Archives de l’auteur : Herve Lebret

Le succès inhabituel et extraordinaire de deux entrepreneurs en série: Andy Bechtolsheim et David Cheriton

Serial entrepreneur est un terme à la mode. Je n’ai jamais été convaincu par le lien entre l’entrepreneur en série et le succès. J’ai même fait une analyse pour ceux liés à l’Université de Stanford (consultez entrepreneurs série: sont-ils meilleurs?). Mais de temps en temps, vous voyez ces étonnantes et rares réussites.

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Andy Bechtolsheim (à gauche) et David Cheriton (à droite) [avec leco-fondateur de Arista, Ken Duda).

Andy Bechtolsheim est une icône de la Silicon Valley. En 1982, il a co-fondé Sun Microsystems. Né en Allemagne en 1995, il a déménagé aux États-Unis à 20 ans pour son master à CMU. Il s’installa dans la Silicon Vallley afin de travailler chez Intel, mais a ensuite atterri à Stanford pour son doctorat. Sun est venu par la suite. Il y est resté jusqu’en 1995…

David Cheriton est un professeur de Stanford. Né en 1951 au Canada, il a obtenu son BS à l’UBC et son doctorat à l’Université de Waterloo. Il arrive à Stanford en 1981. Je ne sais pas comment ils se sont rencontrés, mais ils ont co-fondé Granite Systems en 1995. Un an plus tard, la start-up est achetée par Cisco pour 220 millions de dollars. Bechtolsheim est resté chez Cisco jusqu’en 2003. Cheriton est toujours professeur à Stanford. Deux ans plus tard, ils rencontrent deux étudiants inconnus de Stanford, Larry Page et Sergei Brin. Chacun investit 100’000 dollars dans leur start-up, mais c’est une autre histoire …

En Février 2001, ils fondent ensemble une autre start-up, Kealia. En Avril 2004, « Sun a émis un total d’environ 20’000’000 d’actions ordinaires (y compris les options) en échange de toutes les actions en circulation et les options de Kealia » (source: Newswire). A cette époque, l’action Sun valait environ 4$, ce qui donne une valeur d’acquisition d’environ de 80 millions de dollars. Cette même année, Google est entrée en bourse (le 19 Août) à 85$ par action. Ils avaient reçu 1’600’000 actions pour leur investissement de 100’000$ (soit 0,0625$ par action, un multiple de 1’360 et avec un six mois de lock-up, la valeur de l’action a plus que doublé). Le succès de Kealia est tout relatif…

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Granite a pu avoir un logo, mais je ne l’ai pas le trouvé sur le web. Kealia était apparemment toujours en mode furtif. Pas de logo disponible non plus…

Mais il ne se sont pas arrêtés là. En Octobre 2004, ils co-fondé Arista Networks. Le nom était à l’époque Arastra. La société vient de faire son entrée en bourse, ce qui est la motivation de cet article. Et vous trouverez mon tableau de capitalisation habituel ci-après. Et parce qu’ils avaient ainsi fait beaucoup d’argent, les deux entrepreneurs en série ont financé presque entièrement la start-up eux-mêmes… Pas le moindre succès de tous!

Arista
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PS: Cheriton et Bechtolsheim sont-ils bons amis? Je n’en ai pas la moindre idée, mais le document d’iIPO d’Arista mentionne un litige, je vous laisse aller lire l’article en anglais en cliquant ici.

Si vous voulez être un entrepreneur high-tech, ne lisez pas cela. Ou bien?

Est-ce une période étrange ou suis-je de plus en plus vieux? Le fait est que mes récentes lectures sur l’esprit d’entreprise high-tech ou la Silicon Valley n’ont pas été optimistes ni positives. Je pense à:
The Hard Thing About Hard Things – Ben Horowitz
– Pour sauver le monde, cliquez ici de Morozov (qui est si négatif que je n’ai pas encore écrit d’article!)
– Le Silicon Valley de HBO – agréable et drôle mais un peu déprimant.

D’une certaine manière, il y a toujours eu des créations qui ne sont pas vraiment optimistes, mais il y avait toujours des éléments positif. Je pense
The First $20 Million Is Always The Hardest de Po Bronson,
I’M Feeling Lucky – Falling On My Feet in Silicon Valley de Douglas Edwards,
L’Homme qui ne croyait pas au hasard de Peter Harboe Schmidt,
– et la nouvelle très drôle The Anorexic Startup de Mike Frankel.

NoExit

Je viens de lire No Exit, Struggling to Survive a Modern Gold Rush de Gideon Lewis-Kraus (merci David!). La passion, l’excitation ont disparu. Les entrepreneurs sont assez honnêtes pour montrer qu’ils sont épuisés. Et la ruée vers l’or de nouveau fait plus de victimes que de gagnants.

J’ai d’abord pensé qu’il s’agissait d’une fiction, mais l’auteur est un journaliste de Wired. C’est pourquoi ma première réaction a été que ce n’est pas un bon travail, je ne pouvais pas voir le style, le rythme. Après avoir compris que c’était pas de la fiction, j’étais moins négatif mais je pense que ce n’est pas le meilleur document que j’ai lu, sur le sujet, et de loin. Mais voici quelques citations / leçons intéressantes que je traduis:

« La vallée a élaboré avec succès le fantasme que l’entrepreneuriat – et, plus largement, la créativité – peut être systématisée; ce sont les promesses de base des accélérateurs que le succès pour les start-up peut être non seulement enseigné mais rationalisé, et même prévisible (YCombinator et al.) ». (31/847 – référence Kindle) et plus loin « le livre le plus acheté de la Silicon Valley, Le Lean Startup de Eric Ries, est un pamphlet spiritul qui exhorte les gagnants à avoir faim, à aller vite, à être agile, sans état d’âme. Presque tous les fondateurs de la Silicon Valley ont lu les 30 premières pages de ce livre. » (618/847) Si vous ne connaissez pas le livre, il y est en effet question de dépenser peu et de pivot rapide et je suis d’accord, il y a quelque chose de faux dans tous ces fantasmes. En effet, même Steve Blank est maintenant d’accord. Vérifiez sa déclaration sur l’apprentissage de l’entrepreneuriat.

Pire encore, «[…] la crise des séries A. En partie en raison des accélérateurs comme Y Combinator, ainsi que de l’excédent de capital autour de la vallée après les dernières introductions en bourse, il n’a jamais été plus facile de lever une petite somme d’argent, disons 1 million de dollars. Et il n’a jamais été plus facile de construire une entreprise en particulier un produit web ou mobile avec cette petite somme d’argent, en partie grâce à la prolifération des outils de développement faciles à utiliser et peu onéreux et les plates-formes de cloud comme Amazon Web Services. Mais la quantité de « vrai » financement de capital-risque (c.-à-dire les séries A) n’a pas suivi le rythme. Les institutions qui signent les gros chèques, celles qui pourraient appuyer et soutenir la croissance réelle, peuvent considérer les centaines d’entreprises qui ont utilisé un petit chèque puis mettre leur vrai argent sur les propositions qui promettent le meilleur rendement avec le moins de risques » (41/847) et « le problème en 1999 était que, pour recevoir 5 millions de dollars, vous n’aviez pas besoin de beaucoup. Vous aviez besoin d’un ou deux diplômés de Stanford, une idée pour un prototype, et une personnalité enthousiaste à qui donner cet argent. Il est difficile d’obtenir 5 millions de dollars aujourd’hui en partie parce qu’il est si facile d’obtenir $500’000, surtout si vous sortez d’un accélérateur. Une façon de voir les choses est que les 5 millions de dollars qui étaient allé à une entreprise de 10 personnes en 1999 vont maintenant dans 10 entreprises de deux personnes. Vous avez baissé la barre d’un facteur 10 » (753).

Et les conséquences sont légèrement différentes … « La vallée est le lieu où l’incroyable succès de très peu de personnes a capté des jeunes gens en échange de leur temps, leur énergie et, aussi, leur jeunesse » (60). « Vous savez que les chances de succès de toute entreprise donnée sont faibles, et c’est pourquoi vous faites beaucoup de paris. Dans la première bulle Internet, le risque a été largement porté par les investisseurs. Maintenant que les bailleurs de fonds ont une emprise sur le marché et que les connaissances en ingénierie spécialisée est devenue une marchandise courante, le risque a été reporté sur la jeunesse » (760). « Le pire, c’est que ces gars obtiennent finalement un autre financement et soient coincés à continuer une année de plus. Jusqu’à présent, ils n’en ont perdu qu’une » (778).

Ses commentaires ont corrects, mais n’est-ce pas vrai de n’importe quel pari que vous faites dans la vie, devenir un artiste, un scientifique. Vous pouvez choisir une vie plus sûre bien sûr. Lewis-Kraus est pessimiste, il voit les gens qui ne gagnent pas. Et cela existe partout où les gens essaient. J’ai des vues plus optimistes. Même si je sais que c’est une expérience difficile … je préfère ce que dit Latour de son expérience avec Everpix: « J’ai plus de respect pour quelqu’un qui commence un restaurant et y met ses économies d’une vie que ce que j’ai fait. Nous sommes toujours heureux. Nous sommes dans un environnement qui a un assez bon filet de sécurité, dans la Silicon Valley ».

Une dernière citation, que j’ai bien aimée (lié à mon précédent post sur l’âge – en anglais seulement): « Il y a eu beaucoup d’articles récemment sur le fossé de l’âge dans la Silicon Valley, et même les articles les plus réfléchis – tels que que ceux du New York Times Magazine et de The New Republic – ont tendance à manquer l’évidence: les personnes plus âgées ne travaillent généralement pas dans les start-up, car elles ont des familles et ne peuvent plus supporter la situation de crise permanente. C’est exactement la même raison pour laquelle les gens dans la cinquantaine ont tendance à ne pas être freelance pour des magazines ou bassistes dans des clubs underground. Comme un investisseur me l’a dit: Quand je vois une personne de 40 ans dans une réunion pour un tour de série A, je le prends à part, lui mets ma main sur son épaule, et lui dis d’aller se trouver un emploi » (706).

PS: c’est toujours un défi pour moi de lire un e-book d’autant plus avec ces références qui ne sont pas des numéros de pages. Alors j’ai triché, créé un pdf et imprimé le document pour prendre des notes et ensuite faire des copier/coller dans le pdf …

Les fins d’Internet par Boris Beaude

L’Internet n’est que le reflet du progrès technologique et de la globalisation. Tout comme avec ces deux sujets, des tensions sociales et politiques sont naturellement apparues, mais rendues plus aigües encore par les spécificités du Réseau et la révolution qu’il a créée en beaucoup moins de temps que les évolutions passées du Monde. (J’ajouterai plus bas que les déceptions provoquées par des attentes excessives de la technologie ont joué elles aussi un rôle.)

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La 4ème de couverture du livre Les fins d’Internet rappelle que l’Internet a révolutionné le Monde dans les domaines de l’information, de la production, de la collaboration et des transactions. Son auteur Boris Beaude est géographe de formation, ce qui est d’importance dans sa manière d’aborder son sujet. Beaude contribue à la réflexion sur les contraintes créées par le Réseau de manière synthétique et détaillée, dans un petit livre (95 pages) dense et passionnant.

(Je n’en dirai pas autant du livre d’Evgeny Morozov, To Save Everything, Click here, qui est aussi dense, sur des sujets connexes, mais trop provocateur ou extrême pour être totalement convaincant. J’y reviendrai peut-être plus tard dans un autre post.)

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L’Internet (tout comme la globalisation) a révolutionné le Monde (page 15) en re-balançant les priorités (et recréant des tensions) entre:

Avant l’Internet Depuis l’Internet
Egalité Liberté
Société / Collectif Individu
Vie privée Vie publique / Transparence
Propriété Gratuité

Beaude mentionne aussi (page 24) les problèmes liés à
– la liberté d’expression,
– l’intelligence collective,
– l’ouverture,
– la décentralisation,
– la neutralité,
qui sont les titres de ces chapitres.

L’Internet perturbe donc les valeurs locales dans les territoires, mais l’Internet (qui « est un nom propre au même titre que la France ou l’Union européenne » – page 14) est tout sauf virtuel; il est un espace immatériel. Il faut pourtant qu’il puisse survivre aux intérêts particuliers. L’Internet rend la distance (et le temps) moins pertinents sans les abolir ce qui « rend plus évidente sa disjonction avec la pluralité des espaces territoriaux » (page 23). Il perturbe les Etats qui ont pu mettre des valeurs plus hautes que la liberté (sécurité, propriété aux USA auxquelles il faut ajouter la dignité, la vie privée, en Europe). Beaude est bien géographe !

Et d’ajouter : « Un espace commun à l’humanité ne suffit manifestement pas à créer spontanément des valeurs communes. Or les contrats sociaux sont au cœur de la politique. Ils proposent de renoncer à des libertés en déléguant collectivement l’autorité au nom de libertés jugées plus fondamentales » (page 29). Cf le « ma liberté s’arrête où commence celle des autres ». L’Internet est à la fois un espace de liberté et un espace de non-droit (propriété intellectuelle battue en brèche, surveillance généralisée, utilisation privée des données, la liste est longue.)

Et c’est bien là entre autres que le bât blesse. Pas seulement dans le monde de l’Internet, mais également dans le domaine de l’innovation technologique où les experts impressionnent souvent le politique et la société. Il se créée ainsi des tensions entre individu et société, entre privé et public, entre experts et décideurs. « Le code informatique est à présent la loi » (page 47).

Sur l’intelligence collective : « Croire aux potentiels des individus, c’est précisément ne pas croire à celui d’un seul, c’est accepter la faillibilité individuelle, tout en reconnaissant la puissance d’appréciation qui réside en chacun » (page 38). Suit une section sur la démocratie et « la difficulté à organiser du commun avec du particulier » (et le fameux, le « pire système à l’exception de tous les autres ».) De plus le caractère largement minoritaire des contributeurs à l’intelligence collective sur Internet (par exemple 0.0002% des utilisateurs du Wikipédia francophone) en est une limite supplémentaire, sans oublier la disparition de leur indépendance et la privatisation de cette intelligence (pages 40-46).

Il faut aussi lire son excellente synthèse sur gratuité et propriété. La propriété intellectuelle bien sûr avec les émergents Copyleft et Creative Commons. La gratuité n’existe que parce qu’un tiers paye; pas seulement la publicité mais aussi des sponsors dans le cas de Wikipédia ou Mozilla. Cela n’est pas si nouveau puisqu’aussi bien la Presse que la Télévision utilisaient ces méthodes. Juste une question d’échelle et une forte dématérialisation. Les coûts minimaux de copie et de transmission révolutionnent le monde, mais la production initiale des biens doit être financée. Netflix et Spotify montrent que de nouveaux modèles sont possibles, mais si seul l’agrégateur ou le distributeur sont suffisamment rémunérés, la source du contenu risque de s’épuiser en qualité si ce n’est en quantité… Et en même temps, Beaude rappelle que la gratuité est aussi facteur de liberté.

Autre sujet subtil : l’hypercentralité (Google, Facebook,Twitter) pose de fantastiques problèmes, le moindre n’étant pas le contournement des lois et de la fiscalité (page 75). Ainsi les « liens faibles » (ceux qui ne sont ni quotidiens ni intenses) sont eux aussi essentiels. Mais menacés ?

Beaude rappelle bien à propos que le quatrième amendement de la constitution américaine impose un mandat à toute perquisition. Il pose la constitutionnalité de la surveillance opérée par la NSA (page 81).

Comment l’Internet a-t-il pu en arriver à donner des résultats de Google et de Twitter différents selon les pays, des offres d’iTunes, de Netflix ou de YouTube différentes, voire inexistantes selon la géographie ? (Page 85). Cette neutralité disparue va conduire à la neutralisation d’Internet, voire sa disparition (page 89). « La neutralité et l’auto-organisation font partie des options libertariennes […] et sont en contradiction avec la politique. […] L’humanité doit saisir cette opportunité de rediscuter de ce que l’on considère comme important, vraiment important. […] Le défi est d’une rare complexité. Il va falloir choisir entre la fin d’Internet ou la mondialisation de la politique» (pages 91-93).

Beaude indique donc que le dilemme est simple : « En respectant les contrats sociaux nationaux, Internet est partitionné selon les Nations. En ne respectant pas les contrats sociaux nationaux, Internet risque d’être partitionné plus encore dans un avenir relativement proche » (page 35). « Internet permet l’émergence d’un espace politique mondial, mais celui-ci est toujours largement à inventer. Le temps de cette invention, Internet aura probablement disparu ! » (page 36)

Comme d’habitude ma synthèse est imparfaite, mais si let sujet vous intéresse ou vous intrigue, lisez Beaude !

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Enfin et ce n’est pas tout à fait le sujet de Beaude, il y a aussi une certaine déception face aux promesses de la technologie et de l’Internet en particulier… Au motto de Thiel – « nous voulions des voitures volantes, nous avons eu 140 caractères » – que j’ai déjà cité ici, ce qui ne serait pas si grave, on pourrait ajouter la citation du patron de TF1 – « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible.[…] Rien n’est plus difficile que d’obtenir cette disponibilité » – ou celle de Jeff Hammerbacher: “Les meilleurs esprits de ma génération réfléchissent à la manière de faire les gens cliquer sur des publicités, cela pue. » Ce qui me ramène à Morozov dont les arguments sur le « centrisme » et le « solutionisme » de l’Internet me semblent bien excessifs. Ce ne sont pas les promesses exagérées de l’Internet qui sont décevantes, c’est le risque de dérive et de disparition de l’Internet qui est le vrai problème – mais ceci est un autre sujet.)

Silicon Valley par HBO: suite et fin. Ou bien?

HBO a programmé son dernier épisode (le huitième) de Silicon Valley. Apparemment, il était assez réussi pour que la chaîne décide d’une deuxième saison. J’ai ri à nouveau même si je ne prétends pas que la série soit géniale. Aussi extrêmes que soient les anecdotes de la série, elles sont finalement assez réalistes.

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L’équipe semble d’abord extatique mais après la présentation de son concurrent, beaucoup moins… « Regardez-moi, regardez-moi, regardez-moi. Nous avons un super nom, nous avons une super équipe, nous avons un super logo et nous avons… un super nom. Maintenant nous avons juste besoin d’une super idée. Pivotons, nous devons pivoter. »
Est-ce suffisant ? Pas sûr quand vous écoutez ce qui se passe ensuite:
« Regardez-les, tous pleins d’espoir. Ils viennent tout juste de lever 20 millions de dollars en série A à une valorisation de 280 millions. » Il pourrait être temps de se joindre à eux…
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… sauf si le brainstorming n’arrive pas trop tard. Je ne vais pas vous dire comment les nouvelles idées sont venues, mais c’était « geeky, nerdy »…
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… et apparemment efficace. Tout le monde semble heureux. Et c’est l’Amérique. En fait, voici une des premières images montrant la Bay Area. Rien d’autre n’a vraiment prouvé que la série a été tournée là-bas.
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En guise de conclusion à la série, une nouvelle triste que j’ai apprise à travers une vidéo que j’ai postée dans un article précédent …
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PS: en plus de mes articles posts about the series (mot clé: HBO), vous pourtriez être intéressé par:
– les pages web de HBO: Silicon Valley
– le lien Wikipedia: Silicon Valley (série télévisée)

Mots clés : Film, Silicon Valley

GoPro prouve qu’une start-up peut faire du matériel et réussir

GoPro vient de déposer son document d’entrée en bourse (voici le lien vers le document S-1 auprès de la SEC). Son fondateur Nick Woodman est si peu conventionnel qu’il est appelé le milliardaire fou.

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Mais ce qui est vraiment peu conventionnel est le fait qu’une société de matériel peut encore aller en bourse à l’ère des médias sociaux. Il y a d’autres caractéristiques peu conventionnelles, en particulier dans l’actionnariat. Le fondateur et son père possèdent ensemble plus de 40% de la société. Le premier développeur en possède encore environ 5%. Bien sûr, les investisseurs n’en ont pas autant… La Silicon Valley est également connue pour la force des réseaux alors comment est-il possible qu’un surfer puisse attirer l’attention de la région? Parce que les caméras GoPro sont superbes bien sûr! Eh bien, ce n’est peut-être pas tout… Irwin Federman est un VC légendaire, actionnaire de GoPro … et beau-père de Woodman…

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The Hard Thing About Hard Things – Ben Horowitz: pas de recette sauf du courage

J’ai commencé mon blog précédent sur ​​The Hard Thing About Hard Things de Ben Horowitz en citant la première page. Je vais commencer ici avec sa dernière page:

« Les choses difficiles sont difficiles car il n’y a pas de réponses ou de recettes faciles. Elles sont difficiles parce que vos émotions sont en contradiction avec la logique. Elles sont difficiles parce que vous ne connaissez pas les réponses et vous ne pouvez pas demander de l’aide sans montrer vos faiblesses. Lorsque je suis devenu PDG , j’ai vraiment pensé que j’étais le seul en difficulté. Chaque fois que je parlais à d’autres chefs d’entreprise, ils semblaient tous avoir tout sous contrôle. Leurs entreprises allaient toujours « fantastiquement » bien et leur expérience était forcément «formidable». Mais comme j’ai vu ces entreprises fantastiques, formidables de mes collègues faire faillite l’une après l’autre et vendues pour pas cher, j’ai réalisé que je n’étais probablement pas le seul en difficulté ». […] « Acceptez votre étrangeté, votre passé, votre instinct. Si les clés s’y trouvent pas, c’est qu’elles n’existent pas ». [Page 275]

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Encore une fois le livre n’est pas une lecture facile. Il donne plus de conseils sur les processus que sur toute autre chose, et vous risquez de ne pas profiter de ce livre, si vous n’avez pas besoin de l’appliquer maintenant. Si vous n’êtes pas un entrepreneur ambitieux qui a besoin d’accélérer son entreprise, la lecture du livre peut ne pas être utile. Pourtant c’est un excellent livre. EN voici quelques illustrations:

« Déterminer le bon produit est le travail de l’innovateur, pas le travail du client. La cliente ne sait ce qu’elle pense qu’elle veut qu’en fonction de son expérience avec le produit actuel. L’innovateur peut prendre en compte tout ce qui est possible, mais doit souvent aller à l’encontre de ce qu’elle sait être vrai. En conséquence, l’innovation nécessite une combinaison de connaissances, de compétences et de courage. Parfois, seul le fondateur a le courage d’ignorer les données. » [Page 50]

Curieusement, Horowitz cite Thiel. (D’ailleurs, les soutiens du livre de Horowitz sur la 4ème de couverture sont Page, Zuckerberg, Costolo et Thiel…) « Je ne crois pas aux statistiques, je crois au calcul ». Et ses conseils « quand tout s’écroule » sont
– Ne mettez pas tout sur vos épaules.
– Ce n’est pas un jeu de dame, c’est un putain de jeu d’échecs.
– Jouer assez longtemps et vous pourriez avoir de la chance.
– Ne le prenez pas personnellement.
– Rappelez-vous que c’est ce qui sépare les femmes des filles.
Je résume ses conseils des pages 64 à 93 ainsi: quand tout s’écroule, faites face à la vérité et dites la vérité. Dites la vérité à vos employés, dites la vérité à vos futurs ex-collègues, dites la vérité à vos amis et surtout dites la vérité à vous-même.

Je comprends maintenant pourquoi Andreessen Horowitz est considérée comme une entreprise qui a mis en place des tonnes de processus. Horowitz décrit de nombreuses tâches auxquelle les fondateurs devraient apporter la plus grande attention. Prendre soin des personnes, d’abord. Il décrit également comment vous pouvez faire des erreurs en essayant de faire bien. Juste un exemple: « notre hockey stick [la forme du graphique du chiffre d’affaires sur le trimestre] était si mauvais que nous avions enregistré de 90% de nos nouvelles commandes le dernier jour du trimestre. […] J’ai conçu une incitation pour les décaler vers les deux premiers mois. […] En conséquence, le prochain trimestre fut plus linéaire et légèrement plus petit … les commandes furent décalées du troisième mois aux deux premiers mois du trimestre suivant. »

D’autres exemples intéressants concernent le sujet des gens intelligents qui sont de mauvais employés – « Parfois, vous aurez un joueur qui est tellement bon que vous le bus l’attendra, mais lui seulement » – et le sujet de l’intégration de personnes d’expérience – « Lorsque le chef de l’ingénierie est promu de l’intérieur, elle réussit souvent. Lorsque le chef des ventes est promu de l’intérieur, elle ne réussit presque jamais ». [Page 172] Horowitz explique aussi qu’il n’y a pas une règle, cela dépend de l’entreprise. Andreessen est en faveur de donner facilement des titres, Zuckerberg a des vues opposées.

« Peut-être la chose la plus importante que j’ai apprise en tant qu’entrepreneur était de me concentrer sur ce que je devais faire et cesser de m’inquiéter de toutes les choses que j’avais mal faites ou qui pourraient aller mal. » [Page 200] Se concentrer à nouveau sur ses forces, pas les faiblesses.

Des Uns et des Deux

Horowitz cite « De la Performance à l’excellence » de Jim Collins. « Les candidats internes surpassent considérablement les candidats externes. » Et puis il ajoute que « Collins n’explique pas pourquoi les candidats internes parfois ne réussissent pas. » Il y a « deux compétences de base pour la bonne gestion d’une organisation : premièrement, savoir quoi faire ; deuxièmement, amener l’entreprise à faire ce que vous voulez. Alors qu’être un grand chef de la direction exige ces deux compétences, la plupart d’entre eux ont tendance à être plus à l’aise avec l’une ou l’autre. J’appelle les gestionnaires plus heureux à définir la direction de l’entreprise des Uns et ceux qui ont plus de plaisir à faire réussir l’entreprise au plus haut niveau des Deux. » Quand ils ne sont pas compétents dans les deux domaines, « les Uns finissent dans le chaos et Deux ne parviennent pas à pivoter si nécessaire. » [Pages 214, 216]

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Horowitz montre qu’un PDG doit avoir de la vision comme Steve Jobs, de la compétence pour mettre en œuvre comme Andy Grove, et de l’ambition comme Bill Campbell. L’une des références favorites d’Horowitz est en effet le « High Output Management » de Andy Grove et même s’il montre tout le respect qu’il a pour Jobs et Campbell, la systématisation des processus restent un des ses sujets favoris, donc Grove également.

Temps de paix / temps de guerre

Horowitz croit aussi fermement que « la vie est un combat » (citant Karl Marx) et que les dirigeants doivent être prêts à être à la fois PDG en temps de paix (quand une entreprise a un grand avantage sur la concurrence dans un marché en pleine croissance – Eric Schmid chez Google jusqu’à ce que Page prenne les rênes) et PDG en temps de guerre (quand les entreprises sont confrontées à des menaces existentielles – le Grove d’Intel quand ils sont passés des mémoires à microprocesseurs ou le Jobs d’Apple quand il est revenu) .

« Soyez conscient que les livres de gestion ont tendance à être écrits par des consultants qui étudient les entreprises qui réussissent en temps de paix. En conséquence, les livres décrivent les méthodes de PDG en temps de paix. En fait, en dehors des livres écrits par Andy Grove, je ne connais aucun livre de gestion qui apprenne à gérer en temps de guerre comme Steve Jobs ou Andy Grove ». [Page 228]

Horowitz déteste l’idée que les fondateurs doivent être remplacés, que les entreprises doivent avoir des PDG professionnels qui savent passer à l’échelle ou qui « devraient être le vendeur numéro un de la start-up. » Les PDG définissent la stratégie (« Le storytelling et la stratégie sont la même chose. ») et prennent les décisions (« avec rapidité et qualité »).

Vous pourrez aussi apprécier les sections comme la « Technique de gestion du Freaky Friday » [Page 252] et « Devez-vous vendre votre entreprise? » [Page 257] mais laissez-moi finir avec certaines de ses dernières remarques : « Premièrement, les fondateurs techniques sont les meilleures personnes pour diriger les entreprises de technologie ». […] « Deuxièmement, il est extrêmement difficile pour les fondateurs techniques d’apprendre à devenir PDG tout en bâtissant leur entreprises. » [Page 268] C’est pourquoi les VCs devraient aider ces fondateurs à devenir des PDG en acquérant les compétences nécessaires ainsi que la construction d’un réseau.

Enfin, si vous vous demandez pourquoi le site web d’Andreessen-Horowitz est www.a16z.com, vous avez juste à compter le nombre de lettres dans le nom entre le a et le z…

Pourquoi la Silicon Valley est toujours la capitale de l’innovation

J’ai entendu si souvent que la Silicon Valley n’est plus l’endroit où il faut être ou aller en matière d’innovation que lorsque j’ai relu les courriels que j’ai échangé récemment avec un étudiant, je lui ai demandé de me laisser publier certains de ses mots.

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2 avril – Cher Hervé,
Je voulais juste vous tenir informé de mes dernières découvertes dans la Silicon Valley. Tout d’abord, cet endroit est incroyable! C’est la première fois de ma vie où je me sens accepté. Les événements et le style de ces événements est tout simplement incroyable. C’est tellement amusant!
J’ai rencontré tellement de gens inspirants. J’ai passé le week-end à découvrir les personnes avec qui je vis. Je ne vous avais sans doute pas dit que je vis dans une maison pour les entrepreneurs. C’est comme une auberge de jeunesse de long terme pour les entrepreneurs et gérée par des entrepreneurs. Je suis tellement marqué par toutes leurs histoires !
J’ai également visité une institution européenne jeudi. Et en parlant juste entre vous et moi, j’ai été vraiment déçu. Les gens étaient très gentils en surface, mais cela ne m’a pas beaucoup aidé. Juste la nuit précédente nous parlions avec des entrepreneurs du fait que beaucoup de problèmes en Europe viennent du manque de coopération et d’objectifs communs entre les gouvernements.

8 avril – Hervé,
J’ai vraiment envie de retourner dans la Silicon Valley plus tard. Voici un résumé de ma semaine : j’ai participé à une autre conférence extraordinaire! Tellement d’énergie et d’enthousiasme inspirant. Je suis aussi allé à un Meetup sur le thème des big data. Il était vraiment excellent. J’ai également eu l’occasion de participer à un événement organisé par le gouvernement écossais – un événement de très haut niveau. C’est ce que j’aime dans la Silicon Valley – cela demanderait beaucoup plus d’efforts pour pouvoir participer à des choses de la même qualité en Europe.
Cordialement,

18 avril
J’aime vraiment cet endroit ! 🙂 [ … ] Je vais vous donner un bref résumé de ce que j’ai fait lors de ma 3ème semaine ici. Je suis très fier du fait que j’ai visité Google deux fois ! C’est un endroit incroyable ! Je suis aussi passé devant quelques célèbres géants de la Silicon Valley comme Cisco, Intel, IBM, Oracle (j’ai adoré le style Oracle !). Je suis aussi allé à l’endroit de Shockley Semiconductors et Fairchild Semiconductors.
Je suis allé à quelques événements au Plug and Play – très bel endroit. Les gens ont de bonnes connexions là-bas. Ai visité un événement à l’accélérateur Rocketspace. Ambiance complètement différente. Participation à un autre événement de l’IESE (école de commerce européenne) à l’accélérateur Runway. Vu des Allemands, aimé le style. Un autre événement au SRI. Un lieu tellement protégé, comme si l’avenir militaire de décidait là. L’événement traitait de robotique – je me sentais stupide parce que je ne sais rien à propos des robots, mais appris beaucoup de choses.
Enfin, comme je l’ai mentionné plus tôt – ai eu la chance de rencontrer […]. J’aime ses discours. Cependant, il était un peu décevant parce que le matériel n’est pas vraiment nouveau. Il a dit les mêmes choses que ce qui est sur ​​youtube. Mais de manière générale, j’adore mon séjour ici. Je n’ai presque pas de temps de répondre aux courriels (comme vous pouvez le voir), mais je rencontre beaucoup de gens et visite de nombreux endroits !

6 mai
En ce qui concerne les deux dernières semaines de mon séjour – ouah – c’était fou. J’ai participé à beaucoup d’événements. J’ai rencontré des Européens qui vivent dans la région de San Francisco. En fait, ils était un peu décevants car ils n’avaient pas vraiment l’esprit d’entreprise, plus comme bénéficiant de l’atmosphère locale.
J’ai été à une autre session de pitching à San Francisco – totalement confirmé mon opinion que tout le monde a une chance de se lancer et beaucoup de gens profitent de l’occasion, même quand les technologies ne sont pas vraiment exceptionnelles. J’ai passé Pâques à Stanford. Il y avait la journée de démonstration et les pitches finaux des participants de E-Bootcamp. Stanford m’a laissé une très bonne impression – la qualité des pitches et l’organisation sont différentes du reste de la Silicon Valley. La semaine suivante, je suis allé à l’événement des leaders d’opinion entrepreneuriaux à Stanford – un entretien avec Morris Chang. Très bonne idée d’avoir de tels événements.
Pour résumer brièvement mon voyage dans la vallée c’était vraiment une expérience incroyable ! J’ai tant appris et j’ai vu tant de choses. Je me sens comme si j’avais fait un semestre de plus à l’EPFL ! Je pense que l’esprit d’entreprise à travers le monde est très différent. Il est toujours possible de faire quelque chose de différent de la Silicon Valley et de l’adapter à l’atmosphère locale, mais dans de nombreux cas, certains traits de la culture besoin d’être changés. Et c’est probablement la chose la plus difficile à changer. Il faudra plus que les injections d’argent. Je suis très content de mon choix d’aller dans la SV et je pense que cela a eu un impact énorme pour moi en tant que futur entrepreneur.

Il y a quelques années, j’avais participé à une table ronde à Grenoble. J’avais tenté d’expliquer mon point de vue sur les différences entre ici, en Europe, et là-bas, la SV. Je m’étais senti très critiqué par beaucoup pour « mon point de vue biaisé et unilatéral » des choses jusqu’à ce que une jeune entrepreneur réagisse. Elle venait de rentrer d’un voyage en SV et c’était la première fois qu’elle y éatit allé. « J’ai rencontré plus de gens et j’ai appris plus de choses en 10 jours que je l’aurais fait en 6 mois ici à Grenoble ». C’était en 2011. Je crois que c’est encore vrai en 2014. Je crois toujours que la SV est l’endroit où être ou au moins aller si vous voulez accélérer votre apprentissage sur l’innovation et l’esprit d’entreprise high-tech.

Silicon Valley par HBO – épisode 6: des humains et des machines

Vous y découvrirez le génie des humains
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et des machines
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et pourrez alors décider si vous préférez l’autisme des machines
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ou la folie des humains.
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Il est clair que les auteurs du Silicon Valley de HBO n’ont pas une grande fascination pour les uns ni les autres, ce que vous pouvez également vérifier à travers l’interview de TechCrunch à laquelle ils ont participé…

Ray Kurzweil raconte n’importe quoi

Comme souvent, excellente émission de Marc Voinchet sur France Culture ce matin. Tout d’abord excellente invitée, Cécile Lafontaine pour son livre Le corps-marché, La marchandisation de la vie humaine à l’ère de la bioéconomie qui au delà de son sujet pose des questions sur la tension entre individu et société. Elle apporte d’excellentes réponses aux débats ouverts par Thiel. Mais là je m’arrête et vous laisse découvrir l’entretien si le sujet vous intéresse.

FranceCulture-Matins

De plus le très pertinent Xavier de la Porte a rédigé une excellente chronique que je me permets de copier directement du site de France Culture (pour pouvoir la traduire sur la partie EN de mon blog): Le cerveau, ce n’est pas 1 million de lignes de code

Quand on s’intéresse à ce que le monde du numérique dit du corps et de la vie, il y a des chances pour qu’on tombe assez vite sur des prédictions intimidantes : « bientôt, nous serons tous des cyborgs », et « en 2045, nous aurons complètement fusionné avec les machines » . Un des spécialistes de ce genre de déclarations, c’est un type du nom de Ray Kurzweil – dont je vous ai déjà parlé ici. Inventeur assez génial, homme d’affaire avisé, Kurweil est devenu depuis une vingtaine d’années le promoteur d’un courant qu’on appelle le transhumanisme – et qui considère que l’homme fusionnera bientôt avec les machines, donnant ainsi naissance à une post-humanité –, des idées que Kurzweil vend dans le monde entier à coup de livres et de conférences, des idées qu’il vend aussi à des entreprises sur-puissantes : Google l’a engagé pour diriger un programme sur l’apprentissage du langage par les machines. Le problème avec Kurzweil – et beaucoup de transhumanistes – c’est leur force de conviction qui passe par un discours scientifico-techno-philosophique dont on sent bien qu’il cloche, sans qu’on sache bien où. Or, dernièrement, je suis tombé sur la preuve que Kurzweil racontait n’importe quoi. Ca m’a réjoui et je tiens à partager cette réjouissance avec vous.

Ça concerne un aspect important du transhumanisme : la conviction toujours répétée que très bientôt, nous pourrons dupliquer nos cerveaux dans des ordinateurs. Kurzweil pense que ce sera possible en 2020, et d’ailleurs, il a conservé le cerveau de son père décédé dans cette perspective. Et à l’appui de sa thèse, voici le type de discours que Kurzweil peut tenir : “Le design du cerveau est dans le génome. Le génome humain, c’est 3 milliards de paires de bases, soit six milliards de bits, ce qui fait à peu près 800 millions de bits après compression. En éliminant les redondances […], cette information peut être compressée en à peu près 50 millions de bits. Or le cerveau, c’est à peu près la moitié de ça, environ 25 millions de bits, soit un million de lignes de codes ». Et voilà, en une démonstration implacable et intimidante, Kurzweil nous prouve qu’un million de lignes de codes suffiraient à dupliquer le fonctionnement du humain. (Je dis « suffiraient » parce que c’est peu 1 million de lignes de code, à titre de comparaison, Microsoft Office 2013, c’est 45 millions de lignes de code).

Sauf que pour une fois, quelqu’un s’est manifesté pour expliquer que Kurzweil racontait n’importe quoi. Cette personne s’appelle Paul Zacharie Myers, c’est un biologiste reconnu de l’Université du Minnesota, spécialisé en génétique du développement et il tient un blog du nom de Pharyngula. Et c’est sur son blog que Myers explique très calmement pourquoi Kurzweil raconte n’importe quoi. Voici sa démonstration. La prémisse du raisonnement de Kurzweil, est « Le design du cerveau est dans le génome ». Totalement faux, dit le chercheur. Le design du cerveau n’est pas encodé dans le génome. Ce qui est dans le génome, c’est une collection d’outils moléculaires, c’est la part régulatrice du génome, celle qui rend les cellules sensibles aux interactions avec un environnement complexe. Pendant son développement, le cerveau se déplie grâce à des interactions entre cellules, interactions dont nous ne comprenons aujourd’hui qu’une petite partie. Le résultat final, c’est un cerveau qui est beaucoup plus complexe que la somme des nucléotides qui encodent quelques milliers de protéines. On ne peut pas du tout déduire un cerveau des séquences de protéines de son génome. La manière dont vont s’exprimer ces séquences est dépendante de l’environnement et de l’histoire de quelques centaines de milliards de cellules, interdépendantes les unes des autres. Nous n’avons aucun moyen pour calculer en principe toutes les interactions et fonctions possibles d’une simple protéine avec les dizaines de milliers d’autres qui sont dans la cellule, qui serait la première étape essentielle à l’exécution de l’algorithme improbable de Kurzweil. A l’appui de sa démonstration, le chercheur prend quelques exemples de quelques protéines et on montre à quel point les interactions sont nombreuses, complexes et surtout, encore méconnues.

Ce qui est très intéressant, c’est que Myers tient bien à préciser qu’il n’est pas hostile à l’idée que le cerveau est une sorte d’ordinateur, et qu’on pourra un jour reproduire artificiellement ses fonctions. Mais, explique-t-il, il ne faut pas pour autant raconter n’importe quoi, comme le fait Kurzweil, et bâtir ses raisonnements sur des prémisses fausses. Et pan dans ta gueule Kurzweil. Si seulement plus de chercheurs pouvaient prendre la peine d’apporter leur savoir pour interroger les discours transhumanistes, ça nous éviterait peut-être d’entendre bien des absurdités et d’assister à une autre marchandisation de la vie humaine, celle qui consiste à vendre du rêve biotechnologique.