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Claude Shannon, un mathématicien honorable?

A Mind at Play est un livre très intéressant pour plusieurs raisons. Le sous-titre « Comment Claude Shannon a inventé l’ère de l’information » en est une raison. C’est une belle biographie d’un mathématicien dont la vie et la production ne sont pas si connues. Et qu’est-ce que l’information? Je vous invite à lire ces 281 pages ou si vous êtes trop paresseux ou occupé, au moins la page sur Shannon sur Wikipedia.

Ce sur quoi je me concentre ici, c’est la tension permanente entre les mathématiques et l’ingénierie, entre (ce que les gens aiment parfois opposer) les mathématiques pures et appliquées. Les mathématiques pures seraient honorables, les mathématiques appliquées ne le seraient pas, si nous admettons qu’il existe une mathématique pure ou appliquée. Alors laissez-moi extraire quelques courts passages éclairants.

Le mathématicien typique n’est pas le genre d’homme à mener un projet industriel. Il est un rêveur, pas très intéressé par les choses ou les dollars pour lesquels elles peuvent être vendues. Il est perfectionniste, ne veut pas faire de compromis; idéalise jusqu’à l’impraticabilité; est tellement préoccupé par l’horizon lointain qu’il ne peut pas garder son œil sur la balle. [Page 69]

Dans le chapitre 18, intitulé Mathematical Intentions, Honorable and Otherwise, les auteurs creusent plus encore: [Le mathématicien] professe avant tout la fidélité au monde «austère et souvent aberrant» des mathématiques pures. Si les mathématiques appliquées se préoccupent de questions concrètes, les mathématiques pures existent pour elles-mêmes. Ses questions cardinales ne sont pas: «Comment crypter une conversation téléphonique?» Mais plutôt «Y a-t-il une infinité de nombres premiers jumeaux?» Ou «Chaque affirmation mathématique vraie a t-elle une preuve?» Le divorce entre les deux écoles a des origines anciennes. L’historien Carl Boyer le fait remonter à Platon, qui considérait le calcul comme convenable pour un marchand ou un général, qui «doit apprendre l’art des nombres sinon il ne sait pas comment répartir ses troupes». Mais le philosophe doit étudier les mathématiques supérieures ». Parce qu’il doit sortir du vaste océan du changement et s’emparer de l’être véritable. « Euclide, le père de la géométrie, était encore plus snob ». Il y a une légende sur lui quand un de ses étudiants demanda quel usage avait l’étude de la géométrie, Euclide avait demandé à son esclave d’accorder trois pence à l’étudiant, «puisqu’il doit profiter de ce qu’il apprend».
Plus proche de notre époque, le mathématicien G. H. Hardy écrirait au début du vingtième siècle ce qui devint le texte fondateur des mathématiques pures. L’Apologie d’un mathématicien est un «manifeste pour les mathématiques», qui a emprunté son titre à l’argument de Socrate face aux charges liée à sa peine capitale. Pour Hardy, l’élégance mathématique était une fin en soi. « La beauté est le premier test », insistait-il. « Il n’y a pas de place permanente dans le monde pour les mathématiques laides ». Un mathématicien n’est donc pas un simple « solutionneur » de problèmes pratiques. Lui, «comme un peintre ou un poète, est un créateur de modèles. Si ses modèles sont plus permanents que les leurs, c’est parce qu’ils sont faits d’idées. » En revanche, les mathématiques appliquées ordinaires étaient «ennuyeuses», «laides», «triviales» et «élémentaires»
Et un (célèbre) lecteur de l’article de Shannon l’a rejeté avec une phrase qui irritèrent les partisans de Shannon pendant des années: «La discussion est suggestive tout au long, plutôt que mathématique, et il n’est pas toujours clair que les intentions mathématiques de l’auteur soient honorables. » [Pages 171-2]

Cela me rappelle un autre grand livre que j’ai lu l’an dernier, mathematics without apologies, avec un chapitre intitulé « Not Merely Good, True and Beautiful ». Shannon était un « tinkerer » (un bricoleur), un terme que j’ai découvert quand j’ai lu la biographie de Noyce, un autre bricoleur brillant. C’était un bricoleur brillant et c’était un mathématicien brillant. Il avait lui-même de fortes opinions sur la qualité de la recherche scientifique (pure ou appliquée – qui se soucie vraiment?): nous devons maintenir notre propre maison en première classe. Le sujet de la théorie de l’information a certainement été vendu, sinon survendu. Nous devrions maintenant nous intéresser à la recherche et au développement au plus haut niveau scientifique que nous puissions maintenir. La recherche plutôt que l’exposition est la note maîtresse, et nos seuils critiques devraient être relevés. Les auteurs ne doivent soumettre leurs meilleurs efforts qu’après des critiques précises d’eux-mêmes et de leurs collègues. Quelques articles de recherche de premier ordre sont préférables à un grand nombre d’articles mal conçus ou à moitié finis. Ces derniers ne sont pas à mettre au crédit de leurs auteurs et une perte de temps pour leur lecteur. [Page 191]

Un bricoleur de génie comme le montre la video qui suit…

et semble-t-il concepteur du (ou d’un des) premier ordinateur qui jouait aux échecs. C’était un jongleur et un monicycliste…

Dans le chapitre Constructive Dissatisfaction, le sujet est l’intelligence. Il faut du talent et de la formation, mais aussi de la curiosité et même de l’insatisfaction: pas le type d’insatisfaction dépressive (dont, sans la mentionner, il avait vécu sa juste part), mais plutôt une « insatisfaction constructive », ou « une légère irritation quand les choses ne semblent pas aller comme il faut ». C’était au moins une image rafraîchissante et non sentimentale du génie: un génie est simplement quelqu’un qui est irrité utilement. Il avait aussi proposé une description de sis stratégies pour trouver une solution aux problèmes: simplifier, encercler, reformuler, analyser, inverser et étendre. Vous aurez besoin de lire le chapitre, pages 217-20.

Il était aussi un bon investisseur. En fait, il était proche de fondateurs de startups et avait un accès privilégié à des gens comme Bill Harrison (Harrison Laboratories) et Henry Singleton (Teledyne) et bien qu’il ait utilisé ses connaissances pour analyser les marchés boursiers voici ce qu’il a à dire sur les investissements: Beaucoup de gens regardent le prix des actions, quand ils devraient regarder les fondamentaux d’une entreprise et ses revenus. il y a beaucoup de problèmes liés à la prédiction des processus stochastiques, par exemple les bénéfices des entreprises … Mon sentiment général est qu’il est plus facile de choisir des entreprises qui vont réussir que de prédire des variations à court terme, des choses qui durent seulement des semaines ou des mois, dont ils s’inquiètent au Wall Street Week. Il y a beaucoup plus de hasard là-bas et il se passe des choses que vous ne pouvez pas prédire, ce qui amène les gens à vendre ou à acheter beaucoup d’actions. Au point de répondre à la question de la meilleure théorie de l’information pour l’investissement, « l’information des initiés. » [Page 241-2]

Un génie, un homme sage, un mathématicien honorable!

Startup, Arrêtons la mascarade

Startup, Arrêtons la mascarade est le titre d’un nouvel ouvrage écrit par Nicolas Menet et Benjamin Zimmer. Le tire est bien sûr accrocheur et ce c’est pas forcément une qualité, car il laisse entendre que le phénomène n’est que mascarade alors que les auteurs ont une analyse plus subtile.

Le début est certes assez polémique avec une première partie intitulée « Comment en est-on arrivé là ? » et des phrases telles que « nous avons assisté à l’émergence d’un mythe : celui de l’entrepreneur du digital, autrement dit, le startuper » [page 15] comme si l’entrepreneuriat et les startup se résumaient au monde du numérique; ou des simplifications telles que « tout le monde peut constituer très simplement son propre portefeuille d’entreprises non cotées » [page 22] alors que la personne avertie sait qu’il est quasiment impossible d’investir dans les startup les plus visibles si l’on n’est pas connecté ou assez riche…

Mais leur analyse de la crise actuelle, de l’emploi précaire, de l’autoentrepreneur et de « la subjectivité prime sur l’objectivité. Le vécu est vérité » [Page 23] reste une analyse intéressante. Idem en expliquant que « En mettant en avant la technologie comme seul vecteur de progrès, une partie de la startup-sphère se fourvoie probablement et ne pense pas aux conséquences de cette croyance prométhéenne. » Et d’ajouter une jolie citation de Michel Serres « la science c’est ce que le père enseigne à son fils. La technologie, c’est ce que le fils enseigne à son père. » [Page 29] Je ne peux m’empêcher de mentionner à nouveau la passionnante analyse de Facebook publiée par Wired: Inside the Two Years that Shook Facebook — and the World.

Le chapitre 3 sur la nouvelle économie est assez convenu, je trouve, et le chapitre 4 également, mais j’ai tout de même aimé leur citation [page 62]: « la « coolitude » n’est que la dernière itération d’un ensemble de pratiques faussement empathiques qui n’ont d’autres buts que de soumettre un groupe d’individus à un autre groupe d’individus. Le tutoiement et la stratégie de proximité avec les salariés (bureau commun, pas de marqueurs hiérarchiques) mises en pratiques par les managers n’ont d’autres visées que de leurrer et d’accentuer le contrôle des salariés. »

Le meilleur chapitre est le cinquième la startup, première ou ultime utopie? car il est tout en subtilité. D’un côté « la startup peut être vue comme l’aboutissement ultime du capitalisme selon le cheminement suivant: la société de consommation renforce l’expression de la singularité; la créativité de chacun s’éveille car l’épanouissement personnel est permis, c’est même une injonction sociale; la société du divertissement et des médias permet de flatter les désirs narcissiques; la technologie est accessible à tous; la crise économique du début du XXIe siècle impose des stratégies nouvelles de transformation des activités productives… ça y est, le décor est planté pour que des milliers de nouveaux prolétaires du digital soient tentés par le mirage de l’aventure entrepreneuriale et viennent assouvir les appétits des capitalistes. » [Page 68]

Mais par ailleurs « la startup cristallise les espoirs des sociétés contemporaines et recèle des opportunités exceptionnelles. On l’a dit, la startup comporte dans son ADN une composante révolutionnaire. Elle est un lieu où les comportements normalisés peuvent changer et elle produit ses propres normes. Elle s’oppose à l’ordre établi, chamboule les règles et les dispositifs en place. le cadre économique libéral est aussi synonyme de liberté. Liberté de créer et d’inventer les nouveaux modèles. Liberté d’expérimenter de nouveaux mondes de gouvernance , de nouveaux modes de ventes. » [pages 71-2]. Cette phrase me rappelle la citation de Pitch Johnson: « Les entrepreneurs sont les révolutionnaires de notre temps […] La démocratie fonctionne mieux quand il y a un peu de turbulence dans la société, quand ceux qui ne sont pas encore à l’aise peuvent grimper l’échelle économique en utilisant leur intelligence, leur énergie et leur habileté pour créer de nouveaux marchés ou mieux servir les marchés existants. »

Même si parfois les auteurs tombent dans des petits travers comme « la technologie est dorénavant facilement accessible grâce à l’innovation open source » ou « et on le sait, la startup n’existe que parce qu’Internet existe. » Je crains que la technologie ne soit pas d’accès aussi simple et les startups existaient bien avant l’internet… Mais leu conclusion résume bien le chapitre: « Rendons nous à l’évidence: la startup augure un avenir plein de promesses en même temps qu’elle est le symptôme d’un société déliquescente » [pages 72-3]. Un « en même temps » très macronien!

La banale histoire de Tom, objet du chapitre 6, doit être lue par tout apprenti entrepreneur. Il pourra peut-être éviter quelques erreurs.

La troisième et dernière partie m’a déçu, mais je m’y attendais un peu. Pas l’argument selon lequel l’économie sociale et solidaire serait l’avenir des startup; c’est possible. Mais j’ai du mal à croire que les écosystèmes à travers des incubateurs et des accélérateurs plus professionnels pourront réellement mieux planifier, sélectionner et accompagner. Je crains que cela ne relève plus du fantasme que de la réalité.

Je vais conclure en mentionnant une excellente video de Randy Komisar qui décrit l’entrepreneur et en voici un bref extrait:

« Le caractère de l’entrepreneur? Certaines personnes l’ont et d’autres pas. Certaines personnes peuvent ne pas penser qu’elles l’ont et peuvent l’avoir. Beaucoup de gens pensent qu’ils l’ont, et ils ne l’ont pas.

Le caractère entrepreneurial est très, très à l’aise avec l’incertitude et l’ambiguïté. Ce caractère d’entrepreneur est très capable de comprendre et de cibler des opportunités que les autres ne voient pas et est tenace quant à leur poursuite. Dans le même temps, ils restent perméables à aux idées et à corriger ler cours des choses à partir des commentaires du marché et des personnes qui pourraient avoir plus d’expérience ou plus d’idées qu’eux. Il y a une personnalité qui fonctionne dans cet environnement. Et il y a une personnalité qui n’est pas à l’aise. »

Et comme en effet l’entrepreneuriat n’est pas pour tout le monde (c’est peut là qu’est la mascarade), Komisar ajoute:

« Mais si vous n’êtes pas entrepreneur, c’est Ok. Il y a beaucoup d’autres valeurs à créer. Il y a beaucoup d’autres choses à «attaquer» sur le marché qui seraient peut-être plus appropriées. Donc je pense que vous pouvez apprendre beaucoup. Et je pense que vous pouvez accélérer votre capacité à apprendre plus en construisant un contexte. »

https://ecorner.stanford.edu/video/how-do-you-teach-high-tech-entrepreneurship/

Start-up of You de Reid Hoffman

Je n’ai jamais été un grand fan des livres de « développement personnel ». Même si Reid Hoffman est un brillant entrepreneur, il n’a pas vraiment changé mon point de vue avec son Start-up of You. Son livre qui ressemble parfois à une publicité pour LinkedIn et qui est étrangement écrit à quatre mains, l’un disant que je (Reid) et l’autre, il (Ben Casnocha) reste une bonne description de ce qu’il faut pour améliorer une carrière:
– connais toi toi même,
– sois adaptable,
– bâtis un réseau,
– cherche des opportunités,
– évalue les risques.

Il a aussi de belles idées. Quand il cite des auteurs tels que Jonathan Franzen – « Les gens inauthentiques sont obsédés par l’authenticité » – ou David Foster Wallace – « Il n’y a pas d’expérience que vous ayez eu, dont vous n’êtes pas le centre absolu ». (Pages 93-94) Je suppose que Hoffman sait que Franzen et Wallace étaient de grands amis jusqu’à la mort du deuxième – des liens forts dans les réseaux.

Il favorise également la diversité dans les réseaux. Si les gens se connaissent trop bien, il n’y a pas assez de diversité, s’ils ne se connaissent pas assez bien, cependant, la confiance est plus difficile à construire. Vous avez besoin dans une équipe de sang ancien (confiance) et de sang frais. (Page 118)

Mais une équipe est seulement aussi bonne que ses membres. La qualité de l’équipe nécessite laqualité individuelle. Regardez ci-dessous à la célèbre mafia Paypal (Page 159)

Même si Hoffman donne de bons conseils à la fin de chaque chapitre, il n’analyse pas trop. Par exemple, quand on parle de risques: De la volumineuse recherche sur le risque, remarquablement peu analyse réellement comment les gens dans les affaires prennent de vraies décisions dans le monde réel. Une exception est une étude réalisée par le professeur Zur Shapira en 1991. (…) Ce qu’il a trouvé semblera probablement une déception pour les architectes fans des arbres de décision. Les cadres interrogés n’ont pas calculé la moyenne mathématique espérée de divers scénarios. Ils n’ont pas rédigé de longues listes de pour et de contre. Au lieu de cela, la plupart essayaient simplement de répondre à une seule question par oui ou par non: pouvaient-ils tolérer le résultat si le pire scénario se produisait?


Table ronde d’exception @ESPCI_Paris #SiliconValleyinParis avec @reidhoffman @tfadell @Hemaisphere, Sebastian Amigorean et Stephen Quake modérée by @APapiernik

Vous pourriez me demander pourquoi j’ai décidé de lire ce livre. Au final, cela montre que les entrepreneurs sont vraiment bons dans l’action, moins dans l’analyse … En vérité, je suis allé à Paris pour l’écouter lors d’un grand événement appelé Silicon Valley comes to Paris. Je voulais l’approcher, réseauter! Sans le savoir, j’ai appliqué ses conseils et j’ai aussi commis certaines des erreurs qu’il décrit. Ma principale erreur était de ne pas connaître son intérêt pour les start-up européennes. En fait il n’a pas investi en Europe, il ne connaît pas l’EPFL. Cela vous rend humble et désireux de réseauter encore plus. Reid, voulez-vous revenir en Europe et inspirer de jeunes entrepreneurs en herbe?

Leslie Berlin frappe à nouveau avec Troublemakers

J’avais lu il y a quelques années le magnifique The Man Behind the Microchip de Leslie Berlin. Après la biographie de Robert Noyce, l’un des co-fondateurs d’Intel, Berlin revient avec Troublemakers, une description de « Comment une génération d’arrivistes de la Silicon Valley a inventé l’avenir ».

Le titre fait alusion à uen célèbre publicité de Apple que vous retrouverez ici: Les fous, les marginaux, les rebelles, les anticonformistes, les dissidents. L’un des grands mérites du livre est de se concentrer sur 7 individus (2 femmes et 5 hommes) relativement peu connus par rapport aux stars de la Silicon Valley. Pourrez-vous les reconnaître sur l’image suivante? (La réponse est à la fin de l’article).

Le livre n’est pas seulement du grand storytelling. Il décrit les dynamiques de Silicon Valley de la fin des années 60 au début des années 80 et explique comment «cinq grandes industries – l’ordinateur personnel, les jeux vidéo, la biotechnologie, le capital-risque moderne et les semi-conducteurs – sont nées. Vous pouvez également écouter Leslie Berlin ici:

Le livre de près de 400 pages contient également plus de 80 pages de notes extrémement riches. C’est vraiment une lecture incontournable pour toute personne passionnée ou simplement intéressée par la Silicon Valley. En voici deux brèves citations:

Indiana Jones: Je vais rattraper ce camion.
Sallah: Comment?
Indiana Jones: Je ne sais pas. Je trouverai en route.

« Nous ne voulions pas être considérés comme faisant partie du troupeau. Les aigles ne se rassemblent pas, c’était notre blague. » (« Eagles don’t flock. » Tom Perkins lorsqu’on lui a demandé pourquoi KP n’était pas initialement sur Sand Hill Road – Page 192)


Laissez-moi faire une brève parenthèse. En parallèle à ma lecture de ce livre, j’ai lu un article très intéressant dans le FT intitulé Silicon Valley’s founder factory ‘Silicon Valley is lacking in one core area — a sense of entrepreneurial hustle’ (Leslie Hook – Janvier 2018): « Quand je me suis installée à San Francisco il y a quatre ans, j’ai remarqué quelque chose d’étrange chez les fondateurs que j’ai rencontrés: beaucoup d’entre eux se ressemblaient, pas seulement physiquement, mais la plupart étaient des hommes de moins de 35 ans. Mais aussi de la manière dont ils parlaient de leur entreprise. Ils avaient des PowerPoint tout prêts, et de grands chiffres sur le bout des lèvres, tous semblaient connaître exactement le marché « adressable total » de leur start-up, même s’ils n’avaient pas encore fait un seul dollar de vente. […] En revanche, bien qu’il y ait beaucoup de fondateurs dans la Silicon Valley, j’ai trouvé relativement peu d’entrepreneurs: les fondateurs sont intelligents et travaillent dur, mais beaucoup sont simplement les produits d’un système, c’est pourquoi ils semblent tous vaguement identiques. » Éléments intéressants pour la réflexion en comparaison des années 70.

Comme contribution, voici 4 de mes tables de capitalisation « habituelles »: Ask Computer, ROLM, Cetus et Atari sont des entreprises mentionnées dans le livre que je n’avais pas encore étudiées … Ask fut une des premières startup dans le logiciel et Cetus peut-être la 1ère biotech… (mais je dois ajourter que les documents d’entrée en bourse de l’époque ne sont pas aussi précis qu’aujourd’hui… les erreurs sont les miennes)


Ask Computer


ROLM


Cetus


Atari

Pour montrer la complexité de l’exercice, voici un 2eme tableau pour Atari basé de le S-1 du projet d’IPO:

Dans ses dernières pages, Leslie Berlin mentionne aussi une start-up fondée par Mike Markkula, Echelon Corp. Echelon avait été soutenue par les fondateurs de ROLM ainsi que par Arthur Rock et Larry Sonsini. Voici une 5ème table de capitalisation:


Echelon

Réponse au quiz, les 7 fauteurs de trouble (« troublemakers »), from left to right:
Rangée du haut: Sandra Kurtzig, Mike Markkula, Fawn Alvarez, Niels Rimers.
Rangée du bas: Bob Taylor, Al Acorn, Bob Swanson.

Comment peut-on enseigner l’entrepreneuriat high-tech selon Randy Komisar

C’est la 4ème fois en quelques jours que je montre la vidéo qui suit à des collègues ou étudiants. Elle est plutôt ancienne (elle date de 2004) et elle est exceptionnelle. Une phrase dont je me souviens depuis premier jour où je l’ai regardée est la suivante: « Je pense qu’il y a des choses que l’on ne peut pas apprendre à l’école et je ne suis même pas sûr qu’on puisse l’apprendre sur le tas. Il y a un caractère entrepreneurial. Certaines personnes l’ont et d’autres pas. Certaines personnes peuvent ne pas penser qu’elles l’ont et peuvent l’avoir. Beaucoup de gens pensent qu’ils l’ont, et beaucoup ne l’ont pas. » Voici la vidéo, puis la transcription complète …

Je pense que ce qui peut être enseigné, en gros, c’est un ensemble de compétences très basiques sur les différents domaines requis pour que la startup réussisse: la finance, les organisations, les transactions, la stratégie, les business models. Vous pouvez avoir accès à ce qui peut augmenter votre QI entrepreneurial de cent points. Parce que commencer sans ce contexte peut être terriblement difficile à comprendre, ce qui se passe autour de vous pendant que vous travaillez dans ces environnements, je ne parle même pas du passage à l’acte. Je pense aussi que vous pouvez être exposé à la personnalité et au caractère de l’entrepreneur grâce à la méthode des études de cas en particulier. Vous pouvez commencer à voir les vies torturées que de nombreux entrepreneurs doivent vivre afin de poursuivre leurs rêves. Et vous pouvez avoir une idée de comment cela se rapporte à vos capacités à faire face et à faire des compromis dans votre vie.

Je pense qu’il y a des choses que l’on ne peut pas apprendre à l’école et je ne suis même pas sûr qu’on puisse l’apprendre sur le tas. Il y a un caractère entrepreneurial. Certaines personnes l’ont et d’autres pas. Certaines personnes peuvent ne pas penser qu’elles l’ont et peuvent l’avoir. Beaucoup de gens pensent qu’ils l’ont, et beaucoup ne l’ont pas. L’entrepreneur est très, très à l’aise avec l’incertitude et l’ambiguïté. L’entrepreneur est remarquablement capable de comprendre et de cibler des opportunités que les autres ne voient pas et est tenace quant à leur poursuite. En même temps, ils restent perméables pour connaître des idées et apporter des corrections à partir des commentaires du marché et des personnes qui pourraient avoir plus d’expérience ou plus d’idées qu’eux. Il y a des personnalités qui fonctionnent dans cet environnement. Et il y a des personnalités qui sont très mal à l’aise. Et j’essaie d’expliquer cela en particulier dans les classes que j’ai enseignées. Il y a un signe de courage à être entrepreneur. Je veux dire, nous savons, en quelque sorte, si vous lisez la presse locale et vous lisez les ragots sur la technologie, vous savez qu’il y a cette idée que les entrepreneurs sont une super race spéciale. Ils sont différents. Ils créent beaucoup de valeur. J’aime travailler avec eux.

Mais si vous n’êtes pas un entrepreneur, c’est OK. Il y a beaucoup d’autres valeurs à créer. Il y a beaucoup d’autres choses à «attaquer» sur le marché qui seraient peut-être plus appropriées. Donc je pense que vous pouvez apprendre beaucoup. Et je pense que vous pouvez accélérer votre capacité à apprendre plus en construisant un contexte. Mais je pense que finalement vous devez vous poser la question difficile. Suis-je adapté aux incertitudes et aux ambiguïtés, aux hauts et aux bas, et aux risques d’être un entrepreneur, ou ne le suis-je pas?

Faits, vérité, courage…

Le mot Start-up est controversé. L’argent, le business en sont souvent les synonymes et à l’heure des Paradise Papers, ils n’ont pas bonne presse, à raison! J’ai parfois dû « défendre » et je continuerais à défendre malgré cela un monde qui est important… Plus largement, je crois, il faut lutter pour défendre l’importance des faits et d’un « gros mot », la vérité, avec courage. Dans un monde où la communication l’emporte sur l’information (déjà au début du XXe siècle, Schumpeter expliquait que le capitalisme ne pouvait exister sans marketing et publicité) il est important que les voix défendant les faits, la vérité avec courage soient entendues. Je suis pour cette raison parfois sorti ici du strict cadre de la technologie, de l’innovation et de l’entrepreneuriat high-tech pour mentionner des intellectuels qui me semblent importants. Harari, Piketty, Fleury, Stiegler, Picq.

Une longue introduction pour mentionner une belle interview de Pascal Picq sur France Inter ce matin: « Il faut déconstruire la domination masculine à Hollywood comme ailleurs ». Un bref extrait: « Constat : les bonobos, qui nous sont proches n’ont pas évolué comme nous. Homo Sapiens est l’une des espèces les plus violentes envers ses femelles, les femmes donc. Les degrés de cette violence varient en fonction des époques et des cultures. Le statut de dominant s’y exerce à l’égard de la Nature d’une part, et des femmes d’autre part. Les comportements de domination masculine qui sont ancrés dans nos sociétés humaines sont le fruit d’une évolution comportementale, et non d’un déterminisme naturel et génétique. Chez les bonobos, la femelle est dominante, la violence des relations est maîtrisée par les relations hédoniques, et les bonobos vivent selon un modèle de gynocratie. Les bonobos et les hommes n’ont pas eu la même évolution comportementale. Et je précise qu’on ne peut pas accuser notre nature, comme le font certains, dans les principes de domination masculine qui se sont imposés chez les humains. C’est une évolution comportementale qui s’est ancrée dans les sociétés agricoles et dans les sociétés industrielles. Historiquement, là où l’on produit des nourritures ou des objets, les sujets masculins ont tendance à prendre le contrôle de la production et de la reproduction. »

J’aurais dû ajouter que cette interview est liée à l’Oscar accordé cette nuit à Agnès Varda pour l’ensemble de son oeuvre et coïncidence ou non, mon précédent article – Si vous ne m’aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus – concernait Sandrine Bonnaire, actrice d’Agnès Varda dans le magnifique Sans toit ni loi.

Dans toutes les disciplines scientifiques ou non, la complexité rend difficile parfois, souvent,l’affirmation de vérités. Elles semblent mouvantes. Mais il y a des faits que l’on doit toujours analyser le plus honnêtement possible avec courage et il en sort des vérités. Merci à ces intellectuels courageux qui travaillent sans dogme et nous aident à comprendre le monde.

Alors pour finir sur une touche plus « légère » voici deux oeuvres d’Obey dont le combat artistique est tout aussi magnifique!

Si vous ne m’aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus

Magnifique interview ce matin de Sandrine Bonnaire sur France Culture, grande actrice française. Il faut l’écouter parler d’authenticité.

Dans un passage sur Pialat qui a découvert l’actrice dans un casting où elle accompagnait sa sœur, elle explique que le metteur en scène lui a appris à durer en fuyant l’artifice. Et d’ajouter qu’elle a en foi en l’homme mais que l’homme est aussi mauvais. Optimisme et pessimisme.

Lorsque Pialat avait reçu la palme d’or à Cannes en 1987, il avait eu cette phrase: « Si vous ne m’aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus. »

Les monstres optimistes

« Que sont les monstres optimistes ? » Je dis: « Ce sont peut-être des choses nées un peu avant leur temps; quand on ne sait pas si l’environnement est assez prêt pour eux. » Hopeful Monsters, de Nicholas Mosley [P. 71]

Les monstres optimistes pourraient être des startups, mais Hopeful Monsters est un roman, un roman merveilleux écrit en 1990 et que je lis une deuxième fois ces jours-ci. Je l’avais lu dans un autre siècle, quand il n’y avait que des livres en papier et que les librairies indépendantes existaient encore. Je l’avais acheté dans la défunte Black Oak Books de Berkeley, Californie.

Bruno tendit les mains vers les flammes et leur parla dans un langage inintelligible. Minna dit: ‘Que dis-tu au feu?’
Bruno dit: ‘Je dis « Allez! Fais comme je dis ou je te punirai! »‘
Minna dit: ‘Et que fait-il?’
Bruno dit: ‘Ce qu’il veut.’

les trois premiers chapitres commencent ainsi:
Chapitre I – si nous devons survivre dans l’environnement que nous avons fait pour nous-mêmes, pouvons-nous être suffisamment monstrueux pour saluer notre situation?
Chapitre II – si on parle d’un environnement dans lequel l’acceptation des paradoxes pourrait se reproduire, cela peut se produire dans une serre anglaise, je suppose, ainsi que dans un melting-pot des rues de Berlin.
Chapitre III – si, pour des raisons de changement, l’ancien territoire doit être détruit, une ou deux graines cachées, que de terribles occasions pendant ces années!

Je n’avais jamais lu un roman qui mélange la philosophie et la science avec de belles histoires. Pas une lecture facile. Je ne suis pas sûr que ce soit un chef-d’œuvre non plus, mais peut-être…

PS: à ma connaissance, ce roman n’a jamais été traduit bien qu’il ait reçu le prix Whitbread – Whitbread Book Award – en 1990.

« Ne m**** pas! » – Conseils aux fondateurs

Je ne devrais pas aimer « Don’t f**k it up » que je traduis laconiquement par « Ne m**** pas! ». Simplement parce que je ne suis pas un grand fan des « comment faire pour » dans les livres sur l’entrepreneuriat high-tech. Il y a une autre raison pour laquelle je ne devrais pas l’aimer, à savoir le sous-titre: «Comment les fondateurs et leurs successeurs peuvent éviter les clichés qui inhibent la croissance». De manière générale, je pense que les fondateurs ne devraient pas avoir de successeurs. Mais je n’ai pas du tout détesté le livre de Trachtman. La raison en est que Les donne de bons conseils aux fondateurs, le principal étant «Trust and Empower» (confiance et autonomie).

Permettez-moi de vous donner des exemples:

Je sais que tout fondateur croit que son entreprise est spéciale, extrêmement complexe et unique. Je peux vous assurer que les défis auxquels vous êtes confrontés ne sont pas différents. Quatre-vingt-quinze pour cent de vos problèmes sont partagés par d’autres fondateurs, ce qui est une bonne nouvelle parce que cela signifie que vos problèmes peuvent être résolus. Ils ont été vus et traités plusieurs fois auparavant. Ce qui est nécessaire, c’est la sagesse et le courage de les aborder. [Page 2]

« Les employés qui apprennent à se méfier de leurs propres instincts ne sont pas non plus susceptibles de faire confiance aux instincts de leurs collègues. » La peur de l’échec peut facilement empoisonner une culture d’entreprise. Les efforts de cohésion des équipes sont inutiles lorsque le premier impératif de chacun est CYA – Cover Your Ass. [Page 12]

Le processus de construction d’une équipe n’est pas tellement différent de l’éducation d’enfants en bonne santé et autonomes. […] Vous voulez qu’ils apprennent de leurs erreurs et des douloureuses conséquences. [Pages 15-16]

Le « micro-management » peut souvent être une excuse pour ne pas se développer et s’engager dans des objectifs à moyen et long terme. Il peut également servir d’excuse, en changeant d’avis sur ce qui est le plus important d’un jour à l’autre. Beaucoup de fondateurs dirigent de petites entreprises de cette façon, et ils ne font jamais grandir ces entreprises car il est impossible de gérer une entreprise plus grande sur la base de ce que le fondateur ressent chaque journée. [Page 20]

Et son conseil aux fondateurs est de donner plus d’importance à la stratégie [Pages 31-33]:
1. Analysez votre emploi du temps.
2. Décidez sur quoi de ne pas travailler, et s’y tenir.
3. Préparez vous à l’inattendu.
4. Notez vos objectifs et révisez-les trimestriellement.

Plus dans un prochain post…

Les mathématiques à nouveau: inattendues, inévitables et économiques

« La libertad es como un número primo. » Roberto Bolaño, Los Detectives Salvajes

mathematics without apologies de Michael Harris, je l’ai dit ailleurs, est une lecture incontournable si vous êtes intéressé par les mathématiques. Et probablement encore plus, si vous ne l’êtes pas. Mais encore une fois, ce n’est pas une lecture facile.

Après la déclaration dans son chapitre 3 selon laquelle les mathématiques n’étaient « pas mêmes utiles, vraies ou belles », Harris poursuit avec des arguments provocateurs et judicieux sur les relations que les mathématiques ont avec l’argent (Chapitre 4 – Megaloprepeia), avec le corps (Chapitre 6 – D’autres recherches sur le problème corps-esprit), avec les fondations (Chapitre 7 – L’habitude de s’accrocher à un terrain ultime) et même avec les astuces (Chapitre 8 – La science des astuces), et finalement Harris revient aux Apologies après un chapitre personnel sur l’inspiration et le travail (Chapitre 9 – Un rêve mathématique et son interprétation).

L’auteur m’a fait découvrir, honte sur moi, que «apologie» ne signifie pas que « éloge », mais aussi « excuse » ou « défense ». Difficulté et confusion du vocabulaire, un thème récurrent du livre de Harris. Permettez-moi d’être tout à fait clair à nouveau. Je n’ai pas tout compris dans ce livre et j’ai imaginé que Harris aurait pu créer un nouvel indice: comme vous le savez peut-être si vous lisez mon blog, je mentionne des indices de temps en temps, comme l’indice Erdős, l’indice Tesla; ce nouvel indice pourrait être 0 pour les géants ou les supergéants des mathématiques, les humains qui pourraient recevoir la Médaille Fields, le Prix Abel ou équivalent, 1 pour ceux qui peuvent comprendre (tout) ce qui a été écrit en mathématiques par ceux qui ont l’indice 0; puis 2, pour ceux qui peuvent comprendre (tout) qui a été écrit en mathématiques par ceux ont l’indic 1, etc… Je ne sais pas où l’index s’arrêterait et peut-être qu’il existe déjà … J’aimerais croire que je suis au niveau 3 quand j’ai fait la découverte au sujet de « apologie », « éloge », « excuses », je me suis remis au niveau 5 …

Harris va encore plus loin que Hardy avec ses « No apologies », même s’il le cite: L’ironie n’a pas dit son dernier mot sur l’utilité [de la science], même si l’utilité est comprise, d’après Hardy, comme ce qui « tend à accentuer les inégalités existantes dans la répartition de la richesse » [Page 296]. Je pense que Harris a écrit un livre très utile sur les mathématiques. J’ajoute une autre citation sur la nature de la beauté mathématique: «il existe un très haut degré d’inattendu, combiné à l’inévitabilité et à l’économie» [Page 307].

En cherchant plus d’informations sur Harris, j’ai trouvé sa page Web qui commence par la citation que je donne plus haut de Bolaño. Quand j’ai découvert Bolaño il y a quelques années, ce fut un tel choc que j’ai lu tout ce que j’ai pu trouver. Encore une fois sans comprendre tout. Mais si vous lisez le chapitre 9 de Harris, vous lirez que « ne pas comprendre tout » peut ne pas être important, en comparaison de l’impact que la confusion (apparente) peut susciter…

PS: J’aurais pu ajouter que pendant que je lisais Harris a émergé uen controverse quant à une nouvelle solution du problème P vs. NP. Plus d’informations dans un pdf détaillé et sur le blog de son auteur. J’aurais également dû mentionner le programme de Langlands et Alexandre Grothendieck, que j’ai par ailleurs mentionné ici. Mais le livre de Harris est tellement foisonnant…