Archives de l’auteur : Hervé Lebret

Le mythe de l’entrepreneur – Défaire l’imaginaire de la Silicon Valley (3/3)

Ceci est une suite très légère aux 2 billets sur Le mythe de l’entrepreneur de Galluzzo. Le lien est très faible : la Silicon Valley est-elle principalement une région de storytelling dont il faut défaire l’imaginaire ou s’agit-il davantage d’un cluster technologique complexe ? Comme je combine les deux approches sur ce blog, j’ai jeté un coup d’oeil sur ce que j’ai écrit au fil des ans. Cela peut ressembler à un « ego trip », j’en suis désolé, mais ce sera aussi mon archive en ligne ! Oui, il y a beaucoup d’histoires, mais il y a aussi des recherches utilisant des statistiques et des tonnes de données…

Visiting Scholarship

How the state can be a venture capitalist? January 2019. Visiting scholarship at International Monetary Fund, Washington DC, USA. Rapport disponible sur demande.

Livres et publications sur les domaines de l’innovation et de l’entrepreneuriat

H. Lebret, Are Biotechnology Startups Different? April 2018. https://arxiv.org/abs/1805.12108

H. Lebret, Equity in Startups, September 2017. http://arxiv.org/abs/1711.00661

H. Lebret, Startups and Stanford University, August 2017. http://arxiv.org/abs/1711.00644

H. Lebret, Startups at EPFL, June 2017 papers.ssrn.com/abstract_id=3317131

H. Lebret, What Europe still has to learn from the US in academic innovation in Academic Spin-Offs and Technology Transfer in Europe Edited by Sven H. De Cleyn (Chapter 12), Edward Elgar Publishing Ltd. 2016 ISBN: 9781784717377

H. Lebret, Start-up, A Culture of Innovation, Amazon.com – March 2016
H. Lebret, Start-Up, une culture de l’innovation (French Edition), Amazon.com – Mars 2016

H. Lebret, Age and Experience of High-tech Entrepreneurs, Babson College Entrepreneurship Research Conference 2014
H. Lebret, Age and Experience of High-tech Entrepreneurs, Journal of Business and Economics, vol.5, nb.12, pp.2327-2336. DOI: 10.15341/jbe(2155-7950)/12.05.2014/013

H. Lebret Serial Entrepreneurs: Are They Better? – A View from Stanford University Alumni. August 2012. Babson College Entrepreneurship Research Conference (BCERC) Frontiers of Entrepreneurship Research: Vol. 32. http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.2133127

H. Lebret Stanford University and High-Tech Entrepreneurship: An Empirical Study, April 2010, Babson College Entrepreneurship Research Conference (BCERC) Frontiers of Entrepreneurship Research: Vol. 30: Iss. 5, Article 10. http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.1983858

H. Lebret Start-up, What we may still learn from Silicon Valley, November 2007
http://www.amazon.com/Start-up-still-learn-Silicon-Valley/dp/1434820068
CreateSpace – ISBN – 1-4348-2006-8
H. Lebret Start-up, ce que nous pouvons encore apprendre de la Silicon Valley, December 2007
http://www.amazon.com/Start-up-pouvons-encore-apprendre-Silicon/dp/1434817334
CreateSpace – ISBN – 1-4348-1733-
www.startup-book.com A related blog where I update news about start-ups, Silicon Valley and Europe.

H. Lebret, J.-A. Månson, P. Aebischer. The EPFL approach to Innovation Universities and Business: Partnering for the Knowledge Society – Luc E. WEBER and James J. DUDERSTADT (eds)
Publisher: ECONOMICA, ISBN 2-7178-5190-9 – First published 2006

A. Catana and H. Lebret, Technology Transfer at the EPFL Europhysics News (2004) Vol. 35 No.6

G. Zocco and H. Lebret. Quality start-ups will always find financing. Les start-ups de qualité trouveront toujours du financement. AGEFI, supplément au numéro 198, 15 octobre 2001

La parution des deux versions (française et anglaise) de « Start-Up » a induit des invitations à des publications (par ordre chronologique) que l’on peut retrouver sur le blog

– Success story – contributions trimestrielles à Créateurs (suisse romande)
Adobe – John Wanorck et Charles Geschke – mars 2009
Genentech – Bob Swanson et Herbert Boyer – juin 2009
Femmes entrepreneurs – Carol Bartz et Sandy Kurtzig – septembre 2009
Un européen dans la Silicon Valley, Aart de Geus – décembre 2009
Un Suisse dans la Silicon Valley – Edouard Bugnion – mars 2010
Give back to the community – Swissquote – juin 2010
Une manière suisse d’entreprendre ?– octobre 2010

– Federation des Entreprises Romandes
Pourquoi les grands succès dans le domaine des nouvelles technologies sont-ils dans l’immense majorité issus des États-Unis ? December 2011
About the challenges of innovation. March 2012
Is Intellectual Property out of Breath? August 2012
Failure is a learning experience. December 2012
Does the Swiss culture tolerate failure? July 2013
The Immigrant, Factor of Creation. January 2014
A Look Back at the Swiss February 9 Votation. February 2014
Innovation and Society: are the Returns and Benefits Sufficient? June 2014
“You have money, but you have little capital.” February 2015
Why doesn’t Europe create any Google or Apple? August 2015
Myths and Realities of Serial Entrepreneurs. May 2016
The digital revolution: stakes and challenges (for Switzerland). November 2016
Virtual Innovations? May 2018

– Start-up chronicles on the EPFL Web Site- http://actu.epfl.ch/search/start-up-epfl/
Medtech, Good for Switzerland -January 2013
Two EPFL Start-ups Take Off in Tandem – October 2012
What’s a start-up worth, or reflections on Facebook’s IPO fiasco – August 2012
Start-ups hiding six feet under – June 2012
Kandou and investment – April 2012
SWISSto12 – Of Start-ups and Men – March 2012
Aleva – is venture capital a universal solution? – February 2012

Rapports et présentations internes (ordre chronologique)
La plupart des contenus disponibles sur Slideshare – www.slideshare.net/lebret/presentations

 A few facts about academic spin-offs – Nov 05
 A brief history of Google – Jan06 and updated 2013
 A trip in the Silicon Valley – May 06
 Academic spin-offs: some anecdotal evidence from a Stanford University Lab – Jun 06
 The EPFL Innovation Forum – Aug 06, Oct 07, Nov 08
 EPFL start-ups –analysis ongoing since Sept 06
 The Innovation Support around EPFL – ongoing since Sept 06
 SW/IT: a workshop on entrepreneurship – Oct 06
 Equity split in starts-ups – Oct06
 Why is the US Innovation System better? – SEISGE EPFL workshop – Oct 06
 A brief history of venture capital – Nov 06 and updated 2012
 Course MINT – Evaluation of an invention potential (2004-2009)
 Course VENTURE LAB – Intellectual Property (2005-2009)
 Founders at Work, Betting it All, In the Company of Giants – Notes from the Books – Jun-Dec 08
 Stanford start-ups – in progress (October 08- September 09), a study on 2’500 small companies.
 Examples and synthesis of academic licenses to start ups – May 2010
 Equity in high tech start-ups with venture capital – 2010 and updated 2012, 2014, 2017
 The venture capital process – December 2012
 Ten ideas to innovate in uncertain times – November 2015
 Is Switzerland a Startup Nation? – October 2017

Le mythe de l’entrepreneur – Défaire l’imaginaire de la Silicon Valley (2/3)

J’ai terminé ma lecture de l’ouvrage de Anthony Galluzzo dont j’ai déjà parlé dans la partie 1 il y a quelques jours. J’hésite entre l’irritation et une appréciation plus positive car je ne sais pas si l’auteur veut simplement défaire l’imaginaire de la région ou en critiquer plus largement le fonctionnement. En effet dans les deux dernières pages de son excellent ouvrage il écrit : « Achevant la lecture de ce livre, certains s’interrogeront peut-être sur la possibilité de « défaire » l’imaginaire entrepreneurial ; non pas seulement de le déconstruire, mais de le mener à la défaite. » Puis il ajoute : « De nombreux commentateurs l’ont déjà constaté : pour défaire un système économique et social il ne suffit pas de démystifier les croyances et de réfuter les syllogismes que véhicule son idéologie. Il faut aussi penser simultanément une autre économie et un autre imaginaire, faire prospérer d’autres représentations et incarnations désirables de l’existence humaine. »

La Silicon Valley comme écosystème et ses côtés sombres

Je ne sais que penser. Un imaginaire ne fait pas système, même s’il en est sans doute un ingrédient important. Derrière le story telling et le mythe de l’entrepreneur héroïque, il y a un écosystème dont Galluzzo parle plus dans l’entretien qu’il a donné à l’Echo (Pour comprendre l’économie, il faut la raconter par les écosystèmes, non par les individus) que dans son livre. La Silicon Valley est un écosystème et pas (seulement) une fabrique de mythes pour cacher une situation plus sombre [1].

Il y a bien sûr du sombre dans la Silicon Valley. Il le montre bien dans le début de son ouvrage et que je relate dans mon précédent post, par exemple à travers la guerre pour les talents ou l’invisibilisation de l’État. Son portait est de plus en plus à charge dans la suite, même si les nouveaux éléments sont tout aussi véridiques:
– un déséquilibre flagrant de la population d’entrepreneurs avec peu de femmes ou d’Afro-américains,
– une sous-représentation des syndicats qui aurait mérité une analyse plus approfondie,
– des employés en bas de l’échelle moins bien traités (en admettant que ces emplois n’aient pas été délocalisés),
– une fiscalité aussi déséquilibrée [page 206] qui aurait mérité là aussi une analyse plus approfondie.

Galluzzo mentionne le tokénisme comme raison du story telling. Dans la littérature sociologique, on appelle « tokénisme » la pratique consistant à intégrer symboliquement des groupes minoritaires pour échapper à l’accusation de discrimination [Page 204]. Galluzzo admet aussi qu’il n’y a pas toujours de story telling. Larry Page et Sergey Brin, les créateurs de Google sont à l’origine de l’une des principales puissances de la Silicon Valley et sont pourtant assez méconnus du grand public. Ils se sont toujours montrés assez discrets, avec des prises de parole rares et bien circonscrites. Ils n’ont pas investi dans le storytelling et le personal branding [Page 218]. Galluzzo ne mentionne pas non plus les milliers d’entrepreneurs inconnus et qui ont souvent échoué, qui sont une composante essentielle de la région.

Il ajoute que la Silicon Valley se serait épanouie avec le néolibéralisme thatchérien tout puissant. Mais il me semble qu’il oublie que la Silicon Valley s’est réellement épanouie dans les deux décennies qui précédent, celle des années 60 (Fairchild, Intel) qui a permis le développement des semi-conducteurs et celle des années 70 pour les ordinateurs. Il semble oublier même s’il le mentionne que sans la structuration du capital-risque dans ces deux décennies, mais aussi sans l’arrivée de migrants hautement qualifiés dans les décennies qui suivirent, il n’y aurait sans doute pas de Silicon Valley telle qu’elle existe (et non pas telle qu’elle est mythifiée). Je ne crois pas que le sujet soit à ce point mis sous le tapis. Dès les années 80, un auteur relativement grand public montrait les aspects plus sombres de la région dans son livre Silicon Valley Fever. On pourra aussi lire Les péchés capitaux de la Silicon Valley

Qu’est-ce qu’un entrepreneur ?

Son passage [pages 196-98] sur la définition ou les traits d’un entrepreneur est aussi très intéressant.

Comment définir l' »entrepreneur » ? Une première approche consiste à le considérer simplement comme un créateur d’entreprise : celui qui démarre et organise une activité économique. On amalgame le petit artisan et le grand patron ; le boulanger et le start-uper richissime. Pour nous consacrer plutôt à ces derniers, faudra-t-il adjoindre à notre définition un ordre de grandeur quant à la réussite économique de l’entreprise et si oui, lequel ? Doit-on limiter la catégorie à ceux qui ont fondé une petite entreprise en hyper-croissance? Une autre solution consiste à faire intervenir la notion de risque. L’entrepreneur serait celui qui mobilise des ressources dans une situation d’incertitude; il serait celui qui réussit ses paris sur l’avenir. [Page 196]

Face à ces problèmes, il peut sembler indispensable de faire appel au critère de l’innovation. L’entrepreneur serait celui qui organise une nouvelle combinaison de moyens de production : celui qui élabore un nouveau produit, développe une nouvelle méthode de production, crée un nouveau marché, conquiert une nouvelle source d’approvisionnement ou bouleverse l’organisation d’un secteur tout entier. […] Or définir l’entrepreneur comme innovateur nécessite de facto de séparer l’innovation du processus, de l’extraire du continuum, de l’attribuer, souvent très artificiellement, à un acteur unique. [page 197]

Lorsque la recherche en entrepreneuriat s’est développée dans les années 80, elle s’est rapidement concentrée sur la questions de savoir qu’elle était la personnalité particulière de l’entrepreneur. […] Parmi les traits qui ont fait l’objet de plusieurs recherches, on relève la propension au risque, la tolérance à l’ambiguïté, le besoin d’accomplissement et le locus de contrôle interne [le locus de contrôle interne désigne la tendance que les individus ont à considérer que les évènements qui les affectent sont le résultat de leurs actions] Ces recherches n’ont donné aucun résultat probant. [Page 198]

Galluzzo aurait pu mentionner la définition d’une startup donnée par Steve Blank et presqu’universellement adoptée, elle donne un périmètre assez convaincant à l’entrepreneur tech, celui dont il est question ici : « Les start-up sont des entités temporaires destinées à la recherche d’un modèle d’affaires extensible et reproductible. »

Enfin à plusieurs reprises, Galluzzo semble montrer sa préférence pour le bâtisseur plus que pour le créateur, Markkula plutôt que Jobs aux premiers jours d’Apple, Cook plutôt que Jobs dans ses derniers jours: Bloomberg a récemment classé tous les PDG de l’histoire d’Apple en fonction de la façon dont a évolué la valorisation de l’entreprise sous leur direction; Steve Jobs (1997-2011, +12,4%) se situe loin derrière Mike Markkula (1981-1983, +64%) et John Sculley (1993-1993, +106%). Tim Cook les surclasse tous avec une augmentation de +561%. Je n’ai pas eu accès à l’article et j’ai pu me tromper mais j’arrive à des résultats différents pour les taux de croissance issus de mes multiples : Markkula, 4x en 2ans soit 100%, Sculley environ 1x soit 0%, Jobs (seconde période) 100x en 14 ans soit 40% et Cook, 10x en 12 ans soit 25%. Enfin Jobs (1ère période – en réalité Scott) 1600x en 4 ans soit 500%. Mais ce dernier sujet est d’autant moins important que je ne suis pas sûr de tous ces chiffres. Fondateur, bâtisseur, storytelling et réalité, voilà des sujets qui restent passionants. Merci à Anthony Gazzullo pour son excellent livre et les réflexions qu’il m’a suscitées.

[1] Voici des éléments qui décrivent un écosystème et que j’ai repris d’un post d’octobre 2015 :

« les 5 ingrédients nécessaires aux clusters high-tech: »
1. des universités et les centres de de la recherche de très haut biveau;
2. une industrie du capital-risque (institutions financières et investisseurs privés);
3. des professionnels expérimentés de la haute technologie;
4. des fournisseurs de services tels que avocats, chasseurs de têtes, spécialistes des relations publiques et du marketing, auditeurs, etc.
5. Enfin et surtout, un composant critique mais immatériel: un esprit de pionnier qui encourage une culture entrepreneuriale.
“Understanding Silicon Valley, the Anatomy of an Entrepreneurial Region”, par M. Kenney, plus précisément dans le chapitre: “A Flexible Recycling” par S. Evans et H. Bahrami

Paul Graham dans How to be Silicon Valley?? « Peu de start-up se créent à Miami, par exemple, parce que même s’il y a beaucoup de gens riches, il a peu de nerds. Ce n’est pas un endroit pour les nerds. Alors que Pittsburgh a le problème inverse: beaucoup de nerds, mais peu de gens riches. » Il ajoute également à propos des échecs des écosystèmes: « Je lis parfois des tentatives pour mettre en place des « parcs technologiques » dans d’autres endroits, comme si l’ingrédient actif de la Silicon Valley étaient l’espace de bureau. Un article sur Sophia Antipolis se vantait que des entreprises comme Cisco, Compaq, IBM, NCR, et Nortel s’y étaient établi. Est-ce que les Français n’ont pas réalisé que ce ne sont pas des start-up? »

Enfin, les écosystèmes entrepreneuriaux ont besoin de 3 ingrédients – je cite:
– Du capital: par définition, aucune nouvelle entreprise ne peut être lancée sans argent et infrastructures pertinentes (du capital engagé dans des actifs tangibles);
– Du savoir-faire: vous avez besoin d’ingénieurs, de développeurs, de designers, de vendeurs: tous ceux dont les compétences sont nécessaires pour le lancement et la croissance des entreprises innovantes;
– De la rébellion: un entrepreneur conteste toujours le statu quo. Sinon, ils innoveraient au sein de grandes entreprises établies, où ils seraient mieux payés et auraient accès à plus de ressources.

Le mythe de l’entrepreneur – Défaire l’imaginaire de la Silicon Valley

Un ami m’a mentionné il y a quelques jours ce nouveau livre sur la Silicon Valley et je le cite : « l’argument de l’auteur ne tient pas la route (mais il est pernicieux). […] En effet, l’entrepreneuriat génère l’excellence et des gens ayant un esprit indépendant, alors [qu’une autre vision – l’opposition au capitalisme libéral] crée une population de gens dépendants de l’État. »

Je ne suis pas sûr d’être d’accord avec mon ami : d’un côté en effet l’articulation entre collectif et individu est un sujet clef de l’entrepreneuriat. Une société crée-t-elle de la valeur sans individus « hors norme » ? Le sujet est vieux comme le monde. De l’autre, la répartition de cette valeur est un second sujet qui est entre autres du domaine de la fiscalité et Piketty a bien montré que, depuis quelques décennies, l’écart de répartition a largement augmenté en faveur des plus riches au détriment des plus pauvres.

Marianna Mazzucato a montré dans The entrepreneurial state ce déséquilibre qu’elle trouve d’autant plus injuste qu’elle montre le rôle primodial de l’État dans le financement amont (éducation, recherche, services publics en général) qui donne un contexte favorable à la création de richesses.

Dans le début de son livre, Le mythe de l’entrepreneur – Défaire l’imaginaire de la Silicon Valley, Anthony Galluzzo explique des choses similaires mais il me semble différentes. Je n’en suis qu’au début et je verrai plus tard à quel point il rejoint la critique introduite plus haut. L’auteur est un spécialiste des imaginaires marchands et son sous-titre est convaincant, à savoir qu’il convient de déconstruire l’imaginaire de cette région, basé sur du story-telling autour des stars de la région, telles que Steve Jobs et Elon Musk (encore que Elon Musk a largement perdu de son aura). Il nous montre que Elisabeth Holmes a tenté la même approche mais n’y sera parvenu que très partiellement.

Joseph Schumpeter est abondamment cité dans l’ouvrage au début, en particulier il me semble, pour une critique du rôle de l’entrepreneur et de la destruction créatrice. Galluzzo préfère d’ailleurs employer la création destrutrice pour montrer la chronologie des actions. Mais je n’ai pas vu dans le début du livre, du moins, que Schumpeter ajoute que le capitalisme ne peut pas exister sans la publicité, donc sans le story-telling et l’imaginaire.

Cet imaginaire de la Silicon Valley n’est donc, je crois, que ce qui permet au capitalisme de se développer, de perdurer, avec tous les paradoxes actuels de gaspillage destructeur. Mais derrière cet imaginaire, quelle est la réalité ? Galluzzo refuse d’opposer entrepreneurs et hommes d’affaires. Je comprends l’argument. Les créateurs, stars du moins, peuvent gagner beaucoup d’argent. Mais je ne sais pas si la raison principale en est leur capacité à faire des affaires ou s’ils sont simplement à l’origine d’une création qui permet de faire des affaires. Je ne suis ni économiste, ni historien, ni sociologue et j’ai bien du mal à faire la part des choses, toutes choses égales par ailleurs.

Anatomie du mythe – l’Entrepreneur héroïque

Voici donc quelques éléments que j’ai trouvé intéressants dans le début du livre:

1- L’entrepreneur solitaire

Steve Jobs n’était pas seul et pire n’est peut-être pas critique au succés initial. L’histoire est en effet assez connue alors que Jobs est vu comme le seul génie d’Apple.
– Steve Wozniak est le véritable génie (Galluzzo n’aimera pas le terme) derrière les premiers ordinateurs d’Apple.
– Steve Jobs aurait « volé » [Page 35] de nombreuses idées chez Xerox pour construire ses machines. L’histoire est connue mais le terme « voler » est trop fort même si de nombreux employés de Xerox en furent choqués. Xerox reçut des actions Apple en échange de ce deal assez unique dans l’histoire.
– « Mike Markkula peut être considéré comme le véritable fondateur d’Apple, celui qui a transformé un petite opération d’amateurs insignifainte en une start-up structurée et solidemenrt financée. » [Pages 19-20]
– « Arthur Rock, quant à lui, est l’une des figures les plus importantes de la Silicon Valley, il a contribué à l’émergence des plus grandes entrerpises de la région – Fairchild Semiconductor, Intel, puis Apple. Pourtant aucune biographie ne lui a jamais été consacrée et sa fiche wikipedia est famélique ». [Page 20]

Je nuancerai à nouveau les propos de Galluzzo. Certes Wozniak, Markkula et Rock n’ont pas pénétré l’imaginaire du grand public, mais les connaisseurs de la Silicon Valley ne les ignorent pas et le film Something Ventured (que Galluzzo ne semble pas mentionner dans sa bibliographie pourtant très riche) ne les oublie pas du tout. Et que dire de cette couverture de Time Magazine.

2- La guerre des talents

« Le fonctionnement du marché du travail dans la Silicon Valley nous indique pourtant une tout autre dynamique. La concentration industrielle dans cette région entraine d’importants mouvements de personnel : un ingénieur peut facilement changer d’entreprise, sans déménager ni changer ses habitudes de vie. […] Cette forte mobilité de la main d’oeuvre est constatée dès les années 1970, où en moyenne les professionnels de l’informatique ne restent en poste que deux ans [Cf AnnaLee Saxenian‘s Regional Advantage]. Lorsqu’ils circulent ainsi, les employés, même tenus par des accords de non-divulgation, emportant leurs expériences et leurs connaissances. La propagation de ce savoir tacite est au coeur de l’écosystème , elle permet un apprentissage tacite collectif permanent. » [Page 45]

Galluzzo touche ici au coeur du sujet, ce qui fait l’unicité de la Silicon Valley. Pas tant la concentration des talents, qui existe dans toutes les régions développées. Mais la circulation des talents. Tout est dit ou presque !

Galluzzo ajoute toutefois une nuance de taille et que je connaissais moins : « Se posent donc pour les entrepreneurs des problèmes relatifs à ce qu’on a appelle dans le jargon des affaires la « guerre des talents ». Pour mener à bien ses projets, il faut parvenir à s’approprier la marchandise la plus précieuse qui soit, la force de travail d’ingénieurs hautement qualifiés. » [Page 46]

Galluzzo mentionne alors les stock options, les recrutements à la hussarde mais aussi ceci : « Une autre affaire judiciaire illustre bien les enjeux de la rétention des employés. Dans les années 2000, plusieurs géants de la Silicon Valley, parmi lesquels Intel, Google et Apple, ont formé un « cartel des salaires », en s’engageant mutuellement à ne pas tenter de débaucher les employés. Cet accord tacite visait à éliminer toute concurrence sur les travailleurs qualifiés et à limiter la hausse des salaires. » [Page 47 & voir Google, Apple, other tech firms to pay $415M in wage case]

3- L’invisibilisation de l’État.

Le sujet est aussi connu et je l’ai mentionné plus haut. On oublie trop souvent le rôle du collectif dans la possibilité de conditions, de contexte favorables. Mais Galluzzo montre que trop souvent, il y a même une certaine haine du collectif, illustrée par la visibilité grandissante des libertariens. c’est connu également, la Silicon Valley a peur des syndicats. Mais voici un autre exemple que j’ignorais:

« Je veux que les gens qui enseignent à mes enfants soient assez bons pour être employés dans l’entreprise pour laquelle je travaille, et gagner 100 000 dollars par an. Pourquoi devraient-ils travailler dans une école pour 35-40 000 dollars par an s’ils peuvent trouver un emploi ici à 100 000 dollars ? Nous devrions les embaucher et les payer 100 000 dollars, mais le problème, ce sont bien sûr les syndicats. Les syndicats sont la pire chose qui soit arrivée à l’éducation. Parce que ce n’est pas une méritocratie, mais une bureaucratie. »

Il faut lire l’extrait tout entier et peut-être même l’intégralité de l’interview de Steve Jobs. Excerpts from an Oral History Interview with Steve Jobs. Interviewer: Daniel Morrow, 20 April 1995. Computerworld Smithsonian Awards. Nous sommes là dans la culture américaine et l’importance donnée à la concurrence entre les individus plutôt qu’à l’égalité des membres du collectif.

Alors y a-t-il des génies ou non ? N’y a-t-il qu’émergence darwinienne de talents a posteriori parmi ceux qui auront survécu ? Je ne sais pas ou je ne sais plus. Sans doute quelque chose entre les deux. Ou peut-être s’agit-il d’un acte de foi, tant que la sociologie n’aura pas d’éléments qui me permettront d’avoir un avis plus convaincant…

A suivre…

Optimisme et désillusions dans la Silicon Valley. Partie 3 : Goomics, la fin de la Googlitude ?

Tout d’abord, il est important de se souvenir qu’Aaron Swartz est décédé il y a 10 ans. Il fut, peut-être, la première victime de la fin d’Internet tel que nous le rêvions, un accès gratuit ou du moins facile à l’information mondiale.

Qu’est-ce que la Googlitude (la Googleyness en anglais) ? La définition de Googleyness de Laszlo Bock est #1 Amusement, #2 Humilité Intellectuelle, #3 Conscience, #4 Confort avec l’ambiguïté, #5 Preuve que vous avez emprunté des chemins courageux ou intéressants dans votre vie. À la page 134 de Goomics, Manu Cornet mentionne « dirigé par les données et transparent, désintéressé et humble, proactif, avec un sens de l’humour et légèrement irrévérencieux, respectueux et juste ».

Alors que s’est-il passé entre le tome I de Goomics, (pour lequel j’avais publié 3 articles en anglais ici, et ) et ce second tome, dont le sous-titre est « Désillusion » ? Citons l’auteur à travers quelques-uns de ses dessins. Tout d’abord Google est une entreprise innovante comme le rappelle Manu Cornet à travers le quiz suivant dont vous trouverez les réponses en fin d’article.

Pourtant l’auteur a vécu ces dernières années chez Google avec une certaine difficulté. En voici quelques exemples:

Ses sentiments que Google est en train de devenir une entreprise normale avec ses mauvaises habitudes de bureaucratie, son manque de transparence et, pire encore, le mauvais traitement du harcèlement sont effrayants…

Finissons tout de même sur une note rafraichissante, typiquement écrite par un vrai nerd!

Post-scriptum (avant les réponses au quiz):

Un post-scriptum pour refermer la boucle de ces 3 articles sur les désillusions dans l’innovation. Un article scientifique récent semble soutenir certains des arguments de Michael Gibson dans Paper Belt on Fire. France Culture dans Les publications scientifiques deviennent de moins en moins “innovantes” (voir la fin de la page) cite une publication de chercheurs de l’université du Minnesota, Papers and patents are becoming less disruptive over time. Une lecture intéressante pour ceux que le sujet interpelle.

Réponses au quiz

Post-scriptum (en date du 22 août 2023): Page et Brin ne donnent pas beaucoup d’interview, la dernière en date que j’ai trouvée est celle-ci.

Optimisme et désillusions dans la Silicon Valley. Partie 2 : l’interview de Steve Jobs dans Playboy

C’est la troisième fois que je peux associer le magazine Playboy aux startups technologiques. Étrange.

En 1971, Intel entra en bourse le même jour que Playboy et son co-fondateur, Gordon Moore, raconte avec humour dans Something Ventured : Et quelques années plus tard l’un des analystes : « Le marché a parlé. Ce sont des chips sur des chicks, 10 contre 1. » Il n’a pas exactement dit cela, mais quelque chose de similaire. Je vous laisse chercher si vous le souhaitez…

En 2004, l’interview dans le même magazine des fondateurs de Google, The Google Guys, les nouveaux milliardaires d’Amérique, fut très controversée et faillit annuler l’entrée en bourse du célèbre moteur de recherche. Voir par exemple Google indique que l’article de Playboy pourrait être coûteux.

Et je viens de découvrir qu’en 1984, le magazine publia une longue interview de 13 pages de Steve jobs, la nouvelle star de la Silicon Valley : Steven Jobs, une conversation ingénue sur la fabrication d’ordinateurs, sur les erreurs et sur les millions avec le jeune entrepreneur qui a déclenché une révolution commerciale. En voici quelques extraits:

À propos des ordinateurs

Nous vivons dans le sillage de l’évolution pétrochimique d’il y a 100 ans. La révolution pétrochimique nous a donné de l’énergie gratuite – de l’énergie mécanique gratuite, dans ce cas. Cela a changé les textures de la société à bien des égards. Cette révolution, la révolution de l’information, est aussi une révolution d’énergie gratuite, mais d’un autre genre : une énergie intellectuelle gratuite. C’est très rudimentaire aujourd’hui, mais notre ordinateur Mackintosh consomme moins d’énergie qu’une ampoule de 100 watts pour fonctionner et il peut vous faire gagner des heures par jour. Que pourra-t-il faire d’ici 10 ou 20 ans, ou d’ici 50 ans ? Cette révolution éclipsera la révolution pétrochimique. Nous sommes à l’avant-garde.

Les ordinateurs seront essentiels dans la plupart des foyers. La raison la plus convaincante d’acheter un ordinateur pour la maison sera de le relier à un réseau de communication national. Nous n’en sommes qu’au début de ce qui sera une percée vraiment remarquable pour la plupart des gens – une percée aussi remarquable que le téléphone.

C’est souvent la même chose avec toute nouvelle chose révolutionnaire. Les gens se figent en vieillissant. Nos esprits sont des sortes d’ordinateurs électrochimiques. Vos pensées construisent des modèles comme des échafaudages dans votre esprit. Vous gravez vraiment des motifs chimiques. Dans la plupart des cas, les gens restent figés dans ces schémas, tout comme pour les sillons d’un disque, et ils n’en sortent jamais.

C’est une personne rare, celle qui grave des sillons qui ne soient pas une façon particulière de voir les choses, une façon particulière d’interroger les choses. Il est rare de voir un artiste dans la trentaine ou la quarantaine contribuer vraiment à quelque chose d’incroyable. Bien sûr, il y a des gens qui sont naturellement curieux, toujours des petits enfants émerveillés par la vie, mais ils sont rares.

À propos de l’innovation

Ce qui se passe dans la plupart des entreprises, c’est que vous ne gardez pas des personnes formidables dans des environnements de travail où l’accomplissement individuel est découragé plutôt qu’encouragé. Les gens formidables partent et vous vous retrouvez avec la médiocrité. Je le sais, parce que c’est comme ça qu’Apple a été construite. Apple est une entreprise d’Ellis Island. Apple est construite sur des réfugiés d’autres entreprises. Ce sont les contributeurs individuels extrêmement brillants qui ont été des fauteurs de troubles dans d’autres entreprises.

Polaroid a fait cela pendant quelques années, mais finalement le Dr Land, l’un de ces brillants fauteurs de troubles, a été invité à quitter sa propre entreprise – ce qui est l’une des choses les plus stupides dont j’aie jamais entendu parler.

À propos de la croissance

Quoi qu’il en soit, l’un de nos plus grands défis et celui sur lequel je pense que John Sculley et moi devrions être jugés dans cinq à dix ans est de faire d’Apple une entreprise incroyablement réussie de dix ou 20 milliards de dollars. Y aura-t-il encore l’état d’esprit qu’il y a aujourd’hui ? Nous explorons un nouveau territoire. Il n’y a pas de modèles vers lesquels nous pouvons nous tourner pour notre forte croissance, pour certains des nouveaux concepts de gestion que nous avons. Nous devons donc trouver notre propre chemin.

La façon dont cela va fonctionner est que dans notre entreprise, afin de continuer à être l’un des principaux contributeurs, nous allons devoir compter sur une entreprise de dix milliards de dollars. Cette croissance est nécessaire pour nous permettre de se maintenir avec la concurrence. Notre souci est de savoir comment devenir cela, plutôt que l’objectif du dollar, qui n’a pas de sens pour nous.

Il reste peut-être des imitateurs dans la fourchette de 100 000 000 $ à 200 000 000 $, mais être une entreprise à 200 000 000 $ signifie que vous luttez pour votre survie, et ce n’est pas vraiment une position à partir de laquelle innover. Non seulement je pense qu’IBM éliminera ses imitateurs en fournissant des logiciels qu’ils ne peuvent pas fournir, mais je pense qu’elle finira par proposer une nouvelle norme qui ne sera même pas compatible avec ce qu’elle fabrique actuellement – car elle est trop restrictive .

[Steve Jobs fut un visionnaire, mais il ne pouvait pas avoir toujours raison. Regardez Dell, Compaq, Lenovo, HP et Intel/Microsoft…]

J’avais pensé à vendre 1 000 000 d’ordinateurs par an, mais ce n’était qu’une idée. Quand cela se produit réellement, c’est une chose totalement différente. Donc ce fut : « Putain de merde, c’est en train de se réaliser ! » Mais ce qui est difficile à expliquer, c’est que cela ne se passe pas du jour au lendemain.

L’année prochaine sera ma dixième année. Je n’avais jamais rien fait de plus d’un an dans ma vie. Six mois pour moi, c’était long quand on a lancé Apple. C’est donc ma vie depuis que je suis une sorte d’adulte libre. Chaque année a été si remplie de problèmes, de succès, d’expériences d’apprentissage et d’expériences humaines qu’une année est une vie chez Apple. Cela fait donc dix vies.

Il y a un vieux dicton hindi qui me vient à l’esprit de temps en temps : « Pendant les 30 premières années de votre vie, vous façonnez vos habitudes. Pendant les 30 dernières années de votre vie, vos habitudes vous façonnent. Comme je vais avoir 30 ans en février, l’idée m’a traversé l’esprit.

Et je ne suis pas sûr. Je resterai toujours connecté avec Apple. J’espère que tout au long de ma vie, j’aurai en quelque sorte le fil de ma vie et le fil d’Apple tissés l’un dans l’autre, comme une tapisserie. Il peut y avoir quelques années où je ne serai pas là, mais je reviendrai toujours.

À propos de l’intelligence artificielle

Les premiers jeux vidéo ont capturé les principes de la gravité. Et ce que la programmation informatique peut faire, c’est capturer les principes sous-jacents, l’essence sous-jacente, puis faciliter des milliers d’expériences basées sur cette perception des principes sous-jacents.

Maintenant, et si nous pouvions capturer la vision du monde d’Aristote – les principes sous-jacents de sa vision du monde ? Ensuite, vous pourriez poser une question à Aristote. Ok, vous pourriez dire que ce ne serait pas exactement ce qu’était Aristote. Tout pourrait être faux. Mais peut-être pas.

Une partie du défi, je pense, est de fournir ces outils à des millions et des dizaines de millions de personnes et de commencer à affiner ces outils afin qu’un jour nous puissions grossièrement, puis dans un sens plus raffiné, capturer un Aristote ou un Einstein ou un Land de son vivant.

C’est pour quelqu’un d’autre. C’est pour la prochaine génération. Je pense qu’un défi intéressant dans ce domaine de la recherche intellectuelle est de devenir obsolète avec élégance, dans le sens où les choses changent si vite que certainement d’ici la fin des années 80, nous voulons vraiment passer les rênes à la prochaine génération, de sorte qu’ils peuvent continuer, se tenir sur nos épaules et aller beaucoup plus loin. C’est un défi très intéressant, n’est-ce pas ? Comment devenir obsolète avec grâce.

Post-Scriptum : difficile d’ajouter quelque chose à cette belle conclusion et pourtant je souhaite créer un lien (assez artificiel) entre ces deux premières parties. Je viens de le découvrir en terminant cet article et la coïncidence est assez jolie.

Je ne connaissais pas cette interview de Steve Jobs. Beaucoup plus connu, célèbre même est le discours qu’il donna en 2005 à l’université de Stanford, pour la remise des diplômes des étudiants (son « commencement speech » qui fut la motivation de mon premier article sur ce blog.)

Par coïncidence, Michael Gibson termine son livre Paper Belt of Fire par l’analyse d’un autre discours donné en 2005 et considéré par certains comme un des plus beaux avec celui de Jobs. Il s’agit de « This is water » de David Foster Wallace, dont vous trouverez ici l’intégralité sur This Is Water: Some Thoughts, Delivered on a Significant Occasion, about Living a Compassionate Life. .

En voici la conclusion:

The capital-T Truth is about life BEFORE death.

It is about the real value of a real education, which has almost nothing to do with knowledge, and everything to do with simple awareness; awareness of what is so real and essential, so hidden in plain sight all around us, all the time, that we have to keep reminding ourselves over and over:

“This is water.”
“This is water.”

It is unimaginably hard to do this, to stay conscious and alive in the adult world day in and day out. Which means yet another grand cliché turns out to be true: your education really IS the job of a lifetime. And it commences: now.

[Et ma traduction rapide:

La Vérité avec un V majuscule concerne la vie AVANT la mort.

Il s’agit de la valeur réelle d’une véritable éducation, qui n’a presque rien à voir avec la connaissance, et tout à voir avec la simple prise de conscience ; conscience de ce qui est si réel et essentiel, si caché à la vue tout autour de nous, tout le temps, que nous devons nous rappeler sans cesse :

« C’est de l’eau. »

« C’est de l’eau. »

Il est incroyablement difficile de faire cela, de rester conscient et vivant dans le monde des adultes jour après jour. Ce qui signifie qu’un autre grand cliché s’avère être vrai : votre éducation EST vraiment le travail de toute une vie. Et ça commence : maintenant.]

Optimisme et désillusions dans la Silicon Valley. Partie 1: La couronne de papier en feu

J’ai donc demandé à Gates : « Que pensez-vous de l’idée que nous ne voyons pas autant d’innovation et de progrès scientifiques que nous le devrions ? Que le rythme des progrès est au point mort ? »
« Oh, vous êtes pleins de merde. Merde totale… »

C’est ainsi que Bill Gates réagit à la page XI du livre Paper Belt on Fire, How Renegade Investors Sparked a Revolt against the University aux idées Michael Gibson qu’il décrit en détail dans son récent livre. Un titre que l’on pourrait traduire par La couronne de papier en feu.

Le livre est à la fois passionnant et frustrant, convaincant parfois et énervant à d’autres moments. Mais permettez-moi de mentionner ce qui me questionne.

La thèse centrale du livre comporte quatre parties. La première est que la science, le savoir-faire et la sagesse sont la source de presque tout ce qui est bon : un niveau de vie plus élevé ; des vies plus longues et en meilleure santé; des collectivités prospères; des villes éblouissantes; des ciels bleus; des philosophies profondes; l’épanouissement des arts; et tout le reste. La deuxième est que le rythme de progrès de la science, du savoir-faire et de la sagesse s’est stabilisé depuis trop longtemps. Nous n’avons pas fait de progrès scientifiques, technologiques ou philosophiques à la vitesse dont nous avions besoin depuis environ 1971. (Nonobstant les ordinateurs et les smartphones.) La troisième affirmation est que l’échec complet et total de notre éducation, du K-12 à Harvard, est un exemple de cette stagnation. Nous ne sommes pas très doués pour éduquer les gens et nous n’avons pas beaucoup amélioré l’apprentissage des élèves en plus d’une génération, même si nous dépensons trois à quatre fois plus par élève à n’importe quel niveau. Notre manque de progrès dans la connaissance de la manière d’améliorer les résultats des élèves a grandement contribué au déclin de la créativité dans à peu près tous les domaines. Le dernier point principal est que le sort de notre civilisation dépend du remplacement ou de la réforme de nos institutions peu fiables et corrompues, qui comprennent à la fois l’école publique locale et l’ensemble de l’Ivy League. Mes collègues et moi essayons de tracer une voie dans le domaine de l’éducation. Nous pouvons nous tromper dans nos méthodes, mais notre diagnostic est correct. [Pages XIX-XX]

Quels sont les traits des grands fondateurs ? [Pages 89-96]

Contrôle des bords, ramper-marcher-courir, hyperfluidité, profondeur émotionnelle et résilience, une motivation durable, l’éclat alpha-gamma tension, l’ambition sans ego et la sphère de Dyson du vendredi soir.

Edge control (Contrôle des bords): une volonté jour après jour, de défier la frontière entre le connu et l’inconnu, l’ordre et le désordre, la vision et l’orgueil.

Crawl-walk-run (ramper-marcher-courir): une équipe fondatrice doit avoir l’intelligence nécessaire pour construire ce qu’elle va construire. […] La meilleure façon de dépister ces traits est de les voir jouer dans la nature. Il faut du temps pour voir leur évolution.

Hyperfluidité : les meilleurs fondateurs ont le charme d’un colporteur et la rigueur d’un physicien. […] Ils parlent avec une compétence fluide.

Profondeur émotionnelle et résilience : les fondateurs d’une entreprise doivent avoir l’intelligence sociale et émotionnelle pour embaucher, travailler avec les clients, lever des fonds auprès des investisseurs et se mêler aux co-fondateurs. La complexité de cet effort total est incroyablement exigeante et émotionnellement épuisante.

Tensive brilliance (Éclat en tension) : ce que nous avons remarqué, c’est que les créatifs ont tendance à avoir une unité née de la variété. Cette unité peut avoir une forte tension, car elle tente de concilier les contraires. Initié mais marginal, familier mais extérieur, étrange mais pas étranger, jeune d’âge mais plus âgé d’esprit, membre d’une institution mais paria social – toutes sortes de polarités qui se prêtent au dynamisme. C’est en partie, je crois, pourquoi les immigrants et les citoyens de première génération montrent une forte productivité pour l’entrepreneuriat. Ils sont identiques, mais différents.

Ambition sans ego : d’un côté, il y a un engagement intense à faire de grandes choses. Mais de l’autre côté, il y a un élément de détachement, une attitude libre et sereine qui traite le triomphe et le désastre de la même manière.

Friday-night-Dyson-sphere (la Sphère de Dyson du vendredi soir): le physicien Freeman Dyson a imaginé une fois une sphère de matériau absorbant la lumière entourant tout notre système solaire à sa périphérie. L’un des moments les plus électrisants pour nous est lorsqu’une équipe nous convainc, par une série d’étapes plausibles étayées par des preuves, qu’elle est capable de transformer un stand de limonade en une entreprise qui construit des Sphères de Dyson. De plus, il est clair qu’ils préfèrent bricoler un vendredi soir quand tous les gamins cools font la fête.

Le fonds 1517 [1]

« Nous sommes nommés d’après l’année où Martin Luther a cloué ses quatre-vingt-quinze thèses sur la porte d’une église dans une petite ville allemande. Cela a commencé une révolution, la Réforme Protestante. Mais tout a commencé parce qu’il protestait contre la vente d’un bout de papier appelé indulgence. En 1517, l’église disait que ce morceau de papier coûteux pourrait sauver votre âme. En 2015, les universités vendent un autre morceau de papier coûteux, le diplôme, en disant que c’est le seul moyen de sauver votre âme. Eh bien, c’était des conneries alors. Et ce sont des conneries aujourd’hui. » [Page 144]

D’une part, la plupart des fonds de capital-risque échouent. Des singes aveugles qui lancent des fléchettes pour sélectionner des actions obtiendraient de meilleurs résultats que l’investisseur qui a choisi le fonds de capital-risque moyen. Le capital-risque médian rapporte environ 1,6 % de moins que si quelqu’un plaçait simplement son argent dans un fonds commun de placement indiciel. [Page 147]

Pour accélérer les progrès, nous avons besoin que les jeunes travaillent aux frontières de la connaissance plus tôt qu’ils ne l’ont fait par le passé. Ils ont aussi besoin de plus de liberté. Cela signifie que les institutions leur fassent confiance pour prendre des risques et faire preuve d’un certain contrôle sur leurs recherches. Nous devons considérer comme une loi assez prévisible de la créativité que l’inconnu doit toujours traverser l’étrange avant que nous puissions le comprendre.
Les universités ont rempli cette fonction de recherche dans le passé et continueront de le faire. Mais ellese sont tourmentés par quatre réalités. La première est la lenteur d’une éducation formelle basée sur des diplômes. Il faut quatre ans pour obtenir un bachelor, puis sept ou huit ans pour obtenir un doctorat. Deuxièmement, les universités sont devenues des ruches de pensée de groupe. Troisièmement, l’octroi de bourses est motivé par le prestige, la crédibilité et une mentalité sans prise de risque (« cover your ass »). Quatrièmement, les incitations des institutions académiques récompensent les calculs politiques avisés, l’incrémentalisme, les horizons à court terme et une hiérarchie des statuts dans laquelle la loyauté est plus récompensée que l’avancement des connaissances.
[Pages 261-2]

À propos de l’éducation

La bonne nouvelle est que deux méthodes bon marché et relativement faciles à utiliser se distinguent comme étant les plus efficaces pour améliorer les performances des élèves : les auto-tests pratiques et la pratique distribuée. La pratique distribuée est lorsque les étudiants établissent et s’en tiennent à un calendrier de pratique cohérent au fil du temps. (Son antithèse est le bachotage.) La pratique n’est pas une simple répétition, mais un effort délibéré pour améliorer les performances dans la zone de Boucle d’Or où le succès n’est ni trop facile à gagner, ni le défi trop difficile. L’auto-test en tant que technique ne doit pas être confondu avec des tests standardisés à enjeux élevés, mais plutôt comme un moyen de sonder fréquemment les limites des connaissances dans un domaine. […] L’auto-évaluation cohérente et la pratique distribuée sont les techniques d’apprentissage les plus efficaces, mais elles sont aussi les plus pénibles, car ces deux stratégies nécessitent de la discipline, de l’énergie et des efforts individuels.

Ensuite, il y a les questions plus intangibles qui nécessitent notre attention. Comment pouvons-nous encourager les élèves à rechercher la vérité, indépendamment de l’approbation des autres ? Comment enseignons-nous la désobéissance civile, en formant nos jeunes à se battre pour ce qui est juste ? Ou comment pratiquer la gratification différée pour des objectifs valables à long terme ? Est-ce même possible à enseigner? Personne n’a pris la peine de demander. [Pages 301-302]

Si vous n’êtes pas énervé et toujours intrigué, vous pouvez lire son dernier chapitre autour de James Stockdale et David Foster Wallace.

Maintenant, ce que j’ai trouvé énervant, c’est l’énorme différence entre les exceptions, les anecdotes dans un système et un problème de statistique sociale. Je ne citerai qu’un grand roman plutôt méconnu, Les Thibault de Roger Martin du Gard : « Je vous avoue que je ne sais plus très bien ce que je lui ai conseillé. J’ai dû – naturellement – l’engager à ne pas abandonner l’École. Pour des êtres de sa trempe, notre enseignement est, somme toute, inoffensif : ils savent choisir, d’instinct ; ils ont – comment dirais-je – une désinvolture de bonne race, qui ne se laisse pas mettre en lisière. L’École n’est fatale qu’aux timides et aux scrupuleux. Au reste, il m’a paru qu’il venait me consulter pour la forme et que sa résolution était prise. C’est justement l’indice d’une vocation, qu’elle soit impérieuse. C’est bon signe qu’un adolescent soit en révolte, par nature, contre tout. Ceux de mes élèves, qui sont arrivés à quelque chose étaient tous de ces indociles. » [Page 754 du volume 1, collection folio]

[1] Je n’ai pas mentionné jusqu’à présent et je le fais dans cette note de bas de page que Gibson appartient en quelque sorte à la mafia PayPal des anarcho-libertaires qui incluent Peter Thiel et Elon Musk. Gibson a cogéré la bourse Thiel et aujourd’hui le fonds 1517. Il y a des boursiers notables comme indiqué sur Wikipedia. Maintenant, citant Peter Thiel, les destinataires ont-ils fait mieux que ce dont il rêvait : « Nous voulions des voitures volantes, nous avons obtenu 140 caractères à la place » ou ont-ils vraiment répondu à sa célèbre question « Qu’est-ce que vous croyez être vrai que le reste du monde pense faux ? » [Page 60]

Encore des histoires de startups : Spotify, Gumroad

Deux fois récemment, mon collègue Antoine qui connaît ma passion obsédante pour la Silicon Valley a tenté en quelque sorte de l’atténuer avec des points de vue alternatifs. Il a d’abord évoqué une nouvelle série de Netflix, The Playlist, sur une success story européenne, Spotify (voici un article sur son introduction en bourse il y a quelques années) ; et ensuite il m’a pointé Gumroad à travers ce que son fondateur, Sahil Lavingia, avait à dire sur le succès et l’échec.

Sahil Lavingia explique dans Reflecting on My Failure to Build a Billion-Dollar Company que le succès est subjectif. Gumroad n’est peut-être pas une licorne et les investisseurs sont probablement frustrés, mais Gumroad a créé beaucoup de valeur. L’article mérite les 10-15 minutes de lecture.

The Playlist est aussi divertissant que le Silicon Valley de HBO et aussi riche en informations que Something Ventured. La série de 6 épisodes est structurée sur des archétypes des startups, La vision, L’industrie, La loi, Le codeur, Le partenaire, L’artiste. Plus important encore, la série est vraiment bien construite dans sa dramaturgie.

Je vais juste extraire quelques images qui illustrent à nouveau ma passion !

Rien à ajouter aux sous-titres ! Sauf que ceux-ci sont tirés des épisodes 1 et 5. La scène est montrée deux fois. Ce devait être une scène importante pour les créateurs de la série…

L’image finale nécessite quelques explications. Ici, l’un de nos « héros » rencontre Peter Thiel et la poignée de main finale (toute la scène en réalité) est révélatrice de ces étranges personnalités.

Je n’ai pas fini la série et je regarderai bientôt le dernier épisode. Mais clairement, c’est l’un des meilleurs récits et aussi des plus véridiques du monde des startups.

Hard Things de Ben Horowitz : du courage et encore du courage

J’avais lu The Hard Thing about Hard Things en 2014. Je l’avais relaté dans deux billets ici et . Puis un collègue que je crois être un ami m’en a mentionné la relecture, en disant « Le début de ce bouquin m’a rassuré :-), c’est pareil pour tout le monde même les meilleurs. » Il avait ajouté une image scannée du livre que je reproduis en fin d’article.

Bon je ne peux qu’encourager à lire l’ouvrage en version originale si vous êtes à l’aise avec l’anglais. Les mondes de la technologie et du business sont remplis de termes anglo-saxons, et même parfaite, une traduction française est toujours un peu étrange. Ici j’ai même l’impression de lire des choses similaires à ce que j’obtiens avec des outils de traduction automatique, tournant parfois au surréaliste. « Il n’en va pas comme de certaines start-up itératives qui lancent leur fusée »… ou un peu plus loin « les courbes de Bell » sans doute pour traduire bell curves… (page 69)

Je ne sais pas s’il y aura un second billet sur ce livre, je vais attendre d’en achever la (re)lecture moi aussi. Clairement Hard Things est un des meilleurs livres sur le monde des startup. En voici quelques extraits:

Chaque fois que je lis un livre ou un manuel sur le management, je ne peux m’empêcher de penser : « Fort bien mais cela ne traduit pas ce que j’ai vécu de plus difficile dans telle ou telle situation. » Car le plus difficile n’est pas de déterminer un grand objectif effrayant et audacieux, mais de devoir licencier des salariés quand on n’atteint pas cet objectif. […] Le plus difficile n’est pas d’élaborer un organigramme mais d’instaurer une véritable communication à l’intérieur de l’organisation que vous venez de créer. […] Ces ouvrages tentent en fait d’offrir des recettes à des problèmes qui n’admettent aucune solution. Il n’existe pas de réponse toute faite pour affronter les situations complexes et évolutives. (Page 9)

Le leadership se définit comme la capacité à entrainer les autres à vous suivre, même si ce n’est qu’à titre de curiosité. (Page 9 – Évident mais bon à rappeler.)

Le fait de voir le monde à travers des prismes différents m’a appris à établir une distinction entre les faits et la perception que l’on peut en avoir […] L’existence d’un scénario, plausible est souvent ce qui permet de maintenir l’espoir dans une équipe de travail qui ne sait plus à quel saint se vouer. (Page 10)

Et que dire de ce passage assez fort sur le combat, sur le courage.

J’ai retrouvé ce passage si important : « Identifier le produit approprié est la mission de l’innovateur, et non du client. Le client ne sait rien d’autre que ce qu’il croit vouloir en fonction de l’expérience qu’il a du produit existant. L’innovateur peut prendre en compte tous les possibles, mais doit souvent aller contre ce qu’il sait être vrai. En cela, l’innovation exige à la fois de la connaissance, de la compétence et du courage. Le fondateur est souvent le seul qui ait le courage d’ignorer délibérément les données. » (Page 62)

Mais j’avais oublié celui-ci : On me demande toujours « Quel est le secret d’un P-DG qui réussit ? » Il n’y a malheureusement aucun secret ; mais s’il existe une compétence indispensable entre toutes, c’est la capacité à se concentrer et à choisir l’action la plus pertinente possible faute de solutions adéquates. C’est précisément dans les moments où vous seriez tenté de vous cacher ou de disparaître que vous pouvez faire la différence en tant que P-DG. (Page 71)

Avoir le courage de dire les choses.

« Dans mon esprit, j’aidais tout le monde à conserver un moral d’acier en accentuant les côtés positifs et en passant sous silence ceux qui étaient négatifs. Mais mon équipe savait que ma réalité était plus nuancée que je ne la présentais. Et non seulement ils constataient par eux-mêmes que le monde n’est pas aussi rose que je le décrivais, mais ils devaient encore m’écouter leur raconter des histoires à chaque réunion. » (Page 76)

Ce passage m’a frappé et fait penser au message d’Arnaud Bertrand que je rappelle souvent : « Souvent, lorsque j’étais confronté à de mauvaises nouvelles, je les enterrais simplement dans un coin profond de mon esprit et choisissais de me concentrer sur des pensées plus positives. Pire encore, je ne les partagerais pas avec les autres membres de l’équipe en pensant qu’ils étaient mon fardeau et que mon rôle de leader était de donner une impression positive sur la direction de l’entreprise. »

Dans toute interaction humaine, le degré de communication est inversement proportionnel au niveau de confiance. [Oui relisez bien. Cela peut sembler curieux ! Mais la suite est convaincante] Prenons un exemple : si je vous fais totalement confiance, je n’ai pas besoin de vous demander d’expliquer ou de communiquer sur vos actions, parce que je sais que vous agissez en fonction de mon meilleur intérêt. (Page 77)

En résumé, si vous dirigez une entreprise, vous êtes sujet à une énorme pression psychologique vous incitant à afficher un optimisme à toute épreuve. Résistez-y, affrontez vos peurs et dites les choses telles qu’elles sont. (Page 79)

Un extrait de la version en anglais que m’a scanné mon ami entrepreneur

PS: je ne peux m’empêcher de mentionner ici un article que j’avais relayé sur LinkedIn il y a quelques jours. «La naïveté est indispensable pour lancer une start-up»
https://www.pme.ch/actualites/la-naivete-est-indispensable-pour-lancer-une-start-up.

J’y ai retrouvé avec plaisir et nostalgie une startupeuse de mon pays d’adoption. Et ce magnifique commentaire : «A 24 ans, on est naïf, confie Déborah Heintze. On part sur un sprint, alors qu’en fait, c’est un marathon. Avec beaucoup de sprints.» Mais cette naïveté est indispensable, souligne-t-elle: «C’est primordial de toujours croire au sprint. Et de tout donner à 200%, sans se rendre compte de l’énorme montagne face à nous. Et en pensant chaque année que le sommet de la montagne sera pour l’année suivante.» D’ailleurs, ce sera l’année prochaine. Sûrement.

Parts égales entre fondateurs de startups ?

Hier, j’ai eu un bref débat sur la propriété initiale de Wozniak et Jobs dans Apple Computer. Il est vrai qu’à l’introduction en bourse, Wozniak possédait beaucoup moins d’actions que Jobs, mais cela s’explique par le fait qu’il a donné ou vendu à bas prix des actions aux employés (qu’il pensait le mériter alors que Jobs ne le pensait pas). Mais à l’origine, ils détenaient des parts égales comme le montre l’extrait du prospectus.

J’ai donc jeté un coup d’œil à ma base de données de startups (qui compte actuellement 890 tables de capitalisation) et j’ai analysé aux chiffres. Les voici :

Alors quelles sont les leçons ?

Premièrement, la majorité des startups ont entre 1 et 3 fondateurs, et 1 fondateur (contrairement à l’intuition peut-être) n’est pas si rare. Maintenant, il y a une mise en garde : l’histoire d’une startup n’est jamais entièrement connue. Apple avait initialement (et pendant 2 semaines) 3 fondateurs ! Le troisième était Ronald Wayne

Deuxièmement, une répartition égale très minoritaire, mais elle n’est pas rare. Environ 15-20 %.

Mais cela ne signifie pas qu’un fondateur possède plus de 50 % des parts. Bien sûr oui avec 2 fondateurs. Mais pour 3 fondateurs, cela se produit dans 41% des cas. Quand il y a plus de 3 fondateurs, c’est 31% des cas. Je n’ai pas (encore) vérifié si la géographie ou les domaines d’activités ont un impact…

Enfin, si vous lisez ce blog, vous savez que les statistiques ne disent pas tout. Les startups sont un monde d’exceptions (et les statistiques sont rarement gaussiennes mais suivent une loi de puissance, donc attention aux moyennes et %). Par conséquent, de manière plus anecdotique, mais toujours importante, voici quelques exemples célèbres :

Startups célèbres – 2 fondateurs à parts égales
Adobe
Akamai
Apple
Atlassian
Broadcom
Cisco
Genentech
Google
Intel
Netscape
Riverbed
Skype
Soitec
Spotify
Tivo
Yahoo
Zalando

Startups célèbres – 3 fondateurs à parts égales
Airbnb
Checkpoint
Compaq
DoubleClick
Equinix
Marimba
nVidia
Palantir
Revolut
RPX
WeWork

Startups célèbres – plus de 3 fondateurs à parts égales
AMD
Regulus
ROLM
Xiaomi

Startups célèbres – fondateurs à parts non égales
Cypress
DropBox
Etrade
Eventbrite
Facebook
Lyft
Microsoft
Mysql
Oracle
Pinterest
Salesforce
Sun Microsystems
Twitter
Uber

Un été avec … Marguerite Yourcenar, la connaissance et l’ignorance, la littérature, la philosophie… et les mathématiques !

« Autrefois, quand je fréquentais les mosquées,
je n’y prononçais aucune prière,
mais j’en revenais riche d’espoir.
Je vais toujours m’asseoir dans les mosquées,
où l’ombre est propice au sommeil. »

Omar Khayyam

Cer article de blog a d’abord été motivé par la lecture de Marguerite Yourcenar cet été. Mémoires d’Hadrien et L’œuvre au noir sont des romans magnifiques, à très forte dimension philosophique. La lecture de la biographie de cette femme exceptionnelle m’a appris qu’elle avait rêvé d’ajouter aux biographies d’Hadrien et de Zénon celle d’un mathématicien assez méconnu, Omar Khayyam. Je reviendrai plus bas sur les travaux de ce personnage. Cet été fut aussi l’occasion de découvrir la magnifique série de Podcasts de Radio France, Un été avec.

Tout l’été fut parcouru par les interventions de Cynthia Fleury (déjà mentionnée sur ce blog) sur Vladimir Jankélévitch. J’ai ensuite découvert les étés précédents consacrés à Montaigne et Pascal. Ce qui est assez fascinant c’est de voir s’exprimer les proximités entre tous ces philosophes, y compris Cynthia Fleury et Marguerite Yourcenar en tant que romancière, dans leur quête de la compréhension de la connaissance et de l’ignorance, et le courage (voire la souffrance) que cela implique.

J’aurais tellement aimé lire ce que Marguerite Yourcenar aurait écrit sur ce mathématicien poète. Il semble qu’elle n’osa pas se lancer dans l’aventure. Elle confessa « une autre figure historique (que celle de l’empereur Hadrien) m’a tentée avec une insistance presque égale : Omar Khayyam… Mais (sa) vie… est celle du contemplateur, et du contempteur pur » tout en ajoutant, avec une humilité qui fait défaut à beaucoup de « traducteurs », « D’ailleurs, je ne connais pas la Perse et n’en sais pas la langue ». Wikipedia dit assez peu de choses sur Khayyam mais donne l’exemple d’un problème qu’il résolut:

La référence est celle du livre : Une histoire des mathématiques : Routes et dédales, Amy Dahan-Dalmedico et Jeanne Peiffer, 1986, pp. 94-95.

Les autrices consacrent en effet les deux pages suivantes à Omar Khayyam:

On peut comprendre que Marguerite Yourcenar fut intéressée par ce personnage errant… Si vous êtes arrivé.e.s jusque-là, vous pourriez vous dire qu’il y a peu de lien avec les startup. Il n’y en a pas, mais je fais régulièrement des articles sur les mathématiques. Ah je pourrais ajouter que les entrepreneurs écrivent leurs premières idées sur un coin de table. C’est ce que j’ai fait pour (re)résoudre le problème de Khayyam.

Et parce que le livre de Dahan-Dalmedico et Peiffer est passionnant, je me permets un second exemple de démonstration faite par un mathématicien arabe.