Archives de l’auteur : Herve Lebret

Philippe Garnier à la magnifique Fondation Jan Michalski pour l’écriture et la littérature

Un article qui n’a absolument rien à voir avec le sujet cœur de ce blog. Si vous ne connaissez pas la Fondation Jan Michalski pour l’écriture et la littérature, c’est dommage! Un lieu unique dans la campagne au nord de Lausanne. Une bibliothèque, un lieu d’expositions et un lieu de conférences. Hier soir, je me suis senti privilégié en y écoutant Philippe Garnier. Vous pouvez vous rattraper grâce à l’enregistrement fait par la fondation:

Vous pouvez aussi lire une interview de Garnier sur 24heures.

« Comment j’ai survécu à la coolitude des startups » par Mathilde Ramadier

Les start-up sont tellement à la mode qu’il fallait bien que quelques nuages s’amoncellent. La chose n’est pas nouvelle. Dans le passé, j’ai mentionné Silicon Valley Fever. Il y a aussi eu le récent Disrupted – My Misadventure in the Start-Up Bubble de Dan Lyons Mais, chose inquiétante, les critiques se font plus nombreuses et plus graves. Ainsi par exemple l’article The evidence is piling up — Silicon Valley is being destroyed sur les scandales Juicero et Theranos. Sans oublier, plus fondamentalement la fièvre transhumaniste / apolitique

Voici un nouveau livre amusant et grave… Bienvenue dans le nouveau monde Comment j’ai survécu à la coolitude des startups de Mathilde Ramadier. La moquerie use du langage. La novlangue, la coolitude. Mais cela cache des comportements plus inacceptables. Salaires au rabais, conditions de travail ridicules. Tout cela sur le ton de l’humour, du moins de l’ironie glaçante. Excessif ? Un peu sans doute dans le sens où toutes les start-up n’agissent pas comme le décrit l’auteur, mais révélateur d’une réalité qu’il ne faudrait pas sous-estimer… Voici quelques exemples:

« Nous sommes une start-up, alors s’il te plait, apporte ton propre laptop. » [Page 24]

« Lors de l’entretien de fin de période d’essai, mon CEO m’apprend qu’au lieu des 1500 euros nets convenus au départ, je vais finalement être embauchée avec une paie trois fois inférieure. […Il] sait très bien ce qu’il fait et me débite un discours parfaitement rodé pour balayer ma déception. [… ] J’ai donc refusé une emploi payé 500 euros parce que je manquais de motivation, de conviction et d’ambition. Je ne méritais pas de participer à l’aventure. » [Page 26-7] Car le CEO a précédemment ajouté « que si je veux faire carrière, il va falloir que j’accepte de courber l’échine et de ‘tout donner’. Comme à la StarAc’. »

« Mais la disruption ne désigne-t-elle pas aussi une accélération imposée trop soudainement à la société ? […] L’économie collaborative permet la mise en relation d’un client qui a un besoin et un prestataire de services (disons plutôt une petite main qui a besoin d’argent. » [Page 28] Et de citer Bernard Stiegler. Qu’elle a raison !

« Mais cette tendance, poussée à l’extrême, est devenue le mot d’ordre d’un régime despotique qui n’admet pas « les plus faibles », c‘est à dire les réfractaires, et qui les relègue en bas de la pyramide sociale. Car si tout le monde peut, en théorie, devenir une superstar, on parle peu de ceux pour qui la « siliconisation » n’incarne ni un rêve… ni une sinécure. » [Page 36]

« Comme nous l’a appris Orwell, la manipulation du langage est le point de départ de tout discours totalitaire. […] La disparition de la capacité à penser par soi-même peut même être le cœur de compétence d’une entreprise. » [Pages 41-2]

« Il s’agit en vérité bien souvent de bullshit jobs, ces nouveaux ’jobs à la con’ du secteur des services qui se targuent de contribuer à l’organisation rationnelle de l’entreprise, mais qui ne peuvent se décrire facilement, tout simplement parce que même les premiers concernés ne parviennent pas à expliquer clairement ce qu’ils ni à y trouver une vraie utilité. […] Les salaires s’affranchissaient évidemment de toutes considérations égalitaires et restaient confidentiels. » [Pages 44-5]

« J’ai vu des gens dire ‘plus jamais ça’ et devoir recommencer. Se promettre qu’ils ne remettraient plus les pieds derrière le comptoir d’un bar après leurs premiers stages et y retourner, faute d’avoir trouvé un emploi dans leur branche. J’ai vu des jeunes femmes et des jeunes hommes devenir complétement dépendants financièrement de leur partenaire, sous-louer leur voiture ou leur chambre pour vivre dans leur salon (puisque tous les aspects de la vue sont désormais marchandables), ou retourner frapper à la porte de leurs parents à trente ans. Des femmes enceintes mettre de l’argent de côté parce que leur congé maternité ne leur permettait pas de vivre décemment. Ce sont ces gens que j’ai vus accepter un contrat précaire avec une paie ridicule dans une startup parce qu’on leur faisait des promesses, qu’on leur offrait des ‘perspectives d’évolution’ s’ils acceptaient de ‘tout donner’. [Page 70]

L’auteur fournir aussi quelques définitions intéressantes: « L’une des définitions de la startup pourrait être la suivante : il s’agit d’une jeune entreprise dotée d’un fort potentiel, mais qui nexerce pas encore d’activité rentable. L’objectif, dès le début, est donc la croissance rapide. » [page 94] Notez que Mathilde Ramadier a même son propre glossaire [pages 151-5] , souvent amusant… Ainsi :
Disruption : innovation super-puissante qui brise les codes de tout un marché. Véritable tremblement de terre, la disruption remet tout à plat et ne se soucie généralement guère des conséquences du chaos qu’elle induit.
Entrepreneur : personne courageuse au talent rare, qui a une idée de génie avant tout le monde, met tout en œuvre pour la réaliser et y parvient – ou pas.
Innovation : introduction sur le marché d’un produit ou d’un procédé nouveau. Une startup est forcément innovante (pour ceux qui la lancent en tout cas).

« Durant ces quatre années passées dans les startups, j’ai été prisonnière d’une boucle infernale, ballotée d’une absurdité à une autre, retrouvant ici et là le même folklore. (…) Paradoxalement, on pousse le rationnel jusqu’à l’irrationnel, l’originalité jusqu’au conformisme, la soif de nouveau jusqu’à la régression. (…) Les solutions que la startupsphère nous promet – à la crise, au chomage, à l’ennui, à la répétition du même et à la désuétude, à la vieillesse et à la laideur, etc. – se vasent elles aussi sur un leurre : on ne peut prétendre déjà vivre dans le nouveau monde avant de l’avoir véritablement bâti. » [Page 143]

Comment démarrer un business qui ne foire pas (et sera effectivement rentable)

How to Start a Business That Doesn’t Suck (and Will Actually Turn a Profit).
A Modestly Simple Guide to Starting a Business

ou Comment démarrer un business qui ne foire pas (et sera effectivement rentable)
Un guide modérément simple pour lancer une entreprise

par Michael R. Clarke

Je n’ai pas lu beaucoup de livres sur « comment faire » pour les start-ups et, habituellement, je m’ennuie très rapidement, pour ne pas dire que cela me met en colère. Le pire était probablement le bestseller, The Lean Startup par Eric Ries, et le meilleur reste son mentor, Steve Blank.

Je viens de terminer « Comment démarrer un business qui ne foire pas » (du moins la version en anglais) et j’ai beaucoup aimé. Et c’est amusant, « fun » (pas la façon dont Komisar mentionne remettre le « fun » dans funerals.com dans son superbe The Monk and the Riddle). C’est drôle parce que c’est amusant à lire et c’est (vraiment) informatif.

S’il y a une chose que j’ai manquée dans ses conseils, c’est la façon dont vous fixer le prix d’un produit ou d’un service. Mais il y a tant de bonnes choses. Il commence tout simplement par «Pourquoi ne devriez-vous certainement PAS (sous aucune circonstance) démarrer une entreprise» [Pages 2-7]. Et il a raison d’avertir que l’entrepreneuriat n’est pas pour tous. Il faut être être passionné, fou …

Mais si vous êtes toujours intéressé, achetez son livre. Voici quelques bons exemples:
Mettre l’accent sur l’apprentissage plus que sur les résultats. [Page 9]
Réaliser que c’est une question de création de valeur (pas d’effort). [Page 11]
– [Avez-vous] la volonté d’agir vite? (et de paraître stupide). [Page 13]
N’écoutez pas celui que vous ne voulez pas (y compris moi). [Page 19]

J’ai beaucoup aimé son chapitre 2 pour trouver une idée (pas idéation!). Concentrez-vous sur les choses que vous connaissez bien [page 26], vous avez des points forts, et cela ne veut pas dire que vous devez être un expert. Et mettez l’accent sur les choses qui vous passionnent [page 29].

Et puis assurez-vous d’être assez précis sur le groupe de clients que vous cherchez [page 46] et ne perdez pas de temps avec ceux qui «ne voulaient pas de résultat avec suffisamment de force» [Page 49]. Vous ne pouvez pas ouvrir un magasin de beignet, mais peut-être un pour les végétariens allergiques [Page 54] (bien que mon ancien et sage chef m’a dit de ne jamais me concentrer sur la nourriture chinoise pour chiens …)

J’ai eu le sentiment d’être un cobaye quand j’ai lu: « Les écrivains sont une mine d’or cachée de potentiel promotionnel. Ils sont aussi vains. (Croyez-moi.) Donc, envoyez un courrier électronique à des écrivains / chroniqueurs dans votre industrie et faites-leur savoir que vous avez aimé quelque chose qu’ils ont écrit dans ce magazine ou blog obscur. Ensuite, six mois plus tard, parlez leur de votre nouveau produit. Vous pourriez en obtenir une promotion gratuite et impressionnante! » [Page 71]

À propos des produits (chapitre 5), j’ai aimé que les clients ne se soucient pas des produits. Ils se soucient des sentiments … « Je voudrais commencer ce chapitre à propos de « créer des produits et des services… « … en vous disant combien ils sont sans importance. […] La seule chose dont les gens s’inquiètent est le résultat (et/ou le sentiment) que crée votre produit ou service. »[Page 84]

J’étais curieux de son chapitre 6, sur les plans d’affaires. Je déteste les plans d’affaires mais j’ai aimé son chapitre. « Business Plan Étape n ° 1: Travaillez Votre Elevator Pitch. » […] « Croyez-moi: si vous faites l’effort de pitcher 2-3 personnes par jour, pour les 30 prochains jours, vous obtiendrez rapidement une idée des parties de votre idée d’entreprise qui sont appréciées (ou non). » [Page 105] Et oui, Clarke a raison et je me trompe: « Rappelez-vous … il est bon de connaître les règles avant de les changer. Et à moins que vous ayez une raison convaincante pour que vous deviez vous écarter du paquet, respectez les bases. »

J’étais également curieux de savoir ce qu’il a à dire au sujet du financement, car beaucoup de gens détestent les investisseurs. Et il commence par: « Ne lisez pas ce chapitre. » [Page 133] « Mais si je pouvais revenir en arrière et changer UNE CHOSE dans ma vie professionnelle, en plus de ne pas remplir mon garage avec des leurres de voitures Nascar™, cela aurait été de bootstrapper mes projets autant que possible et les garder frugaux, égoïstes et sans dettes. » OK il a encore raison… « Mais si je peux vous donner un autre conseil, en ce qui concerne les prototypes, c’est ce: peaufinez-les. » [Page 141] Alors soyez frugal et sexy…

J’ai bien cru qu’il avait oublié de couvrir le sujet des équipes et les cofondateurs, mais il l’a fait aussi! « Ce ne sont pas des sujets amusants à discuter. (En tant que co-dépendant, je préfère éviter ces types de conversations à tout prix.) Et cela m’a coûté des milliers de dollars. (Et trois mois de thérapie Kaiser.) Parce que j’ai conclu des partenariats dans lesquels nous n’avions pas établi un plan clair sur la façon dont nous prendrions des décisions dans l’entreprise. Nous n’avons pas décidé qui possédait quoi quand les choses allaient déraper. Et nous n’avons pas clairement établi comment les gens seraient payés si les rôles changent. (Oh la la!) S’il vous plaît, si vous amenez des partenaires (même ceux à qui vous êtes liés), prenez le temps de parcourir ce territoire inconfortable.» [Page 162] et plus loin
« La clé de l’embauche n’est pas d’embaucher vos amis, mais d’«embaucher votre faiblesse». Cela signifie que votre personnel devrait être:
• Affamé
• Supporter (sans être un lêche-cul)
• Et bon dans ce que vous n’êtes pas. »
[Page 177]

Vous devez également lire son chapitre 10, des erreurs stupides qu’il a faites, et vous ne ferez pas … Parfois, Clarke dit trop qu’il n’est pas un expert en finances, en droit, en production, en marketing. Il ne l’est peut-être pas. Mais il donne de très bons conseils!

En conclusion, il donne les bons conseils: « le seul moyen de

En conclusion, il donne ses derniers conseils: «la seule façon de savoir si votre entreprise – et vous, en tant que créateur d’entreprise – a le potentiel de réussir, c’est de laisser tomber le trapèze que vous tenez pour atteindre celui qui est juste en face de vous. […] Vous apprenez quelles sont vos forces. (Rapidement!) Et vous apprenez quelles sont vos faiblesses. (Encore plus rapidement!) » [Pages 187-8]

Un livre vraiment excellent!

La beauté des mathématiques

Chaque année, j’essaie de transmettre ce que je crois être la beauté des mathématiques lorsque j’enseigne l’optimisation convexe à l’EPFL. J’ai déjà mentionné sur ce blog quelques beaux livres de vulgarisation sur le sujet. Quelques lectures récentes m’ont convaincu encore plus et laissez moi essayer de vous convaincre également.

Alain Badiou est un choix assez surprenant pour parler de mathématiques, mais j’aime ce qu’il a récemment écrit: « Ce sentiment quasi esthétique des mathématiques m’a frappé très tôt. […] Je pense à la droite d’Euler. On montrait que les trois hauteurs d’un triangle sont concourantes en un point H, c’était déjà beau. Puis que les trois médiatrices l’étaient aussi, en un point O, de mieux en mieux ! Enfin que les trois médianes l’étaient également, en un point G ! Formidable. Mais alors, avec un air mystérieux, le professeur nous indiquait que l’on pouvait démontrer comme l’avait fait le génial mathématicien Euler, que ces points H, O, G étaient en plus tous les trois sur une même droite, qu’on appelle évidemment la droite d’Euler ! C’était si inattendu, si élégant, cet alignement de trois points fondamentaux, comme comportement des caractéristiques d’un triangle ! […] Il y a cette idée d’une découverte véritable, d’un résultat surprenant au prix d’un cheminement parfois un peu difficile à suivre, mais où l’on est récompensé. J’ai souvent comparé plus tard les mathématiques à la promenade en montagne : la marche d’approche est longue et pénible, avec beaucoup de tournant, de raidillons, on croit être arrivé, mais il reste encore un tournant… On sue, on peine, mais quand on arrive au col, la récompense est sans égale, vraiment : ce saisissement, cette beauté finale des mathématiques, cette beauté sûrement conquise, absolument singulière. » [Pages 11-12]

Une autre source d’inspiration est Proofs_from_THE_BOOK (Raisonnements divins). Ecrit en hommage à Paul Erdös, le livre commence par les deux pages ci-dessus. « Paul Erdös aimait parler du Livre, dans lequel Dieu maintient les preuves parfaites des théorèmes mathématiques, suivant le dicton de G. H. Hardy qu’il n’y a pas de place durable pour la laideur dans les mathématiques. Erdös avait également déclaré que vous n’avez pas besoin de croire en Dieu mais, en tant que mathématicien, vous devriez croire au Livre. […] Nous n’avons aucune définition ou caractérisation de ce qui constitue une preuve du Livre: tout ce que nous offrons ici sont les exemples que nous avons sélectionnés, en espérant que nos lecteurs partageront notre enthousiasme pour des idées brillantes, des idées intelligentes et de merveilleuses observations ».

Il m’arrive d’essayer de me souvenir des démonstrations les plus belles que j’ai « ressenties » depuis mes années de lycéen.

– La plus lumineuse, la démonstration par Gauss de la somme des n premiers entiers.

– Deux démonstrations du théorème de Pythagore.

– Il y en aurait beaucoup d’autres comme l’infinité des nombres premiers, le développpement en série de ∏ (), la très belle conception de la dualité pour les ensembles convexes (vous pouvez regarder un ensemble à travers ses points « interieurs » ou à travers l’enveloppe duale « extérieure » faite de ses tangentes).

– Mais la plus fascinante pour moi, reste l’utilisation de la Diagonale de Cantor:

[De Wikipedia:]

Pour démontrer que ℝ est non dénombrable, il suffit de démontrer la non-dénombrabilité du sous-ensemble [0,1[ de ℝ, donc de construire, pour toute partie dénombrable D de [0,1[, un élément de [0,1[ n’appartenant pas à D.

Soit donc une partie dénombrable de [0, 1[ énumérée à l’aide d’une suite r = (r1, r2, r3, … ). Chaque terme de cette suite a une écriture décimale avec une infinité de chiffres après la virgule (éventuellement une infinité de zéros pour un nombre décimal), soit :

ri = 0, ri1 ri2rin

On construit maintenant un nombre réel x dans [0,1[ en considérant le n-ième chiffre après la virgule de rn. Par exemple, pour la suite r :

r1 = 0, 0 1 0 5 1 1 0 …
r2 = 0, 4 1 3 2 0 4 3 …
r3 = 0, 8 2 4 5 0 2 6 …
r4 = 0, 2 3 3 0 1 2 6 …
r5 = 0, 4 1 0 7 2 4 6 …
r6 = 0, 9 9 3 7 8 1 8 …
r7 = 0, 0 1 0 5 1 3 0

Le nombre réel x est construit par la donnée de ses décimales suivant la règle : si la n-ième décimale de rn est différente de 1, alors la n-ième décimale de x est 1, sinon la n-ième est 2. Par exemple avec la suite ci-dessus, la règle donne x = 0, 1 2 1 1 1 2 1 …

Le nombre x est clairement dans l’intervalle [0, 1[ mais ne peut pas être dans la suite ( r1, r2, r3, … ), car il n’est égal à aucun des nombres de la suite : il ne peut pas être égal à r1 car la première décimale de x est différente de celle de r1, de même pour r2 en considérant la deuxième décimale, etc.

La non-unicité de l’écriture décimale pour les décimaux non nuls (deux écritures sont possibles pour ces nombres, l’une avec toutes les décimales valant 0 sauf un nombre fini, l’autre avec toutes les décimales valant 9 sauf un nombre fini) n’est pas un écueil au raisonnement précédent car le nombre x n’est pas décimal, puisque son écriture décimale est infinie et ne comporte que les chiffres 1 et 2.

Je vais terminer par une dernier extrait de Badiou (page 82): « J’appelle vérités (toujours au pluriel, il n’y a pas la « vérité ») des créations singulières à valeur universelle : œuvres d’art, théories scientifiques, politiques d’émancipation, passions amoureuses. Disons pour couper au plus court : les théories scientifiques sont des vérités concernant l’être lui-même (les mathématiques) ou les lois « naturelles » des mondes dont nous pouvons avoir une connaissance expérimentale (physique et biologie). Les vérités politiques concernent l’agencement des sociétés, les lois de la vie collective et de sa réorganisation, tout cela à la lumière de principes universels, comme la liberté, et aujourd’hui, principalement, l’égalité. Les vérités artistiques se rapportent à la consistance formelle d’œuvres finies qui subliment ce que nos sens peuvent recevoir : musique pour l’ouïe, peinture et sculpture pour la vision, poésie pour la parole… Enfin, les vérités amoureuses portent sur la puissance dialectique contenue dans le fait d’expérimenter le monde non à partir de l’Un, de la singularité individuelle, mais à partir du Deux, et donc dans une acceptation radicale de l’autre. Ces vérités ne sont pas, on le voit, de provenance ou de nature philosophique. Mais mon but est de sauver la catégorie (philosophique) de vérité qui les distingue et les nomme, en légitimant qu’une vérité puisse être :
-absolue, tout en étant une construction localisée,
-éternelle, tout en résultant d’un processus qui commence dans un monde déterminé et appartient donc au temps de ce monde. »

Les start-up selon la Paris Innovation Review

Encore une fois, la Paris Innovation Review (anciennement ParisTech Review) publie une série d’excellents articles, cette fois dédiés aux start-up. Ceux-ci sont:
– Des entreprises comme les autres? Une enquête sociologique sur des startups françaises. http://parisinnovationreview.com/2017/03/21/enquete-sociologique-startups-francaises/
– Rémunération & incitations des salariés de startup – 1 – Les salaires. http://parisinnovationreview.com/2017/03/23/remuneration-incitations-startup-salaires/
– Rémunération & incitations des salariés de startup – 2 – Actions et stock options http://parisinnovationreview.com/2017/03/23/remuneration-incitations-salaries-startup-actions/

L’article sur la sociologie des start-up montre (en fait confirme) des choses intéressantes. Je vais vous laisser le lire et sauter directement à leurs conclusion: « Quelques-uns de ces résultats peuvent donner matière à réflexion pour des politiques publiques qui viseraient à favoriser les créations d’entreprises. La survie de ces sociétés semble relativement peu prévisible, aussi bien pour les personnes impliquées (les entrepreneurs, les salariés, les services d’aide à la création) que pour les analystes qui les observent de l’extérieur. Nous avons interprété cette imprévisibilité comme le résultat de deux causes. La première est la sélection opérée par les services d’accompagnement, sélection qui a largement guidé la nôtre dans la mesure où la revendication d’innovations techniques, qui était notre principal critère d’inclusion dans notre enquête, est en général associée à des suivis et des aides par ces services. On peut penser qu’un certain nombre de projets jugés très irréalistes ont pu être exclus par ces services, ce qui limite de fait la variété des entreprises que nous avons étudiées. La seconde cause, plus fondamentale, est la variété des éléments qui font le succès ou l’échec des entreprises : débouchés qui apparaissent et disparaissent au gré de changements économiques mondiaux, des stratégies des grands groupes industriels et des initiatives des concurrents, conflits internes, ressources qui deviennent abondantes ou peu accessibles en fonction des évolutions du contexte, problèmes de financement difficiles à anticiper, etc. Cela pourrait inciter les pouvoirs publics à encourager de très nombreux projets et à ne pas se contenter de ceux qu’ils considèrent comme les plus prometteurs. Arroser un champ entier est souvent plus efficace que déverser toute l’eau disponible sur quelques mètres carrés… Très soutenues par les pouvoirs publics, les entreprises réputées innovantes s’en sortent mieux que les autres si l’on considère leur taux de survie. Peut-être ne serait-il pas absurde de faire bénéficier d’un soutien équivalent des entreprises situées dans d’autres mondes économiques. »

Le thème de l’incitation fait partie de mes sujets de prédilection comme vous pouvez le voir avec le lien Slideshare ci-dessous. En ce qui concerne les salaires, je suis entièrement d’accord avec leur conseil: être aussi objective que possible : cela garantit l’équité et reconnaît une vérité fondamentale: les gens parlent. Du point de vue des stock options, connaître les règles de vesting (durée d’acquisition) et de cliff (durée minimale) et créer un mécanisme de’obtention basé sur l’expérience des employés et mais aussi sur les couches des employées des plus anciens aux plus récents, c’est-à-dire que le même nombre d’options pourrait être accordé chaque année (et en conséquence plus d’actions pour les employés les plus anciens, car il y devrait y avoir plus d’employés par an lorsque la société grandit. Si cela n’est pas le cas, les stock-options sont probablement sans grande valeur…)

Des données sur la structure actionnariale (fondateurs, investisseurs) de 401+ start-up

Je compile régulièrement des données sur les start-up et en particulier sur la manière dont les actions sont attribuées aux fondateurs, aux employés (par le biais de stock options), aux administrateurs indépendants et aux investisseurs (par le biais d’actions privilégiées). J’ai maintenant plus de 400 cas de ce genre (voir ci-dessous la liste complète). Ce qui est intéressant, c’est d’examiner certaines statistiques par géographie, par domaine d’activité et par période de fondation. Les voici:

Il y aurait beaucoup à dire… mais je préfère vous laisser vous faire votre opinion par vous même…

Equity Structure in 401+ Start-ups by Herve Lebret on Scribd

Homo Deus : une brève histoire du futur – Yuval Noah Harari (2ème partie : l’avenir)

Je me rappelle avoir hésité à acheter Homo Deus. Je n’ai jamais vraiment apprécié les gens essayant d’analyser ce que l’avenir pourrait être. J’ai eu des préoccupations similaires avec le ivre de Harari. Je ne suis pas le seul puisque le New Yorker n’est pas non plus vraiment positif: « alors il annonce sa thèse : «une fois que la technologie nous permettra de réorganiser les esprits humains, l’Homo sapiens disparaîtra, l’histoire humaine prendra fin et un processus complètement nouveau commencera, ce que les gens comme vous et moi ne peuvent pas comprendre. » Maintenant, n’importe quel grand livre sur de grandes idées se révélera inévitablement avoir beaucoup de petits défauts dans l’argumentation et les détails en cours de route. Personne ne peut maîtriser toutes les notes compliquées de bas de page. En tant que lecteurs, nous survolons les détails de sujets pour lesquels nous sommes « inexperts », et nous ne soucions pas si les hominins se confondent avec les hominidés ou le Jurassique avec le Mésozoïque. Pourtant, quand Harari passe de l’histoire culturelle préhistorique à l’histoire culturelle moderne, même le lecteur le plus complaisant devient mal à l’aise face à des revendications historiques et empiriques si grossières, bizarres ou tendancieuses. […] L’arguemnt de Harari le plus discutable est que notre croyance homocentrique, consacrée à la liberté humaine et au bonheur, sera détruite par l’horizon post-humaniste qui approche. Le libre arbitre et l’individualisme sont, dit-il, des illusions. Nous devons nous reconcevoir comme de simples machines à viande qui exécutent des algorithmes, bientôt dépassées par des machines métalliques qui fonctionnent mieux. »

Si je ressens aussi cette gêne, je crois pourtant que Harari pose des questions importantes et qu’il se pourrait même avoir été mal compris dans ses réelles motivations… Je relie cette lecture à mes magnifiques lectures récentes de Piketty, Fleury et Stiegler.

Quelques extraits supplémentaires:

« Parce que la science ne traite pas des questions de valeur, elle ne peut déterminer si les libéraux ont raison en valorisant la liberté plus que l’égalité ou en valorisant l’individu plus que le collectif. » [Page 281]

Un passage assez étrange: L’expérience a changé la vie de Sally. Dans les jours qui suivirent, elle se rendit compte qu’elle avait vécu une expérience « presque spirituelle … ce qui définissait l’expérience n’était pas de se sentir plus intelligente ou d’apprendre plus vite: la chose qui faisait disparaître la terre sous mes pieds était que pour la première fois dans ma vie, tout dans ma tête s’était finalement fermé … Mon cerveau devenait une révélation, sans le moindre doute. Il y avait soudainement ce silence incroyable dans ma tête … J’espère que vous pouvez sympathiser avec moi quand je vous dis que la chose que je voulais le plus vivement pour les semaines qui ont suivi mon expérience était d’y retourner et de mettre ces électrodes sur la tête. J’ai aussi commencé à me poser beaucoup de questions. Qui était ce « Je », à part des gnomes amers en colère qui peuplent mon esprit et me conduisent à l’échec parce que j’ai trop peur d’essayer? Et d’où venaient les voix? » Certaines de ces voix réitèrent les préjugés de la société, certaines font écho à notre histoire personnelle et certaiens articulent notre héritage génétique. [Page 289] Encore une fois individu, société et évolution …

Nous voyons donc que le moi aussi est une histoire imaginaire, tout comme les nations, les dieux et l’argent. Chacun de nous a un système sophistiqué qui rejette la plupart de nos expériences, ne conserve que quelques échantillons choisis, les mélange avec des morceaux de films que nous avons vus, des romans que nous lisons, des discours que nous avons entendus, et certains de nos rêves, puis brouille tout cela en une histoire apparemment cohérente sur qui je suis, d’où je viens et où je vais. Cette histoire me dit ce qu’il faut aimer, qui haïr et quoi faire de moi-même. Cette histoire peut même causer le sacrifice de ma vie, si c’est ce que l’intrigue exige. Nous avons tous donné notre genre. Certaines personnes vivent une tragédie, d’autres habitent un drame religieux sans fin, certains abordent la vie comme si c’était un film d’action, et nombreux sont ceux qui agissent comme dans une comédie. Mais à la fin, ce ne sont que des histoires.
Quel est donc le sens de la vie? Le libéralisme soutient que nous ne devrions pas nous attendre à ce qu’une entité externe nous fournisse une signification prête. Au contraire, chaque électeur, client et spectateur doit utiliser son libre arbitre pour créer un sens non seulement pour sa vie, mais pour l’univers tout entier.
Les sciences de la vie affaiblissent le libéralisme, arguant que l’individu libre n’est qu’une histoire fictive concoctée par un assemblage d’algorithmes biochimiques. A chaque instant, les mécanismes biochimiques du cerveau créent un flash d’expérience qui disparaît immédiatement. Les flashes plus apparaissent et se fanent, en succession rapide. Ces expériences momentanées n’ajoutent aucune essence durable. Le moi narratif tente d’imposer l’ordre sur ce chaos en tournant une histoire sans fin, où chaque expérience a sa place, et par conséquent chaque expérience a un sens durable. Mais, aussi convaincante et tentante qu’elle soit, cette histoire est une fiction.
[Pages 304-5]

Au début du troisième millénaire, le libéralisme n’est pas menacé par l’idée philosophique selon laquelle «il n’y a pas d’individus libres» mais plutôt par des technologies concrètes. Nous sommes sur le point de faire face à une inondation de dispositifs extrêmement utiles, des outils et des structures qui ne tiennent pas compte de la libre volonté des humains individuels. La démocratie, le libre marché et les droits humains peuvent-ils survivre à cette inondation? [Page 306]

Le grand découplage

Les développements pratiques pourraient rendre cette croyance [le libéralisme] obsolète:
1. Les humains perdront leur utilité économique et militaire, en conséquence le système économique et politique cessera de leur attacher beaucoup de valeur.
2. Le système trouvera toujours de la valeur chez les humains collectivement, mais pas chez des individus uniques.
3. Le système trouvera toujours de la valeur dans certains individus uniques, mais ce sera une nouvelle élite de superhumains améliorés plutôt que la masse de la population.
[Page 307]

Les humains risquent de perdre leur valeur, parce que l’intelligence se découple de la conscience. [Page 311]

L’intelligence est obligatoire, mais la conscience est facultative. [Page 312]

La réponse scientifique actuelle à ce rêve peut être résumée en trois principes simples:
1. Les organismes sont des algorithmes. Chaque animal – y compris Homo Sapiens – est un assemblage d’algorithmes organiques façonnés par la sélection naturelle sur des millions d’années d’évolution.
2. Les calculs algorithmiques ne sont pas affectés par les matériaux à partir desquels vous construisez le calculateur. Que vous construisiez un abaque à partir de bois, de fer ou de plastique, deux billes plus deux billes font quatre billes.
3. Il n’y a donc pas de raison de penser que les algorithmes organiques peuvent faire des choses que les algorithmes non-organiques ne pourront jamais reproduire ou surpasser.
[Page 319]

Comme les algorithmes poussent les humains hors du marché du travail, la richesse pourrait se concentrer dans les mains de la petite élite qui possède les algorithmes tout-puissants créant une inégalité sociale sans précédent. [Page 323]

Y a t-il trop de récits dans le nouveau livre de Harari. Le caissier est-il remplacé par un robot ou par le client? Qu’en est-il de l’outil sur la grippe de Google, qui est mentionné page 335. A-t-il si bien fonctionné?

L’Océan de la Conscience

Il est peu probable que les nouvelles religions sortent des cavernes d’Afghanistan ou des madrasas du Moyen-Orient. Elles sortiront plutôt des laboratoires de recherche. Tout comme le socialisme a conquis le monde en promettant le salut par la vapeur et l’électricité, dans les prochaines décennies, les nouvelles techno-religions peuvent conquérir le monde en promettant le salut à travers des algorithmes et des gènes. En dépit de tous les discours sur l’islam radical et le fondamentalisme chrétien, l’endroit le plus intéressant dans le monde du point de vue religieux n’est pas l’État islamique ou la Bible Belt, mais la Silicon Valley. [Page 351]

La révolution humaniste a conduit la culture occidentale moderne à perdre la foi et l’intérêt pour les états mentaux supérieurs, et à sanctifier les expériences banales du Joe moyen. La culture occidentale moderne est donc unique en manquant une classe spéciale de personnes qui cherchent à éprouver des états mentaux extraordinaires. Elle croit que quiconque essaie de le faire est un toxicomane, un patient mental ou un charlatan. Par conséquent, bien que nous ayons une carte détaillée du paysage mental des étudiants en psychologie de Harvard, nous en savons beaucoup moins sur le paysage mental des chamans amérindiens, des moines bouddhistes ou des mystiques soufis. Et ce n’est que l’esprit des Sapiens. Il y a cinquante mille ans, nous avons partagé cette planète avec nos cousins ​​néandertaliens. Ils n’ont pas lancé de vaisseaux spatiaux, construit de pyramides ou établi d’empires. Ils avaient évidemment des aptitudes mentales très différentes et n’avaient pas certains de nos talents. Néanmoins, ils avaient des cerveaux plus grands que nous, Sapiens. Que faisaient-ils exactement avec tous ces neurones? Nous n’en avons absolument aucune idée. Mais il se pourrait bien qu’ils aient eu beaucoup d’états mentaux qu’aucun Sapiens n’avait connu. [Page 356]

Le techno-humanisme fait face à un dilemme impossible ici. Il considère la volonté humaine comme la chose la plus importante dans l’univers, c’est pourquoi elle pousse l’humanité à développer des technologies capables de contrôler et de refaire sa volonté. Après tout, il est tentant de prendre le contrôle de la chose la plus importante au monde. Pourtant, une fois que nous aurons un tel contrôle, le techno-humanisme ne saurait qu’en faire, parce que la volonté humaine sacrée deviendrait juste un autre produit de son concepteur. Nous ne pourrons jamais gérer ces technologies tant que nous croyons que la volonté humaine et l’expérience humaine sont la source suprême d’autorité et de sens. [Page 366]

La religion des données

[le « Dataisme »] est très attrayant. Il donne à tous les scientifiques un langage commun, construit des ponts au dessus des grouffres académiques et exporte facilement des idées à travers les frontières disciplinaires. Les musicologues, politologues et biologistes cellulaires peuvent enfin se comprendre. […] Les dataistes sont sceptiques quant à la connaissance et la sagesse humaines et préfèrent se fier aux Big Data et aux algorithmes informatiques. [Page 368]

Le capitalisme a gagné la guerre froide car le traitement de données distribué fonctionne mieux que le traitement centralisé des données, du moins en période d’accélération des changements technologiques. [Page 372] La révolution industrielle s’est déroulée assez lentement pour que les politiciens et les électeurs restent en avance. […] Les révolutions technologiques dépassent maintenant les processus politiques, provoquant ainsi la perte de contrôle des députés et des électeurs. [Voir Stiegler à nouveau] […] Internet est une zone libre et illégale qui érode la souveraineté de l’État, ignore les frontières, abolit la vie privée et pose peut-être le plus redoutable des risques pour la sécurité mondiale. [Voir Beaude] […] La NSA peut espionner chaque mot, mais à en juger par les échecs répétés de la politique étrangère américaine, personne à Washington ne sait quoi faire avec toutes les données. [Page 374]

Le Dataisme est aussi missionnaire. Son deuxième commandement est de relier tout au système, y compris les hérétiques qui ne veulent pas être connectés. Et «tout» signifie plus que les humains. Cela signifie tout. Mon corps, bien sûr, mais aussi les voitures dans la rue, les réfrigérateurs dans la cuisine, les poulets dans leur cage et les arbres dans la jungle – tous devraient être connectés à l’Internet-de-Toutes-Les choses. […] Inversement, le plus grand péché est de bloquer le flux de données. Qu’est-ce que la mort, sinon une situation où l’information ne s’écoule plus? […] Le Dataisme est le premier mouvement depuis 1789 qui a créé une valeur vraiment nouvelle: la liberté d’information [Page 382] que Harari décrit correctement comme différente de la liberté et de la liberté d’expression.

L’humanisme a pensé que les expériences se produisent en nous. Les Dataistes croient que les expériences sont sans valeur si elles ne sont pas partagées. Il y a 20 ans, les touristes japonais étaient une source de moquerie universelle car ils portaient toujours des caméras et prenaient des photos de tout ce qui se présentait à eux. Maintenant tout le monde le fait. […] Écrire un journal intime semble complétement inutile. Le nouveau mot d’ordre dit: ‘Si vous éprouvez quelque chose – enregistrez-le. Si vous enregistrez quelque chose – téléchargez-le. Si vous téléchargez quelque chose – partagez-le.‘ [Page 386] Devrais-je avoir ce blog?

Le Dataisme n’est ni libéral ni humaniste. Il n’est pas non plus anti-humaniste. [Page 387] En assimilant l’expérience humaine aux données, le Dataisme mine notre principale source d’autorité et de signification et annonce une révolution religieuse extraordinaire. […] «Oui, Dieu est un produit de l’imagination humaine, mais l’imagination humaine à son tour est le produit d’algorithmes biochimiques.» Au dix-huitième siècle, l’humanisme a marginalisé Dieu en passant d’une vision du monde déo-centrique à une vision du monde homo-centrique. Au XXIe siècle, le Dataisme peut marginaliser les humains en passant d’une perspective homocentrique à une perspective centrée sur les données. La révolution informatique prendra probablement quelques décennies, sinon un siècle ou deux. Mais la révolution humaniste non plus ne s’est pas produite du jour au lendemain. [Page 389]

Un examen critique du dogme dataiste est sans doute non seulement le plus grand défi scientifique du XXIe siècle, mais aussi le projet politique et économique le plus urgent. Les chercheurs en sciences de la vie et en sciences sociales devraient se demander si nous manquons quelque chose quand nous comprenons la vie comme traitement des données et prise de décision. Y a t-il peut-être quelque chose dans l’univers qui ne peut pas être réduit à des données? Supposons que les algorithmes non conscients pourraient éventuellement surpasser l’intelligence consciente dans toutes les tâches de traitement de données connues – qu’est ce qui serait perdu en remplaçant l’intelligence consciente par des algorithmes non conscients supérieurs? Bien sûr, même si le Dataisme est faux et que les organismes ne sont pas seulement des algorithmes, cela n’empêchera pas nécessairement le Dataisme de prendre le contrôle du monde. Beaucoup de religions antérieures ont gagné une énorme popularité et le pouvoir malgré leurs erreurs factuelles. Si le christianisme et le communisme ont pu le faire, pourquoi pas le Dataisme? [Page 394]

Les humains abandonnent l’autorité au marché libre, à la sagesse de la foule et aux algorithmes externes en partie parce qu’ils ne peuvent pas faire face au déluge de données. [Page 396]

En conclusion, Harari termine son livre avec les 3 questions suivantes:
1. Les organismes sont-ils vraiment des algorithmes, et la vie est-elle simplement un traitement de données?
2. Qu’est-ce qui est plus précieux – l’intelligence ou la conscience?
3. Que va-t-il arriver à la société, à la politique et à la vie quotidienne lorsque des algorithmes non conscients mais hautement intelligents nous connaitrontt mieux que nous-mêmes?

Si la lecture n’est pas pour vous, vous pouvez toujours écouter Harari dans un entretien récent Ted: Le nationalisme contre la mondialisation: la nouvelle division politique.

Homo Deus : une brève histoire du futur – Yuval Noah Harari (1ère partie : le passé)

J’ai écrit ici combien j’ai aimé lire Sapiens. Le nouveau livre de Yuval Noah Harari, Homo Deus: A Brief History of Tomorrow, est, lui aussi, un excellent livre.

Dans Death Is Optional, l’échange entre Daniel Kahneman et l’auteur, qui résume bon nombre des idées originales de Harari, voici l’une des plus intéressantes – en relation avec les start-up : « D’un point de vue historique, les événements au Moyen-Orient, d’ISIS et tout cela, ne seront qu’une petite bosse sur l’autoroute de l’histoire. Le Moyen-Orient n’est pas très important. La Silicon Valley est beaucoup plus importante. C’est le monde du 21e siècle … Je ne parle pas seulement de la technologie. » On peut ne pas aimer, mais c’est intéressant…

Comme d’habitude, quelques extraits:
« La plupart des études mentionnent la production d’outils et l’intelligence comme particulièrement importantes pour l’ascension de l’humanité. […] Les humains dominent aujourd’hui complètement la planète non pas parce que l’humain individuel est beaucoup plus intelligent et plus agile que le chimpanzé ou le loup, mais parce que Homo Sapiens est la seule espèce sur terre capable de coopérer de manière flexible et en grand nombre. » [Pages 130-1]

« Les animaux tels que les loups et les chimpanzés vivent dans une double réalité. D’une part, ils connaissent des entités objectives en dehors d’eux, comme les arbres, les rochers et les rivières. D’autre part, ils sont conscients des expériences subjectives, comme la peur, la joie et le désir. Les sapiens, par contre, vivent dans une réalité à triple niveau. En plus des arbres, des rivières, des peurs et des désirs, le monde de Sapiens contient aussi des histoires sur l’argent, les dieux, les nations et les entreprises. Au fur et à mesure que l’histoire se déroulait, l’impact des dieux, des nations et des entreprises augmentait au détriment des fleuves, des peurs et des désirs. Il y a encore beaucoup de fleuves dans le monde, et les gens sont toujours motivés par leurs craintes et leurs souhaits, mais Jésus-Christ, la République française et Apple Inc. ont barricadé et exploité les rivières et ont appris à façonner nos angoisses et nos aspirations les plus profondes. » [Page 156]

Si nous investissons de l’argent dans la recherche, les percées scientifiques accéléreront le progrès technologique. Les nouvelles technologies stimuleront la croissance économique et une économie en croissance pourrait consacrer encore plus d’argent à la recherche. Avec chaque décennie qui passe, nous allons profiter de plus de nourriture, de véhicules plus rapides et de meilleurs médicaments. Un jour, nos connaissances seront si vastes et notre technologie si avancée que nous pourrons distiller l’élixir de la jeunesse éternelle, l’élixir du vrai bonheur, et toute autre médicament que nous pourrions désirer – et aucun dieu ne nous arrêtera. […] La vie moderne consiste en une quête constante de pouvoir dans un univers dépourvu de sens. [Page 201]

Comparaison intéressante entre la révolution scientifique, où Connaissance = Données Empiriques X Mathématiques et la révolution humaniste dirigée par Connaissance = Experiences X Sensibilité. Dans l’Europe médiévale, Connaissance = Écritures X Logique. [Pages 235-7]


La révolution humaniste selon Harari [Pages 232-3]

Harari est parfois trop long dans le développement de ses idées, mais cela vaut la peine de le suivre. Aux pages 247-76, il explique comment l’humanisme n’est pas une vision cohérente du monde. Trois schismes se sont produits: le libéralisme (où la liberté est la valeur la plus importante), le socialisme (où l’égalité prime) et l’humanisme évolutionniste (où le conflit est la matière première qui pousse l’évolution vers l’avant).

« En 1970, le monde comptait 130 pays indépendants, mais seulement trente d’entre eux étaient libéraux. […] Et puis tout a changé. Le supermarché s’est avéré être beaucoup plus fort que le goulag. […] A partir de 2016, il n’y a pas d’alternative sérieuse au paquet libéral.[…] La Chine est le terrain le plus prometteur pour les nouvelles techno-religions qui émergent de la Silicon Valley. […] Dieu est mort. […] Les religions qui perdent le contact avec les réalités technologiques de la journée perdent leur capacité même à comprendre les questions posées. »[Pages 264-8]

« Les nombres seuls ne comptent pas beaucoup dans l’histoire. L’histoire est souvent façonnée par de petits groupes d’innovateurs tournés vers l’avenir. […] En 1881, Muhammad Ahmad bin Abdallah, […] en 1875, Dayananda Saraswati en Inde, […] Pie IX en Europe […] ou trente ans auparavant, Hong Xiuquan […] Leurs dogmes religieux furent suivis par des centaines de millions de personnes. . […] Hong a mené la guerre la plus mortelle du dix-neuvième siècle, la Rébellion Taiping. De 1850 à 1864, au moins 20 millions de personnes ont perdu la vie. » [Pages 270-1]

« La plupart des sociétés n’ont pas compris ce qui se passait et elles ont donc raté le train du progrès ». [Page 273] « Demandez-vous quelle découverte, invention ou création fut la plus influente du XXe siècle? C’est une question difficile […] antibiotiques, […] ordinateurs, […] féminisme. […] Qu’est-ce que les religions ont apporté au XXe siècle? C’est une question difficile aussi parce qu’il y a si peu de choix. [Page 275]

Et comme conclusion du chapitre 7: «Puisque l’humanisme a longtemps sanctifié la vie, les émotions et les désirs des êtres humains, il n’est guère surprenant qu’une civilisation humaniste veuille maximiser la durée de vie humaine, le bonheur humain et le pouvoir humain».
[Page 277]

Quelle est la structure actionnariale d’Uber et d’Airbnb?

Quelle est la structure actionnariale d’Uber et d’Airbnb? Malheureusement, il s’agit d’une question que seuls les actionnaires des deux start-up peuvent connaître. Je n’en ai presque aucune idée. Mais au cours du week-end j’ai essayé de trouver combien ces licornes ont levé d’argent et comment cela a impacté les fondateurs. Si vous lisez ce blog de temps en temps, vous savez probablement que je fais cet exercice régulièrement. J’ai une base de données de plus de 350 exemples, et je vais bientôt la mettre à jour avec 401 entreprises, y compris ces deux dernières. Voici le résultat de mon analyse « quick & dirty ».


La table de capitalisation d’Airbnb- Un exercice spéculatif avec très peu d’informations disponibles


La table de capitalisation d’Uber – Un exercice spéculatif avec très peu d’informations disponibles

Quelques remarques:
– les trois fondateurs d’Airbnb avaient 27, 27 et 25 ans à la date de la fondation. Tandis que pour Uber, ils avaient 32 et 34 ans;
– comme vous le voyez, je n’ai aucune information sur les autres actionnaires « ordinaires », ni sur les plans d’options d’achat d’actions. Plus information sera disponible quand / si les entreprises décident d’aller au Nasdaq …
– les montants levés sont hallucinants mais les fondateurs relativement peu dilués;
– il y a eu un  » stock split » pour Uber (je ne sais pas comment bien traduire ce qui consiste à multiplier le nombre d’actions par un facteur donné). La forte valeur du prix par action a été en conséquence divisée par un facteur 40, ici.

Commentaires bienvenus!

PS: pour des raisons inconnues, j’ai des problèmes avec Slideshare. Voici le document sur Scribd…

Equity Structure in 401+ Start-ups by Herve Lebret on Scribd