Comme suite à mes deux premiers articles ici et là et encore là sur cet excellent livre, voici quelques leçons de plus :
Vendre un produit
Expliseat est tout aussi riche en leçons que DNA Script en particulier sur la description de comment 3 jeunes sans expérience dans le domaine vont trouver et réunir les compétences pour concevoir, produire et vendre. On y voit aussi un des fondateurs quitter la navire sans que l’aventure s’arrête et enfin page 186 : Au cours de ces années, Benjamin a aussi appris que le seul argument économique (« nous vous faisons gagner de l’argent »), et plus largement ceux qui sont purement rationnels, ne sont pas suffisants pour convaincre le client :
« Si tu proposes un produit uniquement rationnel, ce n’est pas un bon produit, car le processus d’achat n’est lui pas à cent pour cent rationnel. Cela a été important pour nous de le comprendre. Avec le […] puis le […], nous disions : “c’est le meilleur […] du marché”, mais pour le client, le meilleur […] c’est aussi un [produit] qui est beau, qui fait envie, qui inspire la confiance… Cela réclame un travail commercial sur le produit pour le rendre attirant. L’objectif final est que les gens n’achètent plus seulement un [produit], ils achètent [notre produit], quelque chose qui est au-delà du produit, ils achètent une marque, une expérience industrielle, une expérience d’achat, une expérience client, un service après-vente… C’est typiquement ce que tu fais quand tu achètes un iPhone, tu n’achètes pas un téléphone, tu achètes un Apple, tu achètes une expérience, et bien c’est la même chose dans l’industrie et le B2B ».
Le « processus de l’innovation »
Ce qui surprend dans cette histoire, c’est l’apparent mélange des genres : le [produit] n’est encore ni certifié, ni réalisé que les entrepreneurs sont déjà en train de le vendre. C’est à un véritable tourbillon que nous assistons au sein duquel l’équipe expérimente, fabrique, vend, teste, collabore avec des acteurs variés, négocie la certification, modifie le projet, transforme le [produit], change d’alliances, de partenaires, de marché, revient en arrière, fait un détour par un laboratoire de recherche à l’étranger, met au point un nouveau prototype… Nous sommes loin du modèle classique de l’innovation, modèle linéaire où se succèdent en enfilade des étapes distinctes : la recherche, puis le développement expérimental, le prototypage, l’industrialisation et, dernière étape, la commercialisation. Dans un tel processus, le client ou l’usager est passif, il intervient à la fin et sa seule marge de manœuvre est d’accepter ou de refuser l’innovation.
Ce processus linéaire est une sorte de course de relais où la fin d’une étape marque le début de l’étape suivante ; et, au sein de l’entreprise, chacune de ces étapes est le fait d’un département différent : direction de la recherche, bureau d’études, direction de la production, puis marketing et commercialisation… Cette vision séquentielle a été largement critiquée par la littérature que ce soit les théories économiques évolutionnistes, la sociologie de l’innovation ou le management de la technologie. [Pages 194-5]
Trouver son marché
Expliseat semble arriver au bon moment dans leur [marché]. Souvent des entreprises avec leur innovation arrivent trop tard ou trop tôt dans le marché qu’elles visent. Le mot grec de kairos [1] qualifie ce moment, c’est le temps du moment opportun, l’instant de l’opportunité. [Page 195]
[1] Le dieu grec Kairos est le dieu ailé de l’opportunité, qu’il faut saisir quand il passe. Il est représenté par un jeune homme qui n’a qu’une touffe de cheveux sur le crâne. Au moment où il passe à proximité, soit on ne le voit pas, soit on le voit et on ne fait rien, soit on tend la main et on attrape ses cheveux saisissant ainsi l’occasion, l’opportunité.
Je vous laisserai découvrir l’utilisation par l’auteur de la métaphore du Scrabble pour vous montrer qu’il n’y a ni véritable processus d’innovation existant, ni opportunité existante, mais construction permanente à partir de presque rien.
Prendre des décision sous incertitude
La capacité d’agir des fondateurs se rencontre notamment dans les multiples choix auxquels ils sont confrontés, et dans la variété des options qui s’offrent à eux. Pour quel type d’avion produire ce siège ultraléger ? Quelle forme celui-ci doit-il prendre ? Quels matériaux utiliser ? Quels actionnaires faire entrer au capital ? Où installer l’entreprise ? Faut-il faire ou faire faire ? Avec quel sous-traitant travailler ? Quel laboratoire de recherche mobiliser pour résoudre un problème spécifique ? Quel ingénieur recruter ? Quelles modifications apporter à la structure du siège ? Avec quel industriel passer une alliance ? Quelle stratégie commerciale choisir ? Quel business model adopter ? À quel prix vendre le siège ? Comment organiser l’entreprise ? Etc.
À côté de la diversité des acteurs que nous avons soulignée, le processus que j’étudie est également peuplé d’une multitude de choix. Ce sont autant de possibilités que les entrepreneurs explorent. Elles sont là aussi autant techniques qu’économiques, organisationnelles ou sociales. L’histoire d’Expliseat est l’histoire d’une expédition, ses acteurs s’engagent sur des terrains inconnus : quelles options choisir, lesquelles refermer, lesquelles ouvrir ou ré-ouvrir ? « Gouverner c’est choisir », dit la maxime du Duc de Lévis. De nombreuses options explorées dans cette histoire conduisent à des impasses, d’autres qui seront exploitées aboutissent à des échecs, d’autres enfin mènent à la réussite – et l’on pourra dire, après-coup, mais après coup seulement, que « c’était le bon choix ». [Pages 202-3]