils sont également réglementés par le gouvernement d’une myriade de façons. Dans le système actuel, pour obtenir l’approbation de la FDA aux États-Unis, il faut des essais cliniques coûteux – et les résultats de ces essais doivent être librement accessibles aux concurrents. Certes, abolir les brevets et demander simultanément aux entreprises qui effectuent des essais cliniques coûteux de mettre leurs résultats gratuitement à la disposition des concurrents, ne peut pas être une bonne réforme. Les brevets ne peuvent être sensiblement éliminés qu’en changeant simultanément également le processus par lesquels les résultats des essais cliniques sont obtenus, d’abord, et, ensuite, mis à la disposition du public et des concurrents en particulier. [Page 278]

Les auteurs se penchent sur de nombreuses solutions intermédiaires y compris la déréglementation, les contrats privés, les subventions, les normes sociales, mais ils sont clairement convaincus (et convaincants) que l’évolution est nécessaire, même si ils sont pessimistes.

Où, aujourd’hui, est l’innovateur de logiciel qui peut trouver refuge contre les avocats de Microsoft? Où, demain, seront les compagnies pharmaceutiques qui mettront au défi les brevets des «big pharma» et produiront des médicaments et des vaccins pour les millions de victimes en Afrique et ailleurs? Où, aujourd’hui, sont les éditeurs courageux, déterminés à l’idée que la connaissance accumulée devrait être largement disponible, en défendant l’initiative de Google Book Search? Nulle part, autant que nous pouvons dire, et c’est un mauvais présage pour les temps à venir. La guerre juridique et politique entre les innovateurs et les monopoles est une vraie guerre, et les innovateurs ne peuvent pas gagner car les forces qui veulent «maintenir le cap» et «ne rien faire» sont puissants, et se développent. [Page 299]

Certes, la menace fondamentale à la prospérité et la liberté peut être rdéfaite par une réforme sensible. Mais la propriété intellectuelle est un cancer. L’objectif doit être non seulement de rendre le cancer plus bénin, mais finalement de s’en débarrasser complètement. Ainsi, alors que nous sommes sceptiques quant à l’idée d’éliminer immédiatement et en permanence les monopoles intellectuels – l’objectif à long terme ne devrait pas être inférieur à une élimination complète. Une réduction progressive de la durée des mandats des brevets et droits d’auteur serait le bon endroit pour commencer. En réduisant progressivement les termes, il devient possible de faire les ajustements nécessaires – par exemple la réglementation FDA, les techniques et pratiques d’édition, le développement logiciel et les méthodes de distribution – alors que dans le même temps il faute prendre un engagement à l’élimination finale. [Page 300]

Contre les monopoles intellectuels – acte 2

J’ai promis une suite à mon résumé de Contre le monopole intellectuel; la voici. Le livre est vraiment incontournable pour quiconque s’intéresse à l’innovation. Mais peut-être que vous voulez commencer avec une explication directe par les auteurs. Ecoutez l’interview audio ci-dessous.

Alors, comme prolongement, voici quelques questions très intéressantes:
– Est-ce que l’IP accroît l’innovation?
– Les clauses de non concurrence des contrats de travail freinent l’innovation .
Il s’agit de sujets auxquels je suis particulièrement sensible, comme vous le verrez ci-dessous grâce à des liens passés. Mais avant cela, nous suivons le livre depuis l’endroit où je m’étais arrêté.

Critique de la théorie schumpétérienne
« Bien qu’à l’origine ce n’était pas une opinion dominante dans l’économie, le point de vue de Schumpeter est maintenant en passe de devenir une orthodoxie dans la plupart des cercles. Schumpeter célèbre le monopole comme l’accomplissement ultime du capitalisme. Il fait valoir que, dans un monde dans lequel les détenteurs de propriété intellectuelle sont accapareurs, la concurrence est un processus dynamique qui est mise en œuvre via le processus de destruction créatrice. […] Combien d’industries peut-on mentionner où le mécanisme décrit dans le modèle de Schumpeter a été à l’œuvre, avec des innovateurs supplantent souvent le monopole en place, devenant ainsi un monopole à son tour aavnt d’être évincé peu après par un autre innovateur? » [Pages 189-190]

À propos de secret et de la divulgation par les brevets et droits d’auteur
« Un argument courant en faveur du droit des brevets est que, pour obtenir un brevet, vous devez révéler le secret de votre invention. […] Supposons que chaque innovation peut être gardé secrète pendant une certaine période de temps, avec une durée réelle qui varie d’une l’innovation à l’autre, et que la durée de la protection juridique des brevets est de 20 ans. Ensuite, l’innovateur choisira le secret dans les cas où il est possible de garder le secret pendant plus de 20 ans, et une protection par brevet dans les cas où le secret ne peut être tenu que pour moins de 20 ans. Dans ce cas, la protection par brevet a un effet dommageable socialement. Les secrets qui peuvent être gardés pendant plus de 20 ans sont encore conservés pour la durée maximale du temps, tandis que ceux qui sans brevet aurait été monopolisé pendant une période plus courte, sont désormais monopolisé pendant 20 ans. En effet, il est important de réaliser que, en dehors de l’industrie pharmaceutique, où le système de réglementation oblige effectivement la révélation, le secret est nettement plus important que le brevet. À plusieurs reprises, dans les enquêtes sur des laboratoires R&D ou des chefs d’entreprise, de 23% à 35% indiquent que les brevets sont un moyen efficace de retours sur l’affectation de crédits. En revanche, 51% affirment que le secret est efficace. » [Page 186]

«S’il y a une compétition pour un brevet, l’incitation est de garder secret des résultats intermédiaires de manière à empêcher les concurrents de gagner la course. En fait, il y a beaucoup de preuves que le secret et le monopole légal sont complémentaires plutôt que des solutions de rechange. Malgré le droit d’auteur, les producteurs de livres, musique et films ont agressivement tenté d’encrypter les œuvres avec les Digital Rights Management (DRM). » [Page 187]

Pire, [pour le brevet en 1 clic d’Amazon], « comme on peut le voir, le « secret » qui est révélé est à peine plus informatif que le simple constat que l’acheteur achète quelque chose au moyen d’un simple clic. » [Page 189]

« Dans le cas des créations protégeables, on peut affirmer que le changement technologique – ordinateurs et Internet – fait fortement abaisser le coût de la reproduction, et donc le modèle traditionnel selon lequel les prix descendent instantanément à zéro est pertinent. Cependant, c’est le coût relatif au montant de la rente qui compte. En effet, si l’Internet réduit la rente, il faut garder à l’esprit que la même technologie informatique réduit le coût de production des créations protégeables. Prenez la musique, par exemple. Les capacités d’édition et le matériel de studio nécessaires coûtaient des millions de dollars, il y a dix ans, il faut désormais un investissement dans du matériel informatique en milliers de dollars. Et bien avant que l’Internet commercialise la musique et les films, les auteurs pourront créer des œuvres sur leurs ordinateurs personnels sans plus de difficulté que d’écrire un livre – et en plus sans l’aide d’acteurs, de techniciens, et toutes les autres personnes qui contribuent au coût élevé de la réalisation de films. […] Que le prix tombant à zéro implique que les revenus tombent à zéro dépend de l’élasticité de la demande, la mathématique de l’infini fois zéro est compliquée par moments et c’est le cas ici. Si, en effet, la demande est élastique, alors le prix chute à zéro implique (parce que beaucoup plus d’unités sont vendues) une augmentation des recettes à l’infini. [Pages 193-194]

À propos de l’économie mondialisée
« On retrouve souvent l’argument selon lequel la libération du commerce, la croissance de nombreuses économies asiatiques, et l’abaissement des coûts de transport créent un mélange dangereux pour notre stabilité économique. En particulier, il est soutenu que nos idées et nos produits sont de plus en plus « injustement copiés », ce qui exige une certaine forme d’intervention sérieuse de nos gouvernements. En d’autres termes, la mondialisation est risquée pour nos innovateurs, et nous avons besoin de renforcer la protection de la propriété intellectuelle et de forcer les pays émergents à faire de même. » [Page 194]

« Il y a un […] argument peut-être plus subtil, mais certainement pas moins pertinent. Comme la taille du marché augmente, deux choses se produisent. D’abord plus de consommateurs sont ajoutés pour toutes ces idées que vous avez déjà produites ou que vous auriez produites de toute façon. Appelons ces idées « bonnes », car elles étaient assez bonnes pour être rentables, même quand le marché était limité. En outre, d’autres nouvelles idées, produites par de nouveaux innovateurs, vont entrer dans le jeu. Appelons ces idées «marginales», puisque si elles avaient été de bonnes idées, elles auraient été introduites, même quand le marché était limité. Maintenant, en abaissant la protection de la propriété intellectuelle, on diminue les distorsions de monopole pour tous les consommateurs des « bonnes » idées. Avec un marché plus vaste, beaucoup plus de consommateurs bénéficient de la plus grande utilité et la disponibilité de toutes ces « bonnes » idées. Deuxièmement, l’abaissement de la protection de la propriété intellectuelle rend plus difficile l’entrée des idées « marginales » dans le marché. Mais dans un marché plus vaste, plusieurs de ces idées « marginales » vont être produites de toute façon, comme il y a plus de consommateurs à payer pour le coût de les inventer. Ainsi, en conclusion l’augmentation de la taille du marché, en abaissant la protection de la propriété intellectuelle, permet de beaucoup plus utiliser de « bonnes » idées sans avoir autant d’idées « marginales ».

« Une règle simple serait que si la taille du marché augmente de 4%, la durée de protection doit être coupée de 1%. […] Malheureusement, dans le cas du droit d’auteur, les termes sont allés dans la mauvaise direction, ils ont augmentés d’un facteur 4 environ, tandis que le PIB mondial a augmenté de près de deux ordres de grandeur. Par conséquent, si la durée du copyright de 28 ans au début du 20ème siècle était socialement optimale, le terme courant devrait être d’environ un an, plutôt que le terme actuel d’environ 100 ans ! » [Page 196]

Et les auteurs ajoutent régulièrement que seules les idées déjà couronnées de succès sont copiées, donc oui il y a moins de revenus et de profits pour les succès. Encore une fois combien est assez …?

Est-ce que l’IP augmente l’innovation? [Chapitre 8]
« Un certain nombre d’historiens de l’économie, Douglass North et ses disciples avant tout, ont fait valoir que la grande accélération de l’innovation et de la productivité que nous associons avec la révolution industrielle a été causée par le développement des moyens de protéger le droit des inventeurs, en leur permettant de tirer profit de leurs innovations. Centrale parmi ces moyens était l’attribution de brevets aux inventeurs et leur respect soit par le Parlement ou par les tribunaux. Relativement aux droits contractuels très mal définis de l’Europe pré-dix-sept siècle, en proie aux violations royale et aristocratique de la propriété et des contrats, il ne fait aucun doute que de permettre aux individus un monopole temporaire mais bien défini sur les fruits de leur effort d’invention fut une étape majeure. Même la propriété monopolistique est bien meilleure qu’un système qui permet la saisie arbitraire par le riche et puissant. Cela ne signifie pas, cependant, que cela contredise notre affirmation selon laquelle les droits monopolistiques généralisés et sans cesse croissants ne sont pas aussi bénéfiques pour la société que les droits de propriété dans une concurrence bien définie. » [Page 209] « La question, alors, est celle que nous avons posée au début: Un monopole conduit-il vraiment à davantage d’innovation, en moyenne, que la concurrence? La théorie donne une réponse non-ambiguë, alors penchons-nous sur des évidences, soutenues par un peu de bon sens statistique ». [Page 210]

Après une analyse intéressante de la composition musicale avant et après les droits d’auteur [pages 211-213], les auteurs analysent les brevets. « Un certain nombre d’études scientifiques ont tenté de déterminer si l’introduction ou le renforcement de la protection des brevets conduit à une plus grande innovation en utilisant des données provenant des économies avancées d’après-guerre. Nous avons identifié vingt-trois études économiques qui ont examiné cette question de façon empirique. En résumé, ces études trouvent peu ou pas de preuve que le renforcement des régimes de brevets augmente l’innovation; ils trouvent des preuves que le renforcement du régime brevets augmente … les brevets! Ils trouvent également des preuves que, dans les pays ayant des régimes de propriété intellectuelle initialement faibles, le renforcement de la propriété intellectuelle augment le flux des investissements étrangers dans les secteurs où les brevets sont fréquemment utilisés. » [Page 216]

L’innovation peut conduire à plus de brevets, mais plus de brevets et la protection par les brevets ne conduisent pas à plus d’innovation. [Page 219]

À propos des clauses de contrat de travail [Pages 224-227]
(La Route 128, la Silicon Valley et les clauses restrictives de « non-concurrence » des contrats de travail)

« Empêcher légalement les travailleurs de propager les connaissances acquises dans les professions précédentes est un moyen inefficace pour internaliser les externalités de connaissances. »

« En 1965, la Silicon Valley et la Route 128 étaient des centres de l’emploi de la technologie d’égale importance, et avec des potentiels et des aspirations de croissance similaires. … En 1990, la Silicon Valley a exporté deux fois la quantité de produits électroniques de la Route 128, une comparaison qui exclut les domaines tels que les logiciels et le multimédia, où la croissance de la Silicon Valley a été la plus forte. »

« Qu’est-ce qui explique cette différence radicale de croissance de ces deux régions? … La seule différence significative entre les deux régions réside dans une petite mais importante différence de la législation du travail entre le Massachusetts et la Californie: Une règle de non-concurrence postérieure à l’emploi empêche les retombées de la connaissance et des savoir-faire exclusifs de l’employeur non pas, comme le fait la loi sur le secret commercial, en interdisant la divulgation ou l’usage, mais en bloquant le mécanisme par lequel le débordement se produit: les employés quittent leur emploi pour en prendre un avec un concurrent ou pour former une start-up. La loi du Massachusetts est représentative de l’approche de non-concurrence généralement adoptée à l’égard des engagements postérieurs à l’emploi par la grande majorité des Etats. La loi californienne régissant les clauses de non-concurrence est à la fois inhabituelle et radicalement différente de celle du Massachusetts. « Tout contrat par lequel quelqu’un est empêché de se livrer à une profession légale, le commerce ou les affaires de toute nature est nul. »

Le paradoxe de la Silicon Valley, c’est que la concurrence a exigé l’innovation continue, qui à son tour exige une coopération entre les entreprises. [Une citation de AnnaLee Saxenian. Il s’agit d’une de mes « obsessions » préférées comme en témoigne Le cercle vertueux des spin-off ou (en anglais) Silicon Valley – more of the same?


Le (pas si) célèbre Wagon Wheel Bar, incarnation des transferts de connaissance informels.

Nous savons qu’il y a de bonnes raisons économiques pour lesquelles il doit en être ainsi: la concurrence est le mécanisme qui engendre l’innovation, et une innovation concurrentielle durable, aussi paradoxal que cela puisse paraître à ceux qui ne le comprennent pas, est souvent mieux mise en œuvre par la coopération entre des entreprises concurrentes.

Alors que les entreprises de la Route 128 ont dépensé des ressources pour garder la connaissance secrète – inhibant et empêchant la croissance de l’industrie de la haute technologie – en Californie ce n’était pas possible. Et donc, la Silicon Valley – libérée du jalon de la monopolisation – a progressé à pas de géant quand les employés démarraient de nouvelles entreprises, rejoignaient d’autres entreprises et généralement diffusaient des connaissances utiles socialement.

A propos des inventions simultanées [Pages 229-235]
Les auteurs ajoutent des exemples intéressants où des découvertes simultanées ont été faites, y compris la triste histoire de Tesla contre Marconi. « Alors, pourquoi la N. Tesla Broadcasting Co. détint pas un monopole complet sur les communications radio aux États-Unis jusqu’à la fin des années 1920? Pourquoi Nikola Tesla est-il mort pauvre alors que Marconi s’est enrichi, sur son chemin vers un prix Nobel? Parce que alors, comme maintenant, le jeu des brevets et du monopole intellectual n’est pas du tout démocratique et ouvert aux petits gars comme le livre récent et tout à fait intéressant de Mme Khan voudrait nous le faire croire. Donc, il est vrai que Marconi, soutenu par des gens comme Edison et Carnegie, a martelé le Bureau américain des brevets jusqu’à ce que, en 1904, ils changèrent de direction et donnèrent à Marconi un brevet pour l’invention de la radio. Nous lisons: «Les raisons n’ont jamais été bien expliquées, mais le soutien financier puissant pour Marconi aux États-Unis suggère une explication possible. » […] L’histoire de l’injustice contre Nikola Tesla a une fin tragi-comique: en 1943, la Cour suprême des Etats-Unis a confirmé le brevet radio de Tesla infirmant la décision antérieure de l’office américain des brevets. Bien sûr, Tesla était mort à cette époque – et en fait, c’est pourquoi il a reçu le brevet. Le Gouvernement des États-Unis avait été poursuivi par la société Marconi pour l’utilisation de ses brevets au cours de la Première Guerre mondiale. En décernant le brevet à Tesla, ils ont éliminé la réclamation de Marconi – et ne faisant face à aucune demande similaire de Tesla, qui, étant mort, a était incapable de poursuivre. » [Pages 232-33]

Pour référence: Khan, Z. [2005], The Democratization of Invention. Patents and Copyrights in American Development, 1790-1920. Cambridge University Press.

Plus dans le 3ème et dernier acte.

Le Cygne Noir et les Start-up

Je ne sais plus combien j’ai fait de posts sur le Cygne Noir de Taleb. Toujours est-il qu’il m’a été demandé d’ajouter une contribution pour l’EPFL sur son lien avec les start-up. Il s’agit de ma 8ème contribution sur les start-up pour l’EPFL. Voici donc:

08.05.13 – Qu’y a-t-il d’analogue entre une grande catastrophe et un succès industriel hors du commun dans le domaine high-tech? Ils échappent aux statistiques, mais leur impact n’en est pas moins gigantesque. Tel est le concept fécond du «Cygne noir».

EPFL-BlackSwan

Le concept de Cygne Noir a été créé Nassim Nicholas Taleb dans ses travaux sur le hasard, et popularisé par un best seller vendu à plus de 3 millions d’exemplaires. Taleb l’introduit comme suit : «Il y a deux classes de statistiques très distinctes. La première définit le Mediocristan, la seconde définit l’Extremistan. Sans entrer dans les détails, au Mediocristan, des exceptions se produisent, mais ne elles portent pas à de grandes conséquences. Ajoutez la personne la plus lourde de la planète à un échantillon de 1’000 personnes, le poids total sera à peine changé. En Extremistan, des exceptions peuvent avoir un tout autre impact (et avec le temps, leur impact sera nécessairement gigantesque). Ajoutez Bill Gates à votre échantillon: la richesse totale peut augmenter d’un facteur 10’000. Dans le premier type, il s’agit de familles de «Gauss-Poisson», à longue traîne; dans le second de familles non linéaires, fractales ou mandelbrotiennes, à traîne épaisse. Mais il faut ajouter ici un problème épistémologique: il y a une catégorie « je ne connais pas », tout simplement parce que je ne connais pas grand chose de sa structure probabiliste ou du rôle de certains grands événements.»

Les Cygnes Noirs sont les événements inconnus, en Extremistan. Ils sont rares, très rares même, et imprévisibles. Mais à leur impact est énorme. Paradoxalement, nous avons tendance à les rationaliser après coup. La chute du mur de Berlin, les événements du 11 septembre, l’accident de Fukushima sont des exemples de Cygnes Noirs.

Le monde de l’entrepreneuriat high-tech est particulièrement bien décrit pas le concept de Taleb. Nous avons des centaines de start-up en Suisse, et il s’en créée des milliers dans le monde chaque année. Mais un faible nombre croît et survit. Un plus petit nombre va connaître un grand succès. En Suisse, citons Logitech, Swissquote ou Actelion. Mais s’il ne s’agissait que de cela, l’emploi du concept de Cygne Noir serait galvaudé.

Par contre, Google ou Apple sont deux cygnes noirs. L’ampleur du succès et de l’impact de ces deux ex-start-up était tout simplement imprévisible. De multiples ouvrages ont tenté de l’expliquer a posteriori. En vain, je crois. Apple pèse presque deux fois plus en bourse qu’aucune autre société. Steve Jobs, entrepreneur improbable, la créa en 1976 à l’âge de 21 ans et, plus incroyable encore, la sauva de la catastrophe par son retour en 1997. Quant à Google, lisez le récent ouvrage I’m Feeling Lucky, et vous comprendrez l’extraordinaire exceptionnalité des fondateurs Brin et Page. Google a moins de 15 ans, plus de 50’000 employés et près de $40B de chiffre d’affaires.

Taleb est très controversé et provocateur. Il dénonce les excès de la discipline statistique, qui nous fait parfois croire à l’élimination des risques. Il déteste la «sagesse» des savants au point de s’attaquer à eux personnellement. Je me souviens d’une conférence où le président de la session me «reprocha» mon extrême passion pour les start-up high-tech, qui selon lui ne représentent qu’une fraction des entreprises. Je ne cherchai pas à dissimuler mon biais. Mais j’expliquais que leur impact est par contre loin d’être marginal, et tout aussi fascinant par la difficulté à l’anticiper. La passion l’emporte parfois sur la raison…

Taleb enfonce le clou avec la publication en novembre dernier d’Antifragile, qui a pour sous-titre «des choses qui tirent profit du désordre». C’est un livre multiforme, parfois bordélique, éloge de l’artisan, du souk, et de l’expérimentateur face à l’expert trop rationnel. Là encore, les idées de Taleb s’adaptent parfaitement à l’innovation. «La fragilité de toutes les start-up est nécessaire pour que l’économie soit antifragile, et c’est ce qui fait, entre autres choses, la réussite de l’esprit d’entreprise: la fragilité des entrepreneurs individuels et leur taux de défaillances nécessairement élevé.»

Le cygne noir a peut-être une explication assez simple. Il a souvent son origine dans les faiblesses (pour les catastrophes) et le génie (pour les merveilles) de l’espèce humaine. Albert Einstein, Léonard de Vinci, Lionel Messi et Steve Jobs sont des créateurs de génie. Il est possible de quantifier grâce à la science et à la technique de nombreux phénomènes, mais il reste toujours difficile de mesurer les capacités humaines.

Contre les monopoles intellectuels

En octobre dernier, j’ai publié un post sur l’article Un argumentaire contre les brevets de Michele Boldrin et David K. Levine. J’avais mentionné à la fin qu’il y avait aussi un livre intitulé Contre les monopoles intellectuels. Je ne l’ai pas encore fini, mais il est si étrange, puissant et complexe que je vais en parler en deux parties. Plus de détails dans quelques jours …

C’est un livre très étrange (et les auteurs sont connus pour leurs arguments depuis quelques années), car il donne des arguments contre la propriété intellectuelle (« PI »). Ils ne sont pas toujours faciles à suivre. Il s’agit d’un livre d’économie qui, parfois, souvent (mais pas toujours) confirme l’intuition qu’il y a quelque chose qui ne va pas avec la PI. Oui les inventeurs, les innovateurs, les créateurs doivent être en mesure de protéger leur création contre les voleurs. Est-ce que cela signifie qu’ils doivent avoir un monopole (brevets) ou le droit d’empêcher la copie de leur travail (droit d’auteur)? C’est ce à quoi les auteurs tentent de répondre. Vous pouvez maintenant lire mes commentaires, mais je vous conseille vivement de lire le livre et ses arguments complexes et fascinants, même si à la fin, vous n’êtes pas d’accord avec eux! En guise de provocation, ils terminent leur 1er chapitre avec: « Cela nous amène à notre conclusion finale: la propriété intellectuelle est un mal non nécessaire ». [Page 12]

Un de leurs arguments les plus forts est le suivant: « On entend souvent dire, surtout dans les industries de la biotechnologie et des logiciels, que les brevets sont une bonne chose pour les petites entreprises. Sans les brevets, les petites entreprises n’auraient pas de pouvoir de négociation et ne pourraient pas défier les grandes entreprises. Cet argument est fallacieux pour au moins deux raisons. D’abord, il n’a même pas été envisagé l’hypothèse la plus évidente: combien de nouvelles entreprises seraient créées si les brevets n’existaient pas, c’est à dire si les entreprises dominantes n’empêchaient pas leur entrée en détenant des brevets sur à peu près tout ce qui est raisonnablement faisable? Pour une petite entreprise trouvant une niche dans la forêt des brevets, combien ont été tenues à l’écart par le fait que tout ce qu’elles voulaient utiliser ou produire avait déjà été breveté mais pas sous licence? Deuxièmement, les gens en faisant valoir que les brevets sont bons pour les petites entreprises ne se rendent pas compte que, en raison du système des brevets, la plupart des petites entreprises de ces secteurs sont obligées de se constituer en sociétés d’une seule idée, visant seulement à être achetée par le gros acteur. En d’autres termes, la présence d’un maquis de brevets crée une incitation à ne pas concurrencer le monopole, mais simplement à trouver quelque chose de précieux pour l’alimenter, via un nouveau brevet, au prix le plus élevé possible, et puis sortir du chemin. » [Page 82]

Ce qui suit n’est pas loin d’être aussi fort: « L’incitation à partager de l’information est particulièrement forte dans les premiers stades d’une industrie, où l’innovation est rapide et furieuse. Dans ces premières phases, les contraintes de capacité de production sont si contraignantes que les réductions de coûts des concurrents ne font pas pour autant baisser les prix, parce que ce dernier est complètement déterminé par la volonté des consommateurs à payer pour un bien nouveau et rare. L’innovateur analyse correctement le fait qu’en partageant son innovation, il ne perd rien, et même qu’il peut bénéficier des améliorations de ses concurrents. Les gains économiques liés à l’abaissement de ses coûts ou à l’amélioration de ses propres produits, lorsque les contraintes de capacité sont fortes, sont si grands qu’ils éclipsent facilement les gains liés au monopole. C’est seulement quand une industrie est mature, quand la réduction des coûts ou l’amélioration des innovations de qualité sont plus difficiles à mettre en œuvre ou que les capacités de production ne sont plus une contrainte sur la demande que les bénéfices du monopole deviennent pertinents. En résumé, les entreprises dans les industries jeunes, créatives et dynamiques s’appuient rarement sur les brevets et droits d’auteur, tandis que celles appartenant à des industries stagnantes, inefficaces et obsolètes font un lobbying désespéré pour toutes sortes de protections de la propriété intellectuelle. » [Page 153]

Vous pouvez vous arrêter là! Ou lire des extraits supplémentaires ci-dessous, ou comme je l’ai conseillé aller lire leur livre …

« Un fait essentiel, cependant, est que la séquence causale suivante n’a jamais eu lieu, que ce soit aux États-Unis ou ailleurs dans le monde: L’organe législatif aurait adopté une loi disant que « la protection par brevet est étendue aux inventions réalisées dans le domaine X », où X serait un domaine encore non développé de l’activité économique. Quelques mois, années, voire décennies après que la loi a été adoptée, les inventions ont cru dans le domaine X, qui s’est rapidement transformé en une nouvelle industrie, innovatrice et florissante. En effet, la brevetabilité est toujours venue après que l’industrie avait déjà émergé et évolué selon ses propres termes. Un test un peu plus fort, que nous devons à un lecteur doutant de notre travail, est le suivant: peut-on parler d’un seul cas d’une nouvelle industrie ayant émergé grâce à la protection des lois sur les brevets. Nous pourrions exister? Nous n’avons pas trouvé de tels exemples, et notre lecteur sceptique non plus. Étrange coïncidence, n’est-ce pas? » [Page 51]

« En Italie, les produits et procédés pharmaceutiques n’étaient pas couverts par des brevets jusqu’en 1978, de même en Suisse pour les processus jusqu’en 1954, et pour les produits jusqu’en 1977 ». [Page 52]

« Les entreprises devaient indiquer si des méthodes particulières avaient été efficaces dans l’appropriation des bénéfices d’une innovation. Le tableau ci-dessous montre le pourcentage d’entreprises indiquant quelle technique particulière avait été efficace. Les chiffres entre parenthèses sont les chiffres correspondants aux industries du matériel médical et pharmaceutique respectivement (ce sont les deux secteurs dans lesquels le plus fort pourcentage des répondants ont indiqué que les brevets sont efficaces). [Page 68]

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« Alors que les portefeuilles de brevets ont l’avantage d’éliminer les effets néfastes des brevets au sein d’une communauté – ils laissent les externes, eh bien, à l’extérieur. » [Page 70]

« Plus tard dans le livre nous parlons du modèle d’«efficacité dynamique» de Schumpeter via la «destruction créatrice». Ce dernier rêve d’un flux continu d’innovations grâce à de nouveaux entrants doublant les acteurs établis, atteignant un nouveau stade de monopole, jusqu’à ce que de nouveaux innovateurs prennent rapidement leur place. Dans cette théorie, les nouveaux arrivants travaillent comme des fous pour innover, attirés par les énormes profits qu’ils feront en situation de monopole. Notre simple observation est que, du même coup, les monopole vont également travailler comme des fous pour conserver leurs énormes profits de monopole. Il y a une petite différence entre acteurs établis et nouveaux entrants: Les premiers sont plus gros, plus riches, plus forts et beaucoup mieux connectés. David a peut-être gagné une fois dans le passé lointain, mais Goliath a tendance à gagner beaucoup plus souvent ces derniers temps. D’où l’inefficacité de la PI ». [Page 76]

« Nous comprenons que le lecteur attentif réagisse à cet argument en pensant « Eh bien, les médicaments contre le sida ne sont peut-être pas chers à produire, maintenant qu’ils ont été inventés, mais leur invention coûte un montant substantiel d’argent que les compagnies pharmaceutiques doivent récupérer. Si elle ne peuvent pas les vendre à un prix assez élevé, elles font des pertes, et cesseront de faire des recherches pour lutter contre le sida. » Cet argument est correct, en théorie, mais pas si clair et évident dans les faits. Pour éviter de s’écarter de la ligne principale de l’argumentation dans ce chapitre, nous reconnaissons simplement la pertinence théorique de ce contre-argument, et nous reportons le débat jusqu’à notre avant-dernier chapitre, qui porte sur la recherche pharmaceutique. Pour l’heure, deux mises en garde devraient suffire. Le mot clé dans la déclaration qui précède est « assez »: à combien doivent s’élever les profits pour être considérés comme suffisants. La seconde faiblesse est un peu plus subtile car il est question de la discrimination du prix, et nous l’examinons plus loin. » [Page 77] Il y a un chapitre entier sur la pharma, que je n’ai pas encore lu et je vais probablement le couvrir dans la partie 2 de cet article.

Jerry Baker, vice-président d’Oracle Corporation: « Nos ingénieurs et avocats de brevet m’ont informé qu’il peut être pratiquement impossible de développer un produit logiciel complexe aujourd’hui sans porter atteinte à de nombreux brevets existants… Comme stratégie défensive, Oracle a dépensé de l’argent et des efforts pour se protéger en déposant sélectivement des brevets qui présenteront les meilleures possibilités de licences croisées entre Oracle et d’autres sociétés qui pourraient prétendre de manière substantielle à contrefaçon de brevet. Si un tel demandeur est également un développeur de logiciels et de commercialisation, nous pouvons espérer être en mesure d’utiliser nos demandes de brevet comme monnaie d’échange de licences croisées et laisser notre business inchangé. » [Page 80]

Roger Smith d’IBM: « Le portefeuille de brevets d’IBM nous donne la liberté de faire ce que nous souhaitons faire par le biais de licences croisées, il nous donne accès à des inventions des autres qui sont essentielles à des innovations rapides. L’accès est bien plus précieux pour IBM que les redevances qu’elle reçoit de ses 9’000 brevets actifs. Il n’y a pas de calcul direct de cette valeur, mais elle beaucoup plus grande que le revenu tiré des droits, peut-être d’un ordre de grandeur. » [Page 84]

« Remarquez, en particulier, que le dépôt de brevets se trouve être un substitut à la R&D, ce qui conduit à une réduction de l’innovation. Selon le calcul des auteurs [Bessen et Hunt], l’activité d’innovation dans l’industrie du logiciel aurait été environ 15% plus élevée en l’absence de protection par brevet pour un logiciel ». [Page 92]

Un exemple extrême d’aberrations dans le brevet US 6025810: « La présente invention traite de transmission d’énergie, et au lieu de l’envoyer dans le temps et dans l’espace normal, elle crée un petit trou dans une autre dimension, et ainsi, envoie de l’énergie par un endroit qui permet à la transmission d’énergie de dépasser la vitesse de la lumière. » [Page 101]

Les arguments en faveur de la propriété intellectuelle sont connus et cités à nouveau par Levine et Boldrin … « Afin de motiver la recherche, des innovateurs doivent être compensés d’une certaine manière. Le problème fondamental est que la création d’une nouvelle idée ou design … est coûteux … Il serait efficace ex post de rendre les inventions existantes librement accessibles à tous les producteurs, mais cette pratique ne parvient pas à fournir ex ante les incitations pour d’autres inventions à venir. Un compromis émerge … entre les restrictions sur l’utilisation des idées existantes et les récompenses à l’activité inventive. » [Page 176]

Plus de détails dans la partie 2 ….