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La Tech – Quand la Silicon Valley refait le Monde (la fin)

Je fais la publicité de ce livre auprès de mon entourage. C’est sans doute le livre que j’aurais aimé écrire. Tout est dit, comme l’on dit parfois! On pourra retrouver les deux précédents articles sur ce livre ici et .

Les ouvriers de la Silicon Valley

Le chapitre 6 est consacré aux développeurs, aux codeurs. L’historien Alfred Chandler a mis en lumière la manière dont la centralisation des informations et des prises de décision par des top et head managers, situés au sommet de divisions distinctes, constituait un avantage comparatif pour les entreprises phares apparues au XIXe siècle dans les domaines des transports, de l’énergie et des communications. Les manageurs y prévalent en tant qu’intermédiaires entre des producteurs-offreurs et des clients-demandeurs. Ils incarnent et concentrent le pouvoir pour des raisons fonctionnelles, car ils permettent de faire circuler de manière cohérente, hiérarchique et verticale l’information et les prises de décisions au sein des entreprises.
A travers les écrits et les conclusions de F. Brooks ([dans
The Mythical Man-Month] transparait un modèle inverse. Selon lui, pour laisser libre cours au processus d’itération nécessaire à la production logicielle, le travail doit être coordonné de manière horizontale, pour favoriser l’accompagnement dans la continuité du développement du logiciel. Il plaide en faveur de petites équipes réunies autour d’un travailleur central, qu’il compare à un « chirurgien en chef » placé, non plus en amont et en surplomb comme dans les grandes entreprises analysées par A. Chandler, mais au cœur de l’action.
Ce mode d’organisation vise à s’adapter au type de produit que sont le logiciel et ses caractéristiques en termes de production. Les développeurs se projettent dans un travail sans en connaître l’issue, le temps nécessaire ou les propriétés finales du processus de production. La conception logicielle procède ainsi nécessairement via des projections. Si les développeurs peuvent s’appuyer sur des scénarios, des visions, des schémas, des diagrammes, ces derniers ne permettent pas une coordination durable et stable à la différence des scripts dans le cinéma ou des partitions dans le domaine de la musique. Cette dimension explique le rôle attribué aux manageurs dans les entreprises de la Silicon Valley. Il ne s’agit pas de faire circuler l’information entre des responsables situés à la tête de différentes divisions pour contrôler le travail de subordonnés mais de veiller à la cohérence et la coordination de l’équipe dans le cadre d’un projet.
[…] Si les développeurs ne peuvent s’appuyer sur des supports de continuité en aval, ils mobilisent une série d’outils en amont du processus de production [Pages 316-18].

Fonder son entreprise

Fonder son entreprises représente un choix plus radical. […] Ce passage à l’acte entrepreneurial s’avère paradoxal si l’on considère le traitement dont les développeurs sont gratifiés au sein des entreprises de la Silicon Valley et les faibles chances de conduire une entreprise au succès, soit, suivant les critères des investisseurs, une revente ou une entrée en Bourse. Pour ceux qui travaillent pour les grands noms de la Tech, démissionner pour fonder sa propre entreprise implique de renoncer pour une période indéterminée à un haut salaire, des bonus, une assurance maladie, des services de restauration et de transports gratuits, des congés maternité et paternité, des systèmes de garde d’enfants, etc., le tout pour une quantité de travail supérieure. De ce point de vue, la création d’entreprise ne remplit pas les critères de choix rationnel au sein d’un groupe professionnel pourtant attaché à l’objectivité, la raison et la logique.
Si beaucoup mentionnent la culture entrepreneuriale de la Silicon Valley pour justifier ce changement de cap, ils soulignent également la volonté de conserver le contrôle de la valeur possiblement générée par leur travail. En effet, la création d’entreprise s’avère pour les développeurs non pas le plus sûr moyen d’enrichissement mas celui qui représente le plus grand potentiel
[Page 335].

Burning man, un carnaval inversé

En commençant la lecture de la dernière partie de son ouvrage, je me suis demandé pourquoi Olivier Alexandre consacrait autant de pages à cet événement si particulier qu’est le festival de Burning Man. Le chapitre qui lui est consacré mérite donc une lecture attentive, à commencer par une note à la page 529 : « L’habitus est un ensemble de dispositions durables qui consiste en catégories d’appréciation et de de jugement et engendre des pratiques sociales ajustées aux positions sociales. Acquis au cours de la prime éducation et des premières expériences sociales, il reflète aussi la trajectoire et les expériences ultérieures : l’habitus résulte d’une intégration progressive des habitudes sociales. C’est ce qui explique que, placé dans des conditions similaires, les agents aient la même vision du monde, la même idée de ce qui se fait et ne se fait pas, les mêmes critères de choix de leurs loisirs et de leurs amis, les mêmes goûts vestimentaires ou esthétiques » [Anne-Catherine Wagner dans Les 100 mots de la sociologie].

Il est de ce point de vue remarquable que le terme « connexion » trouve au Burning Man des utilisations multiples : se connecter avec les autres, se reconnecter avec soi-même, se connecter avec le festival, connecter les différentes étapes de sa vie (ou selon la formule de Steve Jobs « connect the dots ») ou encore prendre de la MDMA ou du LSD pour mieux « sentir la connexion » (avec les autres personnes, l’environnement, etc.), etc. Ce mode d’engagement, qui repose sur l’immédiateté et l’interaction, conduit in fine à mettre en jeu les habitudes, les représentations stabilisées et incorporées, y compris en termes de représentation de soi. Cette mise en jeu des habitus procède d’une série d’épreuves [Pages 361-62].

Comme vu précédemment, la Silicon Valley se caractérise par un important renouvellement de travailleurs. Leur forte mobilité géographique fait peser une incertitude sur la pérennité des relations. L’idée qu’un départ presque du jour au lendemain, appartient au domaine des possibles demeure profondément ancrée dans les esprits. D’autant plus que la Silicon Valley compte parmi les taux de divorce les plus hauts du pays depuis les années 1980 et les expatriés ne voient que rarement leurs familles. Pour ces différentes raisons, le Burning Man représente pour certains participants une « famille » de substitution. En 2008, 67% des participants étaient en relation avec des Burners en dehors du festival [Page 380].

Pour les participants, le festival tend de différentes manière à enchanter un monde qu’ils contribuent le reste de l’année à désenchanter par la production d’outils numériques, d’instruments de mesure, de méthodes de calcul et d’une démarche rationaliste. L’art n’y est pas tenu pour un objet mais un support d’interaction. EN tant que composant d’un environnement, il permet le développement de compétences en amont, durant et en aval du festival. Ce dernier confronte les Burners à une série d’épreuves dont les apprentissages et expériences sont réinvestis durant le reste de l’année, dans le cadre de projets. En cela, le Burning Man ne constitue pas une simple fête, un festival ou un laboratoire, mais un dispositif qui rend possible l’interconnexion entre des individus, des répertoires de compétences et des communautés de pratiques. Il conduit à la construction d »un éthos orienté vers le changement. [Page 382]

La Silicon Valley, un projet politique ?

Olivier Alexandre termine son ouvrage par ce que représente la région d’un point de vue politique. Lieu d’expérimentation par excellence, cette région est aussi à l’origine ou au développement de mouvements tels que le libertarianisme, le transhumanisme et le long-termisme, dont la figure qui suit montre les influences et les relations (voir la page 361 et la source originale en date de 2013 sur le blog de Julia Galef). Eux-mêmes sont des mélanges ou une synthèse de l’anarchisme, le libéralisme et l’isolationnisme [Page 387]. Leur vision politique se caractériserait par un manque d’empathie ainsi que par la volonté de dépasser les frontières de l’esprit et du corps [Page 388].

A nouveau, Olivier Alexandre fait une description subtile de la région : on peut s’interroger légitimement sur la nouveauté, la cohérence de cette constellation au sein d’une région qui compte en majorité des progressistes pragmatistes, des libertariens pro-gouvernement, des libéraux votant en majorité démocrates, qui (tout comme Elon Musk) plébiscitent l’État investisseur tout en réclamant des baisses d’impôt. [Page 394] Et d’ajouter en note 12, page 501: Les libertariens ne comptent que pour une minorité au nord de la Californie. Le parti libertarien recensait 2600 inscrits sur les 468000 électeurs dans la ville de San Francisco au début des années 2010.

Je ne peux m’empêcher d’ajouter ici quelques références supplémentaires pour mes propres archives :
– The vast majority of tech entrepreneurs are Democrats — but a different kind of Democrat. A big new survey tells us a lot about Silicon Valley’s politics by Dylan Matthews, Sep 6, 2017
– Techno-féodalisme de Cédric Durand. Voir une critique de Jérémy Lucas sur Dygest.
– Mouvement syndical et critique écologique des industries numériques dans la Silicon Valley de Christophe Lécuyer dans Réseaux 2022/1 (N° 231), pages 41 à 70
– Quelques articles avec le tag #politique sur ce blog sont le récent ouvrage de Anthony Galluzzo qui a participé avec Olivier Alexandre à des émissions sur France Culture.

L’impact sur la région est connu et n’est pas nouveau même s’il s’est amplifié. L’attractivité de la région a de trop nombreux laissés pour compte et le constat existait déjà en … 1979. Voir par exemple Silicon Valley, more of the same que je publiai aux débuts de ce blog. L’extrait suivant mérite d’être recopié ici : “En 1979, j’étais étudiante à Berkeley et j’ai été l’une des premières universitaires à étudier la Silicon Valley. J’ai terminé mon programme de maîtrise en rédigeant une thèse dans laquelle j’ai prédit avec confiance que la Silicon Valley cesserait de croître. J’ai soutenu que le logement et la main-d’œuvre étaient trop chers et que les routes étaient trop encombrées, et même si le siège social et la recherche des entreprises pouvaient rester, j’étais convaincu que la région avait atteint ses limites physiques et que l’innovation et la croissance de l’emploi se produiraient ailleurs au cours des années 1980. Il s’avère que j’avais tort”

« Je ne blâme pas nécessairement les travailleurs. […] Dans l’ensemble les vraies gens de l’industrie de la Tech ne cherchent pas à faire du mal. En fait, ils cherchent à faire le bien, en tout cas de la manière dont ils le voient, surtout les anciens, les OP [Old Programmers]. Mais ils ne sont qu’un rouage d’un système plus vaste qui est sinistre. L’une des choses que j’essaie de faire comprendre aux gens avec qui je travaille à propos de cette industrie, c’est que l’un des meilleurs aspects de celle-ci est de travailler avec des personnes très intelligentes sur des projets auxquels on se consacre totalement. Quand on travaille comme ça, il y a quelque chose qui se passe… qui fait oublier tout le reste. C’est comme dans une guerre… ça amène les gens à développer une psychologie où ils deviennent myopes à ce qui les entoure. Ça c’est le travail passionné, et c’est merveilleux. Mais si vous devenez myope, vous ne pouvez rien voir en dehors de votre champ de vision parce que vous êtes immergé là-dedans. Du coup, ils ne sont pas contre le droit au logement, ou plus de justice sociale. C’est juste que ça ne fait pas partie de leur conscience, ils ne sentent pas qu’ils ont la capacité de s’en soucier ou d’y penser, parce qu’ils sont tellement concentrés sur la tâche qui est devant eux. Lorsque nous avons créé cette organisation, j’ai eu la chance de vivre quelques expériences qui m’ont ouvert les yeux sur l’influence corruptrice de l’argent. Donc nous n’organisons pas de galas à prix élevés, je ne m’adresse pas aux riches fondation familiales, aux entreprises ou autres pour collecter des fonds » [Page 438, Brian Basinger, Juillet 2016].

Il est difficile de finir la lecture d’un tel livre et d’en faire la recension. Je ne peux qu’en encourager une dernière fois la lecture. Je vais me contenter de quelques citations complémentaires : « Le douloureux paradoxe de la technologies moderne, c’est qu’elle a connu un succès fulgurant, mais qu’elle a aussi échoué lamentablement. Nous vivons dans ce paradoxe qui remet en question le sens même d’être moderne » [Page 455 de Lee Bailey dans The Enchantements of Technology].

Ce livre est une description d’un monde ultra-compétitif mais enchanté, balzacien en ceci que la grandeur des ambitions tutoie la fragilité des solutions. Son analyse servira à celles et ceux désireux de « changer le monde » tout autant qu’à leurs critiques décidés à penser de nouveaux modèles [Page 456].

Merci à Olivier Alexandre.

La Tech – Quand la Silicon Valley refait le Monde (la suite)

J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de La Tech – Quand la Silicon Valley refait le Monde (voir mon post précédent). Voici une suite.

Olivier Alexandre explique dans son introduction qu’il a conduit 147 entretiens approfondis. Son ouvrage fourmille de témoignages qui en disent souvent plus, en tout cas autant, que les travaux statistiques (les deux se complètent à merveille). D’autant plus que dans la deuxième partie du livre, l’auteur décrit des ingrédients essentiels mais intangibles de la Silicon Valley : la confiance, la chance les attitudes sociales par exemple. Je continue donc avec quelques extraits.

« Google est arrivé à nous de différentes façons et chacun aura une histoire différente de la manière dont ça s’est déroulé. Ma version à moi, c’est celle-ci : j’ai commencé à interviewer tous les gens qui avaient un doctorat à Stanford et qui continuaient à y travailler dans les départements d’ingénierie. Ça faisait une cinquantaine de personnes. Ce sont les meilleurs et les plus brillants. Et je leur ai demandé à chacun d’entre eux : Qui est le meilleur avec la meilleure idée ? Et ils ont presque tous répondu : les deux gars qui bossaient sur Google. Et ce qui est intéressant dans cette histoire, c’est que cette manière de procéder est exactement la même que l’algorithme de Google ». [Page 195]

« En 2000, j’avais la vision de Facebook… Mais parce que t’as pas rencontré la bonne personne, ça l’a pas fait. J’ai tenté la chance jusqu’au bout. C’est la secrétaire de l’investisseur, qui te dit : Désolé, il peut pas te recevoir. Les types qui réussissent, y a le temps, la persévérance, mais aussi la chance. » [Page 210]

« Il n’y a pas de concept de caste ici, si tu arrives avec une bonne idée, tu vas pouvoir rencontrer des mecs, lever des fonds et t’asseoir à la table ; j’en suis la preuve vivante : nous on connaissait personne. On n’a pas levé 20 millions, ok ; mais on nous a donné une chance ; on s’est plantés, mais ça, c’est notre problème. Après si la question est de savoir si la Silicon Valley est une utopie : ce n’en est pas une, évidemment. Il y a des vieilles familles, des réseaux d’anciens, des diasporas, des nouveaux riches, qui aident leur potes et s’entraident ; bien sûr. Mais y quand même cette idée : on ne connait pas, mais on va te laisser une chance. » [Page 211]

Et plus drôle encore, ou plus tragique : « Ici tout est organisé en communautés… On est les premiers à souffrit d’être français à l’étranger. C’est jamais facile de créer une boîte, encore plus dur quand t’es pas chez toi. On souffre tous de ça. Parce que les codes sont différents. Et t’as besoin de les comprendre et t’es pas sûr de les comprendre tout seul. ET c’est utile de rencontrer quelqu’un qui te dit : T’es pas fou, je rencontre exactement le même problème et j’en pense ça… Et ça, ça prend énormément de temps. Ça m’a pris quatre ans. Les français sont d’une arrogance, quand ils arrivent. Ils le sont tellement qu’ils pensent qu’ils vont devenir américains. C’est : Oui moi je veux pas voir de Français. Donc ils vont vers les Américains. Mais sans avoir les codes… Moi je les compare à des Barbapapa. Ils sont intelligents, ils savent s’adapter, mais on les reconnait quand même. Par contre, lui le Barbapapa, il est persuadé d’être une voiture alors que tout le monde sait que c’est un Barbabapa. Ca ne marche pas du tout. Moi pendant quatre ans, j’ai mis ce temps à comprendre d’abord qu’il fallait pas essayer de les imiter, et ensuite que j’arriverais pas à les changer. […] Sauf que le Français, lui, il se fond déjà dans le décor, que physiquement, il leur ressemble, donc il va se fondre dans le machin, avec un surplus : la subtilité. Qui est en fait de l’exotisme. Les entrepreneurs français, les cadres dirigeants du CAC40 qui viennent ici, je leur dis : Vous êtes des Sénégalais en boubou qui arrivez de votre village de brousse. Vous vous foutez de la gueule des mecs du Moyen-Orient qui viennent en rendez-vous business en tenue traditionnelle ? Mais vous, vous êtes pareils. Vous venez en cravate… Vous avez vu des gens en cravate, ici ? Donc il faut accepter et te dire : Je suis un sénégalais qui vient d’arriver à Paris, je suis noir et j’ai un accent de merde, je m’habille pas comme eux, et je peux pas rentrer au village, parce que sinon je suis la honte du village, alors que tout le monde croit en moi. Eux, c’est pareil : ils sont la lumière de la France ; quand tu réalises ça, que tu es un rêve projeté en fait, tu fais comment quand tu es ce type-là ? Et bien tu rebootes. Tout ce que j’ai fait avant compte pas. Donc c’est pas une renaissance italienne. Pas du tout. C’est une rebirth, c’est à dire que tout ce que j’ai fait ne compte pas. Toutes les personnes que j’ai rencontrées ne comptent plus et je dois me construire un nouveau projet et une nouvelle identité. » [Pages 208-210]

Ce qui est assez étonnant avec ce long extrait, c’est que la Silicon Valley n’a pas changé entre la fin des années 80 et 2016 où Olivier Alexandre a réalisé la plupart de ses interviews. La culture est absolument la même ! (Voir le Post-Scriptum en fin d’article).

Les pages 217 à 234 sur l’expérience entrepreneuriale sont peut-être les plus extraordinaires que j’ai lues depuis le début de l’ouvrage. Il faudrait les citer intégralement, alors tous à vos liseuses ! Il y est question de montagnes russes, de vertus de simplicité et de sincérité, et de capital énergétique. L’illusion méritocratique est un élément de plus qui ajoute de la complexité à la vue d’ensemble. Avec, en fin de passage, « Progressivement l’articulation entre l’individu et le collectif tend à se renverser : les entrepreneurs deviennent l’empreinte de leur environnement plutôt qu’ils ne l’impactent. L’entreprise constitue le principal véhicule de leur dialectique. »

Une évolution permanente en quête de talents

Dans la Silicon Valley, les entreprises sont donc caractérisées par un syndrome de Protée, appelées à une évolution constante. […] La conviction des entrepreneurs, dirigeants et investisseurs de la Silicon Valley est que le changement est non seulement souhaitable mais aussi « inévitable ». Cet horizon d’attente conduit à faire des routines, ces dispositifs de prévisibilité au fondement de l’efficacité des bureaucraties et des grandes entreprises, des objets repoussoirs. […] Cette dialectique du changement, souhaité et organisé pose une série de problèmes au sein des organisations : rester efficace malgré l’instabilité, maintenir une cohérence en dépit des évolutions.
[…] Dans le secteur des nouvelles technologies, les entreprises, quelle que soit leur taille, cherchent à se montrer innovantes. Or l’innovation suppose des phases de développement différenciées. Les premiers temps d’un projet sont caractérisées par des phases d’essais-erreurs, via des échanges serrés et rapprochés avec les utilisateurs ; la valeur d’usage demeurant indéterminée. Cette phase repose sur l’implication des passionnés, à la croisée de l’amateurisme, de la recherche et du monde de l’entreprise, dans des espaces en clair-obscur, à la frontière de l’espace public et de l’espace privé. Les cliques formées à cette occasion comptent nombres d’occurrences dans l’histoire de la Silicon Valley : les amateurs (« hobbyists ») dans le domaine de la radiodiffusion, les hackers du MIT bidouillant à la dérobée des ordinateurs DEC et IBM, les participants du Homebrew Computer Club durant les années 70, Nolan Bushnell programmant son premier jeu « Computer Space » dans la chambre de sa fille avant de créer Atari, les brogrammers de dortoir à l’origine de Facebook, etc. Au bout de plusieurs années, un produit aux propriétés stables émerge. Une seconde phase s’ouvre alors.
La croissance du nombre d’utilisateurs et l’ajout de nouvelles fonctions nécessitent l’implication de travailleurs présentant un haut niveau de compétences techniques. Or, développer une solution, augmenter ses capacités et le nombre de ses applications, résoudre les problèmes qui surviennent, sont autant d’objectifs qui nécessitent d’embaucher. Les profils recherchés sont désignés dans la Silicon Valley suivant une appellation métonymique courante dans les domaines de création, les « talents ».
[…] Cette seconde phase est déterminante en ceci qu’elle laisse envisager une bascule sur le plan financier. L’organisation est alors prête à s’engager dans une troisième phase, qui la rapproche des secteurs traditionnels : une technologie opératoire, un marché structuré et clairement identifié, avec des moyens de production , dont la contrepartie est une dynamique d’innovation ralentie. En effet, une fois une niche commerciale investie et balisée, les équipes tendent vers la systématisation des procédures et de l’organisation se caractérise par des effets de bureaucratisation?. Ces entreprises à développement « lent » (désignées les « slow moving organizations » dans la Silicon Valley) sont souvent puissantes mais déconsidérées car les effets d’apprentissage y sont limités. Pour maintenir une dynamique d’innovation, les grandes entreprises recourent couramment à une stratégie de croissance dite externe, en embauchant ou en achetant des entreprises afin d’intégrer leurs innovations ou leurs équipes. L’histoire récente des grandes entreprises témoigne de la constance de cette stratégie : Apple a réalisé 100 acquisitions entre 1976 et 2020, Microsoft 225 en quarante-cinq ans d’existence, Amazon 88 en vingt-cinq ans, Facebook 82 en quinze ans, Google 236 en vingt ans, soit en moyenne une acquisition par semaine. Au cours de ces trois phases, le destin des organisations repose en grande partie sur le facteur humain. [Pages 242-5]

Des cultures d’entreprise

Face à ces défis permanents, il semble que la Silicon Valley ait développé une culture assez unique. La sincérité et la simplicité reviennent avec le fameux pitch : « Dans les présentations, il y a beaucoup de déchets, beaucoup de gens ne savent pas de quoi ils parlent et ça se voit tout de suite. le discours est incohérent et ils ne savent pas exprimer ce qu’ils font de manière précise. Et ça c’est le premier signe qu’ils vont se planter. Ils savent pas expliquer dun paragraphe concis ce qu’ils font. c’est qui n’est juste seulement un problème de cohérence intellectuelle. La communication orale et écrite est une des compétences fondamentales d’un entrepreneur qui réussit. Un entrepreneur doit pouvoir lever des fonds. S’il n’est pas capable d’exprimer clairement, de manière concise, ce qu’il fait, pourquoi c’est intéressant et en quoi c’est nouveau, il n’y arrivera pas » [Page 272].

Établir clairement une mission permet de conserver un cap quelles que soient les circonstances et ce durablement, en fournissant une motivation pour dépasser les difficultés, relativiser les souffrances et opérer des choix [Page 270]. Serait-ce une explication à la quasi-absence de syndicats ?

Pour autant, chaque entreprise est différente, même au sein d’un même secteur. L’ouverture et la circulation de l’information chez Google, la mise en relation chez FAcebook, la concurrence chez Uber, le design chez Apple, etc. […] Dans les années 2010, Lyft se faisait un nom en promouvant une culture d’ouverture et d’inclusion, à l’opposé d’Uber [Page 268].

Avec un certain risque : « La culture d’entreprise c’est notre baratin à nous dans la Silicon Valley. […] Mais ça reste du bullshit dans le sens où ça devient vite artificiel si ce n’est pas incarné. le truc est donné par le fondateur et ça marche tatn qu’il est là, c’est lui qui l’incarne, qui la porte. […] Mais le jour où il part, les valeurs ça devient des cases dans une grille d’évaluation » [Page 283].

Post-Scriptum : des notes personnelles en rapport avec la deuxième partie du livre :
– Olivier Alexandre donnent des statistiques très intéressantes notamment aux pages 170-72. Je mentionne mes propres données sur des startup issues de Stanford et sur d’autres ayant préparé une entrée en bourse, dans ce post récent. Sur l’âge des fondateurs – 45 ans -, le nombre de fondateurs – 75% sont plus de 3 – ou sur les serial entrepreneurs – 60% le sont, j’ai construit des data sets similaires.
– Pour ceux que le sujet des acquisitions de startup intéressent, voici deux liens du blog : L’A&D de Cisco et Google in the Plex. Un dernier article montre que même les sociétés cotées en bourse sont souvent acquises après leur entrée en bourse.
– Mais comme je l’ai dit auparavant, les statistiques sont une chose. La description par une multitude de cas en est une autre et les deux se complémentent parfaitement, je crois. Je me suis souvenu d’un voyage effectué dans la Silicon Valley en 2006. Le rapport que nous en fîmes est confidentiel en raison des témoignages non anonymisés. Mais j’en extrais la partie non secrète :

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La Tech – Quand la Silicon Valley refait le Monde

J’ai eu la chance de participer à un débat sur France Culture avec Olivier Alexandre l’auteur de La Tech – Quand la Silicon Valley refait le Monde. Je dis bien « chance » car j’ai pu découvrir un livre qui est, selon moi, un des meilleurs sur ce sujet mal connu et fantasmé qu’est cette région d’innovation et de startups. D’ailleurs Fred Turner spécialiste de la région a écrit sur LinkedIn : « If you read French, you should read this book — a rich, up-close view of Silicon Valley by an outsider who became an insider long enough to learn the system. Highly recommended » (Si vous lisez le français, vous devriez lire ce livre – une vue riche et détaillée de la Silicon Valley par un étranger qui est devenu un initié assez longtemps pour comprendre le système. Hautement recommandé.)

C’est peut-être parce qu’Olivier Alexandre n’était pas un spécialiste de la région au début de sa carrière de sociologue que son ouvrage est passionnant. Le recul dont il fait preuve (ce qui n’est pas toujours le cas des analystes qui prennent souvent un point de vue trop négatif ou trop positif) et la variété des sujets qu’il étudie (alors que je n’en suis qu’au tiers de la lecture) me confortent dans ce jugement que j’espère confirmer quand je serai arrivé à la dernière page. En voici quelques illustrations.

Des joueurs plus que des acteurs

Pour rendre compte de cet état d’esprit et des conditions qui le favorisent, il faut donc opérer un détour phénoménologique. Les entrepreneurs, investisseurs et ingénieurs cherchent à changer le monde, c’est à dire à le mettre en jeu. Le terme de jeu ne s’entend pas ici au sens de l’oisiveté (les passe-temps) ou de phénomène ludique (l’amusement), mais recouvre une portée mondaine, soit la volonté de modifier l’organisation du monde au moyen de nouvelles technologies. Pour cette raison, on ne qualifiera pas les travailleurs de la Silicon Valley d’« agents », d’« actants » ou d’« acteurs » mais de joueurs, une notion dont l’équivalent anglais y est souvent mobilisée (« players », qu’ils soient « new », « big » ou « global »). Elle ne désigne pas une catégorie professionnelle spécifique, mais une mentalité en même temps qu’un régime d’action. [Page 28]

« On était tous plus ou moins en doctorat au MIT. Mes cofondateurs ont fait la tournée [roadshow] des VCs. On était encore étudiants, on trouvait ça cool, de prendre un avion, de se retrouver dans des bureaux à parler de recherche pour avoir de l’argent de gens qui te disent : Super, vas-y, prends cet argent, et tu repars avec vers l’aéroport. C’était beaucoup plus excitant que la vie du reste de nos potes à l’université. Pour un gamin de 25 ans, te retrouver avec 2 ou 3 millions en banque, c’est super grisant. On est allés à un distributeur de billets, voir la balance de notre compte en banque… Et on projetait : de quoi on allait avoir besoin, comment évaluer les risques de ce qu’on faisait… On commençait à se payer, ce qui représentait pour un étudiant un paquet de fric assez dingue, dans les 80000 dollars par an, par rapport au 25000 d’un thésard. Et on a emménagé dans la baie… Pour faire une start-up, tu dois avoir une idée… Mais le truc, c’est que les gens vont changer, ton idée va changer, il faut être prêt à ça. Et nous, on était pas prêts à ça. On se disait qu’on était super intelligents et que notre techno était super cool, ce qui n’était pas la bonne manière de faire [rires]. Après plusieurs mois, on est arrivés à la conclusion qu’on était différents, dans nos personnalités, nos agendas, sur ce que c’était pour nous une entreprise ou ce qu’elle n’est pas… Donc, au final, l’un est parti chez Google, un autre est reparti à la fac, et nous on a recommencé quelque chose à deux. Les VCs nous ont dit : OK vous avez tout cramé, mais voici de l’argent, 2-3 millions, on croit en vous. » [Page 96]

« Ici, tu vois deux choses : des gens intelligents et de l’argent. L’argent, il y en a beaucoup et depuis longtemps. Est-ce que c’est une bulle ou pas ? C’est pas le problème. L’enjeu, c’est la concentration. Quand tu vas sur Sand Hill Road [rue où sont situées les principales enseignes de capital-risque], sur quelques kilomètres, tu as une quantité de fric insensée qui est concentrée… Le capital-risque dans le monde c’est 87 milliards de dollars, les deux-tiers c’est aux États-Unis, et la moitié de ça, c’est dans la Silicon Valley. Quand tu prends conscience de ça, tu te dis Waouh … ça veut dire que les deux ressources de la réaction chimique pour entreprendre de grandes choses sont disponibles ici. Paul Graham [fondateur de l’accélérateur Y Combinator] dit que c’est suffisant. Mais il n’y a pas que ça. C’est un peu comme à Hollywood, avec des universités qui jouent intelligemment leur rôle dans une économie à la fois globale et locale : il y a des labos qui font de la recherche, des gens spécialisés, etc. Dans l’industrie du cinéma, il y a des gens qui sont capables de faire de la conciergerie de haut niveau, d’acheter ou liquider une boîte, de négocier des contrats à six, sept, huit zéros. C’est la même chose ici. Il y a cette économie de services spécialisés, qui est sous la surface, qui est cet élément invisible mais déterminant. C’est de cela dont dépend la capacité de valoriser une boîte, c’est à dire lui attribuer une valeur, ou la liquider. Dans tous les sens du terme ; et c’est infiniment précieux, les avocats, les banques spécialisées, les VCs, les cabinets RH spécialisées dans les start-up, etc. » [Page 70]

C’est une autre façon éclairante de décrire Les ingrédients d’un écosystème entrepreneurial comme les évoquent Nicolas Colin, Martin Kenney ou encore Paul Graham. L’auteur montre également que deux lois importantes, la loi de Moore et la loi de Metcalfe ont eu un fort impact dans la création d’un cercle vertueux de prophéties auto-réalisatrices. [Pages 47-52]

Un capitalisme à l’envers

Dans la Silicon Valley, trois caractéristiques rendent particulièrement complexe la tenue d’une juste comptabilité : la gratuité partielle des services, la pratique de l’échange, et la proportion d’échecs. [Page 89] … La valeur d’échange correspond à la valeur d’usage. Il en va toutefois autrement des services immatériels, dont la consommation peut être collective. Pour cette raison, les économistes qualifient les biens immatériels de biens publics. [Page 90]

« Sur mes deux premières start-up, on n’a jamais trouvé le market fit. Jamais. » [Page 93] La paternité de « market fit » est attribuée à l’un des premiers capital-risqueurs de la région, Don Valentine. Marc Andreessen contribua à la populariser dans les années 2000, à travers un billet sur son blog. A propos des inégalités de succès des start-up, il identifie trois facteurs : l’équipe, le produit et le marché, en soulignant que le plus important de ces trois éléments pour la réussite d’une entreprise est le troisième terme, le marché (ou « market fit ») justifiant cette position ainsi : « Dans un grand marché – un marché avec beaucoup de clients potentiels réels -, le marché tire le produit de la start-up. Le marché doit être satisfait et le marché sera satisfait par le premier produit viable qui se présentera. Le produit n’a pas besoin d’être génial, il doit juste fonctionner. Et le marché ne se soucie pas de la qualité de l’équipe, tant que l’équipe peut produire ce produit viable. En bref, les clients frappent à votre porte ; l’objectif principal est de répondre au téléphone et à tous les e-mails des personnes qui veulent acheter. Et lorsque vous avez un excellent marché, il est remarquabelement facile de faire évoluer l’équipe à la volée. » Traduit par l’auteur à partir de web.stanford.edu/class/ee204/ProductMarketFit.html [Note 14 page 497] On retrouve ici ainsi les fondamentaux recherchés par les VCs, comme indiqué dans En quoi le capital-risque de la Silicon Valley est-il unique ?

Je me devais de nuancer Olivier Alexandre, mais c’est au niveau du détail, tant la première partie de ce livre est réussie ! « Kleiner Perkins connait plusieurs années difficiles, avant de réaliser un conséquent retour sur investissement avec Sun Microsystems et Lotus Development au début des années 1980. En dépit de leur rivalités, elles [Sequoia et Kleiner Perkins] réalisent, un investissement conjoint dans Google en juin 1999, à l’initiative du micro-investisseur Ron Conway, contre 5% des parts de l’entreprise. » [Page 125] Alors mes nuances sont les suivantes :
– le premier fonds de KP fut particulièrement performant, dès 1972, comme indiqué dans A propos du premier fonds de Kleiner Perkins,
– je pense que et KP ont investi $25M pour 34% de Google lors du series B et que Ron Conway n’est arrivé qu’après ; je pense que Andy Bechtolsheim était le business angel mais je peux me tromper. Mais là on est dans le micro-détail. Par contre Pierre Lamond chez Sequoia m’avait détrompé en m’indiquant que malgré leur rivalité, KP et Sequoia avaient assez souvent investi ensemble. La fameuse co-opétition de ce monde, on est en concurrence mais on collabore… Voir When Kleiner Perkins and Sequoia co-invest(ed).

Les cultures de la Silicon Valley

La Silicon Valley est plutôt pauvre dans le domaine de la culture (les arts et autres manifestations de l’activité intellectuelle humaine considérées collectivement) et Olivier Alexandre le montre en comparant le nombre de cinémas, de librairies et de galeries d’art à San Francisco et dans d’autres villes du monde. Les musées de la Silicon Valley à l’exception d’un sur le campus de l’université de Stanford ne sont pas vraiment impressionnants.

La culture de la Silicon Valley est par contre unique. Alexandre mentionne l’éloge du faire, la liberté au travail, une société ouverte, une tradition d’accueil, une élite progressiste. « Ce qui m’a tout de suite marqué, c’est qu’ils discutaient de ce qu’ils faisaient, ils parlaient, sans se cacher, partageaient de l’information, parlaient de leur business… Des gens qui pour moi étaient a priori concurrents… Là où j’étais passé, à Paris, à New York, tu devais rester cachotier. Aujourd’hui, ça fait sept ans que je suis là, je sais maintenant que c’est un trait culturel typique d’ici. Si tu compares à ailleurs, sur le plan des traits culturels, psychologiques, il y a cette capacité à dire les choses. » [Page 156] Comment ne pas penser au méconnu Wagon Wheel Bar.

In fine, la prévalence des notions d’écosystème et de communauté illustre les ambiguïtés de cette industrie, certes localisée mais à vocation globalisée : ouverte à l’intégration des nouveaux entrants ; mais sélective et darwinienne. [Page 165]

J’espère vous avoir donné envie de découvrir ce livre passionnant. Et sans doute à suivre… (en fait ici)

Encore des histoires de startups : Spotify, Gumroad

Deux fois récemment, mon collègue Antoine qui connaît ma passion obsédante pour la Silicon Valley a tenté en quelque sorte de l’atténuer avec des points de vue alternatifs. Il a d’abord évoqué une nouvelle série de Netflix, The Playlist, sur une success story européenne, Spotify (voici un article sur son introduction en bourse il y a quelques années) ; et ensuite il m’a pointé Gumroad à travers ce que son fondateur, Sahil Lavingia, avait à dire sur le succès et l’échec.

Sahil Lavingia explique dans Reflecting on My Failure to Build a Billion-Dollar Company que le succès est subjectif. Gumroad n’est peut-être pas une licorne et les investisseurs sont probablement frustrés, mais Gumroad a créé beaucoup de valeur. L’article mérite les 10-15 minutes de lecture.

The Playlist est aussi divertissant que le Silicon Valley de HBO et aussi riche en informations que Something Ventured. La série de 6 épisodes est structurée sur des archétypes des startups, La vision, L’industrie, La loi, Le codeur, Le partenaire, L’artiste. Plus important encore, la série est vraiment bien construite dans sa dramaturgie.

Je vais juste extraire quelques images qui illustrent à nouveau ma passion !

Rien à ajouter aux sous-titres ! Sauf que ceux-ci sont tirés des épisodes 1 et 5. La scène est montrée deux fois. Ce devait être une scène importante pour les créateurs de la série…

L’image finale nécessite quelques explications. Ici, l’un de nos « héros » rencontre Peter Thiel et la poignée de main finale (toute la scène en réalité) est révélatrice de ces étranges personnalités.

Je n’ai pas fini la série et je regarderai bientôt le dernier épisode. Mais clairement, c’est l’un des meilleurs récits et aussi des plus véridiques du monde des startups.

Hard Things de Ben Horowitz : du courage et encore du courage

J’avais lu The Hard Thing about Hard Things en 2014. Je l’avais relaté dans deux billets ici et . Puis un collègue que je crois être un ami m’en a mentionné la relecture, en disant « Le début de ce bouquin m’a rassuré :-), c’est pareil pour tout le monde même les meilleurs. » Il avait ajouté une image scannée du livre que je reproduis en fin d’article.

Bon je ne peux qu’encourager à lire l’ouvrage en version originale si vous êtes à l’aise avec l’anglais. Les mondes de la technologie et du business sont remplis de termes anglo-saxons, et même parfaite, une traduction française est toujours un peu étrange. Ici j’ai même l’impression de lire des choses similaires à ce que j’obtiens avec des outils de traduction automatique, tournant parfois au surréaliste. « Il n’en va pas comme de certaines start-up itératives qui lancent leur fusée »… ou un peu plus loin « les courbes de Bell » sans doute pour traduire bell curves… (page 69)

Je ne sais pas s’il y aura un second billet sur ce livre, je vais attendre d’en achever la (re)lecture moi aussi. Clairement Hard Things est un des meilleurs livres sur le monde des startup. En voici quelques extraits:

Chaque fois que je lis un livre ou un manuel sur le management, je ne peux m’empêcher de penser : « Fort bien mais cela ne traduit pas ce que j’ai vécu de plus difficile dans telle ou telle situation. » Car le plus difficile n’est pas de déterminer un grand objectif effrayant et audacieux, mais de devoir licencier des salariés quand on n’atteint pas cet objectif. […] Le plus difficile n’est pas d’élaborer un organigramme mais d’instaurer une véritable communication à l’intérieur de l’organisation que vous venez de créer. […] Ces ouvrages tentent en fait d’offrir des recettes à des problèmes qui n’admettent aucune solution. Il n’existe pas de réponse toute faite pour affronter les situations complexes et évolutives. (Page 9)

Le leadership se définit comme la capacité à entrainer les autres à vous suivre, même si ce n’est qu’à titre de curiosité. (Page 9 – Évident mais bon à rappeler.)

Le fait de voir le monde à travers des prismes différents m’a appris à établir une distinction entre les faits et la perception que l’on peut en avoir […] L’existence d’un scénario, plausible est souvent ce qui permet de maintenir l’espoir dans une équipe de travail qui ne sait plus à quel saint se vouer. (Page 10)

Et que dire de ce passage assez fort sur le combat, sur le courage.

J’ai retrouvé ce passage si important : « Identifier le produit approprié est la mission de l’innovateur, et non du client. Le client ne sait rien d’autre que ce qu’il croit vouloir en fonction de l’expérience qu’il a du produit existant. L’innovateur peut prendre en compte tous les possibles, mais doit souvent aller contre ce qu’il sait être vrai. En cela, l’innovation exige à la fois de la connaissance, de la compétence et du courage. Le fondateur est souvent le seul qui ait le courage d’ignorer délibérément les données. » (Page 62)

Mais j’avais oublié celui-ci : On me demande toujours « Quel est le secret d’un P-DG qui réussit ? » Il n’y a malheureusement aucun secret ; mais s’il existe une compétence indispensable entre toutes, c’est la capacité à se concentrer et à choisir l’action la plus pertinente possible faute de solutions adéquates. C’est précisément dans les moments où vous seriez tenté de vous cacher ou de disparaître que vous pouvez faire la différence en tant que P-DG. (Page 71)

Avoir le courage de dire les choses.

« Dans mon esprit, j’aidais tout le monde à conserver un moral d’acier en accentuant les côtés positifs et en passant sous silence ceux qui étaient négatifs. Mais mon équipe savait que ma réalité était plus nuancée que je ne la présentais. Et non seulement ils constataient par eux-mêmes que le monde n’est pas aussi rose que je le décrivais, mais ils devaient encore m’écouter leur raconter des histoires à chaque réunion. » (Page 76)

Ce passage m’a frappé et fait penser au message d’Arnaud Bertrand que je rappelle souvent : « Souvent, lorsque j’étais confronté à de mauvaises nouvelles, je les enterrais simplement dans un coin profond de mon esprit et choisissais de me concentrer sur des pensées plus positives. Pire encore, je ne les partagerais pas avec les autres membres de l’équipe en pensant qu’ils étaient mon fardeau et que mon rôle de leader était de donner une impression positive sur la direction de l’entreprise. »

Dans toute interaction humaine, le degré de communication est inversement proportionnel au niveau de confiance. [Oui relisez bien. Cela peut sembler curieux ! Mais la suite est convaincante] Prenons un exemple : si je vous fais totalement confiance, je n’ai pas besoin de vous demander d’expliquer ou de communiquer sur vos actions, parce que je sais que vous agissez en fonction de mon meilleur intérêt. (Page 77)

En résumé, si vous dirigez une entreprise, vous êtes sujet à une énorme pression psychologique vous incitant à afficher un optimisme à toute épreuve. Résistez-y, affrontez vos peurs et dites les choses telles qu’elles sont. (Page 79)

Un extrait de la version en anglais que m’a scanné mon ami entrepreneur

PS: je ne peux m’empêcher de mentionner ici un article que j’avais relayé sur LinkedIn il y a quelques jours. «La naïveté est indispensable pour lancer une start-up»
https://www.pme.ch/actualites/la-naivete-est-indispensable-pour-lancer-une-start-up.

J’y ai retrouvé avec plaisir et nostalgie une startupeuse de mon pays d’adoption. Et ce magnifique commentaire : «A 24 ans, on est naïf, confie Déborah Heintze. On part sur un sprint, alors qu’en fait, c’est un marathon. Avec beaucoup de sprints.» Mais cette naïveté est indispensable, souligne-t-elle: «C’est primordial de toujours croire au sprint. Et de tout donner à 200%, sans se rendre compte de l’énorme montagne face à nous. Et en pensant chaque année que le sommet de la montagne sera pour l’année suivante.» D’ailleurs, ce sera l’année prochaine. Sûrement.

Un été avec … Marguerite Yourcenar, la connaissance et l’ignorance, la littérature, la philosophie… et les mathématiques !

« Autrefois, quand je fréquentais les mosquées,
je n’y prononçais aucune prière,
mais j’en revenais riche d’espoir.
Je vais toujours m’asseoir dans les mosquées,
où l’ombre est propice au sommeil. »

Omar Khayyam

Cer article de blog a d’abord été motivé par la lecture de Marguerite Yourcenar cet été. Mémoires d’Hadrien et L’œuvre au noir sont des romans magnifiques, à très forte dimension philosophique. La lecture de la biographie de cette femme exceptionnelle m’a appris qu’elle avait rêvé d’ajouter aux biographies d’Hadrien et de Zénon celle d’un mathématicien assez méconnu, Omar Khayyam. Je reviendrai plus bas sur les travaux de ce personnage. Cet été fut aussi l’occasion de découvrir la magnifique série de Podcasts de Radio France, Un été avec.

Tout l’été fut parcouru par les interventions de Cynthia Fleury (déjà mentionnée sur ce blog) sur Vladimir Jankélévitch. J’ai ensuite découvert les étés précédents consacrés à Montaigne et Pascal. Ce qui est assez fascinant c’est de voir s’exprimer les proximités entre tous ces philosophes, y compris Cynthia Fleury et Marguerite Yourcenar en tant que romancière, dans leur quête de la compréhension de la connaissance et de l’ignorance, et le courage (voire la souffrance) que cela implique.

J’aurais tellement aimé lire ce que Marguerite Yourcenar aurait écrit sur ce mathématicien poète. Il semble qu’elle n’osa pas se lancer dans l’aventure. Elle confessa « une autre figure historique (que celle de l’empereur Hadrien) m’a tentée avec une insistance presque égale : Omar Khayyam… Mais (sa) vie… est celle du contemplateur, et du contempteur pur » tout en ajoutant, avec une humilité qui fait défaut à beaucoup de « traducteurs », « D’ailleurs, je ne connais pas la Perse et n’en sais pas la langue ». Wikipedia dit assez peu de choses sur Khayyam mais donne l’exemple d’un problème qu’il résolut:

La référence est celle du livre : Une histoire des mathématiques : Routes et dédales, Amy Dahan-Dalmedico et Jeanne Peiffer, 1986, pp. 94-95.

Les autrices consacrent en effet les deux pages suivantes à Omar Khayyam:

On peut comprendre que Marguerite Yourcenar fut intéressée par ce personnage errant… Si vous êtes arrivé.e.s jusque-là, vous pourriez vous dire qu’il y a peu de lien avec les startup. Il n’y en a pas, mais je fais régulièrement des articles sur les mathématiques. Ah je pourrais ajouter que les entrepreneurs écrivent leurs premières idées sur un coin de table. C’est ce que j’ai fait pour (re)résoudre le problème de Khayyam.

Et parce que le livre de Dahan-Dalmedico et Peiffer est passionnant, je me permets un second exemple de démonstration faite par un mathématicien arabe.

En Russie, le retour de l’humour noir soviétique

C’est en remarquant l’article du journal Le Monde En Russie, le retour de l’humour noir soviétique que je me suis souvenu d’un livre remarquable et drôle que j’avais lu en 2018. J’aurais peut-être dû d’ailleurs me méfier alors de ce cadeau empoisonné, ah ah!

Je ne vais pas en refaire l’éloge mais vous laisser (re?)découvrir les articles de l’époque
Pourquoi donc m’a-t-on offert ce livre? Humour et bureaucratie en juin 2018.
Humour et bureaucratie (2e partie) en octobre 2018.
Je n’avais pas connaissance alors de la page Wikipedia sur le sujet qui mérite aussi d’être lue : Anekdot.

Je vais conclure en ce 1er avril qu’apparemment la Russie à décider de donner à La Guerre et la Paix de Léon Tolstoï le nouveau nom de « Opération spéciale et haute trahison ».

Intuition et logique mathématique selon David Bessis

« Les mathématiciens sont les humains qui font progresser la compréhension humaine des mathématiques. »
William P. Thurston

J’avais déjà mentionné le livre de David Bessis, Mathematica, lors du passage sur France Culture de l’auteur. Il y parlait de Grothendieck, mais disait surtout qu’entre logique et intuition, il donnait plus d’importance à la seconde pour faire des mathématiques. Retournez sur l’article pour trouver le lien de l’entretien. J’ai eu la chance de lire son très bel ouvrage ces derniers jours et l’auteur est convaincant. Il y explique assez bien l’échec de l’enseignement des mathématiques qui donnent trop d’importance à la première.

Sans doute sera-t-il difficile de faire changer d’avis les sceptiques, mais l’argument selon lequel il n’y a pas de talent ou de don particulier pour faire des mathématiques mais surtout de la curiosité et de la persévérance, comme pour toute activité qui demande un apprentissage, est bien illustrée dans son livre.

Il n’est pas question d’astuces que l’on emploie trop souvent dans l’enseignement de la mathématique, ce qui peut faire moins aimer la discipline. Dans l’article sur la Beauté des mathématiques, j’employais à tort et un peu trop cette impression de magie. Il est ici question de compréhension profonde des choses, au sens que l’on finit par les voir. L’inconvénient des mathématiques, est qu’alors que la musique s’entend, ou qu’un sport est physiquement visible, les mathématiques sont surtout faites d’images mentales.

Il parle lui aussi (comme j’ai du le faire si vous suivez le hastag #mathematique) des démonstrations de la somme des premiers entiers naturels et Bessis est lumineux quand il explique que la démonstration astucieuse de Gauss ne permet sans doute pas d’en « comprendre » la solution:

alors qu’il y a des approches plus intuitives comme l’utilisation de triangles ou de distance à la moyenne. Lisez ses pages 169 à 181, on y comprend aisément pourquoi Thurston enfant donna d’abord 5000 comme réponse à la somme des 100 premiers entiers, puis se corrigea pour donner la réponse exacte. La moyenne d’un tirage aléatoire de nombres entre 1 et 100 n’est pas non plus tout à fait 50… (contrairement celle entre 0 et 100) et il y a un lien entre les deux sujets.

J’ai beaucoup aimé les descriptions et portraits que Bessis fait de Descartes, Thurston, Grothendieck et le moins célèbre Ben Underwood. Ou les magnifiques passages sur Pierre Deligne et Jean-Pierre Serre. Je vous laisse les découvrir.

C’est un beau livre à offrir à qui souhaite découvrir ou redécouvrir la beauté des mathématiques. Et peut-être plus important encore, comme l’indique le sous-titre du livre, une aventure au cœur de nous-mêmes, Bessis montre bien que toute exploration est avant tout le choix de dépasser ses peurs, d’accepter la possibilité des erreurs, et la possibilité d’un chemin vers plus de confiance en soi. Un paradoxe est un conseil qui revient souvent dans son livre : « Il ne faut jamais lire les livres de math. » Sauf celui-ci ! Superbe !

La loi de la puissance et le capital-risque selon Sebastian Mallaby (la suite) – Sequoia Capital

Parfois, je publie des articles qui peuvent être illisibles, ils peuvent être là surtout pour moi, pas pour les autres lecteurs. D’une certaine manière, ce blog est ma seconde mémoire… donc je ne suis pas sûr que ce billet vaille la peine d’être lu…

Il y a eu deux grandes sociétés de capital-risque dans l’histoire. Si importantes que j’ai créé des hashtags pour elles : Sequoia et Kleiner Perkins. Il n’est donc pas surprenant que Mallaby les couvre toutes les deux dans son livre, mais de manière différente. Selon lui, Kleiner Perkins (KP) a perdu son leadership. Sequoia et KP étaient n°1 et n°2 de 1980 à 2005, mais depuis, Sequoia a conservé son classement et KP n’est même pas dans le top 10 des partenariats (voir page 413). KP est couvert dans la dernière partie du chapitre 11, avec le sous-titre Le déclin de Kleiner Perkins. Le chapitre 13 entier est intitulé La force des nombres chez Sequoia.

Mallaby a beaucoup d’arguments convaincants, de la stratégie d’équipe à la diversification de l’activité de l’entreprise : Sequoia dispose désormais d’importants fonds de croissance, d’un hedge fund, même d’une dotation (endowment), et d’une présence à l’étranger en Israël, en Chine, en Inde et même récemment en Europe . Et les performances de Sequoia semblent impressionnantes : en prenant tous ses investissements en capital-risque aux États-Unis entre 2000 et 2014, le partenariat a généré un multiple extraordinaire de 11,5x « net », c’est-à-dire après soustraction des frais de gestion et de sa part des bénéfices. En revanche, la moyenne pondérée des fonds de capital-risque au cours de cette période était inférieure à 2x net. (Données de Burgiss). La réussite de Sequoia n’a pas non plus été provoquée par quelques coups de chance extravagants: si vous retiriez les trois meilleurs résultats de l’échantillon, le multiple des fonds américains de Sequoia pèserait toujours un formidable 6,1x net. En déployant le capital levé en 2003, 2007 et 2010, Sequoia a placé un total de 155 paris aux États-Unis. Parmi ceux-ci, 20 ont généré un multiple net de plus de 10x et un bénéfice d’au moins 100 millions de dollars. (Prouvant qu’il n’avait pas peur des risques, Sequoia a perdu de l’argent sur près de la moitié de ces 155 paris.) La cohérence dans le temps, les secteurs et les investissements était frappante. « Nous avons embauché plus de 200 gestionnaires de fonds externes depuis que je suis arrivé ici en 1989 », s’émerveille le responsable des investissements d’une importante dotation universitaire. « Sequoia a été de loin notre numéro un ». [Page 320]

J’ai donc regardé mes propres données. Voici ce que j’ai trouvé sur l’historique de leur fonds.

J’ai aussi regardé mes tables de capitalisation et trouvé où Sequoia était un investisseur. Lorsque les données étaient disponibles, j’ai regardé combien l’entreprise avait investi et quelle était la valeur de la participation lors de l’introduction en bourse ou de l’acquisition. En effet impressionnant.

PS (3 mai 2022) : je viens de lire un article très intéressant sur le livre de Mallaby par Bill Janeway : Les origines oubliées de la Silicon Valley. Janeway aime le livre et ajoute des critiques intéressantes. Deux points ne sont pas nouveaux, à savoir
– le rôle du gouvernement serait sous-estimé par Mallaby,
– les VCs de la côte Est et le domaine de la biotechnologie ne sont pas suffisamment analysés.
Mais un troisième point est plus nouveau pour moi : la technologie s’est ouverte dans les années 70 et 80 (le PC, les systèmes d’exploitation, les réseaux dont internet) et cela a créé d’énormes opportunités pour de nouvelles entreprises. Je n’ai jamais été pleinement convaincu par les deux premiers points, principalement parce que le financement de la recherche n’apporte aucune garantie aux grandes innovations. Mais le troisième point est plus intéressant, pour ne pas dire plus intrigant.

Le capital-risque en Chine selon Sebastian Mallaby

Dans la partie 1 de mon article sur The Power Law, j’avais intégré ma propre histoire visuelle du capital-risque. Il y avait un élément qui manquait, à savoir la montée en puissance de la Chine, que Mallaby aborde en 27 pages dans son chapitre 10 . Avant 2010, le capital-risque en Chine était derrière l’Europe, mais aujourd’hui, il défie les États-Unis :

Source: Mallaby’s The Power Law, appendix, page 413.

Mallaby explique de manière convaincante qu’il s’est développé non pas avec le soutien du gouvernement chinois, mais en le contournant et, étonnamment, grâce à une combinaison de capital-risqueurs américains et de Chinois qui avaient été en contact étroit avec la culture entrepreneuriale américaine. Je ne connaissais personne parmi les personnes ci-dessous si ce n’est un entrepreneur (vous pouvez vérifier leurs noms à la fin de l’article).

J’avais entendu parler des BATX qui sont aujourd’hui comparés aux GAFA et j’ai adoré la vidéo de Jack Ma qui aurait pu être donnée par de nombreux entrepreneurs de la Silicon Valley. La voici à nouveau :

J’avais quelques startups chinoises dans mes plus de 800 tables de capitalisation et ce sont principalement des sociétés Internet et de commerce électronique. Mallaby semble avoir des données similaires. Je les ai toutes extraites (voir ci-dessous) et voici quelques caractéristiques intéressantes :

Non seulement ce sont pour la plupart des sociétés Internet/e-commerce, mais elles sont récentes, sont allées en bourse (IPO) rapidement, leurs fondateurs sont plus jeunes que la moyenne, conservent plus de parts que les autres et elles ont beaucoup plus de PDG fondateurs que la moyenne. Intéressant…

Equity List China

Dans l’image ci-dessus se trouvent :
Fournisseurs de fonds (funders): Gary Rieschel (Qiming), Neil Shen (Sequoia China), JP Gan, Hans Tung (ex-Qiming), Kathy Xu (Capital Today), Syaru Shirley Lin (ex-Goldman Sachs)
Fondateurs (founders): Jack Ma, Richard Liu, Wang Xing