Archives de l’auteur : Herve Lebret

Les Space Invaders sont aussi à Genève

Il était difficile de ne pas ajouter l’invasion de Genève par les Space Invaders après celle de Lausanne (Après Banksy à New York, Space Invader à Lausanne). Mais celle-ci est loin d’être parfaite, de nombreuses images sont manquantes et je n’ai pas pris le temps d’aller sur place.

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Tout de même, vous pouvez télécharger ma compilation pdf de ce que j’ai trouvé en ligne ainsi que d’une carte Google des lieux.


Afficher Space Invader Geneva sur une carte plus grande

Le dilemme des fondateurs suisses

Comme suite à mon récent post sur le livre de Wasserman, Les Dilemmes du Fondateur, permettez-moi de réagir sur des événements récents (et moins récents) liés à des start-ups et des fondateurs suisses. Avons-nous ici les mêmes dilemmes que ceux auxquels les Américains sont confrontés, à savoir le développement d’une start-up avec une stratégie soit orientée vers le contrôle soit orientée vers prospérité ? Si vous ne savez pas ce que je veux dire, lisez mon post ou laissez-moi simplement ajouter que ce modèle binaire correspond à deux choix possibles, soit créer lentement la valeur avec vos clients et partenaires avec peu d’argent des investisseurs, soit prendre le risque d’une croissance rapide avec des investisseurs, en prévision de la demande des clients.

L’exemple ultime de ce modèle dans le livre de Wasserman est Evan Williams qui a fondé Blogger, Oddeo et Twitter, avec des stratégies très différentes. Paul Graham aborde souvent question (par exemple dans Start-up = Croissance ou dans Comment Créer de la Richesse) et pour un jeune entrepreneur, gagner un million peut être évidemment important. Au niveau macro – économique , il y a aussi un débat que honnêtement, je n’ai jamais vraiment compris. Je pense que l’écosystème est (ou devrait être) intéressé dans les entreprises à croissance rapide, et une croissance lente sera moins une priorité, non pas parce que ce ne serait pas important, mais parce que cela a toujours existé et continuera d’exister avec ou sans soutien public… Cependant, parce qu’il y a beaucoup de PMEs en Suisse, le soutien aux petites entreprises semble être important. La situation est-elle très différente des Etats-Unis ? Je vais essayer d’illustrer le propos.

Sensirion est une start-up suisse qui est une bonne illustration du débat. Dans un article écrit en 2008, son co-fondateur, Felix Mayer a écrit sur ​​« Comment financer la croissance ? A mi-chemin entre le « modèle américain » qui vise la lune et le modèle suisse qui développe l’entreprise sur son cash flow avec peu d’employés au début, nous n’avons pas choisi le chemin de capital-risque classique pour financer la première phase de la croissance de l’entreprise, mais nous avons réussi à trouver un investisseur privé. En Suisse, si vous cherchez des investisseurs privés, vous pouvez trouver des entrepreneurs expérimentés qui sont prêts à investir dans une entreprise prometteuse. Ils sont également connus comme les « business angels ». Il a fallu un certain temps pour aller du prototype à une famille de produits ou de 1 à 10 à 100 comme décrit précédemment. Vous devez avoir des partenaires compétents et patients pour survivre durant cette phase faite de hauts et de bas. Et e plus, cela prend plus longtemps que prévu. Néanmoins, à la fin de la journée, vous devez arriver au point où vous générez la croissance avec votre propre trésorerie, ce que Sensirion a atteint 6 ans après sa création. Depuis lors, nous générons suffisamment de trésorerie pour financer une croissance annuelle de l’ordre de 30% à 40%. Afin de gérer cette croissance, nous recherchons en permanence d’excellents talents ! »

Est-ce que Sensirion décrit un modèle différent ? Je suis allé au registre suisse du commerce et j’ai étudié le financement de Sensirion (le canton de Zurich offre des informations très détaillées) . Ce n’était pas un exercice facile et je ne suis pas sûr de l’exactitude des chiffres (vous verrez que les chiffres diffèrent légèrement sur les graphiques !). J’ai essayé aussi de montrer la dilution des fondateurs avec le temps :

Sensirion-equity

et voici sa croissance des employés de Sensirion depuis sa création

Sensirion-employees

Sensirion est clairement une réussite, mais cela est-il si différent du modèle américain ? Il n’y a peut-être pas de VC, mais pour l’investisseur(s) privé(s), il est question d’un total de CHF13M avec une évaluation de CHF190M lors du dernier tour de financement. La croissance a été plus rapide que celle de nombreuses start-up soutenues par des VCs. Les investisseurs étaient peut-être plus patients et la sortie peut-être moins une priorité. Ceci reste très similaire à de nombreux start-up américaines… Mais Sensirion est souvent citée comme un exemple selon lequel les start-up n’auraient pas besoin de capital-risque (ou d’investisseurs). Il n’y a pourtant pas beaucoup de différence entre un investisseur privé et un VC (ou bien?!)

Maintenant, il est vrai que beaucoup des start-up du Top100 Suisse lèvent très peu d’argent avec des business angels, dans l’ordre de CHF1-2M. Récemment Jilion de l’EPFL a été acquis par Dailymotion pour un montant non divulgué et la presse locale mentionne que Jilion avait levé environ un million. Optotune à Zurich est un modèle similaire avec 200’000 élevés selon le registre du commerce. TechCrunch s’est inquiété du premier tour de BugBuster de seulement 1 million. Dacuda soulevée au sujet d’un million de trop à une évaluation de CHF7M . LiberoVision soulevé CHF200k avec Swisscom à une valeur de CHF2.5M avant d’être acheté pour environ CHF8M ( il aurait pu être plus avec bons côtés ). NetBreeze a été acquise par Microsoft après sensibilisation sur CHF5M d’un groupe d’investisseurs qui détenait 80 % de la société. Wuala a été acquis par LaCie 2 ans après sa création et il a été totalement auto-financé . Et la liste est presque sans fin .

Mais il y a aussi des entreprises à croissance rapide. Covagen, GlyxoVaxyn, GetYourGuide, InSphero, Molecular Partners, NEXThink, TypeSafe, UrTurn ont levé beaucoup d’argent avec les VCs. Et les gens qui qui pensent que la Suisse est essentiellement focalisée sur les start-up du médical verront qu’elle est beaucoup plus diversifiée …

Start-up Domaine Investissement Valorisaiton récente Investisseurs
Covagen Biotech 56M ND Gimv, Ventech, Rotschild
GetYourGuide Internet 16M 50M Highland
GlycoVaxyn Biotech 50M 37M Sofinnova, Index, Rotschild
InSphero Biotech 4M 16M Redalpine, ZKB
Molecular Partners Biotech 56M 115M Index, BB Biotech
Nexthink Logiciel 15M ND VI, Auriga
Sensirion Electronique 13M 190M ND
TypeSafe Logiciel 16M ND Greylock
UrTurn Internet 12M 36M Balderton

 

Et bien sûr les fondateurs sont dilués. Je ne vais pas donner la dilution individuelle mais l’illustrer de manière anonyme même si les données sont publiques.

Start-up Fondateurs Seed A B et suivants ESOP
1 9% 26% 65%
2 30% 33% 31% 6%
3 34% 32% 33%
4 40% 7% 12% 41%
5 43% 47% 10%
6 35% 11% 27% 28%


Je ne suis pas sûr, avec tous ces chiffres, que la Suisse soit bien différente qualitativement… je vais terminer en rappelant une interview de Daniel Borel, fondateur de Logitech: « La seule réponse que je puisse avancer c’est la différence culturelle entre les Etats-Unis et la Suisse. Lorsque nous avons créé Logitech, en tant qu’entrepreneurs suisses, nous avons dû jouer très tôt la carte de l’internationalisation. La technologie était suisse, mais les Etats-Unis, et plus tard le monde, ont défini notre marché, alors que la production est vite devenue asiatique. Je m’en voudrais de faire un schéma définitif parce que je pense que beaucoup de choses évoluent et que beaucoup de choses bien se font en Suisse. Mais il me semble qu’aux Etats-Unis, les gens sont davantage ouverts. Lorsque vous obtenez les fonds de Venture capitalists, automatiquement vous acceptez un actionnaire extérieur qui va vous aider à diriger votre société, et peut-être vous mettre à la porte. En Suisse, cette vision est assez peu acceptée: on préfère un petit gâteau que l’on contrôle complètement qu’un gros gâteau que l’on contrôle seulement à 10% ce qui peut être un facteur limitatif. »

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Cliquer sur l’image pour l’agrandir

Après Banksy à NYC, Space Invader à Lausanne

Un nouveau post qui n’a pas grand chose à voir avec mon sujet de prédilection, les start-up. Mais après avoir découvert les travaux de Banksy à New York, j’ai vu son film Exit Through the Gift Shop. Il y est question de Space-Invader, un autre « street artist », il semble apparaître brièvement dans le film. Et le lien entre toutes ces choses est que Space Invader s’est aussi produit à Lausanne où je travaille. J’ai cherché ses Invaders et le résultat est le pdf qui suit plus bas (Notez qu’il s’agit d’un document assez volumineux – 24Mb)

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Un Invader non identifié à Lausanne

Je suis loin d’être original en faisant cela. Par exemple Alain Hubler avait blogué sur le sujet en 2007 et il m’a aidé à trouver le dernier lieu qui me résistait (merci!) Je dois dire que je ne connais pas grand chose au Street Art. Mais cette chasse au trésor fut amusante.

Coincidence intéressante pour moi, Xavier Delaporte a eu une jolie chronique sur France Culture: Les nouvelles façons de marcher (avec nos outils numériques). Ceci en est un nouvel exemple!

Space Invader, tout comme Banksy et de nombreux autres artistes de rues, reste anonyme. Il a son propre site web, www.space-invaders.com. Il a aussi ses fans comme Monsieur Chat qui suit sa production à Paris et une multitude d’autres qui mettent des photographies sur la toile. Malheureusement, la majorité des oeuvres lausannoises a disparu, soit par destruction des bâtiments, soit volées et/ou remplacées par d’autres.

Il y a un deuxième artiste, Spaceramik, qui a mis sa propre video sur YouTube. La photo que j’ai placée plus haut pourrait n’appartenir à aucun des deux, d’où mon qualificatif « non-identifié ».

Dernier point, le lien vers les pdf :

PS: (Le 8 février 2014) Pierre Corajoud et les Space Invaders
Pierre Corajoud est célèbre à Lausanne pour la publication de très jolis petits livres sur des promenades autour de Lausanne. J’ai appris par Mirror Mosaic Man qu’il avait publié un livret sur Space Invader à Lausanne. Je remercie Pierre Corajoud ici à nouveau de m’avoir offer une copie de son livre parce que, malheureusement, de nombreuses oeuvres ont été détruites ou volées après sa publication et Corajoud a retiré son livre des librairies.

SpaceInvaders-Corajoud

PS. 24 décembre 2013, une année de street art en vidéo…

Les dilemmes du fondateur. La réponse est « ça dépend! »

Les Dilemmes du Fondateur est à la fois un livre fascinant et frustrant. Fascinant parce qu’il fournit des données très rares (et pour la plupart inconnues) sur les fondateurs et les start-up high-tech. Frustrant, car il fournit rarement des réponses aux dilemmes auxquels les fondateurs peuvent être confrontés. Il m’a fallu la lecture complète du livre pour enfin comprendre que la réponse Wasserman fournit est qu’il n’y a pas de meilleure solution pour un fondateur face à un problème, mais que s’il connaît toutes les situations possibles, il pourra mieux décider sur la base de sa propre motivation et … de sa personnalité. Alors, oui, elle ou il pourra décider, non pas sur des critères rationnels, mais plus en suivant ses inclinations personnelles !

TheFoundersDilemmas

La meilleure illustration de cela est Evan Williams, qui était l’un des fondateurs de Blogger, puis de Odeo (et puis, après que le livre a été conçu, de Twitter). Williams a eu un comportement très différent avec les deux start-up. Il était « orienté vers le contrôle » avec Blogger, embauchant des personnes dans son réseau proche, en prenant seulement de l’argent des amis et de la famille (et de son réseau) et en gardant le contrôle de la gestion au point de licencier tout le monde, y compris son ancienne co-fondatrice et petite amie. Avec Odeo, il eut d’abord une attitude « axée sur la prospérité », en prenant de l’argent VC et une stratégie de recrutement différente. Son inclinaison naturelle l’a cependant poussé à racheter la participation de ses investisseurs, car il avait besoin de contrôler sa start-up à nouveau.

Wasserman montre que les «3R» (relations, rôles et récompenses) sont des éléments clés pour les décisions concernant les principaux dilemmes auxquels les fondateurs peuvent être confrontés. Ces divers dilemmes sont classés selon les chapitres du livre : Carrière, en Solo ou en Equipe, Réseau proche ou étendu, Rôles, Compensations, Investisseurs, Succession. Wasserman explique (ou mieux dit décrit) les divers dilemmes des fondateurs lors des prises de décision et montre que leurs décisions sont très souvent dépendantes de leur motivation. Veulent-ils être Rois (motivé par le contrôle ou le pouvoir) ou Riches (motivé par la prospérité) ? Il le fait avec des anecdotes (pas toujours passionnantes et assez bien connues) et des statistiques (excellentes et pas très bien connues)

En résumé, je l’ai vu plus comme un livre pour les universitaires que pour les entrepreneurs et créateurs qui, apparemment, ne prendront pas de meilleures décisions après avoir lu ce livre, car ils seront entrainés par leurs motivations, pas par leur expérience ! Au moins, ils seront informés. Ce livre est aussi une autre illustration que la jeunesse et l’enthousiasme sont aussi importants que l’expérience et les comportements rationnels !

Une question intéressante traitée par Wasserman est la raison pour laquelle les individus décident de devenir des entrepreneurs, pensant souvent qu’ils deviendront riches alors que ce n’est pas le cas. Cela a à voir avec le contrôle et la richesse. Vous aurez besoin de lire Wasserman si vous voulez en savoir plus.

Voici quelques notes prises lors de la lecture. Le tableau suivant est probablement un élément essentiel du dilemme contrôle-vs-richesse.

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Table 1.2 (et 11.1) – Dilemmes Richesse-Contrôle

Wasserman a beaucoup de données des plus intéressantes et laissez-moi vous montrer un petit échantillon:
– Il n’y a pas de caractéristiques particulières pour devenir fondateur (âge, expérience, influences de l’enfance, personnalité, situation familiale, situation économique), mais les premières influences et les motivations naturelles semblent être importantes.
– A propos de l’âge, il a vu une grande variation avec une moyenne de 14 ans d’expérience de travail avant de devenir fondateur (supérieure en sciences de la vie). Il y a un groupe spécifique de fondateurs avec 0-4 ans d’expérience.
– Les principales motivations sont le contrôle ou la richesse, mais avoir un impact compte aussi.
– Wasserman montre de fortes différences liées au genre en corrélation avec l’âge. C’est une lecture incontournable mais trop longue pour être expliquée ici … quoi que…, je vais essayer [pages 33-35]

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– L’homogénéité ethnique a lieu 46 fois plus souvent que non (et encore 27 fois plus souvent pour contrôler les liens familiaux). Et elle diminue les risques de conflits, elles sont donc plus stables.

Taille des équipes de fondateurs
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Fonder avec ses amis …
– 40 % des équipes ont eu des relations professionnelles antérieures et 17 % des liens familiaux.
– Chacun de ces rapports a ajouté une probabilité de 30% de départ d’un fondateur.
– En résumé
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« Une amitié fondée sur l’entreprise peut être glorieuse, tandis qu’une entreprise construite sur l’amitié peut être meurtrière. » [Page 104]

Jobs et Wozniak sont un bon exemple : ils n’ont pas clarifié les questions cruciales et « il s’était payé un montant, il m’a dit avoir reçu un autre. Il n’a pas été honnête avec moi, et j’ai été blessé … Mais vous savez … il était mon meilleur ami, et je me sens très lié à lui. » Ils ont fini par se séparer. [Page 109]

À propos de la prise de décision : « Deux personnes au volant est la pire façon de conduire. Vous finissez par aller tout droit quand tourner à droite ou à gauche serait mieux. » Un argument en faveur de trois personnes plutôt que deux.

Le partage de l’equity entre fondateurs
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Compensation et sexe féminin

Il y a un écart beaucoup plus grand dans la prépondérance des femmes que dans leur rémunération. Seulement 10 % étaient niveau-C ou VP (17% en sciences de la vie ) et 3 % et 7% étaient respectivement CEO. Mais la compensation était de 5 % en dessous.

Investisseurs
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Sur les BAs (Business Angels) et VCs, Wasserman présente les dilemmes habituels. Dick Costolo sur le fait d’avoir trop de BAs : « C’était une recette pour le désastre. J’ai eu 13 personnes qui, maintenant qu’ils avaient 20’000 dollars investis, voulaient m’appeler et poser des questions sur […] requérant 45 minutes de temps du CEO alors qu’il devrait être aux commandes de l’entreprise ».

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Succession du CEO
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Conclusion

Wasserman mentionne étrangement ici : « Qu’est-ce que l’entrepreneuriat ? Une définition largement utilisée est un processus par lequel les individus poursuivent des opportunités sans tenir compte des ressources qu’ils contrôlent actuellement ». Cela semble un brin romantique , mais il y a un côté sombre : les fondateurs sont 60 fois plus susceptibles d’être limités dans leurs ressources que d’avoir toutes les ressources dont ils ont besoin. Le manque de ressources se cache derrière tous les dilemmes décrits. [Page 333]

Les fondateurs qui avaient gardé le contrôle avait une participation d’une valeur [moitié ] moindre que celle détenue par les fondateurs qui ont cédé à la fois le rôle de CEO et le contrôle du conseil d’administration.

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Il y a aussi des chemins hybrides, des compromis entre le contrôle et la richesse, en utilisant des solutions « de second rang » (embauche, investisseurs) mais Wasserman montre que c’est encore plus risqué. Des décisions cohérentes donnent une probabilité plus élevée de sortie désirée (soit le contrôle ou la richesse).

Donc, la réponse aux dilemmes est « ça dépend ». Soyez informés sur les options et cohérent dans vos choix !

Wasserman ouvre enfin de nouvelles pistes de recherche :
– Qui sont ces animaux spéciaux qui obtiennent à la fois le contrôle et la richesse (Gates, Ellison , Jobs 2.0 … )?
– Les entrepreneurs en série : ils reçoivent de plus grandes participations, restent plus longtemps CEO, négocient de meilleures conditions d’investissement et ont peut-être plus de succès. Vraiment? ! (cf Les serial entrepreneurs sont-ils meilleurs?)
– Combien de fois un fondateur (orienté contrôle) est-il en mesure de vendre une start-up dont il est propriétaire à 100 %, pour 5 millions de dollars et à quelle fréquence un fondateur (orienté richess) est-il en mesure de vendre pour 100 millions de dollars une société dont il détient 5 %
– Wasserman est conscient que tout cela est spécifique à la haute technologie et aux États-Unis. Qu’en est-il en dehors de ce périmètre?

« Tout modèle honnête d’un phénomène humain complexe doit reconnaître de nombreuses inconnues »

J’ai l’intention de revenir sur les Dilemmes du Fondateur avec un regard sur la situation récente de start-up suisses…

Les licornes de la Silicon Valley sur une carte

Il y a vingt ans, j’adorai les cartes des entreprises de la Silicon Valley qui étaient été régulièrement imprimées. Vous pouviez voir la densité des start-up célèbres basées à Santa Clara, San Jose, Cupertino, Mountain View, Redwood City ou Palo Alto, des villes qui seraient inconnues et sans intérêt en dehors du monde de la technologie. Jetez un œil à quelques exemples à la fin de cet article.

En jouant avec les aventures de Banksy à New York, j’ai utilisé Google pour bâtir une carte personnalisée. Et quelques jours plus tard, j’ai pensé à faire la même chose pour les licornes de la Silicon Valley. Rappelez-vous que les licornes sont les rares entreprises qui atteignent une valeur de 1 milliard $. Selon le SV150 2013, il y a 94 telles sociétés cotées en bourse. Trop pour une carte interactive. J’ai donc fait l’exercice avec les sociétés valant plus de $10B + entreprises (j’en ai trouvé 23 avec leurs racines dans la Silicon Valley).

Le choix de la capitalisation boursière est discutable. J’aurais pu prendre les ventes ou les bénéfices. Des entreprises telles que Electronic Arts, Juniper, Xilinx, AMD, nVidia seraient apparues mais le groupe aurait été similaire. J’ai dû choisir choisir. Vous pouvez ouvrir directement la carte dans Google Maps pour une meilleure interface.


Vous pouvez voir les entreprises de technologie de la Silicon Valley sur une carte plus grande.

Là encore, il y a quelque chose de fascinant à propos de cette densité. Les gens prétendent que le centre de gravité de la région se déplace au nord vers San Francisco en raison du web 2.0. Cela reste à voir sur le long terme …

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Mythes et réalités de l’innovation Suisse.

Xavier Comtesse vient de publier un excellent rapport intitulé La santé de l’innovation suisse – Pistes pour son renforcement, dont il fait un résumé sur son blog, L’innovation en Suisse: c’est d’abord le domaine de la Santé! Il s’agit d’un rapport très intéressant et stimulant pour moi car il « démontre » que la Silicon Valley n’est pas et ne doit pas être un modèle pour l’innovation en Suisse: dans son introduction il affirme que « le succès de la Suisse dans ce domaine reste largement et pour beaucoup de gens une énigme, et ceci d’autant plus que le seul modèle réellement connu et étudié est celui de la Silicon Valley et qu’il ne correspond pas, comme nous allons le démontrer, à celui de la Suisse. Bien que ce modèle californien ait fait l’envie de tous, il semblerait n’avoir été finalement copié intégralement par personne. »

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Mais comme Comtesse est un peu « Contrarien » (comme je le suis d’ailleurs – mes amis me reprochent souvent de débattre avec moi même!), il ne peut se satisfaire de la bonne santé de l’innovation suisse. « Aussitôt que les lignes de force du modèle suisse se dégageront, on verra aussi apparaître ses faiblesses. Cela nous permettra de proposer des modifications à la situation actuelle pour une évolution réussie au futur. »

Il commence par montrer la force de la R&D issue du privé – 75% des 16 milliards dépensés en Suisse. Il ajoute que Roche et Novartis dans la pharma représentent une grande part de cette somme (environ 30% de toute la R&D Suisse) et investissent plus encore à l’étranger.

Un premier point de divergence, la R&D n’est pas l’innovation… En simplifiant, l’innovation c’est la création, plus proche de l’entrepreneuriat que de la R&D. Apple a toujours innové bien mieux et plus que d’autres entreprises, mais sa part de R&D est cependant très faible.

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(Cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Il compare alors la Silicon Valley et la Suisse: « la Silicon Valley encourage massivement l’émergence de nouveaux acteurs (start-up) dans le domaine des technologies de l’information et de la communication (TIC) tandis que le modèle suisse favorise plutôt les grandes entreprises historiques du domaine de la santé. » [page 20] et même [page 25] « la Silicon Valley a choisi délibérément les nouvelles technologies de l’information, de la communication et des télécommunications (dont Internet) comme axe innovant de son développement. » en concluant « On peut dire que la Suisse est à la santé ce que la Silicon Valley est aux TIC. »

Un second point de divergence, la Silicon Valley n’est pas la Mecque des TIC, mais celle de l’entrepreneuriat high-tech. Ainsi Genentech et Chiron furent des leaders de la biotech avant d’être rachetés par Roche et Novartis respectivement. Intuitive Surgical est un leader des technologies médicales, Tesla Motors pourrait devenir un grand acteur de l’industrie automobiles et il y a des centaines d’autres start-up dans les domaines de l’énergie (massivement financées par des fonds tels que Khosla ou KP), des technologies propres ou de la santé. De plus la Silicon Valley a elle aussi de grandes entreprises établies comme HP ou Intel qui ne sont plus des start-up.

Comtesse pense que la Suisse est moins fragile. « Aussi étonnant que cela puisse paraître, le modèle suisse est plus robuste et plus performant sur le long terme que celui de la Silicon Valley, car il est moins dépendant des rivalités planétaires comme la Silicon Valley peut l’être sous la menace de la Corée, de la Chine ou de toute autre région du monde. La Suisse l’est moins car le ticket d’entrée, dans le domaine de la santé, à savoir les investissements colossaux à réunir pour la formation supérieure, les hôpitaux universitaires, les centres de recherches, la création d’entreprises produisant des blockbusters (des produits atteignant le milliard de chiffres) est tellement élevé pour figurer parmi les régions qui comptent que peu de régions peuvent rivaliser sur ce terrain. »

Troisième point de désaccord: je ne vois pas bien en quoi la Corée (à travers Samsung et LG) devenue en effet une menace pour la Silicon Valley ne pourrait pas l’être dans le domaine de la santé. Les investissements dans l’électronique ou la téléphonie furent eux aussi colossaux. De plus la réticence des pays émergents face à la protection intellectuelle (brevets) sur les médicaments et l’émergence de fabricants de produits génériques me semble tout aussi déstabilisante.

Enfin Comtesse décrit aussi les faiblesses de la Suisse: « Mais la question à laquelle aucun politicien n’a voulu vraiment répondre était celle du manque de bons projets. Si l’on pose cette question la réponse n’est évidemment pas la constitution de parcs scientifiques ou technologiques, ni même le transfert technologique, et encore moins le coaching. C’est bien la créativité qui fait défaut. Comment faire pour que les Suisse et en particulier les jeunes issus des grandes écoles soient plus créatifs? » Neil Rimer, associé de Index Ventures dit des choses similaires: «Il y a de l’innovation en Suisse, mais peu d’entrepreneurs prêts à conquérir le monde» et « Pour attirer […], il faut une masse critique de start-up afin qu’il y ait d’autres options envisageables en cas d’échec. […] La Suisse et ses cantons cherchent à attirer des entreprises traditionnelles ou les centres administratifs de grandes sociétés. […] Mon grand souhait serait que les autorités encouragent la création de postes d’ingénieurs, de designers, de marqueteurs et de managers. C’est ainsi que nous attirerons une masse critique de professionnels capables de créer et de faire grandir les start-up en Suisse. » (Cf L’innovation en Suisse d’après Neil Rimer).

Notez la nuance. Neil Rimer ne parle pas de bons ou mauvais projets, mais d’ambition. Il disait même sur ce blog il y a quelques mois: « Je continue à être sidéré par le propos qu’il n’y a pas suffisamment d’aide en Suisse pour les projets ambitieux. Nous, et d’autres investisseurs européens sommes perpétuellement à la recherche de projets d’envergure mondiale émanant de la Suisse. A mon avis, il y a trop de projets manquant d’ambition soutenus artificiellement par des organes— qui eux aussi manquent d’ambition— qui donne l’impression qu’il y a suffisamment d’activité entrepreneuriale en Suisse. »

Comtesse revient alors sur le rôle de l’état en distinguant innovation incrémentale et innovation de rupture. « En effet ce qui compte pour une nation, c’est sa capacité globale d’innovation et notamment aussi, celle de rupture. Mais si l’État ne prend pas tous les risques, alors personne ne le fera à sa place. C’est pourquoi, il est urgent de donner de nouvelles instructions ou guidelines à la CTI. Financer l’incrémental ne devrait plus être sa tâche, ou alors seulement de manière marginale. » [Page 27] « La Commission pour la technologie et l’innovation (CTI) a tendance à soutenir des projets d’innovation incrémentale peu risqués et facile à mettre en œuvre. Ces derniers devraient être l’apanage des entreprises, et ne devraient donc pas bénéficier du soutien des pouvoirs publics. Tout au contraire, l’innovation de rupture à l’image de la recherche fondamentale devrait être largement l’affaire des pouvoirs publics. » [page 30] « Ainsi d’un côté notre système d’innovation est porté par les grandes entreprises, et de l’autre, les PME bien qu’innovantes, n’atteignent pas une masse critique suffisante pour faire souvent la différence. L’idée serait non plus de financer des projets isolés comme le fait en général la CTI, mais des programmes multipartenaires avec à leur tête l’une ou l’autre des grandes entreprises suisses. » [Page 28] « Cette approche n’interdit pas l’éclosion de nouvelles start-up mais ces dernières seraient placées sous l’aile protectrice de moyennes et de grandes entreprises suisses. Cela éviterait que les entreprises naissantes soient d’emblée vendues aux Américains (phénomène dit «born to be sold») ou qu’elles n’arrivent jamais à grandir. Il faut rappeler que plus de 80 % de nos start-up ne périssent pas dans les 7 ans alors que le taux «normal» est de 50 % (on pourrait ainsi dire que le «never die» est un autre phénomène suisse). » [page 31]

Je suis en accord avec lui sur le constat, moins sur les solutions à apporter. Je trouve intéressante la réflexion sur la priorité à donner à l’innovation de rupture par la puisse publique. Je retrouve là l’excellente analyse de Mariana Mazzucato sur l’Etat entrepreneurial. Je resterai beaucoup plus prudent sur l’idée de consortium de grandes entreprises pour développer et protéger nos start-up. Je comprends la volonté de diminuer le risque de la vente, mais je ne crois pas trop au réalisme du concept. Quel véritable entrepreneur souhaite être protégé, voire contrôlé par un grand frère même s’il est bienveillant… J’ai aussi quelques doutes sur la capacité et l’envie entrepreneuriale des grands groupes.

Par une espère de tour de passe-passe, Comtesse ajoute l’idée d’un crédit d’impôt innovation pour les entreprises. « Le système fiscal suisse ne prévoit pas explicitement d’encouragements destinés aux entreprises qui font de la R&D. La solution la plus simple reste le crédit d’impôt pour l’innovation qui consisterait, selon différentes modalités, d’alléger la charge d’impôts pour les entreprises concernant leurs dépenses pour l’innovation. De nombreux grands pays (États-Unis, Canada, Angleterre, Espagne et France) ont déjà mis en place un tel instrument. Il ne s’agit cependant pas d’encourager tel ou tel secteur par cet outil mais de créer plutôt une émulation à long terme pour l’innovation dans le pays. Ce dispositif doit donner aux entreprises, notamment aux PME, plus de liberté de manœuvre face aux processus d’innovation. » (voir le blog de Comtesse). »

Là je peux parle de désaccord complet. Lisez aussi mon analyse sur Mazzucato qui dénonce l’optimisation fiscale en la matière. Je n’ai jamais cru à l’incitation fiscale et je peux me tromper. Je comprends la plus grande efficacité de l’approche, mais je crois qu’il y a plus d’effets pervers que de résultats positifs. Il suffit de regarder la situation dramatique de la fiscalité américaine des grands groupes de technologie.

Malgré mes critiques, ce rapport est excellent. Comme tous les Contrariens, je focalise plus sur les désaccords mais il y a dans cette analyse des points passionants à approfondir sur les mythes et réalités de l’innovation suisse. Simple rappel pour finir. Comtesse a publié il y a quelques mois une présentation Prezi sur le même sujet, vous pouvez en lire mes commentaires sur Le modèle de l’innovation suisse: est-il le meilleur?

Les promesses de la technologie. Décevantes ?

Après avoir lu l’excellent article du New Yorker sur la Silicon Valley et la politique, j’ai cherché «Silicon Valley» sur le site web du magazine et j’ai trouvé deux articles aux points de vue contrastés:

NewYorker-2000

– Le premièr est un peu une sorte d’introduction à mon post précédent, il a aussi été écrit par George Packer (clairement un grand écrivain, et perspicace) en 2011 et fait un riche portrait de Peter Thiel, le célèbre entrepreneur et investisseur libertarien : No Death, No taxes (Ni mort, ni impôt – le futurisme libertaire d’un milliardaire de la Silicon Valley).
– Le second est beaucoup plus ancien et concerne les premiers jours de Google et de la recherche sur Internet: Search and Deploy par Michael Specter .

Ils sont un peu contradictoires, car le second est optimiste quant à ce que la technologie peut résoudre (Google a signaficativeemnt amélioré notre accès à la connaissance) alors que Packer montre le pessimisme de Thiel quant aux apports de la technologie, même s’il a (toujours) beaucoup d’espoir en elle. En fait, comme je l’ai mentionné dans l’article précédent à propos de la SV et de la politique, il appartient au groupe de personnes qui se méfient de la politique au point qu’il croit que la technologie peut / doit être l’alternative.

Laissez-moi commencer par le premier article, l’optimiste: en 2000, Google était déjà considéré comme le vainqueur de la recherche sur Internet (même si Google n’avait pas mis en œuvre son modèle d’affaires): Google avait la meilleure solution pour nos problèmes de recherche sur Internet. Page et Brin l’ont fait en trouvant un meilleur algorithme mathématique, le système de PageRank basé sur la popularité et la fréquence des références des pages Web. Drôle d’effet secondaire, Google avait moins de demandes que les autres sites sur le sujet de la pornographie: « Environ dix pour cent des requêtes Google concernent la pornographie. Ce chiffre est inférieur à celui de la plupart des autres moteurs de recherche. Cela reflète la démographie des personnes qui utilisent le moteur de recherche, mais peut-être cela démontre aussi l’un des défauts évidents de Google : les sites pornographiques sont recherchés par des millions d’utilisateurs d’Internet, mais sont rarement liés à des pages Web de premier plan. Sans liens, même la page la plus populaire est invisible. »

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Le credo de la société de capital-risque de Thiel : « Nous voulions des voitures volantes, à la place nous avons eu 140 caractères. » Photographie de Robert Maxwell.

Il est connu que Thiel a été déçu par l’innovation high-tech. Il suffit de relire mon post de 2010, La technologie, notre salut. Je pense que vous devriez lire l’article de Packer si vous avez aimé (ou même si vous n’avez pas) Changer le monde. Les deux articles montrent la puissance et les limites de ces personnes visionnaires et leur vision parfois effrayante de la technologie face à la politique. Il y a quelque chose du « 2001, l’Odyssée de l’espace » de Kubrick dans tout cela. Packer montre avec brio la nature étrange de ces personnes (une forte concentration de syndromes d’Asperger et de dyslexiques – apparemment deux caractéristiques plutôt répandue chez entrepreneurs). Voici quelques extraits de l’article. J’espère vous donner envie de le lire en entier.

« Thiel estime que l’éducation est la prochaine bulle de l’économie américaine. Il a comparé les administrateurs universitaires aux courtiers des subprimes, et a appelé les diplômés endettés les derniers travailleurs sous contrat du monde développé, incapables de se libérer, même par la faillite. Nulle part la complaisance aveugle de l’establishement n’est plus évidente que dans son attitude bovine envers les diplômes universitaires: tant que mon enfant va dans la bonne école, la mobilité ascendante va se poursuivre. Une formation universitaire est devenue une police d’assurance tout risque extrêmement coûteuse, selon Thiel qui estime de plus que la véritable innovation est au point mort. Au milieu de la stagnation économique, l’éducation est devenue un jeu de statut, «purement positionnel et extrêmement découplé» de la question de son bénéfice pour l’individu et la société. Il est facile de critiquer l’enseignement supérieur de surcharger les étudiants d’années d’endettement, ce qui peut les contraindre au carriérisme, dans le droit ou la finance, qu’ils n’auraient peut-être pas choisi dans d’autres circonstances. Et un diplôme universitaire est devenu une passeport incontournable dans une société de plus en plus stratifiée. Mais Thiel va beaucoup plus loin: il critique l’idée que l’université serait un lieu de riche activité intellectuelle. Une orientation vers les sciences humaines lui paraît être un choix particulièrement malavisé, car elle conduit souvent aux choix par défaut de l’école de droit. Les sciences lui semblent presque aussi douteuses, peu ambitieuses et étroites, tiraillées par des luttes internes plutôt que par la recherche de pointe. Et pire encore, l’université n’apprend rien sur l’entrepreneuriat. Thiel pense que les jeunes, surtout les plus talentueux, devraient très tôt avoir des objectifs dans leur vie, et il favorise un objectif en particulier: le démarrage d’une entreprise de technologie ».

Toujours en accord avec ses pensées, « il a eu l’idée de donner des bourses à des jeunes gens brillants qui abandonneraient leurs études lancer leur propre start-up. Thiel agit rapidement: le lendemain, à TechCrunch Disrupt, une conférence annuelle à San Francisco , il a annoncé les bourses Thiel: vingt-deux soutiens d’une année, de cent mille dollars chacun, à des personnes de moins de vingt ans. Le programme a fait la une des journaux et des critiques ont accusé Thiel de corruption de la jeunesse en les poussant vers l’appât du gain tout en arrêtant leurs études. Il a souligné que les gagnants puourront retourner à l’école à la fin de la bourse. Cela est vrai, mais aussi un peu malhonnête. Une part non négligeable de son objectif était de gêner les meilleures universités et de dérober une partie de leur meilleurs éléments. »

Je ne suis pas sûr que je le suis trop (je suis trop normal), par exemple dans sa quête de l’immortalité, mais je comprends beaucoup de ses visions. Il est autant un rêveur qu’un homme d’action, son fonds a eu des résultats mitigés, mais il est avec Elon Musk (un de ses ses co-fondateurs de PayPal) parmi les personnes qui poussent à « essayer » à l’extrème sans avoir peur d’échouer.

La Silicon Valley et la politique – Changer le monde

Mon collègue Andrea vient de me mentionner cet article exceptionnel sur la Silicon Valley et son manque d’intérêt, pour ne pas dire sa méfiance, de la politique. Il a été publié dans le New Yorker en mai 2013 et est intitulé: Changer le monde – la Silicon Valley transfère ses slogans et son argent vers la sphère de la politique de George Packer (voici le lien vers l’article du New Yorker).

130527_r23561_p233« Dans la Silicon Valley, le gouvernement est considéré comme lent, composé de médiocres, et criblé de règles obsolètes et inefficaces. » Illustration de Istvan Banyai.

Tout cela n’est pas si éloigné d’un post récent que j’ai publié : Les péchés capitaux de la Silicon Valley. L’analyse des George Packer est cependant bien plus profonde et subtile et tout à fait fascinante. Je ne vais pas analyser l’article, vous devez le lire, même si c’est un long article, et pour vous y vous encourager, en voici cinq extraits rapidement traduits:

– « Quand ils parlent de la raison pour laquelle ils ont lancé leur entreprise, les gens dans la high-tech ont tendance à parler de changer le monde « , commente M. Green. « Je pense que c’est réellement sincère. Mais d’autre part, ces gens sont tellement déconnectés de la politique. En partie parce que les principes de fonctionnement de la politique et les principes de fonctionnement de la technologie sont complètement différents. » Alors que la politique est transactionnelle et opaque, basée sur des hiérarchies et des poignées de main, explique M. Green, la technologie est empirique et souvent transparente, basée sur les données.

– Morozov , qui est âgé de vingt-neuf ans et a grandi dans une ville minière en Biélorussie, est le plus féroce critique de l’optimisme technologique en Amérique. Il démonte sans relâche la langue de ses adeptes . « Ils veulent être ouvert, ils veulent être perturbateurs, ils veulent innover » m’a dit Morozov. « L’objectif avoué est, à bien des égards, le contraire de l’égalité et de la justice. Ils pensent que tout ce qui vous aide à contourner les institutions est, par principe, responsabilisant ou libérateur. Vous pourriez ne pas être en mesure de payer pour les soins de santé ou votre assurance, mais si vous avez une application sur votre téléphone qui vous alerte sur le fait que vous avez besoin de faire plus d’exercice ou que vous ne mangez pas assez sainement, ils pensent qu’ils résolvent le problème. »

– Un système de « production par les pairs » pourrait être moins égalitaire que ces vieilles bureaucraties méprisées, dans lesquelles « une personne pouvait obtenir les points d’entrée appropriés et ainsi acquérir une place socialement qu’elle vienne d’une famille riche ou pauvre, d’une famille instruite ou ignorante. » Autrement dit, « les réseaux de pairs » pourraient restaurer la primauté de « formes de capital à base de classe et purement sociales » et nous renvoyer à une société où ce qui importe vraiment, c’est qui vous connaissez, pas ce que vous pourriez accomplir. (…) La Silicon Valley est peut-être la seule région où les Américains n’aiment pas reconnaître le fait qu’ils viennent de milieux modestes. Selon Kapor, ils auraient alors à admettre que quelqu’un les a aidés en cours de route, ce qui va à l’encontre de l’image de soi de la Vallée.

– « Il y a cette attitude pleine de conneries, cette attitude ridicule ici, selon laquelle si quelque chose est nouveau et différent, ce doit être vraiment bien, et qu’il doit toujours y avoir une nouvelle façon de résoudre les problèmes qui dépasse les anciennes limitations, les potins de blocage. Et avec un soupçon du genre « Nous sommes plus intelligents que tout le monde ». C’est non-sens total. »

– « C’est l’une des choses dont personne ne parle dans la vallée, » m’a dit Marc Andreessen. Essayer de lancer une start-up est «absolument terrifiant. Tout est contre vous. » Beaucoup de jeunes s’éteignent sous la pression. Comme capital-risqueur, il voit plus de trois mille personnes par an et finance seulement vingt d’entre eux. «Notre travail quotidien est de dire non aux entrepreneurs et de tuer leurs rêves » ajoute-t-il. Pendant ce temps, « chaque entrepreneur doit prétendre dans toutes ses interactions que tout va bien. A chaque soirée où vous allez, à chaque recruteur, à chaque entrevue. il faut dire « Oh , c’est fantastique! » mais à l’intérieur, votre âme vient d’être disloquée, non? C’est un peu « tout le monde vit dans le meilleur des mondes. »

Quelques enseignements des start-up valant un milliard: licornes, super-licornes et cygnes noirs

Quelques collègues m’ont mentionné Welcome To The Unicorn Club: Learning From Billion-Dollar Startups de Aileen Lee. Je comprends pourquoi. L’article est étroitement lié à certains de mes principaux centres d’intérêt : croissance des start-up et dynamique des entrepreneurs. Aileen Lee a analysé les start-up dans le domaine du logiciel et de l’internet qui ont atteint le milliard de dollars de valorisation tout en ayant été fondées ces dix dernières années. Elle les appelle des licornes, alors que les super-licornes sont les entreprises qui ont atteint une valeur 100 milliards de dollars !

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Tout cela me rappelle mon analyse des 2700 start-up liées à Stanford. Vous pouvez consulter Les serial entrepreneurs sont-ils meilleurs? ainsi que Croissance et profits et dans une moindre mesure le lien entre l’âge et la création de valeur dans Y a t-il un âge idéal pour créer?

Aileen Lee a obtenu des résultats intéressants :
– Sur plus de 10.000 entreprises créées par an, il y a 4 licornes par an (39 dans la dernière décennie – soit .07 % du total) et environ 1 à 3 super-licornes par décennie,
– elles ont levé plus de 100 millions de dollars auprès de leurs investisseurs (plus de 300 millions de dollars pour les start-up « B2C »). Elles peuvent avoir été maigres (cf le mouvement lean start-up) à leurs débuts , mais elles grossissent rapidement!
– il faut plus de 7 ans pour une sortie,
– les fondateurs ont une moyenne d’âge de 34 ans,
– ils ont 3 co-fondateurs en moyenne avec une longue expérience ensemble, souvent datant des années d’étude,
– 75% des PDG fondateurs dirigent la société à une sortie,
– ils sont souvent diplômés d’universités prestigieuses (1/3 vient de Stanford),
– Le « Pivot » (un changement radical de stratégie à un moment de la vie de la start-up) est une exception.

J’ai trouvé cet article intéressant, important et j’ai même ressenti de l’empathie et laissez-moi vous dire pourquoi. On a une certaine tendance à sous-estimer l’importance de la croissance hyper-forte et hyper-rapide. La croissance est extrêmement importante pour les start-up. Atteindre 100 millions de dollars de valeur est un succès. En regardant le petit groupe qui atteint le milliard de dollars et 100 milliards de dollars est intéressant. Vous avez besoin d’argent pour cela (des VCs), vous n’avez pas besoin de beaucoup d’expérience, mais vous devez avoir la confiance des co-fondateurs. Les fondateurs de super-licornes semblent être les explorateurs de territoires inconnus. Il y faut de la passion et des moyens.

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Sur ces licornes, j’ai fait une analyse similaire dans « Y a t-il un âge idéal pour créer? » J’ai aussi un âge moyen de 34 pour la 1ère expérience start-up de tous les fondateurs, et en ce qui concerne les super-licornes que j’appelle cygnes noirs (les événements totalement imprévisibles selon Taleb), j’ai identifié 10 super-licornes (voir ci-dessous) et il y a une à quatre par décennie depuis les années 60. L’âge moyen des fondateurs est 28 et même 27 si je compte le 1ère expérience.

[Mes cygnes noirs – Ancêtre: HP (1939); Années 60: Intel (1968); 70: Microsoft ( 1975), Oracle (1976), Genentech (1976), Apple (1977); 80: Cisco (1984); 90: Amazon (1994), Google (1998); 00: Facebook (2004).
Age des fondateurs – HP: Hewlett et Packard (27) – Intel: Noyce (41) et Moore (39) (mais ils avaient fondé Fairchild 11 ans plus tôt). Andy Grove avait 32 ans – Microsoft: Gates (20) et Allen (22) – Oracle: Ellison (33) – Genentech: Swanson (29) et Boyer (40) – Apple: Jobs (21) et Wozniak (26) – Cisco: Lerner et Bosack (29) – Amazon: Bezos (30) – Google: Brin et Page (25) – Facebook: Zuckerberg (20) – son cofondateur avait 22 ans].

Voici maintenant quelques données et statistiques sur les entreprises liées à Stanford. Vous pouvez consulter une présentation récente puis mes statistiques sur les licornes.

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Analyse des licornes liées à Stanford

Stanford unicorns by decade

Stanford unicorns by field

Il y a 3 super-licornes dans ce groupe (HP, Cisco et Google). Sur 2700 start-up, il y a 97 licornes, ce qui est un énorme 3% ! Cela signifie probablement que mon échantillon n’est pas exhaustif! En effet, le professeur Eesley estime que 39’900 entreprises actives peuvent trouver leurs racines à Stanford. Cela signifie désormais 0.2%. Maintenant, ce sont de vraies sorties tandis que Lee inclut des sociétés privées sans sortie, avec une valorisation fournie par leurs investisseurs. Quel que soit ce pourcentage, les licornes sont rares. Les miennes sont moins grasses que celles de Lee: elles lèvent $30M avec les VCs.

J’ai moins de 2 fondateurs liés à Stanford par entreprise (mais je ne compte pas ceux sans lien à Stanford). Cela confirme le commentaire de Lee que de nombreux fondateurs ont des liens qui datent de l’école. Il faut 8 ans pour une sortie (moins au cours des dernières années toutefois) et 7 ans pour décider de fonder une entreprise .

Le concept de licornes et la création de grande valeur sont intéressants pour ne pas dire un sujet important. Des valorisations de un milliard de dollars ne sont pas seulement des événements rares; elles nous disent quelque chose à propos de l’impact de l’innovation high-tech et de l’esprit d’entreprise . Ils sont possibles et souhaitables !

De la Silicon Valley à Bangalore en passant par Israël : les modèles de technopôles

Ce ne fut pas exactement le titre de l’émission de France Culuture, Culturesmonde, mais bien La fabrique de l’innovation : un monde en mutation (1/4) – De Bangalore à la Silicon Valley : les modèles de technopôles. L’invité, Stéphane Distinguin, y a fait une excellente synthèse des ingrédients qui ont fait le succès de la Silicon Valley.

Culturemonde

Voilà ce que j’ai retenu:
– la Silicon Valley (SV) reste le modèle incontournable des écosystèmes innovants. L’émission aurait pu s’intituler Le soleil se lève à l’Ouest à San Francisco;
– la Silicon Valley a inventé la start-up comme nouvelle manière d’entreprendre: non pas une PME; mais une jeune entreprise à très forte croissance,
– même lorsqu’elle est en retard pour inventer (comme ce fut le cas pour le mobile), la région a une flexibilité pour devenir leader de l’innovation. Le GSM vient plutôt de France et de Finlande, mais Apple est devenu un leader incontesté depuis 2007 et Nokia disparait. La SV pourrait bien faire la même chose dans d’autres domaines (énergie, transport).
– il n’y eut pas de véritable politique d’innovation; ce fut plutôt la rencontre improbable du militaire (qui a financé la recherche avec des ressources formidables) et de la contre-culture. Distinguin insiste avec raison sur cet aspect assez peu connu en donnant l’example de l’usage fréquent dans sa jeunesse de LSD par Steve Jobs. (Vous pouvez relire mes récents posts Les péchés capitaux de la Silicon Valley et Steve Jobs par Walter Isaacson.) Distingin m’a donné envie de lire From Counterculture to Cyberculture
– les universités (Stanford, Berkeley) ont eu un rôle considérable, au moins d’attraction des talents (en commençant par Hewlett et Packard) dés 1939;
– on fait confiance à la jeunesse; cela ne vaut pas dire qu’on fait du jeunisme mais cela veut dire que la jeunesse est un atout (voir mes posts sur l’âge des fondateurs)
– on fait aussi confiance aux migrants (indiens, chinois, mais aussi français) qui sont très nombreux aux plus hauts postes des start-up,
– contrairement aux attaques de Vivek Wadhwa, Distinguin indique qu’il y a beaucoup plus de diversité qu’on croit dans la SV. Pas seulement celle à laquelle on pense, je veux dire les minorités, mais les personnalités inhabituelles (dyslexies, syndrome d’asperger) sont très recherchées… (J’avais lu en effet que Ellison et Branson seraient dyslexiques – à vérifier)
– malgré une concurrence féroce, l’innovation n’est pas basée sur le secret. On échange dans la SV. On crée des normes et des standards. Puis on file dans son Garage pour aller plus vite que le voisin.

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La description de Bengalore et d’Israël fut un peu moins intéressante. On y retrouve toutefois des éléments similaires: confiance en la jeunesse, prise de risque (on explore, on teste), l’importance du financement militaire pour Israël – voir à ce sujet l’excellent la Nation Start-up.

Dernière remarque de Distinguin: les risques systémiques auxquels font face la Silicon Valley (i.e. les tremblements de terre) et Israël (i.e. la guerre quasi-permanente avec ses voisins) expliquent peut-être en partie cette capacité d’innovation. Je voyais plutôt l’optimisme originel du pionnier, mais après tout, la conscience que l’on peut mourir demain est peut-être de même nature… Aucun doute, Jobs avait raison: « Stay Hungry, Staty Foolish! »

Vous ne serez pas surpris que j’ai d’autant plus apprécié les messages que je me reconnais dans cette description de la Silicon Valley. Si vous n’en n’étiez pas encore convaincu, les slides 21, 22, 27, 29, puis 57, 58, 59 de mon long résumé sur la Silicon Valley dans Plus de contenu ont des messages similaires de même que le bref résumé qui suit.