Rarement ai-je lu deux articles donnant une vision en apparence aussi proche des défis et enjeux du futur de la planète que ceux que je vais mentionner dans un instant. Je dis bien en apparence, car derrière une certaine cohérence de la vision confiante de l’avenir, se cache des différences assez fondamentales sur les défis.
Mais je vais me permettre une digression avant d’entrer dans le vif du sujet. Un troisième article a été publié sur un sujet bien différent en apparence dans l’édition papier du New Yorker en date du 10 octobre 2016 – il y est question du passé et du présent! – et intitulé He’s Back. Cet article m’a rappelé que mes deux lectures les plus importantes de l’année 2016 (et peut-être du 21e siècle) sont celles que j’ai mentionnées dans le post Le monde est-il devenu fou? Peut-être bien…, à savoir le formidable Le capital au 21e siècle de Thomas Piketty et le non moins remarquable Dans la disruption – Comment ne pas devenir fou ? de Bernard Stiegler. En vous donnant le titre de l’édition numérique j’espère vous inciter à découvrir Karl Marx, Yesterday and Today – The nineteenth-century philosopher’s ideas may help us to understand the economic and political inequality of our time.
Revenons au sujet qui motive ce post. Barack Obama vient de publier dans The Economist un texte assez court où il décrit les enjeux à venir. C’est un article brillant d’une rare hauteur de vue. Il créée aussi un certain mystère autour du président américain. Est-il très bien entouré de conseillers informés et/ou s’est-il intéressé si profondèment à ces sujets au point de trouver le temps d’écrire (je devrais dire de décrire) lui-même la complexité du monde. Il faut absolument lire The Way Ahead.
En comparaison, l’article Adding a Zero de la même édition du New Yorker du 10 octobre dernier, et intiutlé dans la version électronique Sam Altman’s Manifest Destiny avec un sous-titre toutefois identique Is the head of Y Combinator fixing the world, or trying to take over Silicon Valley? (le patron de Y combinator essaie-t-il de transformer le monde ou de conquérir la Silicon Valley?). Ce très long article décrit bien les raisons pour lesquelles on peut aussi bien adorer et détester la Silicon Valley. Elle est un Pharmakon (à la fois un remède et un poison selon les mots de Stiegler). Je vous encourage à le lire aussi, mais la priorité devrait aller à lire d’abord Barack Obama.
Je vais essayer de m’expliquer. Obama a beaucoup essayé et moins réussi, mais il y a une cohérence, je crois, de son action. Dans The Economist, il écrit (enfin je traduis): « [Pour] rétablir pleinement la foi dans une économie où les Américains qui travaillent dur peuvent se projeter vers l’avenir, il faut traiter quatre grands défis structurels: stimuler la croissance de la productivité, lutter contre la montée des inégalités, veiller à ce que tous ceux qui le souhaitent puissent avoir un emploi et contruire une économie résiliente qui prépare la croissance future. » Obama est un optimiste et un modéré. Tout sauf un révolutionnaire. Il y a une très belle phrase au milieu de l’article: La présidence est une course de relais, nécessitant de chacun de nous de faire sa part pour rapprocher le pays de ses aspirations les plus élevées (The presidency is a relay race, requiring each of us to do our part to bring the country closer to its highest aspirations). Les aspirations les plus élevées. Je pense sincièrement que c’est la raison pour laquelle Obama méritait le prix Nobel de la paix malgré toutes les difficultés de sa tâche.
La Silicon Valley a le même optimisme et la même croyance dans le progrès technologique et le bien être qu’il apporte (ou qu’il peut apporter). La croissance y est un mantra. Sam Altman ne déroge pas à la règle. En voici quelques exemples: « Nous avions limité notre chiffre d’affaires prévisionnel à trente Millions de dollars », a déclaré Chesky [le fondateur et CEO de Airbnb]. Sam réagit ainsi Prenez tous les « M » [de millions] et remplcez les par des « B » [de billions]. Et Altman se souvient d’ajouter : »Ou vous ne croyez pas à ce que vous avez écrit, ou vous avez honte, ou je ne sais pas compter ». [Page 71] puis un peu plus loin « C’est l’une des erreurs les plus rares à faire, essayer d’être trop frugal. » […] « Ne vous occupez pas des concurrents tant qu’ils vous battent pas, » […] « Pensez toujours à ajouter un zéro de plus à ce que vous faites, mais ne pensez jamais au-delà. » [Page 75]
Illustration de R. Kikuo Johnson
Evidemment la prise de risque suit en conséquence: Dans une classe où Altman a enseigné à Stanford en 2014, il a fait remarquer que la formule pour estimer les chances de succès d’une start-up est « quelque chose comme le produit Idée fois Produit fois Temps d’exécution de l’équipe fois Chance, où la Chance est un nombre aléatoire entre zéro et dix mille. » [Page 70] La stratégie des accélérateurs comme Ycombinator semble assez simple: « Ce que nous demandons aux startups est très simple, mais très difficile à faire. Un, faire quelque chose que les gens veulent », – une phrase de Graham, qui est imprimée sur les T-shirts distribués aux fondateurs – « et, deux, passer tout votre temps à parler à vos clients et développer vso produits. » [Page 73] Le résultat de cette stratégie tient dans la performance des ces mécanismes d’accélération: « Une étude 2012 sur les accélérateurs nord-américains a révélé que près de la moitié d’entre eux avaient échoué à produire une seule start-up ayant levé des fonds de capital-risque. Mais alors que quelques accélérateurs, comme Tech Stars et 500 Startups, ont une poignée de sociétés valant des centaines de millions de dollars, Y Combinator a dans son portefeuille des start-up valant plus d’un milliard – et il en a onze. » [Page 71] mais Altman est insatisfait: « Les capital-risqueurs croient que leurs rendements suivent une « loi de puissance, » selon laquelle quatre-vingt dix pour cent de leurs bénéfices proviennent d’une ou deux entreprises. Cela signifie qu’ils espèrent secrètement que les autres start-up dans leur portefeuille vont échouer rapidement, plutôt que stagner tels des «zombies» consommant des ressources. Altman souligne que seul un cinquième des entreprises de YC ont échoué, et a ajoute: «Nous devrions prendre des risques plus fous, de sorte que notre taux d’échec serait lui aussi de quatre-vingt dix pour cent. » [Page 83]
« Sous la direction de Sam, le niveau de l’ambition de YC a été multiplié par 10 » Paul Graham m’a dit que Altman, précipite les progrès dans « la guérison du cancer, la fusion nucléaire, les avions supersoniques, l’intelligence artificielle » et essaye de revoir complètement notre mode de vie : « Je pense que son but est de créer l’avenir ». [Page 70] Récemment, YC a commencé à planifier un projet pilote visant à tester la faisabilité de construire sa propre ville expérimentale. Elle se situerait quelque part en Amérique, ou peut-être à l’étranger, et serait optimisée pour les solutions technologiques: elle pourrait, par exemple, autoriser uniquement les véhicules autonomes. « Cela pourrait être une ville universitaire l’université de l’avenir issue de YC », a déclaré Altman. « Cent mille acres, cinquante à cent mille habitants. Nous uiliserions le financement participatif pour l’infrastructure et établirions une nouvelle et abordable façon de vivre autour de concepts comme «Personne ne peut jamais faire de l’argent avec l’immobilier.» Il a souligné que c’était juste une idée, mais il était déjà à la recherche sur les sites potentiels. Vous pourriez imaginer cette métropole comme une cité-état post-humaine exemplaire, basée sur l’I.A.- une Athènes du vingt-et-unième siècle ou une communauté fermée pour l’élite, une forteresse contre le chaos à venir. [Page 83] L’optimisme de YC va très loin: « Nous sommes bons pour éliminer les trous du cul, » m’a dit Graham. « En fait, nous sommes meilleurs pour dépister les trous du cul que les perdants. […] Graham a écrit un essai, « les méchants échouent », dans lequel – ignorant de possibles contre-exemples comme Jeff Bezos et Larry Ellison – il a déclaré que « être méchant vous rend stupide » ce qui décourage les personnes bonens de travailler avec eux. Ainsi, dans les start-up, « les pesonnes ayant un désir d’améliorer le monde ont un avantage naturel. » Gagnant-gagnant. [Page 73]
Altman n’est pas dénué de conscience sociale, enfin pas tout à fait. « Si vous pensez que toutes les vies humaines sont également précieuses, et si vous croyez aussi que 99.5% de vie aura lieu dans le futur, alors nous devrions passer tout notre temps à penser à l’avenir. » [Il regarde] les conséquences de l’innovation comme une question de systèmes. Le défi immédiat est que les ordinateurs pourraient mettre la plupart d’entre nous au chomage. La solution de Altman est le projet de recherche de YC sur le « Revenu de Base Inconditionnel », une étude de cinq ans, qui doit débuter en 2017, sur une vieille idée qui est soudainement en vogue: donner à chacun assez d’argent pour vivre. […] YC donnera jusqu’à un millier de personnes à Oakland une somme annuelle, probablement entre douze mille et vingt-quatre mille dollars. » [Page 81] Mais la phrase de conclusion est peut-être la plus importante de l’article, ce qui nous ramène à la modération d’Obama. En se comparant à l’auteur d’un autre projet follement ambitieux, Altman déclare: « A la fin de sa vie, il a aussi dit que tout devrait être coulé au fond de l’océan. Il y a là quelque chose qui mérite réflexion ».
En définitive, Obama, Altman, Marx, Piketty, et Stiegler ont tous la même foi en l’avenir et le progrès et la même préoccupation face aux inégalités croissantes. Altman semble être le seul (et beaucoup de gens avec lui dans la Silicon Valley) à croire que les disruptions et les révolutions vont tout résoudre tout alors que les autres voient leurs aspects destructeurs et préféreraient une évolution modérée et progressive. Avec les années, j’ai tendance à favoriser la modération…
PS: au cas où vous n’auriez pas assez de lecture, continuez avec la série d’entretiens du président Obama à Wired: Now Is the Greatest Time to Be Alive.