Archives de l’auteur : Hervé Lebret

Prix d’exercice des BSPCE, BSA et autres stock options

Revenu en France depuis peu, je découvre des spécificités bien locales au monde des startup hexagonales, qui en définitive n’en sont peut-être pas. Je ne vais d’ailleurs pas, la chose est rare, publier cet article en deux langues. Voici donc le sujet:

vous connaissez tous ma capacité à devenir obsessionnel alors pardon d’avance, mais je suis de plus en plus perturbé par mon incompétence sur un sujet de détail mais tout de même important, à savoir le prix d’exercice des stock options, BSA et autres BSPCE en France d’autant plus que chaque pays semble avoir sa jurisprudence… Je vais être un peu long pour le contexte alors vous pouvez sauter à la fin (intitulée « Réponse finale en attendant mieux ».

Lorsque j’étais chez Index puis à l’EPFL, la situation me semblait simple car inspirée des USA et acceptée petit à petit par tous les pays européens:
– les universités recevaient des options gratuites en échange de licence de PI (propriété intellectuelle) et si ça ne pouvait pas être gratuit, il suffisait de mettre un paiment par la startup qui compensait le prix à payer par l’université si bien que l’institution académique n’avait jamais rien à payer. Logique!
– les employés avaient un prix d’exercice de leurs stock-options corrélé au prix payé par les investisseurs. Corrélé car non égal mais bénéficiant d’un discount qui diminuait avec la maturité de la startup, prix à payer égal au nominal à la création, puis 10% du prix du series A et convergeant vers 100% du prix d’émission des actions si on s’approche d’une IPO puisque pour une société cotée, le prix d’exercice est égal au prix de l’action au moment de l’attribution de l’option. D’où ma slide ci-dessous. Logique!


Vous aurez plus d’information sur l’equity dans les startup dans ce post récent : La participation des employés dans une startup – le millionaire en stock options.

Tout cela n’est pas basé sur des arguments fumeux, car il y a de nombreuses pratiques. J’ai refait une recherche sur internet hier et par exemple, j’ai trouvé:
What is the preferred share price?
A Short Guide To Issuing Stock Options
What is the typical strike price for options given to new employees of a start-up? As a percentage of the share price.:
« Before revenues are substantial common shares tend to be about 10% of the preferred share (with voting rights and liquidation preference) price, with one founder explaining to me that was the delta allowed by the SEC. For example, I worked for one startup where the VCs added 10M new shares to the 10M existing in series-A for $8M or $0.80/share. The common stock price was set at $0.08 per share. That was before Sarbanes-Oxley, although my options since then have been priced similarly. »

Index Ventures a publié un magnifique guide sur le sujet: Rewarding Talent – A guide to stock options for European entrepreneurs avec en particulier : Strike price – Go for the lowest strike price : In some European countries, such as Germany, strike prices are set based on the latest fundraising valuation. In others, notably the UK and the US, you can offer grants at a reduced strike price without any tax penalty, by obtaining a ‘fair market valuation’ (FMV), which will be recognised by tax authorities. While tax-assured valuations may not be available everywhere, get legal advice to see what flexibility is possible. In several countries, whilst valuations may not be tax-assured, there are precedents for offering reduced strike prices, which are unlikely to be challenged later on. Your aim should be to maximise your employees’ upside, without the risk of incurring a large tax bill. Some founders and investors believe a discounted strike price misaligns employee and shareholder interests. We don’t agree. By obtaining the maximum discount possible, you give employees more financial benefit – and stronger motivation – per option granted. It also recognises that stock options convert into ordinary shares, which are fundamentally less valuable than the preference shares that investors generally hold. Additionally, if your company goes through a bad patch and you’re forced to take funding at a lower valuation, the options may still be valuable. It is also in your interest to have a low strike price as sophisticated individuals will realise that higher strike prices imply less benefit, and will therefore push for larger grants – using up more of your ESOP. Issue options at the lowest strike price you can. Maximise the financial benefit to the employee, and therefore the motivational benefit you can get from a given number of options granted. Il y a en particuler une section intéressante sur la France: Examples of Index-backed companies with HQ in France: Criteo, BlaBlaCar, Alan

Or en France, il semble bien que pour diverses raisons (et je dirais méchamment parce qu’il y a incompréhension totale du monde des startups), la situation soit différente… J’ai commencé à blémir en lisant Rudelle (fondateur de Criteo – <https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Baptiste_Rudelle) qui écrit sur le Galion project https://thegalionproject.com/kit-bspce: En vertu du code général des impôts, ce prix doit être au moins égal au prix de la dernière augmentation de capital de la société portant sur des titres de même nature (actions ordinaires) intervenue au cours des 6 mois précédant l’attribution des BSPCE par le conseil d’administration. A défaut d’augmentation de capital au cours des 6 derniers mois, le prix d’exercice des BSPCE doit refléter la valeur économique (fair value) des actions auxquelles les BSPCE donnent le droit de souscrire à la date de leur attribution. En pratique, l’usage est de retenir le prix de la dernière augmentation de capital même si elle date de plus de 6 mois ou porte sur des actions de préférence et non des actions ordinaires, sauf s’il est survenu depuis un événement affectant grandement la valeur de l’entreprise (e.g. doublement du chiffre d’affaires, cession d’actions par un actionnaire pour un prix sensiblement inférieur ou plus élevé, …).

Réponse finale sur le prix d’exercice des BSPCE en attendant mieux

Alors j’ai continué à chercher jusqu’à tomber sur l’article de loi. https://bofip.impots.gouv.fr/bofip/1260-PGP.html/identifiant%3DBOI-RSA-ES-20-40-20210203
414 – Lorsque la société attributrice a procédé dans les six mois qui précèdent l’attribution de bons à une augmentation de capital par émission de titres et que les droits des titres résultant de l’exercice du bon ne sont pas au moins équivalents à ceux des titres émis lors de cette augmentation de capital, le prix d’émission peut, pour déterminer le prix d’acquisition du titre souscrit en exercice du bon, être diminué d’une décote correspondant à cette différence.
Remarque : Cette confirmation du droit existant a été apportée par l’article 10 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.
415 – L’application d’une décote par rapport au prix d’émission lors de la dernière augmentation de capital doit être justifiée par tout élément pertinent permettant d’établir la différence des droits accordés.

Et cet article 10 se trouve sur https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000039683943
Article 10 – Le premier alinéa du III de l’article 163 bis G du code général des impôts est complété par une phrase ainsi rédigée : « Lorsque les droits des titres résultant de l’exercice du bon ne sont pas au moins équivalents à ceux des titres émis lors d’une telle augmentation de capital, ce prix d’émission peut également, pour déterminer le prix d’acquisition du titre souscrit en exercice du bon, être diminué le cas échéant d’une décote correspondant à cette différence. »

Donc on peut faire une décote, si je comprends bien, basée sur une Fair Market Value (FMV) comparant actions ordinaires et préférentielles. C’est aussi ce que dit la section d’Index sur la France. Reste la spécificité BSA et BSPCE que je n’ai pas analysée et j’aimerais imaginer que l’analyse est la même mais comme les deux objets n’ont pas le même statut… en tout cas bonne nouvelle pour les BSPCE, je comprends que la France s’est alignée sur le reste du monde!

Ce que j’ai pu trouver sur la comparaison BSA – BSPC ne permet pas de faire une différence quant la la manière de calculer ses prix, je veux dire que l’attribution me semble potentiellement gratuite pour les deux et l’exercice décoté selon la valeur attribuée aux actions préférentielles. Voir par exemple:
Principales caractéristiques des BSA, BSPCE, AGA & Stock-Options, du 22 février 2021,
BSPCE, BSA et Actions gratuites, comment choisir et qui peut en bénéficier ? du 20 juillet 2021,
Différences BSA – BSPCE d’octobre 2019.

PS (19 octobre) : si vous êtes arrivé jusqu’ici, vous pouvez vous demander comment calculer le discount (la décote) par rapport par exemple au prix payé par les investisseurs… la question à 1000 euros ! Car ce n’est pas si simple; il faudra sans doute faire valider votre décote par un expert financier reconnu pour faire ensuite accepter vos calculs auprès des autorités fiscales, car en définitive, c’est bien un risque fiscal auquel vous faites face…

Un article de 2003 de l’Insee mentionne qu’une société non cotée a un discount de 25% par rapport aux sociétés, cotées (L’estimation d’une valeur de marché des actions non cotées).

Je me souviens par exemple que certains investisseurs institutionnels ne valorisaient pas leur portefeuille selon la Fair Market Value (FMV) des startup mais y mettaient souvent un discount de 40% sur les levées de fonds ultérieures, discount qui disparaissait avec l’entrée en bourse, source de liquidité…

J’ai extrait également cette image de l’article The Discount Rate in Startup Valuation:

Fondamentalement, des actions ordinaires (que l’on obtient en général par exercice de BSPCE ou BSA) ont une valeur moindre que les actions préférentielles (qui ont de nombreux droits tels que anti-dilution, liquidation, tag along, drag along, droits de veto, de participation aux boards, etc). Plus une startup est jeune (series A, puis B, puis C…) plus le risque est grand et la décote élevée d’où la courbe ci-dessus. Le mieux est sans doute de citer des exemples de décote de startup célèbres. Je vais m’atteler à la tâche pour un prochain et second post-scriptum.

PS2 (20 octobre) : voici donc une illustration à travers l’histoire des prix d’exercice des options Google avant l’entrée en bourse en 2004.

Round Date Price per share ESOP dated Average exercice price over years Options granted before Average exercice price Average fair value during year
A Sep-98 $0,06 Sep-98 $0,29 Dec-00 $0,30
B May-99 $0,50 Nov-00 $4,79 Dec-01 $0,30 $0,91
C Jun-00 $2,34 Feb-03 $1,23 Dec-02 $2,65 $2,79
D May-04 $2,91 Jun-03 $6,39 Dec-03 $5,21 $29,12

Tout cela est un peu technique, car souvenez-vous chaque employé reçoit des options à un prix fixé le jour où il les reçoit dans un plan de stock options qui est attribué jusqu’à épuisement, et le prix moyen représente donc la moyenne de ces prix pour tous les employés.

On peut constater tout de même que les options accordées en 2000 et 2001 ont un prix ($0.30) bien inférieur aux prix du series B de Mai 1999 ($0.50), mais là aussi on peut avoir un doute sur qui est représenté dans ce groupe. Mais définitivement convaincant, il me semble, est la phrase qui suit. On y voit un prix d’exercide de 15% du series C de l’année précédente. Un dernier doute, les stock split qui ont eu lieu et qui seraient oubliés dans ce calcul, mais de mémoire ils n’ont eu ieu qu’en 2003…

On March 15, 2001, we entered into an employment agreement with Eric Schmidt, our chief executive officer. The agreement provides that Eric will receive a base salary of $250,000. Eric was also granted an option to purchase 14,331,708 shares of common stock at an exercise price of $0.30 per share.

Une histoire entrepreneuriale du MIT : épilogue – l’impact et quelques leçons

Degroof a produit l’un des meilleurs livres décrivant les écosystèmes entrepreneuriaux comme je l’ai déjà mentionné dans 2 articles précédents dont la Partie 2 : Écosystèmes & Culture. Dans la dernière partie de son livre, il passe à l’impact du MIT et de son écosystème.

C’est un sujet bien connu comme vous pouvez le lire dans Le rôle entrepreneurial du MIT. Degroof rappelle (pages 183-89) les startups biotech autour de Kendall Square (Biogen, Genzyme) ainsi que la R&D des big pharma qui se relocalisent à proximité, comme le suisse Novartis. Il ne s’agit pas seulement de biotechnologie comme l’illustrent Lotus Development ou Akamai. Il cite également quelques alumni qui sont devenus des entrepreneurs ou des investisseurs célèbres, Hewlett (36), Perkins (53) ou Swanson (69). Il ne mentionne cependant pas Noyce (53), et ses bricolages (plus ici et ) ou Haren (80) pour les Français. Il pourrait y en avoir des centaines d’autres !

Il développe également l’impact des accélérateurs locaux du CIC à la fin des années 90 ou de MassChallenge et TechStars. Je suis un peu moins convaincu de l’impact international que le MIT a eu de manière plus institutionnelle et politique. Quel est le résultat exact des partenariats à Singapour, à Hong Kong, à Abu Dhabi, en Espagne ou au Portugal ? Le Deshpande Center a certainement inspiré de nombreuses initiatives dont le programme Innogrants que j’ai géré à l’EPFL au milieu des années 2000 ou encore ce que je fais aujourd’hui.

Degroof développe également l’importance de l’enseignement et de la formation : « En essayant de concilier la tension entre rigueur et pertinence, Aulet soutient de manière convaincante que l’entrepreneuriat doit être conçu comme un artisanat par opposition à une science ou à un art. Comme tout métier il est construit sur des concepts fondamentaux. Un potier, par exemple, doit maîtriser les principes mécaniques et chimiques de base de son métier. Connaître ceux-ci ne garantit pas le succès, mais ils améliorent considérablement les chances. Comme tout métier, l’entrepreneuriat s’apprend mieux par l’apprentissage ou par la pratique, plutôt que de s’appuyer uniquement sur des conférences ou des manuels. » [Page 212]

Encore une fois, je suis un peu moins convaincu de un sujet souvent évoqué : « Il y a une forte conviction au MIT que l’entrepreneuriat est un sport d’équipe. Il est basé sur l’évidence que les équipes de fondateurs ont tendance à mieux réussir que les fondateurs individuels, et que les équipes complémentaires ont tendance à faire mieux que les équipes homogènes. Dans la foulée de la classe I-Teams, de nos jours, la plupart des équipes dans les cours ou les concours liés à l’entrepreneuriat doivent être composées d’un mélange d’étudiants en ingénierie ou en sciences avec des étudiants en gestion. C’est devenu une caractéristique importante et une grande force de la formation à l’entrepreneuriat au MIT. Chaque groupe bénéficie des contributions de l’autre. Les élèves ingénieurs et scientifiques découvrent les dimensions commerciales des projets avec l’aide de leurs pairs des écoles de commerce et apprennent qu’il ne suffit pas de construire un meilleur fil à couper le beurre, alors que ces derniers bénéficient d’un éclairage scientifique et technique. Les deux groupes sont obligés de faire face à des différences culturelles et à une dynamique d’équipe plus complexe que ce qui se passe dans les équipes homogènes. Les résultats sont des équipes plus fortes et des projets plus efficaces. » [Page 214]

L’entrepreneuriat est une entreprise complexe et les écosystèmes entrepreneuriaux sont des mécanismes complexes et fragiles. Degroof décrit de manière convaincante pourquoi Boston est devenu un modèle. Il ne développe pas vraiment pourquoi cela n’a pas été aussi réussi que la Silicon Valley, avec une culture similaire cependant. Ycombinator de Paul Graham avait déménagé de Boston à la Silicon Valley, comme mentionné dans Paul Graham sur Boston. Lorsque j’ai rendu visite à des gens de Novartis à Boston, certains ont affirmé que la Silicon Valley était à Boston ce que Boston était à l’Europe. Oui, Boston est plus innovante que l’Europe et c’est pourquoi Novartis a déplacé une partie de la R&D vers l’Ouest, mais lorsque Novartis a acheté Chiron dans la Silicon Valley, Novartis a découvert qu’aller plus loin vers l’Ouest était encore plus aventureux. (Voir Mythes et réalités de l’innovation en Suisse).

Mais ces débats sont secondaires par rapport aux leçons apprises et synthétisées par Degroof. Beaucoup d’inspiration y est à trouver. Et conclure, je reviens au magnifique avant-propos de Bob Metcalfe : recréer l’écosystème entrepreneurial renommé du MIT n’est pas une tâche simple. Il n’est pas possible de copier l’écosystème du MIT et de le coller dans une autre institution. Les principes fondateurs et les éléments culturels uniques qui se sont réunis pour créer la « potion magique », la nature fondamentale de ce qui a grandi et prospéré au MIT, ne sont pas faciles à reproduire. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de leçons concrètes à tirer, qu’il n’y a pas de connaissances qui puissent être traduites et adaptées pour d’autres universités et économies. Aujourd’hui, en tant qu’entrepreneur prospère et chevronné, je me tourne encore fréquemment vers le MIT dans mes efforts pour créer un écosystème entrepreneurial florissant à l’Université du Texas. Je n’hésite pas à contacter mon vaste réseau au MIT pour obtenir des réponses aux questions de théorie et de pratique. À partir de là, j’ai pu faire de grands progrès dans mon objectif. Je ne suis peut-être pas en train de recréer le MIT, mais je modélise ce que je fais d’après le meilleur et je l’adapte aux spécificités que j’ai ici à Austin.

Une histoire entrepreneuriale du MIT : 2ème acte – écosystèmes et culture

J’ai continué à lire l’excellent From the Basement to the Dome de Jean-Jacques Degroof et j’ai trouvé des éléments tout aussi inspirants sur les écosystèmes, la culture et aussi le transfert de technologie des institutions académiques après mon premier post. Les voici:

6 ingrédients d’un écosystème

Degroof nous livre les éléments culturels d’un écosystème : Mais qu’en est-il de cette culture qui a soutenu l’entrepreneuriat ? L’argument de ce livre est que l’entrepreneuriat est particulièrement en accord avec au moins six éléments de la culture du MIT : une dynamique organisationnelle ascendante bien ancrée ; l’excellence dans toutes les choses que l’on étudie ou tente de faire, ainsi qu’une croyance dans le travail acharné et le courage ; un intérêt pour la résolution de problèmes et un impact positif sur le monde ; une croyance dans l’expérimentation et une tolérance à l’échec ; la fierté d’être perçus comme des rebelles, parfois farfelus et même un peu geek, poursuivant des solutions non conventionnelles ; et la tradition d’une approche multidisciplinaire de la résolution de problèmes. [Page 90]

Pourquoi les startup ?

Voici un commentaire intéressant sur le transfert de technologie universitaire : « Les entreprises établies sont rarement intéressées par l’octroi de licences pour des technologies émergentes du milieu universitaire pour plusieurs raisons. Elles ne comprennent pas le potentiel de la technologie ; le délai pour développer la technologie en un produit viable dépasse l’horizon temporel avec lequel la plupart des entreprises sont à l’aise, ou bien elles craignent de cannibaliser leur activité existante. En conséquence, en 1987, le nouveau directeur du TLO, John Preston, a pris l’initiative d’accorder des licences de technologie à de nouvelles entreprises en échange de participation au capital, d’abord à titre expérimental, car le MIT était très préoccupé par les conflits d’intérêts potentiels. Au cours de la première année de cette politique, six sociétés ont été constituées sur la base de ces licences, dont ImmuLogic et American Superconductor. Seize autres sociétés ont été formées au cours de la deuxième année. [Page 34]

Degroof décrit ensuite la multitude d’outils de l’écosystème, tous dans une logique bottom up, avec la sérendipité (chapitre 6) comme mécanisme assez courant. Le début du chapitre 8 sur le transfert technologique avec l’exemple d’Amberwave est un autre must-read :

Souvent, les performances initiales de la nouvelle technologie sont soit inférieures à celles des solutions existantes, soit insuffisantes pour justifier le coût du changement pour les clients potentiels. En conséquence, les entreprises établies ne voient souvent pas le potentiel des nouvelles technologies académiques. De plus, dans les rares cas où l’avantage de la technologie est évident ou clairement prometteur, les entreprises établies craignent souvent de cannibaliser des parts de marché de leur technologie existante – une technologie dans laquelle elles ont investi du temps et de l’argent, et autour de laquelle elles ont construit toute la chaine de valeur et d’autres infrastructures.
On estime qu’un investissement égal à 10 à 100 fois le coût de la recherche académique est nécessaire pour mettre une technologie académique sur le marché. Ce processus demande également de la patience et de la persévérance. La délivrance d’un brevet peut prendre au moins deux à trois ans une fois qu’il est déposé. Lorsqu’une entreprise octroie enfin une licence pour une technologie, cela peut prendre cinq à dix ans supplémentaires avant de générer des revenus. Dans l’ensemble, les performances incertaines du développement d’inventions académiques, les coûts associés et le décalage entre l’invention et la génération de revenus rendent l’investissement dans des inventions académiques embryonnaires extrêmement peu attrayant.
Cela ne signifie pas que les grandes entreprises ne licencient jamais les brevets des universités, mais le plus souvent, les inventeurs sont les seuls à comprendre et à croire au potentiel commercial de leur technologie. Ils sont donc souvent les seuls candidats intéressés à fonder (et parfois à financer) une entreprise pour commercialiser leur technologie. Ce processus implique l’obtention d’une licence pour le ou les brevets basés sur leur invention de leur université, puisque, suite à la loi Bayh-Dole de 1980, l’université possède la propriété intellectuelle de la recherche financée par le gouvernement. L’avantage des inventeurs réside dans les connaissances étendues et uniques qu’ils ont accumulées grâce à leurs efforts de recherche et à leur exposition à l’industrie au fil des ans.
[Page 156]

Gérer le transfert de technologie

Voici des informations intéressantes ici sur la prévention des conflits d’intérêts au MIT : les règles n’autorisent pas les membres du corps professoral à utiliser des étudiants pour la recherche et le développement (R&D) liée à une start-up dans laquelle ce professeur a des intérêts, et les étudiants ne peuvent pas non plus être employés par une telle start-up . Une start-up dans laquelle un professeur a un intérêt n’est pas autorisée à financer des recherches dans le laboratoire de ce professeur. De même, un professeur n’est pas autorisé à mener des recherches financées par le gouvernement fédéral en collaboration avec une telle start-up, à l’exception du financement SBIR et Small Business Technology Transfer (STTR). Une jeune entreprise ne peut pas être située dans un laboratoire. Les employés de la start-up d’un professeur ne peuvent être impliqués dans les activités de recherche du laboratoire du professeur. La recherche en laboratoire ne peut pas être influencée par les autres activités professionnelles d’un professeur. L’emploi à temps plein d’un membre du corps professoral au MIT interdit des responsabilités managériales importantes dans une start-up. [Pages 161-62]

Ou à propos de gagner de l’argent avec le transfert de technologie : de nombreuses universités s’attendent à ce que leurs activités de transfert de technologie soient rentables et génèrent des revenus. Bien que le MIT soit l’une des universités les plus performantes et les plus expérimentées en termes de transfert de technologie, son expérience montre que ce type de gain financier est une attente trompeuse. « Toute université qui compte sur son transfert de technologie pour apporter un changement significatif à ses finances sera statistiquement en difficulté », a déclaré Nelsen. À cette fin, sa devise pendant son mandat à la tête du TLO était : « L’impact, pas le profit. » [Page 162]

De nombreuses histoire de startup

Degroof ajoute des descriptions anecdotiques de startup, riches en leçons, telles que BBN (1948), Teradyne (1960), Analog Devices (1965), Prime Computer (1972), Apollo Computer (1980), Thinking Machines (1983), Harmonix Music Systems (1995), Amberwave (1998) ThingMagic (2000), Momenta Pharmaceuticals (2001), SmartCells (2003), Ambri (2010), Firefly Bioworks (2010), Sanergy (2011), Wecyclers (2012), Nima Sensor (2013), Bounce Imaging (2013), ReviveMed (2016), Biobot Analytics (2017), sans oublier les 40+ spinoffs de Robert Langer de 1987 à aujourd’hui !

Du capital-risque interne – The Engine

Mon expérience avec les fonds de capital-risque universitaires est pour le moins mitigée. Il s’agit donc d’une initiative intéressante : face à cette défaillance perçue du marché, la direction du MIT a souligné la nécessité de capitaux patients pour amener des entreprises qui tentent de commercialiser une science difficile et ont besoin de plus de temps que les entreprises numériques pour atteindre un stade où elles sont prêtes pour le capital-risque. […] En octobre 2016, le président Reif a annoncé la création de The Engine, https://www.engine.xyz, une société à but lucratif mais d’intérêt public, distincte du MIT, qui agirait comme un accélérateur pour les start-up essayant de commercialiser des « technologies difficiles » en fournissant des conseils et des installations physiques, ainsi qu’un fonds d’investissement de capital patient. […] En plus d’aller à l’encontre de la politique du MIT de ne pas financer les projets entrepreneuriaux, The Engine a également rompu avec la tradition de l’Institut en incubant les projets entrepreneuriaux de ses membres, ce qui a certainement soulevé des objections substantielles au sein de la communauté du MIT. [Page 64]

The Engine a un double objectif : il recherche des rendements financiers et il recherche un impact. The Engine a levé 200 millions de dollars pour son premier fonds, le MIT contribuant 25 millions de dollars. […] Le fonds investit de 250 000 à 2 millions de dollars par entreprise, et ses investissements ne sont pas exclusifs aux entreprises liées au MIT. L’investissement est réalisé avec un horizon temporel de dix-huit ans, plutôt que les cinq à huit ans typiques donnés dans le cas des fonds de capital-risque. […] Deuxièmement, The Engine permet aux start-ups d’accéder à des infrastructures, telles que des équipements spécialisés coûteux, dont certains du MIT, qui pourraient autrement représenter une barrière à l’entrée de fondations solides. L’installation était initialement située dans 3000 m2 d’espace à Cambridge, avec l’ambition de s’étendre à 20 000 m2 grâce à un réseau de bureaux, de laboratoires et d’espaces de prototypage et de fabrication à quelques pâtés de maisons de Kendall Square. […] Troisièmement, la nouvelle initiative s’accompagne d’un réseau de professionnels et de mentors dans ce qu’on appelle l’espace de la hard-tech. [Page 173]

En 2020, The Engine a levé 250 millions de dollars avec 35 millions de dollars du MIT et l’Université de Harvard l’a rejoint en tant que nouveau LP. Est-ce différent du VC ? Est-ce que cela réussira ? Le temps nous le dira…

Pourquoi vous ne devriez jamais chercher un cofondateur

Cette question récurrente de la recherche d’un cofondateur me tracasse depuis des années. De même, je n’aime pas l’idée de donner des titres au début d’un projet de startup comme vous pouvez le lire ici : Les titres dans les startups.

Mon argument est que vous ne cherchez pas de cofondateurs. Vous les avez déjà, vous les avez trouvés en parlant de votre projet à des amis ou collègues. C’est un peu comme tomber amoureux, on ne cherche pas à se marier, on rencontre des gens. Point.

Bien sûr c’est un peu facile, car reste la solitude de l’entrepreneur. Mais se marie-t-on juste pour combler la solitude ? Il se trouve qu’en réfléchissant au sujet, je suis tombé sur un excellent article dans lequel je me suis totalement reconnu : Everything You Need to Know About Startup Founders and Co-Founders.

En voici quelques extraits:
– Un fondateur est une personne qui propose une idée et la transforme ensuite en entreprise ou en startup. Si un fondateur crée une entreprise avec d’autres personnes, il est à la fois fondateur et co-fondateur.
– « Fondateur » et « CEO » sont deux […] titres de startup que les gens peuvent porter simultanément. L’un est un titre permanent, tandis que l’autre ne l’est pas. « Vous serez toujours un fondateur ou un co-fondateur. » Assurez-vous toutefois de faire attention à la façon dont vous distribuez les titres de fondateur/co-fondateur. Cela devrait être un titre à vie, alors assurez-vous qu’il va aux bonnes personnes qui ont joué un rôle majeur dans le démarrage de l’entreprise et qui continueront à jouer un rôle dans les années à venir.
– Un membre fondateur peut souvent se sentir similaire à un fondateur ou à un co-fondateur, car il arrive si tôt dans le processus qu’il consacre également des heures folles et peut-être même une réduction de salaire pour faire partie de quelque chose d’important. Mais un membre fondateur de l’équipe est un employé précoce, pas un fondateur. Une différence importante ? Les types de stock que les deux groupes reçoivent. Des actions pour le fondateur sont différentes des attributions de stock options aux employés.
– « Je ne suis pas du tout convaincu que deux personnes puissent trouver une personne qu’elles ne connaissent pas auparavant et devenir un co-fondateur efficace », […] « Je pense que vous feriez mieux de trouver l’argent pour embaucher quelqu’un que de trouver un co-fondateur.
– Si quelqu’un est arrivé un peu plus tard dans le jeu, mais encore tôt – comme avant le premier employé – alors vous traitez de la même manière tout autre co-fondateur ! Si vous choisissez d’ajouter un « co-fondateur » après avoir déjà des employés, les choses peuvent devenir un peu délicates.

Un élément est oublié dans l’article, c’est l’investisseur (friends & family; BA, VC) ou l’institution qui entre à la création et de mon point de vue ils ne sont pas fondateurs parce qu’ils ne contribuent pas (en général) au business…

Enfin le terme de fondateur ne me semble pas avoir d’existence légale. Il n’est attribué que par le groupe de gens qui se reconnaissent comme tel. Il y a pourtant un exemple intéressant, à savoir comment un des fondateurs de Tesla porta plainte contre Elon Musk, en particulier parce qu’il considérait qu’il n’était pas fondateur. La plainte est lisible ici (voir page 28).

PS: pour ceux qui souhaiteraient approfondir, voici quelques posts passés:
Les dilemmes du fondateur. La réponse est “ça dépend !”
Fondateur isolé, fondateur sans expérience.

Une histoire entrepreneuriale du MIT par Jean-Jacques Degroof

Avec une préface impressionnante de Bob Metcalfe (l’inventeur d’Ethernet et cofondateur de 3Com) qui rebaptise à juste titre le MIT une « innoversité », Degroof explique dans From the Basement to the Dome que l’entrepreneuriat est ancré dans l’histoire et la culture du MIT, pas tellement en raison de décisions politiques mais d’événements fortuits.

Sa devise (Mens et Manus, « L’esprit et la main » en latin), son logo, le droit accordé aux professeurs de consacrer 20% de leur temps au conseil depuis les années 20 et la création du comité des brevets en 1932 sont autant d’indices que la pratique est aussi importante que la théorie en sciences de l’ingénieur. L’importance du financement militaire à travers la création de l’OSRD fut également essentielle à la richesse des inventions du MIT.

La culture est illustrée par Ray Stata, cofondateur d’Analog Devices : « C’est comme ‘Un singe voit, un singe fait’. Si vous voyez d’autres personnes créer des entreprises et réussir, vous vous dites : ‘S’ils peuvent le faire, moi aussi.’ Alors que si vous ne voyez pas cela de près et personnellement, il y a une peur et un mystère sur la façon de faire. L’esprit d’entreprise au MIT vous donne confiance. » [Page 17] Et que dire de son expérience dans les affaires : « Je n’ai aucune idée de comment être président, mais je vais passer les douze prochains mois à apprendre. Et si à la fin de ces douze mois vous décidez collectivement, ou si le conseil d’administration décide, que je ne suis pas la personne qui peut assurer le leadership, je me retirerai. Mais en attendant, pendant que j’apprends, vous devez m’aider. » Heureusement, l’approche directe de Stata a fonctionné. « Tout le monde s’y est mis, et il n’y avait alors aucun risque d’échouer. Au cours des douze mois suivants, j’ai appris à être président, et ce processus s’est poursuivi pendant quatre décennies. » [Page 18]

Si vous ne connaissiez pas Ray Stata, vous connaissiez peut-être le bâtiment du campus du MIT portant son nom.

Avant de commencer sa lecture, je me suis demandé si Degroof mentionnerait le débat sur les raisons pour lesquelles la région de Boston n’a pas eu autant de succès que la Silicon Valley. Et il le fait ! Dès le début de son livre, aux pages 24-25. C’est une lecture incontournable et je n’ai pas encore fini. Degroof cite le célèbre Regional Advantage d’AnnaLee Saxenian. Je vous laisserai découvrir ce qu’il écrit.

Ce tableau que j’avais copié il y a longtemps est une autre illustration des différences, non pas tant entre Stanford/Berkeley et MIT/Harvard mais sur le nombre d’entreprises issues (« spin-offs ») d’entreprises établies. Il suffit de comparer ce qui s’est passé chez IBM sur les côtes ouest et est. (PS: Je n’avais pas initialement mentionné la source du tableau; il est extrait de High-Tech Startups and Industry Dynamics in Silicon Valley, Public Policy Institute of California, Junfu Zhang (2003) San Francisco, California.)

Permettez-moi de terminer cette 1ère partie avec une autre citation de Lita Nelsen, ancienne directrice du Technology Licensing Office du MIT : « Les gens me disent : « Est-ce que le MIT a un incubateur ? » Et ma réponse classique a été : « Oui, ça s’appelle la ville de Cambridge. » [Page 26] Cela me rappelle une citation de Richard Newton, un ancien professeur à Berkeley. Il avait écrit en citant un de ses collègues : « La Bay Area est la Corporation. [… Quand les gens changent d’emploi ici dans la Bay Area], ils se déplacent en fait entre les différentes divisions de la Bay Area Corporation. » C’est une explication critique des écosystèmes, il ne s’agit pas tant d’institutions que de fluidité des échanges entre individus.

Doris Lessing à nouveau – à propos des Grands hommes

J’ai écrit dans Testament ou témoignage ? Lessing, Reich, Grothendieck, Jobs, Arles à quel point j’avais aimé lire Le carnet d’or.

Je viens de lire une page étrange qui m’a intrigué. Et encore plus étrange, j’ai découvert que la traduction française (que j’ai découverte en premier) était assez différente de la version originale. Allez sur l’article en anglais pour comparer ou à ma traduction ci-dessous. Voici le texte original (mais allez jusqu’à la fin de l’article pour une autre surprise) :

Mais, ma chère Anna, nous ne sommes pas les ratés que nous croyons. Nous passons notre vie à lutter pour faire accepter à des gens à peine moins sots que nous les vérités que les grands hommes ont toujours sues. Ils ont toujours su, depuis dix mille ans, qu’en enfermant un être humain dans un isolement total on peut faire de lui un ou une bête. Ils ont toujours su qu’un homme pauvre ou terrorisés par la police ou par son propriétaire est un esclave. Ils ont toujours su qu’un homme terrorisé est cruel. Ils ont toujours su que la violence entraine la violence. Et nous le savons. Mais les grandes masses, dans le monde, le savent-elles ? Non. Notre travail consiste à le leur dire. Car les grands hommes ne peuvent pas y perdre leur temps. Leur imagination s’emploie déjà à inventer des moyens de coloniser Vénus ; ils créent déjà dans leur esprit une vision d’une société composée d’être humains libres et nobles. Pendant ce temps, les êtres humains ont dix mille ans de retard sur eux, et sont prisonniers de la peur. Les grands hommes ne peuvent pas y perdre leur temps. Et ils ont raison. Parce qu’ils savent que sommes là, nous, les pousseurs de pierre. Ils savent que nous continuerons à pousser des rochers sur les premiers contreforts d’une immense montagne, pendant qu’ils sont déjà libres au sommet. Ils comptent sur nous, et ils ont raison. Et c’est pour cela que finalement nous ne sommes pas inutiles.

Voici maintenant ma traduction de la version originale, elle est assez différente de la traduction française au Livre de poche !

Toi et moi, Ella, nous sommes les ratés. Nous passons notre vie à nous battre pour que des gens un peu plus stupides que nous acceptent des vérités que les grands hommes ont toujours connues. Ils savent depuis des milliers d’années qu’enfermer une personne malade à l’isolement l’aggrave. Ils savent depuis des milliers d’années qu’un pauvre qui a peur de son propriétaire et de la police est un esclave. Ils le savent. Nous le savons. Mais la grande masse éclairée du peuple britannique le sait-elle ? Non. C’est notre tâche, Ella, la tienne et la mienne, de leur dire. Parce que les grands hommes sont trop grands pour être dérangés. Ils découvrent déjà comment coloniser Vénus et irriguer la lune. C’est ce qui est important pour notre temps. Toi et moi sommes les pousseurs de rochers. Toute notre vie, toi et moi, nous mettrons toutes nos énergies, tous nos talents, à pousser un gros rocher sur une montagne. Le rocher est la vérité que les grands hommes connaissent par instinct, et la montagne est la bêtise de l’humanité. Nous poussons le rocher. Parfois, j’aimerais être mort avant d’avoir obtenu ce travail que je voulais tellement – je le considérais comme quelque chose de créatif.

Je ne sais pas quelle version je préfère, mais j’ai été vraiment assez étonné par ce que Doris Lessing a écrit il y a plus de cinquante ans, d’autant plus que cela me rappelle la citation de Wilhelm Reich dans le post que j’ai mentionné ci-dessus.

Maintenant honte sur moi ! J’ai eu un gros doute et je ne pouvais pas croire que le traducteur était si créatif, alors j’ai regardé à nouveau et j’ai trouvé cette nouvelle partie :

Toi et moi, Ella, nous sommes des ratés. Nous passons notre vie à nous lutter contre des gens à peine plus sots que nous pour leur faire admettre des vérités que les grands esprits ont toujours connues – ils ont su depuis des milliers d’années qu’on aggrave l’état d’un homme malade si on le confine en isolement total. Ils ont su depuis des milliers d’années qu’un homme terrorisé par son propriétaire ou par la police est un esclave. Ils l’on su. Nous le savons. Mais la grande masse éclairée du peuple britannique le sait-elle ? Non. Notre tâche, à toi et à moi, consiste à le leur dire. Car les grands esprits sont trop grands pour qu’on les dérange. Ils sont déjà en train de découvrir comment coloniser Vénus et irriguer la lune. C’estcela qui compte à notre époque. Toi et moi, nous sommes des pousseurs de rochers. Toute notre vie, toi et moi, nous consacrerons notre énergie et tous nos talents à pousser un gros rocher jusqu’au commet de la montagne. Le rocher est la vérité que les grands esprits connaissent d’instinct, et la montagne est la bêtise de l’humanité. Nous poussons le rocher. Je regrette parfois de ne pas être mort avant de pratiquer ce métier qui m’attirait tant – je l’imaginais créatif.

Pourquoi y avait-il Anna et Ella, j’aurais dû y penser tout de suite. La partie sur Ella est à la page 247 et celle sur Anna à la page 711 de ma version. Mon erreur au moins est une indication de l’étrange richesse du roman de Lessing.

La Silicon Valley aura bientôt 65 ans. Devrait-elle être mise à la retraite ? Les dynamiques darwiniennes de la région…

La Silicon Valley aura bientôt 65 ans. 65 ans? Oui, je dis en général que la région a débuté sa croissance avec la fondation de Fairchild Semiconducteur en 1957 (même si le nom ne fut créé qu’en 1971).

SiliconValleyGenealogy-All

La région est de plus en plus critiquée pour de bonnes et mauvaises raisons (voir par exemple ici et ) et peut-être est-elle un peu à bout de souffle. Trop vieille ? Il y a dix ans, j’avais regardé ses « dynamiques darwiniennes » dans innovation darwinienne et lamarckienne – de Pascal Picq. J’y avais noté les dynamiques remarquables de créations (et destructions) d’entreprises. « Vingt des 40 plus grandes entreprises de la région en 1982 n’existaient plus en 2002 et 21 des 40 premières entreprises de 2002 n’avaient pas été créées en 1982. » Je viens donc de refaire l’exercice.

Le tableau plus bas redonne les données de 1982 et 2002, puis celles de 2020. J’aurais dû attendre 2022 et les 65 ans de la Silicon Valley, mais je n’en ai pas eu la patience ! Dix des 40 plus grandes entreprises n’existaient pas en 2000 et sept de plus n’existaient pas en 1995. Seize des top 40 de 2002 n’existent plus en 2021. La région est donc un peu moins dynamique mais cela reste assez remarquable… La retraite me semble lointaine en réalité !

Comme dernière remarque, j’avais mentionné, il y a cinq ans, l’évolution du capitalisme américain dans Les plus grandes (anciennes) start-up des USA et d’Europe et en particulier à travers The Largest Companies by Market Cap Over 15 Years. Vous pourriez comparer ces dynamiques à celles du CAC40 français.

Les quarante plus grandes entreprises de technologie de la Silicon Valley
Les données sont fournies au format jpg à la fin de l’article.

1982 2002 2021 Revenus Capitalisation
1. Hewlett-Packard 1. Hewlett-Packard 1. Apple $294,135 $2,153,363
2. National Semiconductor 2. Intel 2. Alphabet e $182,527 $1,169,351
3. Intel 3. Cisco b 3. Facebook d $85,966 $787,268
4. Memorex 4. Sun bc 4. Intel $77,867 $194,491
5. Varian 5. Solectron c 5. HP Inc. $57,667 $31,545
6. Environtech a 6. Oracle 6. Cisco $48,026 $192,007
7. Ampex 7. Agilent b 7. Oracle $39,403 $191,539
8. Raychem a 8. Applied Materials 8. Tesla d $24,578 $77,574
9. Amdahl a 9. Apple 9. HP Enterprises $26,866 $15,677
10. Tymshare a 10. Seagate Technology 10. Netflix e $24,996 $236,117
11. AMD 11. AMD 11. Gilead $24,689 $74,058
12. Rolm a 12. Sanmina-SCI 12. SYNNEX $23,757 $6,588
13. Four-Phase Systems a 13. JDS Uniphase c 13. PayPal e $21,454 $277,047
14. Cooper Lab a 14. 3Com c 14. salesforce.com e $21,252 $208,200
15. Intersil 15. LSI Logic 15. Applied Materials $18,202 $78,716
16. SRI International 16. Maxtor b 16. NVIDIA $16,675 $328,615
17. Spectra-Physics 17. National Semiconductor c 17. Western Digital $16,327 $16,183
18. American Microsystems a 18. KLA Tencor 18. Adobe $12,868 $241,275
19. Watkins-Johnson a 19. Atmel b 19. Uber d $12,078 $93,549
20. Qume a 20. SGI c 20. Lam Research $11,929 $69,264
21. Measurex a 21. Bell Microproducts bc 21. eBay e $10,713 $36,576
22. Tandem a 22. Siebel bc 22. AMD $9,763 $115,364
23. Plantronic a 23. Xilinx bc 23. Square d $9,498 $106,173
24. Monolithic 24. Maxim Integrated b 24. Intuit $7,717 $99,872
25. URS 25. Palm bc 25. Opendoor d $7,324 $1,221
26. Tab Products 26. Lam Research 26. Sanmina $6,875 $2,117
27. Siliconix 27. Quantum c 27. KLA Tencor $6,073 $40,492
28. Dysan a 28. Altera bc 28. Equinix e $5,999 $63,238
29. Racal-Vadic a 29. Electronic Arts b 29. Electronic Arts $5,670 $41,368
30. Triad Systems a 30. Cypress Semiconductor bc 30. NetApp $5,590 $14,480
31. Xidex a 31. Cadence Design b 31. Agilent $5,530 $36,607
32. Avantek a 32. Adobe Systems b 32. Intuitive Surgical e $4,551 $92,762
33. Siltec a 33. Intuit b 33. ServiceNow d $4,519 $110,315
34. Quadrex a 34. Veritas Software bc 34. Juniper e $4,445 $7,478
35. Coherent 35. Novellus Systems b 35. Workday d $4,318 $57,934
36. Verbatim 36. Yahoo bc 36. Synopsys $3,821 $39,023
37. Anderson-Jacobson a 37. Network Appliance b 37. Autodesk $3,790 $67,066
38. Stanford Applied Eng. 38. Integrated Device 38. Palo Alto Net. d $3,783 $33,851
39. Acurex a 39. Linear Technology 39. Twitter d $3,716 $44,436
40. Finnigan 40. Symantec b 40. Airbnb d $3,378 $94,765


NOTES: Ce tableau a été compilé en utilisant les Business Rankings data de 1982 et 2002 de Dun & Bradstreet puis des données de Blommberg pour 2020. Les entreprises sont classées selon leurs revenus..
a – N’existait plus en 2002.
b – N’existait pas avant 1982.
c – N’existait plus en 2021.
d – N’existait pas avant 2000.
e – N’existait pas avant 1995.

Mêmes données au format jpg et en anglais

Femmes entrepreneurs – une analyse de 800 (anciennes) startups

Je viens de décider d’ajouter une nouvelle analyse à ma récente étude de 800 (anciennes) startups. Bien que le sujet soit important dans l’entrepreneuriat high-tech, je ne l’avais jamais vraiment abordé si ce n’est de manière anecdotique dans ces posts avec le tag #femmes-et-high-tech.


Huit femmes fondatrices ou entrepreneures. Je ne sais pas combien j’en aurais automatiquement reconnues. Et vous?

Et voici les résultats que j’ai trouvés. Mes excuses par avance car ce travail est loin d’être parfait : j’ai essayé d’identifier des fondatrices à partir de leur nom et ce n’est pas toujours facile. Je crois toutefois que je ne dois pas être trop loin de la réalité.

Alors qu’est-ce que cela dit?

– Il y a 76 femmes fondatrices dans 825 entreprises, ce qui indique que 9% de ces anciennes startups avaient une femme fondatrice. Pour ne rien arranger, le nombre total de fondateurs identifiés est de 1644.
– C’est dans le domaine des biotechnologies, qu’elles sont les plus représentées (d’où sans doute leur surreprésentation à Boston, en Suisse, en Californie hors de la Silicon Valley)
– La bonne nouvelle, c’est que ce nombre a atteint 15 % au cours de la dernière décennie. Enfin…
– Maintenant, il n’y a que 31 femmes PDG/CEO, ce n’est que 4% du total (rappelez-vous que les PDG/CEO fondateurs sont un peu plus de 60% des CEO donc c’est encore pire ici puisque certaines de ces femmes PDG ne sont pas fondatrices: Si vous ne coéprenez pas de quoi je parle, regardez ici). En réalité, 20 de ces femmes étaient fondatrices et 11 ne l’étaient pas…

Testament ou témoignage ? Lessing, Reich, Grothendieck, Jobs, Arles

Août est un bon moment pour regarder en arrière. C’est en pensant à cela que je me suis demandé s’il y avait une étymologie commune à testament et témoignage. Apparemment, il n’y en a pas. Peu importe… 1370 posts depuis juillet 2007 (en fait plutôt 700 puisque ce blog est bilingue français-anglais, c’est un par semaine), 600 commentaires (ah ah!) et de nombreuses leçons.

Le mois d’août a aussi été un mois spécial à plusieurs égards, notamment culturel… J’ai lu Le Carnet d’Or de Doris Lessing, un roman remarquable. Voici un extrait : « comme toute autre institution, le Parti communiste continue d’exister grâce à ce processus qui consiste à absorber ses propres critiques – ou bien il les absorbe, ou bien il les détruit. J’ai toujours vu la société, les sociétés, organisées ainsi : une section dirigeante, ou gouvernement, et d’autres sections en opposition; la section la plus forte finit par être transformée ou supplantée par la section opposante. Mais il n’en est rien : soudain je vois tout différemment. Non, il existe un groupe d’hommes endurcis et fossilisés auxquels s’opposent de jeunes révolutionnaires enthousiastes, comme John Butte autrefois – ainsi se crée un ensemble, un équilibre. Et puis un groupe d’hommes endurcis et fossilisés comme John Butte, auquel s’oppose un groupe de gens neufs, à l’esprit vif et critique. Mais le noyau de pensée morte et sèche ne pourrait pas exister si les pousses vivantes de vie neuve ne se transformaient pas rapidement, à leur tour, en bois mort desséché. Autrement dit, moi, « camarade Anna » – et l’intonation ironique du camarade Butte m’épouvante lorsque j’y repense -, je maintiens le camarade Butte en vie, je le nourris, et je me substituerai à lui le moment venu. Et lorsque je pense à cela, estimant que rien n’est ni bien ni mal, ce n’est qu’un processus, une roue qui tourne, la frayeur m’envahit car tout en moi se révolte contre une telle conception de la vie » (traduction de Marianne Véron pour Le livre de poche).

Cela m’a rappelé un autre post en date de mai 2009 sur innovation et révolution que j’ai trouvé un peu similaire. Les entrepreneurs sont les révolutionnaires de notre temps. Et il avait ajouté : « La démocratie fonctionne mieux quand il y a ce genre de turbulences dans la société, quand ceux qui ne sont pas aisés ont une chance de gravir les échelons économiques en utilisant leur intelligence, leur énergie et leurs compétences pour créer de nouveaux marchés ou mieux servir les marchés existants. puis leurs anciens concurrents. » Vous le trouverez ici, Entrepreneurs et Révolution. Aussi une citation de Malcolm Little, que j’avais copiée dans mon livre. « Alors qu’il était à l’école, relate-t-il, son enseignante lui demanda ce qu’il souhaiterait faire quand il serait grand. Avocat, répondit-il. Gênée, elle lui répondit qu’il devrait plutôt songer à être charpentier en raison de ses qualités manuelles, mais surtout de son statut. Ce jour-là, il décida de ne plus accepter ce genre de conseils ».

Le mois d’août a aussi été l’occasion de voir quelques-unes des Rencontres photographiques d’Arles.

Quelques expositions, de gauche à droite et de bas en haut : Masculinités, Pieter Hugo, Jazz Power !, Sabine Weiss, The New Black Vanguard, Thawra ! ثورة Révolution !, Désidération (Anamanda Sîn)

Les Street Artists ont également été actifs en août. Regardez Banksy or Invader. Les artistes montrent le monde tel qu’il est, les crises, de plus en plus sa diversité, ses incertitudes aussi. La transmission, l’acceptation de disparaître ont été ici des thèmes récurrents, une vision plutôt darwinienne du monde. Et c’est pourquoi je voudrais juste mentionner à nouveau quelques autres citations importantes pour moi :

Reich_Ecoute_petit_homme

« Je vais te dire quelque chose, petit homme : tu as perdu le sens de ce qu’il y a de meilleur en toi. Tu l’as étranglé. Tu l’assassines partout où tu le trouves dans les autres, dans tes enfants, dans ta femme, dans ton mari, dans ton père et dans ta mère. Tu es petit et tu veux rester petit. » Le petit homme, c’est vous, c’est moi, c’est nous. Le petit homme a peur, il ne rêve que de normalité, il est en nous tous. Le refuge vers l’autorité nous rend aveugle à notre liberté. Rien ne s’obtient sans effort, sans risque, sans échec parfois. « Tu cherches le bonheur, mais tu préfères la sécurité, même au prix de ta colonne vertébrale, même au prix de ta vie. » Wilhelm Reich déjà publié en mars 2010.

sjobs

Personne ne souhaite mourir. Même ceux qui rêvent du paradis ne veulent pas mourir pour y monter. Et pourtant la mort est la destination que nous partageons tous. Personne n’y a jamais échappé. Et c’est ainsi que cela doit être, parce que la Mort est sans doute la plus belle invention de la Vie. Elle l’agent du changement pour la Vie. Elle nettoie l’ancien pour laisser la place au neuf. Vous êtes le neuf, mais un jour, pas si éloigné, vous deviendrez progressivement l’ancien et vous serez nettoyé. Désolé d’être aussi tragique, mais c’est la vérité. Votre temps est compté, alors ne le gaspillez pas à vitre la vie d’autrui. Ne restez pas prisonnier des dogmes, c’est-à-dire du résultat des pensées d’autrui. Ne laissez pas le bruit des opinions assourdir votre propre voix intérieure. Et plus important encore, ayez le courage de suivre votre cœur et votre intuition. Ils savent quelque part déjà ce que vous voulez vraiment devenir. Tout le reste est secondaire. Steve Jobs déjà publié en juillet 2007.

Enfin non pas une citation mais un extrait de texte sur la manière dont Alexandre Grothendieck découvrit lui aussi ce passage douloureux de la jeunesse à la future disparition: En mai 1968, la machine se dérègle. Shourik, comme l’appellent ses proches, se rend à Orsay pour dialoguer avec les « contestataires ». L’anar se fait conspuer par les « enragés ». Le réprouvé se découvre mandarin. « Après, il n’était plus le même » […] « Ça a été une gifle terrible, c’était d’une violence inouïe ». J’ai parlé de ce génie des mathématiques en mars 2016 et août 2020.

Je termine ce post qui peut paraître un peu lugubre avec un lien vers un excellent article sur la confiance en la science : Peut-on apprendre à être plus rationnel ? Il est optimiste, enthousiaste et montre que nous pouvons être réalistes sur le monde et nos limites tout en restant positifs et heureux. Juste un témoignage ou un petit testament fragile.

Données mises à jours sur 800 (anciennes) startups

Comme vous le savez peut-être, je compile régulièrement des tableaux de capitalisation de startup qui ont été introduites en bourse ou qui ont été acquises avec des données sur les actionnaires. La dernière fois que j’ai publié des articles à ce sujet, c’était en avril 2020 avec plus de 600 tableaux de ce type. J’en ai maintenant plus de 800.

Je viens de publier deux articles en utilisant ces données mises à jour :
– L’age des fondateurs et les CEO non fondateurs, le 4 août,
https://www.startup-book.com/fr/2021/08/04/lage-des-fondateurs-et-les-ceo-non-fondateurs/.
– La participation des employés dans une startup – le millionaire en stock options, le 6 août, https://www.startup-book.com/fr/2021/08/06/la-participation-des-employes-dans-une-startup-le-millionaire-en-stock-options/.

Le contenu du pdf inclut:
– Tables de capitalisation individuelles : pages 8-834.
– Quelques statistiques mises à jour : pages 835-850.
– Table des matières : pages 851-860.

Je n’envisage pas de faire une nouvelle analyse. Celle avec 600 tableaux était assez riche je pense. Les tableaux individuels sont disponibles ici:
Equity List 800 Startups – Lebret – Aug2021

ou sur Scribd, mais vous aurez peut-être besoin d’un compte pour en profiter pleinement:

Voici lien vers le document ou vers d’autres sur mon compte Scribd.