Archives de l’auteur : Herve Lebret

Startup, Arrêtons la mascarade

Startup, Arrêtons la mascarade est le titre d’un nouvel ouvrage écrit par Nicolas Menet et Benjamin Zimmer. Le tire est bien sûr accrocheur et ce c’est pas forcément une qualité, car il laisse entendre que le phénomène n’est que mascarade alors que les auteurs ont une analyse plus subtile.

Le début est certes assez polémique avec une première partie intitulée « Comment en est-on arrivé là ? » et des phrases telles que « nous avons assisté à l’émergence d’un mythe : celui de l’entrepreneur du digital, autrement dit, le startuper » [page 15] comme si l’entrepreneuriat et les startup se résumaient au monde du numérique; ou des simplifications telles que « tout le monde peut constituer très simplement son propre portefeuille d’entreprises non cotées » [page 22] alors que la personne avertie sait qu’il est quasiment impossible d’investir dans les startup les plus visibles si l’on n’est pas connecté ou assez riche…

Mais leur analyse de la crise actuelle, de l’emploi précaire, de l’autoentrepreneur et de « la subjectivité prime sur l’objectivité. Le vécu est vérité » [Page 23] reste une analyse intéressante. Idem en expliquant que « En mettant en avant la technologie comme seul vecteur de progrès, une partie de la startup-sphère se fourvoie probablement et ne pense pas aux conséquences de cette croyance prométhéenne. » Et d’ajouter une jolie citation de Michel Serres « la science c’est ce que le père enseigne à son fils. La technologie, c’est ce que le fils enseigne à son père. » [Page 29] Je ne peux m’empêcher de mentionner à nouveau la passionnante analyse de Facebook publiée par Wired: Inside the Two Years that Shook Facebook — and the World.

Le chapitre 3 sur la nouvelle économie est assez convenu, je trouve, et le chapitre 4 également, mais j’ai tout de même aimé leur citation [page 62]: « la « coolitude » n’est que la dernière itération d’un ensemble de pratiques faussement empathiques qui n’ont d’autres buts que de soumettre un groupe d’individus à un autre groupe d’individus. Le tutoiement et la stratégie de proximité avec les salariés (bureau commun, pas de marqueurs hiérarchiques) mises en pratiques par les managers n’ont d’autres visées que de leurrer et d’accentuer le contrôle des salariés. »

Le meilleur chapitre est le cinquième la startup, première ou ultime utopie? car il est tout en subtilité. D’un côté « la startup peut être vue comme l’aboutissement ultime du capitalisme selon le cheminement suivant: la société de consommation renforce l’expression de la singularité; la créativité de chacun s’éveille car l’épanouissement personnel est permis, c’est même une injonction sociale; la société du divertissement et des médias permet de flatter les désirs narcissiques; la technologie est accessible à tous; la crise économique du début du XXIe siècle impose des stratégies nouvelles de transformation des activités productives… ça y est, le décor est planté pour que des milliers de nouveaux prolétaires du digital soient tentés par le mirage de l’aventure entrepreneuriale et viennent assouvir les appétits des capitalistes. » [Page 68]

Mais par ailleurs « la startup cristallise les espoirs des sociétés contemporaines et recèle des opportunités exceptionnelles. On l’a dit, la startup comporte dans son ADN une composante révolutionnaire. Elle est un lieu où les comportements normalisés peuvent changer et elle produit ses propres normes. Elle s’oppose à l’ordre établi, chamboule les règles et les dispositifs en place. le cadre économique libéral est aussi synonyme de liberté. Liberté de créer et d’inventer les nouveaux modèles. Liberté d’expérimenter de nouveaux mondes de gouvernance , de nouveaux modes de ventes. » [pages 71-2]. Cette phrase me rappelle la citation de Pitch Johnson: « Les entrepreneurs sont les révolutionnaires de notre temps […] La démocratie fonctionne mieux quand il y a un peu de turbulence dans la société, quand ceux qui ne sont pas encore à l’aise peuvent grimper l’échelle économique en utilisant leur intelligence, leur énergie et leur habileté pour créer de nouveaux marchés ou mieux servir les marchés existants. »

Même si parfois les auteurs tombent dans des petits travers comme « la technologie est dorénavant facilement accessible grâce à l’innovation open source » ou « et on le sait, la startup n’existe que parce qu’Internet existe. » Je crains que la technologie ne soit pas d’accès aussi simple et les startups existaient bien avant l’internet… Mais leu conclusion résume bien le chapitre: « Rendons nous à l’évidence: la startup augure un avenir plein de promesses en même temps qu’elle est le symptôme d’un société déliquescente » [pages 72-3]. Un « en même temps » très macronien!

La banale histoire de Tom, objet du chapitre 6, doit être lue par tout apprenti entrepreneur. Il pourra peut-être éviter quelques erreurs.

La troisième et dernière partie m’a déçu, mais je m’y attendais un peu. Pas l’argument selon lequel l’économie sociale et solidaire serait l’avenir des startup; c’est possible. Mais j’ai du mal à croire que les écosystèmes à travers des incubateurs et des accélérateurs plus professionnels pourront réellement mieux planifier, sélectionner et accompagner. Je crains que cela ne relève plus du fantasme que de la réalité.

Je vais conclure en mentionnant une excellente video de Randy Komisar qui décrit l’entrepreneur et en voici un bref extrait:

« Le caractère de l’entrepreneur? Certaines personnes l’ont et d’autres pas. Certaines personnes peuvent ne pas penser qu’elles l’ont et peuvent l’avoir. Beaucoup de gens pensent qu’ils l’ont, et ils ne l’ont pas.

Le caractère entrepreneurial est très, très à l’aise avec l’incertitude et l’ambiguïté. Ce caractère d’entrepreneur est très capable de comprendre et de cibler des opportunités que les autres ne voient pas et est tenace quant à leur poursuite. Dans le même temps, ils restent perméables à aux idées et à corriger ler cours des choses à partir des commentaires du marché et des personnes qui pourraient avoir plus d’expérience ou plus d’idées qu’eux. Il y a une personnalité qui fonctionne dans cet environnement. Et il y a une personnalité qui n’est pas à l’aise. »

Et comme en effet l’entrepreneuriat n’est pas pour tout le monde (c’est peut là qu’est la mascarade), Komisar ajoute:

« Mais si vous n’êtes pas entrepreneur, c’est Ok. Il y a beaucoup d’autres valeurs à créer. Il y a beaucoup d’autres choses à «attaquer» sur le marché qui seraient peut-être plus appropriées. Donc je pense que vous pouvez apprendre beaucoup. Et je pense que vous pouvez accélérer votre capacité à apprendre plus en construisant un contexte. »

https://ecorner.stanford.edu/video/how-do-you-teach-high-tech-entrepreneurship/

DropBox prépare son entrée en bourse

Je viens de lire la nouvelle et comme cela était attendu depuis longtemps, voici comment j’ai compris la structure de capitalisation de DropBox d’après son S-1 filing.

Une note supplémentaire, les deux co-fondateurs, Andrew and Arash, avaient 23 et 21 ans au moment de la fondation.

Drew Houston et Arash Ferdowsi, fondateurs de Dropbox.

Le prix par action à l’IPO est spéculatif, il pourrait aller de $10 à $50, voire plus…

Start-up of You de Reid Hoffman

Je n’ai jamais été un grand fan des livres de « développement personnel ». Même si Reid Hoffman est un brillant entrepreneur, il n’a pas vraiment changé mon point de vue avec son Start-up of You. Son livre qui ressemble parfois à une publicité pour LinkedIn et qui est étrangement écrit à quatre mains, l’un disant que je (Reid) et l’autre, il (Ben Casnocha) reste une bonne description de ce qu’il faut pour améliorer une carrière:
– connais toi toi même,
– sois adaptable,
– bâtis un réseau,
– cherche des opportunités,
– évalue les risques.

Il a aussi de belles idées. Quand il cite des auteurs tels que Jonathan Franzen – « Les gens inauthentiques sont obsédés par l’authenticité » – ou David Foster Wallace – « Il n’y a pas d’expérience que vous ayez eu, dont vous n’êtes pas le centre absolu ». (Pages 93-94) Je suppose que Hoffman sait que Franzen et Wallace étaient de grands amis jusqu’à la mort du deuxième – des liens forts dans les réseaux.

Il favorise également la diversité dans les réseaux. Si les gens se connaissent trop bien, il n’y a pas assez de diversité, s’ils ne se connaissent pas assez bien, cependant, la confiance est plus difficile à construire. Vous avez besoin dans une équipe de sang ancien (confiance) et de sang frais. (Page 118)

Mais une équipe est seulement aussi bonne que ses membres. La qualité de l’équipe nécessite laqualité individuelle. Regardez ci-dessous à la célèbre mafia Paypal (Page 159)

Même si Hoffman donne de bons conseils à la fin de chaque chapitre, il n’analyse pas trop. Par exemple, quand on parle de risques: De la volumineuse recherche sur le risque, remarquablement peu analyse réellement comment les gens dans les affaires prennent de vraies décisions dans le monde réel. Une exception est une étude réalisée par le professeur Zur Shapira en 1991. (…) Ce qu’il a trouvé semblera probablement une déception pour les architectes fans des arbres de décision. Les cadres interrogés n’ont pas calculé la moyenne mathématique espérée de divers scénarios. Ils n’ont pas rédigé de longues listes de pour et de contre. Au lieu de cela, la plupart essayaient simplement de répondre à une seule question par oui ou par non: pouvaient-ils tolérer le résultat si le pire scénario se produisait?


Table ronde d’exception @ESPCI_Paris #SiliconValleyinParis avec @reidhoffman @tfadell @Hemaisphere, Sebastian Amigorean et Stephen Quake modérée by @APapiernik

Vous pourriez me demander pourquoi j’ai décidé de lire ce livre. Au final, cela montre que les entrepreneurs sont vraiment bons dans l’action, moins dans l’analyse … En vérité, je suis allé à Paris pour l’écouter lors d’un grand événement appelé Silicon Valley comes to Paris. Je voulais l’approcher, réseauter! Sans le savoir, j’ai appliqué ses conseils et j’ai aussi commis certaines des erreurs qu’il décrit. Ma principale erreur était de ne pas connaître son intérêt pour les start-up européennes. En fait il n’a pas investi en Europe, il ne connaît pas l’EPFL. Cela vous rend humble et désireux de réseauter encore plus. Reid, voulez-vous revenir en Europe et inspirer de jeunes entrepreneurs en herbe?

Silicon Valley 2018: Les libertariens ont remplacé les hippies

Alors que Trump et Harari étaient à Davos, je visitai la Silicon Valley pour la nième fois. Plus encore que lors de mes derniers voyages en 2014 et 2016, j’ai pu ressentir le fossé qui s’est créé entre la Silicon Valley que j’ai découverte et aimée à la fin des années 80 et celle qui se développe aujourd’hui (et que j’aime encore).

Comme me l’a dit un de mes interlocuteurs, la génération Hippie – que Leslie Berlin décrit dans ses Troublemakers et qui jusqu’à Brin et Page essaya de démocratiser la technologie – a été remplacée par l’égoïsme libertarien des réseaux sociaux que même Reid Hoffman aura bien du mal a rééquilibrer (voir It’s Time to Change Silicon Valley Culture). Les tours grimpent à San Francisco, les pauvres ont dû partir ou vivent dans des tentes un peu partout sur la baie, les fonds de capital-risque ne sont pas aussi performants que l’on croit, les licornes risquent bien de disparaître les unes après les autres, il faut 3h pour aller de Berkeley à Palo Alto si on part à 6h du matin, on trouve plus de fondateurs que d’entrepreneurs selon Leslie Hook, et même Steve Blank s’intéresse un peu moins aux startups pour se tourner vers l’innovation des organisations gouvernementales.

Cela fait un peu querelle des anciens et des modernes mais je ne suis pas sûr que Steve Jobs transmettrait le bâton à cette nouvelle génération quand il disait en 2005 [la mort] nettoie l’ancien pour laisser la place au neuf. Certains pensent que la Silicon Valley a atteint ses limites, mais AnnaLee Saxenian disait la même chose… en 1979. Vivrons-nous assez vieux pour avoir la réponse?

Leslie Berlin frappe à nouveau avec Troublemakers

J’avais lu il y a quelques années le magnifique The Man Behind the Microchip de Leslie Berlin. Après la biographie de Robert Noyce, l’un des co-fondateurs d’Intel, Berlin revient avec Troublemakers, une description de « Comment une génération d’arrivistes de la Silicon Valley a inventé l’avenir ».

Le titre fait alusion à uen célèbre publicité de Apple que vous retrouverez ici: Les fous, les marginaux, les rebelles, les anticonformistes, les dissidents. L’un des grands mérites du livre est de se concentrer sur 7 individus (2 femmes et 5 hommes) relativement peu connus par rapport aux stars de la Silicon Valley. Pourrez-vous les reconnaître sur l’image suivante? (La réponse est à la fin de l’article).

Le livre n’est pas seulement du grand storytelling. Il décrit les dynamiques de Silicon Valley de la fin des années 60 au début des années 80 et explique comment «cinq grandes industries – l’ordinateur personnel, les jeux vidéo, la biotechnologie, le capital-risque moderne et les semi-conducteurs – sont nées. Vous pouvez également écouter Leslie Berlin ici:

Le livre de près de 400 pages contient également plus de 80 pages de notes extrémement riches. C’est vraiment une lecture incontournable pour toute personne passionnée ou simplement intéressée par la Silicon Valley. En voici deux brèves citations:

Indiana Jones: Je vais rattraper ce camion.
Sallah: Comment?
Indiana Jones: Je ne sais pas. Je trouverai en route.

« Nous ne voulions pas être considérés comme faisant partie du troupeau. Les aigles ne se rassemblent pas, c’était notre blague. » (« Eagles don’t flock. » Tom Perkins lorsqu’on lui a demandé pourquoi KP n’était pas initialement sur Sand Hill Road – Page 192)


Laissez-moi faire une brève parenthèse. En parallèle à ma lecture de ce livre, j’ai lu un article très intéressant dans le FT intitulé Silicon Valley’s founder factory ‘Silicon Valley is lacking in one core area — a sense of entrepreneurial hustle’ (Leslie Hook – Janvier 2018): « Quand je me suis installée à San Francisco il y a quatre ans, j’ai remarqué quelque chose d’étrange chez les fondateurs que j’ai rencontrés: beaucoup d’entre eux se ressemblaient, pas seulement physiquement, mais la plupart étaient des hommes de moins de 35 ans. Mais aussi de la manière dont ils parlaient de leur entreprise. Ils avaient des PowerPoint tout prêts, et de grands chiffres sur le bout des lèvres, tous semblaient connaître exactement le marché « adressable total » de leur start-up, même s’ils n’avaient pas encore fait un seul dollar de vente. […] En revanche, bien qu’il y ait beaucoup de fondateurs dans la Silicon Valley, j’ai trouvé relativement peu d’entrepreneurs: les fondateurs sont intelligents et travaillent dur, mais beaucoup sont simplement les produits d’un système, c’est pourquoi ils semblent tous vaguement identiques. » Éléments intéressants pour la réflexion en comparaison des années 70.

Comme contribution, voici 4 de mes tables de capitalisation « habituelles »: Ask Computer, ROLM, Cetus et Atari sont des entreprises mentionnées dans le livre que je n’avais pas encore étudiées … Ask fut une des premières startup dans le logiciel et Cetus peut-être la 1ère biotech… (mais je dois ajourter que les documents d’entrée en bourse de l’époque ne sont pas aussi précis qu’aujourd’hui… les erreurs sont les miennes)


Ask Computer


ROLM


Cetus


Atari

Pour montrer la complexité de l’exercice, voici un 2eme tableau pour Atari basé de le S-1 du projet d’IPO:

Dans ses dernières pages, Leslie Berlin mentionne aussi une start-up fondée par Mike Markkula, Echelon Corp. Echelon avait été soutenue par les fondateurs de ROLM ainsi que par Arthur Rock et Larry Sonsini. Voici une 5ème table de capitalisation:


Echelon

Réponse au quiz, les 7 fauteurs de trouble (« troublemakers »), from left to right:
Rangée du haut: Sandra Kurtzig, Mike Markkula, Fawn Alvarez, Niels Rimers.
Rangée du bas: Bob Taylor, Al Acorn, Bob Swanson.

Google n’est plus la source de revenu de licence la plus importante de Stanford

Jusqu’à tôt ce matin, je pensais que la licence Google (c’est-à-dire les droits que l’université de Stanford avait accordés à la startup sur le brevet PageRank) était le plus grand générateur de revenus de licences pour l’université californienne. J’avais tort! Si vous lisez les rapports annuels de l’OTL, son Office of Technology Licensing, par exemple le pdf de son rapport annuel 2016, vous remarquerez que le plus grand générateur de revenus avait une autre source: la propriété intellectuelle / les brevets sur les anticorps monoclonaux. Voici ce que ces rapports disent de la plus grande quantité de revenus pour une année donnée issue d’une seule invention:
2016: $64M
2015: $62,77M
2014: $60,53M
2013: $55M
2012: $51M
2011: $44M
2010: $45M
2009: $38M
2008: $37M
2007: $33,5M
2006: $29M
Ces chiffres donnent un total de $363M et un autre livre mentionne $125M cumulativement avant 2006. Et un document powerpoint plus récent indique que le total des revenus cumulés est de … 613 M $ !!

Pour information, en 2005, le brevet Google a généré $336M suite à l’introduction en bourse de la société. Les rapports de 2004 et de 2003 ne mentionnent pas le montant de la plus grande source de revenu, alors qu’en 2002, il s’agissait de « redevances exceptionnelles de 5,8 millions de dollars » et en 2001, « pour la première fois depuis plus de 20 ans, une invention en physique – un amplificateur à fibre optique – a généré le plus de revenus ».

Comme l’a dit Lita Nelsen du MIT (voir mon article précédent): « Même à l’échelle nationale, vous pouvez montrer que le transfert de technologie est, au mieux, une loterie si vous croyez pouvoir influencer [la situation financière d’une université]. Les principaux gagnants – pas 100 pour cent d’entre eux, mais presque – sont des produits pharmaceutiques. Parce que si un produit pharmaceutique arrive sur le marché, il se situera dans un ordre de grandeur de plusieurs milliards de dollars. L’equity vaut rarement beaucoup, à moins bien sûr que vous puissiez suivre avec des investissements privilégiés. Mais ce n’est pas ce que nous sommes en train de faire. Toute université qui compte sur son transfert de technologie pour faire un changement important dans ses finances sera statistiquement en difficulté ». Google fut une énorme exception tandis que le brevet autour des anticorps monoclonaux et le brevet Cohen-Boyer sont liés à l’industrie pharmaceutique. regardez la figure suivante extraite du même document powerpoint.

Coïncidence intéressante, je suis en train de lire un livre excellent (plus quand j’aurai terminé) qui décrit les débuts de la Silicon Valley et en particulier la création du bureau de transfert de technologie par Niels Rimers.

Dans Troublemakers, l’auteur Leslie Berlin décrit en détail le brevet Cohen-Boyer. Dans la note 32 (page 450), elle décrit les termes de la licence Cohen-Boyer. Vous pouvez également les trouver dans les leçons de la commercialisation des brevets Cohen-Boyer: Le programme de licences de l’Université de Stanford (Lessons from the Commercialization of the Cohen-Boyer Patents: The Stanford University Licensing Program).

73 entreprises avaient signé le paiement initial initial de $10’000 , mais « dix entreprises à elles seules ont fourni 77% (197 millions $ US) du revenu total des licences » et 3 (Amgen, Genentech et Lily) ont fourni près de 50% du total. Tout cela est bien connu mais je pensais qu’il serait intéressant de bloguer à ce sujet aujourd’hui.

Quelques perspectives de Lita Nelsen (MIT) sur le transfert de technologie universitaire

Je viens de lire une excellente interview de Lita Nelsen, qui a récemment pris sa retraite à la tête du Bureau de Transfert de Technologie du MIT. Vous devriez lire l’interview complète: Exit Interview: Lita Nelsen on MIT Tech Transfer, Startups & Culture. J’avais l’habitude de dire que le MIT était plus conservateur que Stanford, tout comme la région de Boston était connue pour être plus conservatrice que la Californie, mais les choses changent. Alors permettez-moi de mentionner quelques extraits.


Lita Nelsen (anciennement responsable du Bureau de Transfert de Technologie du MIT)

A propos des brevets:

Les brevets sont nécessaires parce que l’idée est de faire en sorte que quelqu’un investisse beaucoup de temps et beaucoup d’argent, si vous réussissez, vous ne voulez pas que l’autre gars, celui qui a les moyens, dise: «Eh bien, merci vous beaucoup. Maintenant que vous avez montré la voie, laissez-nous faire.» Nous utilisons principalement les brevets pour inciter à l’investissement.

A propos des universités ayant un fonds d’investissement:

[Le Bureau de Transfert de Technologie] aide à démarrer environ 25 ou 30 entreprises par an. Dieu sait combien [d’autres entreprises ont démarré sur le campus] en passant par la porte de derrière. Aucun fonds ne pourrait investir autant d’argent dans chacun d’entre eux. Maintenant, imaginons que nous ayons le fonds du MIT et j’investis dans la société A, mais je n’ai pas les ressources pour faire B, ou peut-être pas C. Puis je vais avec C à [une société de capital-risque] et je dis: que pensez-vous de ceux-là » Il y aurait un biais de sélection négatif pour celles dans lesquelles nous n’investirions pas. Donc, mieux vaut laisser un terrain de jeu neutre pour tous ceux qui veulent jouer.

Mais une chose que n’importe quelle institution doit décider est: sommes-nous principalement là pour une retour sur investissement? Ou sommes-nous principalement là pour démarrer des entreprises qui n’auraient pas démarré autrement? Vous recevez généralement un message contradictoire si vous demandez aux gens de quoi il s’agit. Et comme tout le monde le sait, lorsque vous avez des missions mixtes, les choses deviennent très difficiles à gérer.

À propos de la prise de participation dans licences aux startup:

Quel pourcentage de participation le Bureau de Transfert de Technologie prend-il habituellement lorsqu’il entre dans une entreprise? Habituellement dans faibles pourcentages à un seul chiffre, peut-être un peu plus si vous avez une spin-out dans le logiciel. Et ce sont des actions ordinaires.

Si c’est de la recherche intensive – de la biotechnologie, des choses qui nécessitent plusieurs tours de financement – [nos parts] sont habituellement réduites en [minuscules] portions. On fait un peu d’argent. Sauf dans les cas où la bulle de Wall Street est totalement irrationnelle. Même à l’échelle nationale, vous pouvez montrer que le transfert de technologie est, au mieux, une loterie si vous croyez pouvoir influencer [la situation financière d’une université]. Les principaux gagnants – pas 100 pour cent d’entre eux, mais presque – sont des produits pharmaceutiques. Parce que si un produit pharmaceutique arrive sur le marché, il se situera dans un ordre de grandeur de plusieurs milliards de dollars. L’equity vaut rarement beaucoup, à moins bien sûr que vous puissiez suivre avec des investissements privilégiés. Mais ce n’est pas ce que nous sommes en train de faire. Toute université qui compte sur son transfert de technologie pour faire un changement important dans ses finances sera statistiquement en difficulté.

A propos des accélérateurs:

« Est-ce que le MIT a un incubateur? » Et ma réponse classique a été: « Oui, ça s’appelle la ville de Cambridge. »

Le problème avec les accélérateurs est que la définition est devenue aussi large et variée que les incubateurs, qui vont des parcs scientifiques aux petits projets au sein des universités, alors vous ne savez pas ce que signifie le mot jusqu’à ce que vous regardiez en détail. Certains d’entre eux sont des fonds de capital-risque qui attendent un retour sur investissement. Certains d’entre eux sont [financés] par des dons, comme nous l’avons fait avec Deshpande et Harvard avec leur accélérateur.

Il va être intéressant d’examiner les mécanismes que les gens tentent. Parce que le problème est là: comment allons-nous faire à partir du stade où l’université a fait ses recherches et peut-être même la couverture du magazine Science, où quelqu’un va investir dans ce processus de maturation avant qu’il ne se transforme en véritable produit? Comment passez-vous de la boîte de Pétri à des essais cliniques à grande échelle? Vous devez aller assez loin avant que pharma ne le fasse pour vous. Les gens cherchent donc à combler les lacunes tant au sein des universités qu’à l’extérieur des universités.

A propos de l’enseignement de l’entrepreneuriat:

Aujourd’hui, le MIT, qui met l’accent sur l’innovation, investit officiellement dans la formation des étudiants en innovation et en entrepreneuriat, parallèlement à leurs formations techniques intenses. Ce n’est pas «tu vas apprendre à devenir entrepreneur», c’est apprendre la biologie ou la chimie ou l’électrotechnique ou l’informatique, mais tu apprends aussi comment l’entrepreneuriat et l’innovation et le transfert de la technologie sur le marché fonctionnent plutôt que d’apprendre après votre diplôme.

Les bricolages de Robert Noyce – à nouveau!

Je viens de relire The Tinkerings of Robert Noyce (Les bricolages de Robert Noyce) pour des raisons qui ne sont pas directement liées à la Silicon Valley ou aux Start-ups. Il y a quelques jours, j’ai blogué sur un très bon article du New Yorker – Our Town de Larissa MacFarquhar. L’auteur illustre certaines valeurs universelles de l’humanité à travers une petite communauté en Iowa. Et cela m’a rappelé l’article de Tom Wolfe écrit pour le magazine Esquire en 1983. Il commence par: «En 1948, il y avait sept mille personnes à Grinnell, Iowa, dont plus d’une personne qui n’osait pas prendre un verre dans sa propre maison sans baisser les stores auparavant.» Robert Noyce a étudié au Grinnell College, puis au MIT avant de partir vers ce qui deviendrait la Silicon Valley. Grinnell College était très avancé en électronique. Tom Wolfe affirme: « Mais le MIT s’est avéré être un coin perdu… quand il s’agissait de la forme la plus avancée de l’ingénierie, de l’électronique des semi-conducteurs. Grinnell College, avec ses mille étudiants, avait des années d’avance sur le MIT. » Et plus tard, le Grinnell College investirait dans Intel, rendant sa fondation exceptionnellement riche.

J’étais sur le point de bloguer ici sur l’article de Wolfe et j’ai (re)découvert, honte sur moi, que j’avais blogué à ce sujet en 2012! J’avais mentionné le passage sur le Wagon Wheel bar. Le voici à nouveau:

Ou bien il quitterait l’usine et déciderait, peut-être qu’il se rendrait au Wagon Wheel pour prendre un verre avant de rentrer chez lui. Chaque année il y avait un endroit, le Wagon Wheel, Chez Yvonne, Rickey’s, la Roundhouse, où les membres de cette fraternité ésotérique, constituée de jeunes hommes et e de jeunes femmes de l’industrie des semi-conducteurs, se rendaient après le travail pour boire et échanger des histoires de guerre sur les instabilités de phase, les circuits fantômes, les mémoires à bulles, les trains d’impulsions, les contacts sans jonctions, les modes en rafale, les jonctions p-n, les modes veille, les morts-morts, les RAM, NAK, MOS, PROM, et teramagnitudes, c’est-à-dire des multiples d’un million de millions. Alors, il ne rentrerait pas avant neuf heures, le bébé endormi, le dîner froid, sa femme était désabusée, et il restait là et lui serrerait les mains comme s’il faisait une boule de neige imaginaire et essayait de lui expliquer … alors que son esprit se penchait sur d’autres sujets, LSI, VLSI, flux alpha, biais, signaux parasites, et ce petit cookie terasexy de Signetics qu’il avait rencontré au Wagon Wheel, et qui comprenait tout cela.

Voici un autre passage sur les stock options, dont j’ai parlé dans un autre article récent: Rémunération du risque – Un guide sur les stock options par Index Ventures.

Dès le début, Noyce a donné à tous les ingénieurs et à la plupart des employés des stock options. Il avait appris avec Fairchild que dans une entreprise si dépendante de la recherche, les stock options constituaient une incitation plus puissante que le partage des profits. Les personnes qui partageaient les bénéfices voulaient naturellement se concentrer sur des produits déjà rentables plutôt que de se lancer dans des recherches d’avant-garde qui ne seraient pas payantes à court terme, même si elles réussissaient. Mais les détenteurs de stock options ne vivaient que pour les percées en recherche. Les annonces feraient s’envolaient le stock d’une entreprise de semi-conducteurs immédiatement, indépendamment des bénéfices.

Il y aurait tellement plus à dire sur ce merveilleux article sur l’histoire de la Silicon Valley et des Etats Unis. Vous devriez vraiment le lire!

Rémunération du risque – Un guide sur les stock options par Index Ventures

J’ai récemment lu un article mentionnant un nouveau rapport d’Index Ventures:Rémunération du risque : la France s’en sort bien ! et quelques jours plus tard, un de mes étudiants a mentionné une nouvelle application créée par Index pour aider les entrepreneurs à attribuer des stock options : Index Ventures Option Plan bêta. Merci Javier! J’ai regardé, twitté à ce sujet et j’ai pensé que ça valait la peine d’un article de blog …

Je vous conseille de lire le rapport complet (143 pages) – lien ici. On y trouve d’excellentes informations au niveau macro (politiques nationales) et micro (niveau de la startup). Il y a des différences mineures avec mes analyses passées telles que Equity in Startups publié en septembre 2017 ou mon cours récurrent sur Equity Split in Startups que vous pouvez trouver ici:

Ce qui est particulièrement intéressant, je crois, c’est leur synthèse:

1 Les salariés européens possèdent moins des entreprises pour lesquelles ils travaillent que les salariés américains. Pour les startups en phase de démarrage, ils en possèdent environ 10%, contre 20% aux États-Unis.

2 Les niveaux d’actionnariat varient beaucoup plus en Europe qu’aux États-Unis. En Europe, l’actionnariat salarié dans les startups en phase finale varie de 4% à 20%. Aux États-Unis, la propriété est plus constante, la répartition des options étant dictée par les forces du marché.

3 L’actionnariat salarié est corrélé au degré de technicité d’une startup. Une startup dans le doamiane de l’intelligence artificielle (IA) ou du logiciel professionnel nécessite plus de savoir-faire technique qu’une startup dans le domaine du commerce électronique. Ces employés sont plus susceptibles de demander des stock options.

4 Les détails de la politique de stock options des startups varient entre les États-Unis et l’Europe. Par exemple, les dispositions pour les départs, et l’acquisition accélérée suite à un changement de contrôle.

5 En Europe, les stock-options sont biaisées par les dirigeants. Les deux tiers des options sont attribuées à des membres de la direction et un tiers aux autres employés. Aux États-Unis, c’est l’inverse.

6 Les salariés européens ne pensent toujours aux stock options dans la plupart des cas. Les employés américains qui rejoignent une start-up technologique comptant moins de 100 employés s’attendent généralement à des stock-options immédiatement. C’est beaucoup moins vrai en Europe, bien que les attentes augmentent régulièrement.

7 Les détenteurs d’options européennes sont souvent désavantagés. Dans une grande partie de l’Europe, les employés paieront un prix d’exercice élevé, et ils seront lourdement taxés à l’exercice et à la vente. Les démissionaires n’obtiennent souvent rien.

8 La politique nationale varie considérablement en Europe, le Royaume-Uni étant le plus favorable à l’actionnariat salarié. Les réglementations et les cadres fiscaux sont radicalement différents en Europe. Le système EMI du Royaume-Uni est le plus favorable, meilleur que ce qui est disponible aux États-Unis, et la France est également bien organisée. D’autres pays, dont l’Allemagne, sont à la traîne à notre avis.

La complexité des politiques d’innovation – l’exemple de la Malaisie

J’ai eu la chance de rencontrer la semaine dernière deux économistes du Fonds Monétaire International qui sont les auteurs du document de travail intitulé The Leap of the Tiger: How Malaysia Can Escape the Middle-Income Trap (Le saut du tigre: comment la Malaisie peut-elle échapper au piège du revenu intermédiaire?). Ce n’est pas directement lié à l’innovation high-tech et je ne suis pas économiste; mon expertise est limitée à la nano-économie des start-up. Cela étant dit, j’ai été très impressionné par l’analyse de Reda Cherif et Fuad Hasanov.

En général, je lis plutôt des livres et articles sur les pays développés et l’entrepreneuriat high-tech, la Silicon Valley bien sûr, mais aussi l’exemple d’Israël, de la Finlande, de la France, du Chili… Lerner, Saxenian et Mazzucato ont été des auteurs importants pour moi. Hasanov et Cherif expliquent comment la Malaisie a tenté de développer son économie et a relativement échoué par rapport à Taiwan et à la Corée. Les raisons sont complexes et la personne intéressée devrait lire leur article.

Ils montrent vraiment la complexité des choses et encore une fois la recette a besoin de beaucoup de réglages, sans garantie de succès. L’ajout du Chili, de la Thaïlande et de la Norvège dans leur analyse la rend vraiment riche. J’ai compris que la combinaison d’un fort soutien étatique (incitations, financement, parfois protection) et de la concurrence dans le secteur privé (création de nombreuses entreprises automobiles coréennes) mettant l’accent sur sa capacité à exporter est très frappante. Pourquoi Nokia a-t-il réussi pendant un certain temps et pas Alcatel est peut-être expliquable avec leurs arguments. Ils mettent également beaucoup l’accent sur la capacité d’innover, indispensable pour permettre les exportations.

Donc, Mazzucato a raison, l’État a un rôle d’entrepreneur, mais les initiatives individuelles semblent être aussi importantes, quelque chose que je n’avais pas nécessairement compris dans le cas de Taiwan et de la Corée. La diaspora d’ingénieurs qui avait étudié et travaillé à l’étranger (aux États-Unis pour la plupart) a joué un rôle déterminant dans le développement économique et l’innovation après leur retour (parfois plusieurs années plus tard) dans leur pays d’origine …