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Quand Peter Thiel et ses amis parlent des start-up – partie 3: culture, fondateurs, équipes, investisseurs

La troisième partie de ma série de commentaires sur les notes de cours de Thiel à Stanford couvrent principalement ses classes 5-8. Mais d’abord je dois ajouter que Thiel a invité un « hall of fame » d’innovateurs au cours de ses 19 classes. Tout à fait fascinant!

Thiel-Friends-CS1ère ligne: Stephen Cohen, co-founder et executive VP – Palantir Technologies,
Max Levchin, co-fondateur -PayPal et Slide,
Roelof Botha, partner – Sequoia Capital et ancien CFO de PayPal,
2ème ligne: Paul Graham, co-fondateur – Y Combinator,
Bruce Gibney, partner – Founders Fund,
Marc Andreessen, general partner – Andreessen Horowitz,
3ème ligne: Reid Hoffman, co-fondateur – LinkedIn,
Danielle Fong, co-fondateur et Chief Scientist – LightSail Energy,
Jon Hollander, Business Development at RoboteX,
4ème ligne: Greg Smirin, COO – The Climate Corporation,
Scott Nolan, principal – Founders Fund et ex-SpaceX,
(Elon Musk devait venir, mais été occupé au lancement de fusée),
5ème ligne: Brian Slingerland. co-fondateur & COO – Stem CentRx,
Balaji S. Srinivasan, CTO – Counsyl,
Brian Frezza, co-fondateur – Emerald Therapeutics,
6ème ligne: D. Scott Brown, co-fondateur Vicarious,
Eric Jonas, CEO – Prior Knowledge,
Bob McGrew, Director Eng. – Palantir,
7ème ligne: Sonia Arrison, Associate Founder – Singularity University,
Michael Vassar, Singularity Institute for the study of Artificial Intelligence (SIAI),
Aubrey de Grey, Chief Science – SENS Foundation.

Thiel aborde dans ces nouvelles leçons la manière de bâtir une start-up depuis les idées et grâce à la vision des fondateurs, en cosntruisant une équipe en faisant parfois appel au financement d’investisseurs. Mais il a d’avord commencé par un concept essentiel même s’il est flou, la culture d’entreprise : « Une culture d’entreprise robuste est celle dans laquelle les gens ont quelque chose en commun et se reconnaissent si bien qu’elle les distingue assez nettement de reste du monde. »

Il mentionne certaines dimensions importantes de cette culture:
– Consultant nihiliste ou dogmatisme sectaire : « Vous voulez être quelque part au milieu de ce spectre . Dans la mesure où vous graviter vers l’extrême, vous voulez probablement être plus près d’être une secte que d’être une armée de consultants ». ce qui pourrait être la raison pour laquelle Thiel a dit plus tôt que
pre-money évaluation = ($1M * n_engineers) – ($500k * n_MBAs).
– Lutte ou ne pas se battre (nerds ou athlètes ou encore jeu à somme nulle et jeu à somme non nulle). « Donc vous devez trouver le juste équilibre entre les nerds et les athlètes. Aucun extrême n’est optimal. Considérons une matrice 2 x 2. Sur l’axe des y, vous avez des gens à somme nulle et des gens à somme non nulle. Sur l’axe des x des combattants, des environnements concurrentiels et puis vous avez des environnements paisibles, monopoles capitalistes. » L’endroit optimal de la matrice est le capitalisme monopolistique avec une combinaison adaptée de gens à somme nulle et à somme non nulle. Vous voulez choisir un environnement où vous n’avez pas à lutter. Mais vous devez apporter quelques bons combattants pour protéger vos équipes et mission à somme non nulle, juste au cas où.
(On m’a fait remarquer que cela est un peu elliptique… je l’avoue… alors lisez Thiel dans le texte!)

Les fondations sont évidemment un moment précis dans le temps. Mais combien de temps cela dure peut être une question difficile. Le récit typique prévoit une fondation, les premières embauches, et une première augmentation de capital. Mais il y a un argument selon lequel la fondation dure beaucoup plus longtemps que cela. L’idée d’aller de 0 à 1 – l’idée autour de la technologie – suit en parallèle les moments fondateurs. Le 1 à n de la mondialisation, en revanche, vient en parallèle de l’exécution post-fondation. Il se peut que la fondation dure aussi longtemps que l’innovation technique de l’entreprise continue. Les fondateurs devraient sans doute rester en charge tant que le paradigme reste 0 à 1. Une fois que le modèle se déplace vers 1 à n, la fondation est terminée. À ce moment, les dirigeants doivent exécuter.

Max Levchin : La notion que au début, la diversité dans une équipe est importante, est complètement fausse. Vous devriez essayer de bâtir l’équipe aussi non-diversifiée que possible. Il y a quelques raisons à cela. Le plus notable est que une start-up est sous-financée avec pas assez d’employés. C’est un gros inconvénient. Non seulement vous n’avez probablement que des problèmes, mais vous ne savez même pas ce que les problèmes sont vraiemnt. La rapidité est votre seule arme. Tout ce que vous avez c’est la rapidité. […] Comment embaucher ? Un exemple de stratégie est le parti pris anti-mode. Vous ne devriez pas juger les gens par l’élégance de leurs vêtements, les gens de qualité n’ont pas souvent des vêtements de qualité. Ce qui conduit à une observation générale: les très bons ingénieurs ne portent pas de jeans à la mode. Donc, si vous interviewez un ingénieur, regarder ses jeans. Il y a toujours des exceptions, bien sûr. Mais de manière surprenante, c’est une bonne heuristique. […] PayPal a également eu du mal à recruter des femmes. Un étranger pourrait penser que les gars de PayPal étaient dans le stéréotype que les filles ne font pas d’informatique. Mais ce n’est pas vrai du tout. La vérité est que PayPal avait du mal à embaucher des filles parce que PayPal était juste un tas de nerds! Ils ne parlaient jamais aux filles. Alors, comment seraient-ils censés interagir avec elles et les embaucher?

« Aucun CEO ne devraut être payé plus de $150k par an » (dans la Silicon Valley).
« Une autre idée importante est que les gens doivent être soit pleinement dans l’entreprise soit pas du tout. »

Dilution et financement.
Bâtir une start-up de valeur est un long périple. Une question clé pour garder du pouvoir en tant que fondateur est la dilution Les fondateurs de Google avaient 15,6% de la société à l’introduction en bourse. Steve Jobs avait 13,5% d’Apple quand il y est allé au début des années 80. Mark Pincus avait 16 % de Zynga à l’IPO. Si vous avez plus de 10 % après plusieurs tours de financement, c’est en général un très bon résultat. La dilution est implacable. L’alternative est que vous ne laissez pas quelqu’un d’autre monter à bord. Il faut se rappeler que de nombreuses entreprises florissantes sont construites comme ça. Craigslist pourrait valoir quelque chose comme cinq milliards de dollars si elle était gérée plus comme une entreprise que comme une commune. GoDaddy n’a jamais eu de financement. Trilogy à la fin des années 1990 n’avait pas d’investisseurs extérieurs. Microsoft a presque rejoint ce club, il a fallu un investissement de petite taille juste avant son introduction en bourse. Lorsque Microsoft est devenue publique, Bill Gates possédait encore un étonnant 49,2 % de la société. Ainsi, la question de penser VC n’est pas du tout différente des questions sur les co-fondateurs et les employés. Qui sont les meilleurs? Qui voulez-vous ou devez-vous voir monter bord?

Le modèle VC en un mot: une loi de puissance. « En première approximation, un portefeuille de VC ne rendra l’argent que si votre meilleur investissement vaut plus que votre fonds entier. (Et l’investissement dans la deuxième meilleure entreprise est à peu près aussi rentable que depuis le numéro trois jusqu’au dernier.) »

Je n’ai pas encore lu la suite…

Quand Peter Thiel parle des start-up – partie 2: la création de valeur.

Comme promis, voici d’autres commentaires de mes notes de lecture sur le cours de Peter Thiel sur les start-up à l’Université Stanford (comme suite aux commentaires généraux dans la partie 1 sur l’innovation). Et aujourd’hui, il s’agit de la création de valeur. Quand j’enseigne les techniques de valoriation à l’EPFL, je fournis des informations similaires: la création de valeur est basée sur les flux futurs de trésorerie, ajustés au présent (vous pouvez consulter Wikipedia pour la valorisation par DCF en anglais) . La difficulté avec le DCF est que dans le cas des start-ups la plus grande partie de la valeur apparaît dans le très long terme et compte tenu de l’incertitude des revenus des start-up, cela rend le DCF presque inutile… C’est pourquoi, pour les start-up, il est souvent plus facile d’utiliser des techniques basées sur des multiples et comparables (encore une fois vous pouvez consulter Wikipedia pour la valorisation à l’aide des multiples.)

Thiel apporte ici un éclairage intéressant en fournissant une explication au fait que le DCF a encore un sens pour les start-up. D’abord, il définit les « Grandes Entreprises technologiques » : « Les grandes entreprises font trois choses. D’abord, elles créent de la valeur. Deuxièmement, elles sont durables ou permanentes d’une manière significative. Enfin, elles capturent au moins une partie de la valeur qu’elles créent. » Surprenant (pour moi) est que la deuxième argument : elles sont durables ou permanentes d’une manière significative. Il introduit alors le DCF avec un taux de croissance :
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puis il ajoute: « Les entreprises high-tech et autres entreprises à forte croissance sont différentes. Dans un premier temps, la plupart d’entre elles perdent de l’argent. Lorsque le taux de croissance g, dans nos calculs ci-dessus est plus élevé que le taux d’actualisation r, beaucoup de la valeur dans les entreprises de haute technologie existe assez loin dans l’avenir. En effet, un modèle typique permet de constater que 2/3 de la valeur est créée au cours des années 10 à 15. C’est contre-intuitif. La plupart des gens, même les personnes qui travaillent dans des startups aujourd’hui, pensent en mode vieille économie où il faut créer de la valeur dès le départ. L’accent, en particulier dans les entreprises à très forte croissance, est mis sur ​​les prochaines mois, trimestres ou, moins fréquemment, les prochains années C’est un calendrier trop court. Le modèle vieille économie fonctionne pour la vieille économie. Il ne fonctionne pas pour penser technologie et forte croissance des entreprises. Pourtant, la culture start-up aujourd’hui ignore ostensiblement, et même résiste, à une pensée à 10-15 ans ».

Je ne vais pas ajouter beaucoup plus ici, mais juste mentionner que Thiel a dans ses classes 3 et 4 des arguments très intéressants selon lesquelles la concurrence n’est peut-être pas une si bonne chose et le monopole n’est pas si mal pour l’économie et les individus … « Que la concurrence est bonne ou mauvaise est une question intéressante (et souvent négligée). La plupart des gens supposent que la compétition est bien. Le récit économique standard, avec tout l’accent sur la concurrence parfaite, l’identifie comme la source de tout progrès. Si la concurrence est bonne, l’arguemnt par défaut sur ​​son contraire – le monopole – c’est qu’il doit être très mauvais. Mais pourquoi exactement le monopole est mauvais est difficile à expliquer en réalité. Cela est généralement juste accepté comme une donnée. Mais il est probablement utile de s’interroger plus en détail ».

Il fait l’analyse non seulement pour les entreprises mais aussi pour les personnes ayant une partie assez émouvante sur la concurrence féroce à Princeton, Yale ou Harvard avec une comparaison intéressante avec Stanford : « De toutes les meilleures universités, Stanford est la plus éloignée de la concurrence parfaite. C’est peut-être par hasard ou c’est peut-être de par sa conception. La géographie y contribue probablement: depuis la côte Est, on ne fait pas beaucoup attention à nous, et vice-versa . Mais il y a aussi une dimension d’hétérogénéité structurée: Stanford a une solide composante d’ingénierie, lune forte présence en sciences humaines, et même le meilleur programme de sport du pays. Quand on aborde le sujet de concurrence, c’est souvent une blague: regardez par exemple la rivalité de Stanford-Berkeley. C’est également assez assymétrique; ainsi au football, Stanford gagne régulièrement. Mais pour prendre quelque chose qui compte vraiment, comme la creéation d’entreprises de haute technologie, si vous posez la question: « d’où viennent les étudiants ayant créé le plus de start-up de valeur? » pour chacune des 40 dernières années, Stanford l’emporte probablement par quelque chose comme 40 à 0. C’est le capitalisme monopolistique, loin d’un monde de concurrence parfaite ».

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Il termine par une analyse cohérente avec sa première classe sur « Zero to One »: « Si la mondialisation devait avoir un slogan, cela pourrait être que « le monde est plat ». Dans le monde de la technologie, en revanche, on part de l’idée que le monde est le mont Everest. Si le monde était vraiment plat, ce serait juste une concurrence exacerbée (…) Et pourtant, l’idée la plus commune pour les entrepruses est que plus le marché est grand, la meilleure est l’opportunité. C’est tout à fait faux. Le secteur de la restauration est un énorme marché. Il n’est pourtant pas un très bon domaine pour gagner de l’argent ».
(…)
Quelle est la place du capital-risque dans tout cela? Les VCs ont tendance à ne pas avoir un très grand portefeuille d’investissements. Au contraire, ils s’appuient sur des réseaux très discrets de personnes. Autrement dit, ils ont accès à un réseau unique d’entrepreneurs. Donc le VC est tout sauf banalisé. Ce genre de dynamique caractérise sans doute toutes les grands entreprises de haute technologie, à savoir des monopoles basés sur le « last mover ». Les « last movers » construisent des entreprises non banalisées. Ils sont axés sur les relations. Ils créent de la valeur. Ils durent. Et ils gagnent de l’argent ».

La suite dans quelque temps…

Quand Peter Thiel parle des start-up – partie 1

« Nous voulions des voitures volantes, nous avons eu 140 caractères à la place ». Le Founders Fund

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Peter Thiel est probablement l’un de mes personnages favoris quand je pense start-up et Silicon Valley. Voici deux articles où je l’ai mentionné :
La Technologie, notre salut en Octobre 2010
Les promesses de la technologie. Décevantes ? en Novembre 2013 (à propos d’un magnifique article de George Packer du New Yorker: Pas de mort , pas de taxes – Le futurisme libertaire d’un milliardaire de la Silicon Valley.
Et je ne devrais pas oublier de brèves mentions liées sur Le réseau social – Facebook et PayPal.

Une connaissance de l’EPFL et business angel (merci Dave 🙂 ) vient de me parler du cours donné par Thiel à Stanford en 2012 et des notes détaillées prises par un de ses élèves, Notes Essays—Peter Thiel’s CS183: Startup—Stanford, Spring 2012. J’ai copié les notes de cette classe de 19 sessions, et j’en ai fait un document pdf de 233 pages! D’ailleurs, Thiel publiera cet été en collaboration avec son élève un livre intitulé Zero to One: Notes on Startups, or How to Build the Future.

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Comme je l’ai fait avec Mazzucato, j’ai l’intention de faire quelques articles sur ce travail que je trouve vraiment intéressant. Son premier chapitre porte sur la nécessité des start-up pour l’innovation et la technologie, et il motive ainsi le titre « Zero to One »:

« Le progrès vient en deux versions: horizontal/vertical ou étendu/intensif.
– Le progrès horizontal ou étendu signifie fondamentalement copier les choses qui marchent. En un mot, il signifie simplement « mondialisation ».
– Le progrès vertical ou intensif, en revanche, signifie faire de nouvelles choses. Le mot simple pour cela est « technologie ».
le progrès intensif implique aller de 0 à 1 (pas simplement de 1 à n comme pour la mondialisation ) .
[…]
Peut-être nous focalisons nous tant d’aller de 1 à n, parce que c’est plus facile à faire. Il y a peu de doute que aller de 0 à 1 est qualitativement différent, et presque toujours plus difficile, que de copier quelque chose n fois. Et en essayer d’atteindre le vertical, de l’étape 0 à 1 présente le défi de l' »exceptionnalisme »: tout fondateur ou inventeur de quelque chose de nouveau doit se demander: suis-je en bonne santé ? Ou suis-je fou ?
[ … ]
Enseigner cette progression verticale et l’innovation est presque une contradiction dans les termes. L’éducation est fondamentalement une question allant de 1 à n. Nous observons, imitons, et répétons. Les nourrissons n’ont pas inventé de nouvelles langues; ils apprennent l’existant. Dès le début, nous apprenons en copiant ce qui a fonctionné avant. C’est insuffisant pour les startups. À un certain point, vous devez aller de 0 à 1, vous avez à faire quelque chose d’important et le faire bien, ce qui ne peut pas être enseigné. Et donc, les études de cas sur les entreprises qui réussissent sont d’une utilité limitée ».

Puis il traite de « pourquoi les start-up ? » et « pourquoi faire une start-up ? »

« La taille ainsi que les coûts de coordination interne/externe sont très importante. Au delà de 100 personnes dans une entreprise, les employés ne se connaissent pas tous. La politique devient importante. Les start-up sont importantes parce qu’elles sont petites; si la taille et la complexité d’une entreprise est quelque chose comme le carré du nombre de personnes en elle, alors les start-up sont dans une position unique pour réduire les coûts interpersonnels ou internes et donc en position de vraiment agir.
[ … ]
La réponse la plus facile à « pourquoi les start-up ? » est négative : parce que vous ne pouvez pas développer de nouvelles technologies dans des entités existantes. N’importe qui ayant un sens de sa mission a tendance à vouloir aller de 0 à 1. Vous ne pouvez le faire que si vous êtes entouré par d’autres personnes voulant aussi aller de 0 à 1. Cela se produit dans les start-up, pas dans d’énormes entreprises ou dans les organismes gouvernementaux.
[ … ]
Faire une start-up pour l’argent n’est pas une bonne idée. Peut-être faire une start-up pour qu’on se souvienne de vous ou pour devenir célèbre est une meilleure motivation. Peut-être pas. Une meilleure motivation serait toujours un désir de changer le monde. Les États-Unis en 1776-1779 était une start-up en quelque sorte. Quels ont été les motivations des fondateurs ? Il y a aussi un grand élément culturel à la question de la motivation. Au Japon, les entrepreneurs sont considérés comme des preneurs de risques inconsidérés. La chose respectable à faire est de devenir un employé permanent quelque part. La version littéraire de ce sentiment est « derrière chaque fortune se cache un grand crime ». Les pères fondateurs étaient-ils des criminels ? Les fondateurs sont-ils tous des criminels d’une manière ou d’une autre ? »

Plus à venir bientôt. Mais si vous aimez tout cela, il suffit de lire Thiel !

Après Banksy à New York et Invader en Suisse, voici Mirror Mosaic Man à Pully

Ce qui est fascinant avec l’Art Urbain est que vous pouvez passer totalement à côté, mais quand vous commencez à le voir, il n’arrête pas de surgir devant vos yeux. Après avoir suivi Banksy à New York, puis découvert le travail de Space Invader en Suisse (Lausanne, Genève et Berne), un collègue m’a mentionné des mosaïques de miroirs pleines de poésie à Pully. J’ai passé quelques heures dans les rues de cette ville et en effet, elles apparaissent un peu partout, dans des endroits toujours plus improbables!

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La beauté de la vie vient aussi de ces hasards que Paul Auster décrit si bien dans ses livres (par exemple dans La musique du hasard). Alors que je prenais une photo de l’un de ces miroirs, une voix derrière moi demanda: « Alors, vous aimez mon escargot ? » C’était « Miroir Mosaic Man ». Nous avons eu une brève conversation, je lui ai mentionné Space Invader à Lausanne et l’artiste de Pully me conseilla de contacter Pierre Corajoud qui publie de très jolis petits livres sur les promenades autour de Lausanne. Pierre Corajoud avait en effet publié un petit livret sur ​​Invaders à Lausanne. Je le remercie ici de m’avoir offert un exemplaire car malheureusement, de nombreuses oeuvres ont été détruites ou volées après sa publication et Corajoud a retiré son livre des librairies. Dommage ! J’espère que les mosaïques ne vont pas disparaître … Voici la carte des travaux que j’ai découvert.


Afficher Mirror Mosaic Man sur une carte plus grande

Voici en guise de conclusion un document pdf avec les images que j’ai pu trouver. Mais le mieux est d’aller les découvrir sur place!

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Les Space Invaders à Berne (et dans le reste du monde: Paris, Bâle, Ravenne)

Un post très court en complément aux Space Invaders de Lausanne et de Genève.

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Les Space Invaders sont arrivés à Berne en l’an 2000 et pour les passionnés de son travail et qui sont proches de la Suisse, il est aussi allé à Bâle en 2013 et Anzère en 2014…

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Voici la carte et vous pouver aussi télécharger le pdf qui inclut tout ce que j’ai trouvé jusqu’à présent…. en attendant que je me rende sur place!

PS: je me suis rendu à Berne le 15 juin 2014. Coïncidence étrange, j’ai fini ce jour là La Vie mode d’emploi de Georges Pérec. Je me demande si son personnage de Bartlebooth n’est pas un peu à l’image du Street Art et de ses fans… J’ai donc mis à jour le pdf plus haut et voici un montage des survivants après presque 15 ans. Autre coïncidence, il y a 8 survivants sur 30 projets, soit comme les start-up dont la moitié survit après 5 ans et environ 25% après 15 ans…

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PS: de temps en temps, j’ajoute des chapitres à mes découvertes de Space Invaders. Voici une synthèse essentiellement basée sur le site de l’artiste et d’autres passionnés: SpaceInvaders around the World (pdf – 8Mo)

Vous pouvez trouver d’autres données sur Lausanne, Genève, Bâle, Grenoble et Bruxelles. En septembre 2014, j’ai commencé à visiter Paris. Voici des fichiers pdf de certains arrondissements:
le 1er,
le 2ème,
le 3ème,
le 4ème,
le 5ème,
le 6ème,
le 12ème,
le 13ème,
le 14ème,
le 15ème,
le 16ème,
le 17ème
et aussi un document sur les récentes invasions: les 1000+. Ma carte de Paris suit plus loin. Vous trouverez des documents plus récents sur Invader à Paris ici.

En octobre 2014, j’ai suivi de loin l’invasion de Ravenne. Voici ce que j’ai trouvé en ligne: les Space Invaders à Ravenne.

Quelque chose de pourri dans le royaume Silicon Valley?

J’avais déjà abordé la difficulté qu’avait la Silicon Valley à parler ou traiter de politique dans Les promesses de la technologie. Décevantes ? et surtout dans La Silicon Valley et la politique – Changer le monde. J’y faisais allusion à deux articles (que je qualifie d’exceptionnels) écrits par George Packer dans le New Yorker en 2011 et 2013. C’est un article publié le 27 janvier sur le même site, Tom Perkins and Schadenfreude in Silicon Valley de Vauhini Vara, qui me pousse à me poser la question: Y a-t-il quelque chose de pourri dans le royaume Silicon Valley?

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Cet article est plutôt le énième révélateur d’une situation qui mérite l’attention. Quatre jours plus tôt, Le Monde publiait l’article de Jérôme Marin, A San Francisco, les protestations anti-Google dérapent. Le résumé de cette situation peut se faire simplement, mais je vous encourage à lire ces articles (surtout ceux de Packer dont la profondeur de l’analyse m’avait enthousiasmé):

De nombreux nouveaux millionnaires (en particulier employés de Twitter et Facebook), et même quelques milliardaires (voir Les milliardaires de la technologie en 2013) ont contribué à l’accélération récente de la gentrification de San Francisco. Or les autorités de San Francisco ont plutôt encouragé le phénomène et à une échelle plus large, le débat commence à faire rage. D’un côté une population qui exprime sa frustration devant cette situation nouvelle en bloquant les célèbres bus privés qui transportent ces employés high-tech de leur domicile à leur bureau (Cf. Un bus de Google bloqué, la colère monte à San Francisco du même Jérôme Marin) ou un employé de Google à son domicile. De l’autre, le « dérapage » de Tom Perkins qui compare ces protestations aux attaques des Nazis contre les Juifs…

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Ces réactions sont vraiment le révélateur d’un débat de plus en plus visible entre les tenants de la Main Invisible (laissez les riches être plus riches et le marché s’auto-régulera pour le bénéfice de tous) et des opposants de plus en plus déterminés aux conséquences de ce libéralisme exacerbé. Comme si Occupy Wall Street déménageait dans la Silicon Valley. Les Américains réagissant toujours assez vite, la mairie de San Francisco a pris la décision de faire payer à ces bus privés l’usage des arrêts de bus publics. Vauhini Vara mentionne aussi que Mark Zuckerberg est devenu le plus grand donateur privé en 2013 aux USA (avec le montant de $1 milliard de dollars…) et que Sergueï Brin se classe 5ème.

Mon avis n’a que peu d’importance et je vous laisse juger. Laissez moi juste ajouter (et vous comprendrez où je me situe en admettant que cela vous intéresse!) que les grandes entreprises américaines paient des montants ridicules d’impôt en utilisant légalement toutes les possibilités offertes par la législation du commerce mondial. En 2011, Le Monde publiait Etats-Unis: profit ne rime pas forcément avec impôt, dont voici un extrait:

Sur 280 entreprises parmi les 500 plus grosses entreprises américaines,, 111, soit 40%, ont bénéficié d’un taux d’impôt moyen de 4,6%. Il doit bien y avoir une explication rationnelle à ce traitement particulier me direz-vous, une chute des résultats par exemple, qui justifie une moindre pression fiscale ? Le problème, c’est que d’après les données compilées dans ce rapport, cet argument ne tient pas. Les 111 entreprises dont nous parlons ont même enregistré un total de bénéfices supérieur aux autres. Entre 2008 et 2010 l’opérateur télécom Verizon a accumulé 32,5 milliards de dollars de bénéfices, le conglomérat General Electric totalise 10,4 milliards de profits, quant au fabricant de jouets, Mattel, il a gagné plus d’un milliard de dollars sur la période. Pourtant, aucune de ces entreprises n’a payé l’impôt fédéral.

«Ce n’est pas un rapport contre les entreprises, précise l’étude dans son préambule. Au contraire, à l’instar de la plupart des Américains, nous voulons que les affaires aillent bien. Dans une économie de marché, nous avons besoin de managers et d’entrepreneurs, comme nous avons besoin de salariés et de consommateurs. Mais nous avons aussi besoin d’un meilleur équilibre sur le plan de la fiscalité».

Le milliardaire américain Warren Buffet appelait récemment les pouvoirs publics à lui faire payer plus d’impôts sur le plan individuel dans le sens d’une plus grande justice fiscale. Les multinationales sont elles capables d’un tel sursaut citoyen ?

Puisque j’avais commencé en mentionnant que la Sillcon Valley avait changé le monde, je termine pas une citation entendue ce matin sur France Culture et que je donne de mémoire: « Si vous ne changez pas le cours de l’Histoire, c’est l’Histoire qui vous changera. »

Founding Angels

Je viens de publier sur la partie anglaise de mon blog une longue interview que j’ai donnée à un doctorant de ETHZ, Martin Würmseher, qui travaille sur le concept de Founding Angels. « Les Founding Angels contribuent à combler le fossé, qui existe entre la recherche universitaire et la commercialisation de nouvelles technologies. En collaboration avec les inventeurs, ils fondent des start-up pour faire avancer davantage la recherche et en commercialiser les résultats. Le modèle d’affaires des Founding Angels est similaire à celui des Business Angels, mais le soutien opérationnel et financier des Founding Angels commence avant la fondation réelle de la start-up et, en tant que membre de l’équipe fondatrice, continue dans la fondation et le renforcement de la nouvelle start-up ».

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Martin m’a envoyé hier la transcription de l’interview et je l’ai beaucoup aimée. Martin m’a autorisé à la publier mais elle est si longue que je n’ai pas eu le courage de la traduire depuis l’anglais, vous la trouverez donc sur ce lien: Founding Angels.

Les leçons de l’échec : le témoignage rare et intéressant de Everpix

Deux entrepreneurs de l’EPFL m’ont demandé ce que je pensais de l’histoire d’Everpix . Si vous ne la connaissez pas , vous devriez lire les liens suivants :
– Un article très bien fait sur The Verge: Out of the picture: why the world’s best photo startup is going out of business. Everpix was great. This is how it died.
– Un compte rendu très détaillé de l’histoire d’Everpix par ses fondateurs sur Gifthub avec des tonnes de documentation et d’archives : Everpix – Intelligence

Je connaissais certains acteurs: Pierre- Olivier Latour est un ancien élève de l’EPFL que j’ai rencontré au cours de mes années Index et à nouveau en 2006 quand j’ai visité la Silicon Valley avec les futurs fondateurs de Jilion. Neil Rimer, l’un des investisseurs dans Everpix était mon patron avant que je rejoigne l’EPFL.

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De gauche à droite, Zeno Crivelli, Pierre-Olivier Latour , moi-même et Mehdi Aminian en 2006 dans la Silicon Valley.

L’histoire va certainement alimenter le débat récurrent sur ​​VC ou pas de VC, et je pense que c’est un débat biaisé ! Vous pouvez lire mes récents messages sur les Dilemmes des Fondateurs
– Les dilemmes du fondateur – La réponse est « ça dépend! »
Les dilemmes du fondateur suisse

Convaincre les VCs n’est pas une chose facile. Il est difficile d’obtenir leur argent et quand vous l’avez, les contraintes augmentent. Vous pouvez regarder la vidéo « le capital-risque est une bombe à retardement » du fondateur de 37signals si vous ne savez pas de quoi je parle.

Je pense que le débat est biaisé car il ne s’agit pas de VC contre pas de VC . Peu d’entrepreneurs ont le choix de ne pas prendre l’argent des investisseurs (les business angels ne sont pas très différents des VCs) Il s’agit plutôt de: « voulez-vous avoir un impact et croître » (vous devez alors souvent avoir des investisseurs) OU « voulez-vous contrôler et rester indépendant ». Et c’est souvent OU et non pas ET. Je sais que beaucoup de gens (y compris des entrepreneurs et des investisseurs ) sont en désaccord avec moi. Mon expérience récente n’a pas fait changé cette conviction que j’ai depuis 15 ans.

Vous devriez lire Founders at Work si ce n’est pas déjà le cas. L’un d’eux affirme : « Les VCs? vous ne pouvez pas vivre avec eux, vous ne pouvez pas vivre sans eux. » Je pense que cela est plus proche de la vérité. Il a dit exactement: « Les VCs sont un groupe intéressant, vous ne pouvez pas vivre avec eux, vous ne pouvez pas vivre sans eux. Ils jouent un rôle dans votre succès, car ils vous donnent de l’argent et un appui très fort. Ils ont ce réseau de connexions mafieuses et ils vous aider avec des offres et à trouver les bons dirigeants. Ils travaillent vraiment votre cas. Selon mon expérience, il est rare qu’ils se retournent contre vous, parce que vous êtes une équipe et si l’équipe ne fonctionne pas, l’entreprise sera vouée à l’échec. Parfois, quand tout échoue, ils auront à prendre une décision difficile et licencier quelqu’un, mais c’est rare à mon avis. Parce qu’ils n’investiraient pas dans votre entreprise si ils ne croyaient pas en vous et votre équipe. Donc, j’ai toujours eu une bonne expérience de travail avec les VCs ».

Retour à Everpix. Je n’ai pas vraiment de point de vue car je ne connais pas les détails. Mais permettez- moi de citer les acteurs directement depuis l’article: «Les fondateurs reconnaissent qu’ils ont fait des erreurs en cours de route. Ils ont passé trop de temps sur le produit et pas assez de temps sur la croissance et la distribution. La première présentation pour les investisseurs était médiocre. Ils ont commencé la commercialisation trop tard. Ils n’ont pas réussi à se positionner efficacement contre des géants comme Apple et Google, dont l’offre est assez robuste – et la plupart du temps gratuite. Et alors que le produit n’était pas particulièrement difficile à utiliser, il y avait une courbe d’apprentissage et un engagement pour confier à une start-up inconnu les souvenirs de votre vie – un défi que Everpix n’a jamais eu le temps de vraiment simplifier. » « On avait réussi sur plein de choses possibles », a déclaré Jason Eberle, qui a construit la version web de Everpix , « à l’exception de la seule chose qui compte ».

Alors ce que les investisseurs soulignent était: « Bien que le produit était clairement superbe avec une communauté certes très petite mais très fidèle, nous n’avons pas été assez à l’aise avec les autres aspects de l’entreprise pour un investissement de plus », a déclaré Neil Rimer, ajoutant: « avoir un bon produit n’est pas la seule chose qui rend finalement une entreprise prospère. » Il reste la question de la création de valeur attendue par les VCs, qui n’est pas toujours accessible aux entrepreneurs:  » Vous semblez être une équipe spectaculairement talentueuse et certaines vérifications l’ont confirmé, mais tout le monde ici est bloque sur l’inquiétude quant à la possibilité de construire une entreprise de plus de 100 M$ de revenus dans les photos à l’âge d’outils de photo gratuits. » Et un partenaire d’uen autre firme: « la réaction a été positive pour vous comme une équipe, mais faible en termes de savoir si une entreprise de $1B pourrait être construite ».

Le débat continuera sans doute, mais c’est à peut près ce que m’inspire cette histoire. Sans oublier la conclusion de Latour: « J’ai plus de respect pour quelqu’un qui commence un restaurant et y met ses économies d’une vie que ce que j’ai fait. Nous sommes quand même chanceux. Nous sommes dans un environnement qui a une assez bon filet de sécurité, dans la Silicon Valley « .

Europe, réveille-toi !

Voici un court texte que j’avais écrit en 2012, et mon ami Will de Finlande avait fait des commentaires à son sujet que j’ai ajoutés. Merci! Je l’ai relu ce matin et j’ai pensé qu’il pourrait être intéressant de le publier maintenant …

Intel, Apple, Microsoft, Oracle, Genentech, Cisco, Google, Facebook, Skype. Vous connaissez sans doute ces entreprises. Elles ont été à l’origine d’innovations majeures pour nos sociétés. Peut-être connaissez-vous moins Niklas Zennström et Janus Friis, Mark Zuckerberg et Dustin Moskovitz, Larry Page et Sergey Brin, Leonard Bosack et Sandy Lerner, Bob Swanson et Herb Boyer, Larry Ellison mais bien mieux Bill Gates et Paul Allen, Steve Jobs et Stephen Wozniak, Bob Noyce et Gordon Moore. Ils sont des entrepreneurs, les fondateurs de ces entreprises qui furent toutes des start-up. L’Europe ne semble pas avoir compris l’importance de l’innovation high-tech produite par ces jeunes entrepreneurs. Skype est l’exception dans la liste et les Américains ont su produire des centaines de tels succès. Pourquoi avons-nous échoué et que pouvons-nous faire pour changer le cours de l’histoire ?

L’innovation est une culture, où l’essai et l’incertitude ont une grande part. L’échec aussi malheureusement ou peut-être heureusement. Comme la vie ! La culture européenne dans toute sa diversité a apporté un bien être à ses citoyens depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Ce confort sera peut-être cause de sa perte. Une culture ne peut vivre que de créativité et de renouveau. Comme l’a bien illustré un article récent de The Economist [1], nous les européens n’arrivons plus à innover, nos entreprises vieillissent dans l’innovation technologique telles Nokia ou Alcatel et nous ne créons plus de nouvelles innovations.

Les causes sont sans doute multiples, mais la peur d’essayer est la plus grave. Et je ne suis pas sûr que nous en ayons conscience. Sont-ils si nombreux les européens qui ont compris que l’innovation passe par l’entrepreneuriat ? Je crains que nous préférions avoir des enfants bien éduqués pour entrer dans les grandes entreprises établies que des individus créatifs prêts à tenter leur chance. Pire encore, quels modèles pourraient-ils avoir ?


Bob Noyce fut un modèle et un mentor pour Steve Jobs.

Dans ce lieu unique qu’est la Silicon Valley, des milliers d’entrepreneurs essaient chaque année. « La différence est question de psychologie: tout le monde dans la Silicon Valley connait quelqu’un qui a très bien réussi dans une start-up. Alors ils se disent: je ne suis pas plus idiot que lui et il a fait des millions, alors je dois aussi pouvoir le faire. Du coup, ils essayent et en pensant qu’ils peuvent réussir, ils augmentent leurs chances de succès. Cette psychologie-là n’existe pas souvent ailleurs. » a écrit Tom Perkins, célèbre investisseur de cette région.

L’Europe n’est pas tout à fait inconsciente du problème. L’année 2000 fut l’occasion pour l’Union Européenne de déclarer à Lisbonne son objectif de devenir d’ici à 2010 « l’économie basée sur la connaissance la plus compétitive du monde ». Echec total. Une multitude de mécanismes de soutien fut mise en place, mais les Européens semblent avoir oublié que l’innovation est avant tout histoire d’aventuriers, de pionniers. Les entrepreneurs sont des passionnés. « Fonder une start-up n’est pas un acte rationnel. Le succès ne vient qu’à ceux qui osent et qui sont assez fous pour penser de manière déraisonnable. Les entrepreneurs doivent sortir du cadre, des conventions et des contraintes habituelles pour atteindre l’extraordinaire, » nous dit Vinod Khosla autre icône de la Silicon Valley. Une start-up est un bébé dont les fondateurs sont les parents. Pas très étonnant qu’ils se lancent souvent en couple tant l’aventure va être difficile. Ils sont souvent migrants. Sans doute parce que les migrants n’ont pas les connections qu’il faut là où ils sont. La moitié des entrepreneurs de la Silicon Valley ne sont pas américains. Que n’avons-nous peur de cette richesse en Europe !

La Silicon Valley est une culture ouverte où même des concurrents comme Apple, Google ou Facebook se parlent et coopèrent. Ils sont souvent jeunes. Ce n’est pas une nécessité, mais la jeunesse (ou l’inconscience) bride souvent moins la créativité. Ila travaillent aussi avec passion sur leur innovation, augmentant encore la probabilité de succès. C’est cela la vraie « open innovation », pas celle qui est décrétée d’en haut.

La Silicon Valley est un endroit unique aux Etats Unis, que personne n’a jamais pu copier. Et pourtant chaque Etat, chaque région d’Europe essaie désespérément de créer la sienne ! Unissons nos efforts. En ne cherchant plus à créer le graal du cluster technologique européen et en coopérant à distance une fois pour toutes. Mais nos égoïsmes sont encore trop grands pour céder à une telle vision. Au moins travaillons ensemble sans gaspillage inutile !

Dans un discours récent [2] , Risto Siilasmaa, le jeune président de Nokia, a appelé à une réaction similaire et a ajouté que « l’entrepreneuriat est un état d’esprit, ce qui implique le pragmatisme, l’ambition, des rêves, la persévérance, l’optimisme et une culture du renoncement pour mieux recommencer ». Sans une grande ambition, ce n’est pas la peine d’essayer.

Une priorité est de se concentrer sur le développement d’une infrastructure où les entrepreneurs qui prennent des risques peuvent prospérer. Les entrepreneurs ne peuvent pas réussir seuls. Ils ont d’abord besoin d’investisseurs qui leur permettront de se lancer dans l’aventure. L’Amérique a su créer l’outil idéal qu’est le capital-risque : d’anciens entrepreneurs sont devenus les soutiens des nouveaux en devenant des financiers d’un type particulier, des financiers qui aident [3]. Ils ont ensuite besoin de managers qui connaissent cette culture des start-up. Il ne suffit pas d’avoir la compétence apportée par des années passées dans les grands groupes, elle peut parfois même être dangereuse si la culture de l’innovation ne l’accompagne pas. Il faut aussi des employés ayant eux aussi digéré cette culture, des employés qui seront intéressés par des mécanismes de stock-options. J’ai bien dit stock-option, ce mot devenu gros à force d’engraisser ceux qui ne le méritaient pas. Les stock-options devraient aller à ceux qui essaient. Sans doute faudra-t-il aussi flexibilité de l’emploi pour les start-up tant celles-ci doivent faire face à des incertitudes et des cycles rapides. Mais il ne faudrait pas croire que l’absence de ces mécanismes soit à l’origine de nos échecs. C’est l’absence de cette culture d’innovation qui nous blesse. N’ayons pas peur de l’échec. L’échec est la mère du succès dissent les chinois. Croyez-vous qu’un enfant tienne sur sa bicyclette au premier essai?

L’échec fera toujours partie de l’innovation. C’est la raison pour laquelle il faut une masse critique. Dans un seul lieu ou non. Et l’échec ne devra pas être stigmatisé. Je crois qu’il faut aller voir cette culture de la Silicon Valley, y passer du temps pour comprendre. Des semaines ou des mois. Sans craindre que nos enfants ne reviennent pas. Il vaut mieux essayer là-bas que de ne rien faire ici. Et ils reviendront nous apprendre au pire ! Nous devons aussi développer les échanges d’entrepreneurs entre régions d‘Europe, comme nous l’avons très bien fait pour nos étudiants.

On pourra me reprocher d’être trop fasciné par la culture américaine et par l’innovation technologique. L’Europe a une autre manière de faire me dit-on. Elle innove avec ses grands groupes comme Airbus ou ses PMEs allemandes ou suisses, ou dans les services. Parce que vous croyez que les Etats-Unis ne les ont pas ? On me dit que le capital-risque est en crise, que la Silicon Valley n’innove plus et il est vrai qu’en dehors du web, la créativité semble bien ralentie. Schumpeter, le grand économiste, avait bâti une formidable théorie, où les grands entreprises établies meurent et sont remplacées par de nouveaux entrants quand elles n’innovent plus. Le XXIème siècle serait-il différent du précédent ? Peut-être… mais nos problèmes d’énergie, de vieillissement, de santé ne vont-ils pas requérir de nouvelles innovations et de nouveaux entrepreneurs ? Je le crois.

L’Europe a besoin d’une nouvelle ambition, d’un nouvel enthousiasme et nous les européens vieillissants le devons à nos enfants, à notre jeunesse. Dès l’école primaire, laissons nos enfants exprimer leur créativité, apprenons leur que dire non est positif et qu’une carrière n’a de sens que si elle inclut passion et ambition. Ne les encourageons pas à suivre les chemins de la certitude qui sont peut-être mortifères. Steve Jobs dans un magnifique discours en 2005 [4], indiquait que nous allions tous mourir un jour, et qu’avant ce jour, il fallait toujours savoir rester fou et curieux. Suivons son conseil. Aidons nos enfants !

Hervé Lebret soutien l’entrepreneuriat high-tech à l’EPFL. Il est l’auteur du blog Start-Up, www.startup-book.com/fr

[1]: Les misérables – Europe not only has a euro crisis, it also has a growth crisis. That is because of its chronic failure to encourage ambitious entrepreneurs. The Economist, July 2012. www.economist.com/node/21559618

[2] Risto Siilasmaa à la conférence REE. Helsinki, Sept. 7, 2012.

[3] Ne manquez pas le film SomethingVentured qui décrit à merveille et avec humour les premières années du capital risque, www.somethingventuredthemovie.com

[4] Stay Hungry, Stay Foolish. ‘You’ve got to find what you love.’ http://news.stanford.edu/news/2005/june15/jobs-061505.html

En résumé, quelques points clés:
• L’Europe est derrière les USA et l’Asie dans l’innovation.
• Les entrepreneurs ne sont pas considérés comme des héros en Europe.
• Essais et erreurs, incertitude, et échec font partie (essentielle) de l’innovation
• Notre niveau de confort élevé accélérera notre propre fin (et non la destruction créatrice de nouveau).
• La peur d’essayer est le problème le plus grave avec l’innovation.
• Le mandat de l’Europe de devenir la première économie du monde fondée sur la connaissance a échoué.
• L’Innovation ne se décrète pas, elle est bottom-up, pas top-down.
• Les jeunes sont créatifs, car ils n’ont pas encore l’expérience de l’échec.
• Nous devons créer une infrastructure où les entrepreneurs qui prennent des risques peuvent prospérer.
• Tous les étudiants qui montrent un intérêt pour et la capacité d’innovation devraient connaître la culture de la Silicon Valley. Nous ne devrions pas craindre qu’ils ne reviennent pas.
• Les grandes universités en Europe peuvent être des facteurs de changement, des catalyseurs, en se mettant d’accord sur ce qui est important (l’éducation, l’innovation, l’entrepreneuriat) et investir dans ces domaines.

L’immigré, facteur de création

Voici ma dernière chronique pour 2013 à Entreprise Romande. Sujet qui m’est cher, l’importance des migrants.

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Les chemins de l’innovation et de l’entrepreneuriat sont pavés d’une myriade de dilemmes. Clayton Christensen avait il y a quelques années exploré le premier sujet dans son Innovator’s Dilemma et l’année dernière Noam Wasserman a publié un intéressant Founder’s Dillemmas. L’incertitude face au marché, la jeunesse face à l’expérience, la rupture face à l’incrémental, le nouveau face à l’établi font partie de ces choix difficiles. Un sujet plus controversé et politiquement sensible est l’apport de l’étranger, du migrant dans le domaine de la création.

A l’heure du débat en Europe comme en Suisse sur la menace que représenterait celui qui est différent et qui vient d’ailleurs, il est peut-être bon de rappeler quelques éléments beaucoup plus positifs sur l’importance de l’ouverture à l’extérieur. L’histoire suisse [1] nous rappelle que l’industrie horlogère est liée à l’arrivée des Huguenots au XVIe siècle, qu’une partie de l’industrie des textiles à Saint-Gall a son origine en Angleterre. Il y a aussi des Français à l’origine de l’industrie de la chimie bâloise. Peut-être est-il intéressant de rappeler que Christoph Blocher a de lointaines origines allemandes mais que dire de Nicolas Hayek, le sauveur de l’industrie horlogère, bercé par les cultures libanaise et française.

Beaucoup plus loin d’ici, la Silicon Valley, championne mondiale de l’entrepreneuriat innovant doit beaucoup à ses migrants. Bien sûr l’Amérique est terre de pionniers, mais la région de San Francisco a poussé la logique à l’extrême. Plus de la moitié des entrepreneurs de cette région sont d’origine étrangère et par exemple, Google, Yahoo, Intel comptaient un fondateur issu de ces migrations. Alors que l’Europe se ferme en raison de ses difficultés économiques, aux Etats Unis, le Start-up Act 2.0 envisage de simplifier l’obtention d’un visa pour les étrangers et de régulariser les enfants de migrants pour leur permettre de faire des études supérieures. Le Japon autre grand pays d’innovation il y a quelques décennies a peut-être pâti de sa fermeture au migrant ; le pays vieillit et n’a pas vraiment su se renouveler.

La Suisse est terre de migration, ne l’oublions pas, et c’est une de ses forces. Aujourd’hui encore, les campus de l’EPFL et de l’ETHZ comptent une grande part d’étudiants mais aussi de chercheurs et d’enseignants d’origine étrangère. La proportion augmente bien plus si l’on se concentre sur ceux qui créent des entreprises. Pour ceux qui ont reçu une bourse entrepreneuriale à l’EPFL, la proportion passe à 75% et même 25% de non-européens.

Les étrangers seraient-ils plus talentueux et créatifs ? La réponse est plutôt dans une plus grande expérience de ce qui est inconnu et incertain. Un migrant a accepté de quitter sa terre natale en laissant parfois tout derrière lui. Et il sait par son vécu que l’on peut se relever de cette perte. Il sait ainsi qu’il est toujours possible de recommencer et la peur d’échouer en est moindre. Il a aussi appris à domestiquer la nouveauté. Il faut ajouter qu’un migrant a moins accès aux cercles établis et reste bloqué par « les plafonds de verre ». Il doit donc plus souvent provoquer sa destinée. De ce point de vue, il ne prend pas la place de l’autre, il crée de nouvelles opportunités profitables aux autres !

[1] http://histoire-suisse.geschichte-schweiz.ch/industrialisation-suisse.html