Archives de l’auteur : Hervé Lebret

Qui a encore le courage dans la tech de s’opposer publiquement à Trump dans la Silicon Valley ?

Depuis quelques semaines ou mois, on découvre avec stupeur ou embarras qu’ils sont nombreux dans la Silicon Valley à avoir apparemment retourné leur veste pour soutenir la politique de Trump aux Etats Unis. C’est assez impressionnant même si cela ne l’est pas autant qu’on croit. J’ai déjà abordé le sujet en juillet 2024, à une époque où je croyais que Kamala Harris serait élue présidente. Cela s’intitulait La gauche et la tech dans la Silicon Valley. Et j’ai en effet découvert que d’anciens « sympathisants » des Démocrates se tournaient vers les Républicains tels Mark Zuckerberg, Sam Altman ou Marc Andreessen. Pire il semble que même Sundar Pichai (CEO de Google) ou Tim Cook (CEO d’Apple) allaient dans le même sens. Après tout en Europe, on n’est jamais choqué qu’un patron soit de droite et les moins favorisés de gauche. A nouveau vous pouvez relire mon post sur le sujet. En réalité, la Silicon Valley est tellement démocrate dans ses votes, qu’il était peut-être difficile de s’afficher autrement et aujourd’hui, les personnes s’affichent plus aisément. Les votes évoluent aussi comme illustré ici.

Alors je me suis posé la question de qui s’opposait aujourd’hui à Trump dans la tech et la Silicon Valley ?

J’ai été agréablement surpris de découvrir qu’il y avait des figures comme Bill Gates et Michael Moritz :

Bill Gates est un modéré et peu actif politiquement. Et je le cite/traduis à partir de Bill Gates says he’s surprised about his fellow billionaires’ rightward political shift: ‘I always thought of Silicon Valley as being left of center’ « J’ai toujours pensé que la Silicon Valley était de gauche ». « Le fait qu’il existe désormais un groupe important de droite me surprend. » Alors que « des choses incroyables se sont produites grâce au partage d’informations sur Internet », les réseaux sociaux ont connu des revers majeurs. « Vous voyez des maux que, je dois dire, je n’avais pas prévus. » Bien que Gates ne soit en aucun cas un partisan déclaré de Trump, il a déclaré qu’il ferait de son mieux pour travailler avec le président. « Je collaborerai avec cette administration comme je l’ai fait avec la première administration Trump, du mieux que je peux », a déclaré Gates au NYT. Voir aussi Bill Gates tente de se distinguer des autres milliardaires de la tech

Michael Moritz est moins connu mais si l’on sait qu’il a financé Google, Yahoo!, PayPal, Apple, Cisco, YouTube, ont peut apprécier ce qu’il a à dire dans Trump’s tech backers are ‘making a big mistake,’ En voici la traduction de la fin : Les financiers et les partisans de Trump dans le secteur technologique « commettent la même erreur que tous les puissants qui soutiennent les régimes autoritaires ». Il écrit que les riches financiers croient « pouvoir contrôler Trump », ou commettent « une autre erreur capitale : se leurrer en pensant qu’il ne tiendra pas ses promesses ». « Cela n’a pas été le modus operandi des régimes autoritaires au fil des siècles. »

Paul Graham que je respecte a écrit un article sur le wokeness qui mérite une lecture attentive mais ce n’est pas vraiment une opposition à Trump, il cherche plutôt à expliquer un mouvement. Je vous invite à lire « Les origines du wokeness ». Par exemple, je ne prétends pas que la deuxième victoire de Trump en 2024 était un référendum sur le wokeness ; je pense qu’il a gagné, comme le font toujours les candidats à la présidentielle, parce qu’il était plus charismatique ; mais le dégoût des électeurs pour le wokeness a dû y contribuer. Et « Trump et le wokeness sont cousins ».

Steve Blank est plutôt silencieux en matière de politique mais j’ai découvert qu’en 2020, a démissionné d’un conseil consultatif du ministère de la Défense, protestant contre la décision de l’administration Trump d’évincer la plupart de ses collègues membres du conseil et de remplacer certains d’entre eux par des loyalistes politiques sans expérience en matière de défense ou d’affaires. Voir ici. Toutefois, en décembre 2024, il parle d’opportunités offertes par trump dans Comment inverser la tendance, vaincre la Chine et la Russie et réparer le ministère de la Défense défaillant. Il n’avait pas (encore) lu Michael Moritz.

Qui d’autres ? J’ai un peu cherché en vain. Mes « héros » sont plutôt silencieux mais ils l’ont toutjours été alors qu’en conclure. Espérer que certains se réveilleront et oseront s’opposer quel qu’en soit le coût…

PS: j’ai trouvé un peu plus par exemple Larry Page : J’ai l’intention de dire au président que nous sommes avec lui et que nous l’aiderons de toutes les manières possibles. Si vous pouvez réformer le code fiscal, réduire la réglementation te négocier de meilleurs accords commerciaux, l’industrie technologique américaine sera plus forte et plus compétitive que jamais aurait-il dit selon Andoidsis.

Roger McNamme est un autre investisseur : Eh bien, tout ce qui concerne Trump semble être un retour sur investissement, n’est-ce pas ? Tous ces cadres donnent un million de dollars chacun. Ce sont des écarts d’arrondi. C’est de l’argent qu’ils trouvent entre les coussins du canapé de leur salon. Mais, vous savez, il s’agit essentiellement d’un paiement de précaution. Et dans le cas de Musk, l’investissement qu’il a fait dans Trump, qui était d’un quart de milliard de dollars, ou l’investissement qu’il a fait dans Twitter, qui était d’environ 44 milliards de dollars, ont été rentabilisés, évidemment, de très, très nombreuses fois. Je pense que Trump et Musk finiront par se séparer. Je ne connais pas du tout Trump, mais il n’a pas l’air d’être le genre d’homme à supporter quelqu’un qui fait de la compétition au même niveau que Musk. Mais nous verrons bien ce qu’il en est. Voir ici.

Et bien sûr, j’oubliais, oui !, il y a Reid Hoffman, le fondateur de Linkedin, « un des patrons de la Tech le plus farouchement opposé à Donald Trump et Elon Musk ». Voir ici ou ou encore .

PS2 : 15 avril 2025. Le jour où l’Université Harvard rejette les demandes de Donald Trump, je viens de lire quelques pages merveilleuses de La Montagne magique de Thomas Mann. Les voici :

« Bon sang, quel vieux crétin ! Ingénieur, qu’est-ce que vous lui trouvez ? Peut-il vous apporter quelque soutien ? les bras m’en tombent ! » […]
« Absolument, fi-il, parfait ! C’est, admettons-le… permettez-moi de … bon ! »
Et il essaya aussi de singer les geste doctes de Peeperkorn. « Ou oui, continua-t-il en riant, vous trouvez ça idiot, monsieur Settembrini , ou en tout cas difficile à cerner, ce qui, à vos yeux, est ans doute pire que de l’idiotie. Ah, la bêtise… Il y a toutes sortes de bêtises, et l’intelligence n’est pas la meilleure d’entre elles… Oh, là, je viens de commettre un bon mot, dirait-on. Comment le jugez-vous ? » […]
– Non en faisant ce bon mot, je ne suis pas su tout à l’affût de paradoxes. Je prétends simplement signaler les grandes difficultés que pose la définition de la bêtise et de l’intelligence. Et elle en pose n’est-ce pas ? On a bien du mal à les distinguer, les deux se confondent tellement… Vous détestez le guazzabuglio [fatras] mystique, je le sais bien, vous êtes pour la valeur, le jugement, et le jugement de valeur, ce en quoi je vous donne parfaitement raison. Mais la question de la bêtise, de l’intelligence, c’est parfois un mystère complet, et les mystères, il doit tout de même être permis de s’en occuper, à condition de s’efforcer en toute honnêteté d’aller au fond des choses. Je vais vous poser une question / cet homme nous met tous dans sa poche, allez-vous le nier ? Je le dis sans prendre de gants et, à ce que je vois, vous ne le niez pas. Il nous met dans sa poche et, en vertu de ne je sais quoi, il a le droit de se moquer de nous. D’où ça vient-il ? Comment, et dans quelle mesure, le fait-il ? Ce n’est bien sûr pas grâce à son intelligence : il serait hors de propos d’employer ce terme, je l’admets. C’est plutôt un être sentimental et obscur, et le sentiment, c’est carrément son dada – passez-moi cette expression familière. Je disais donc qu’il nous met dans sa poche, ce n’est ni grâce à son intelligence ni pour des raisons morales, vous ne l’admettriez jamais, et c’est vraiment hors de question. Ce n’est pas non plus pour des raisons physiques ! Ce n’est tout de même pas dû à ses épaules de capitaine, à la violence pure, ni au fait qu’il pourrait nous envoyer tous au tapis d’un coup de poing, bien qu’il ne songe pas un seul instant à le faire ; si ça lui passait par la tête, quelques mots civilisés suffiraient à l’apaiser… Donc ce n’est pas pour des raisons physiques, même si le physique entre sûrement en ligne de compte, pas au sens de la brutalité, mais dans un autre sens, celui du mysticisme : dès que le corps joue un rôle, l’affaire devient mystique, et le physique devient spirituel, ou l’inverse, on n’arrive plus à les distinguer, pas plus que la bêtise et l’intelligence. L’effet est pourtant là, ce dynamisme, et nous voilà à sa botte.
C’est un mystère qui se joue au-delà de la bêtise et de l’intelligence, et l’on ferait bien de s’en soucier, d’abord pour le tirer u clair, dans la mesure du possible, et ensuite pour notre gouverne. Et si vous êtes pour les valeurs, j’aurais tendance à dire au le personnalité est une valeur positive, en fin de compte., une valeur positive au-delà de toute expression, absolument positive, comme la vie, bref, une valeur de la vie, et tout à fait susceptible qu’on s’y intéresse de très près. Voilà ce que je pourrais répondre à ce que vous avez dit de la bêtise. » […]
– En faisant de la personnalité un mystère, vous courez le risque se sombrer dans l’idolâtrie. Vous adorez un masque. Vous voyez de la mystique là où il n’y a que de la mystification, une de ces formes trompeuses et creuses par lesquelles le démon e la physionomie corporelle se plaît parfois à nous berner. Vous n’avez jamais fréquenté le milieu du théâtre ? vous ne connaissez pas ces têtes de mimes aux traits rappelant à l fois Jules César, Goethe et Beethoven ? leurs heureux détenteurs, dès qu’il ouvrent la bouche, se révèlent être les plus lamentables crétins de la terre !
– Bon c’est une bizarrerie de la nature, mais j’y vois plus qu’une duperie : puisqu’ils sont acteurs, ces gens-là doivent avoir du talent, et le talent dépasse la bêtise et l’intelligence, c’est en soi une valeur de la vie. Vous aurez beau dire, Mynheer Peeperkorn a du talent, lui aussi, et voilà comment il nous met dans sa poche. Mettez […] au bout d’une pièce et faite lui prononcer une conférence du plus haut intérêt […]. A l’autre bout de la pièce Peeperkorn se contentera de dire en faisant une drôle de moue et en haussant les rides de son front : « Tout à fait, permettez – c’est réglé ! » Vous verrez, les gens se masseront autour de lui ; […] restera tout seul avec son intelligence, même s’il s’exprime avec une clarté pénétrante.
– Vous devriez avoir honte d’adorer le succès ! lui signifia M. Settembrini. Mundus vult decipi [Le monde veut être trompé]. Méprisez dont le verbe distinct, précis et logique, d’une cohérence toute humaniste ! Méprisez-le au profit de je ne sais quelle mascarade faite d’allusions et de sentimentalisme de charlatan, et vous ne tarderez pas à être le jouet du diable.

Deux belles histoires de startups récentes (pas dans la Silicon Valley, mais toutes deux acquises par Google) – partie 2 : wiz.io

En lisant quelques articles sur Deepmind (la partie 1 de ce post) et sur les fondateurs de Adallom et wiz.io, me sont revenues en mémoire d’autres histoires de startup européennes ou fondées par des Européens. Je pense à Spotify (voir mes posts en 2022 et 2018) ou VMWare (voir un post plus ancien de 2010). On y voit que l’ambition plus ou moins jugulée a conduit à des résultats différents. Wiz ou Spotify ont des valorisations en dizaines de milliards, Deepmind, Adallom et VMWare (1ere acquisition) en centaines de millions alors que la seconde acquisition de VMWare fut également en dizaines de milliards. Je ne sais pas s’il y a un pattern ou si je le crée artificiellement, mais c’est un peu comme si une acquisition en centaines de millions était un semi-échec lié à la crainte d’une concurrence trop forte ou de l’impossibilité de poursuivre une aventure indépendante.

La double aventure des fondateurs de Adallom et Wiz.io va un peu dans ce sens. J’ai lu quelques articles dont vous trouveez la référence en fin d’article. Et je vais donner les leçons tirées par Assaf Rappaport de ces deux histoires. Une première réussite, Adallom rachetée en 2014 par Microsoft pour $320M puis une seconde, wiz.com rque Google a proposé d’acheté il y a quelques jours poru $32B soit 100 fois plus… Contrairement à Deepmind, je n’ai pas eu accès à des documents précis, j’ai donc dû faire quelques hypothèses comme quelques autres (voir [2]) et recouper les informations disponibles en ligne. Voici les deux tables de capitalisation. Mais ici aussi, les conseils donnés (que je reprends plus bas) sont tout aussi importants que ces données.

Tout d’abord ce que je retiens des tableaux :
– Quatre fondateurs dont l’histoire est classique en Israel (voir [1]) créeen Adallom puis wiz.io. En réalité, moi qui ne suis pas un grand fan du concept de serial entrepreneurs, je me demande si wiz.io n’est pas plutôt le passage à l’échelle de Adallom comme VMWare (2ème période) le fut pour VMware (1ère période) ou en poussant très fort le prix Nobel de Demis Hassabis le passage à l’échelle de Deepmind ! On lit dans la presse que les fondateurs avaient gagné environ $25M avec Adallom selon certains et $3B avec wiz.io là aussi un facteur 100x environ.
– Les mêmes fonds de capital-risques et partenaires sont les investisseurs – Gili Raanan pour Sequoia puis Cyberstarts et Shardul Shah pour Index. C’est assez rares pour être mentionnés d’autant plus que ces fonds sont intervenus à l’amorçage.
– Pour Adallom, des multiples de 24x pour les series A, 7x pour le series B et 2x environ pour le series C.
– Pour wiz.io, des multiples de 475x pour le seed, 73x pour le A, 20x pour le B, 5x, 3,éx et 2,7x pour les C, D et E.

Tout cela est discutable, mais pas inintéressant et il y a un côté un peu loterie. Ne me méprenez pas. le succès est rare, jamais garanti. Je me souviens d’une startp à qui une propostion d’achat de $300M avait été faite. Fondateurs et/ou investisseurs ont décliné pensant qu’il valaient plus. Au final, l’acquisition se fit pour un montant de $10M.

A ce sujet il faut sans doute lire le point de vue sur Shardul Shah (Index) sur LinkedIn (Index Ventures just cemented its place as one of the all-time VC greats). J’en extrais et raduis un passage de citations : « Je ne sais pas pourquoi on parle de moyennes ; aucun de nous ne s’intéresse au retour à la moyenne. » […] « ​​Je ne recherche pas des rendements moyens. Je ne recherche pas de bonnes affaires, je recherche des valeurs aberrantes. » […] « ​​Je ne recherche pas le confort. Il faut accepter l’inconfort. Notre métier, c’est la prise de risque. Je ne suis pas un investisseur axé sur la valeur, n’est-ce pas ? Je crois à la loi de puissance. » […] « ​​Le plus difficile, c’est de savoir si l’on est dans l’illusion ou si l’on est convaincu. Parfois, la frontière peut sembler ténue. »

Enfin j’extrais les leçons de Assaf Rappaport :

1. L’équipe est plus importante que l’idée. Une startup ne se construit pas autour d’une idée, qui évoluera de toute façon, mais autour d’une équipe. Les meilleurs fonds de capital-risque investissent dans les talents, et non dans des produits, des idées ou des business plans. Autre point important : ne tardez pas à rencontrer les meilleurs fonds. Ne les laissez pas pour la fin.
2. Celui qui écoute les problèmes trouvera des idées. Lorsque vous rencontrez des clients, vous ne venez pas pour les convaincre, mais pour apprendre d’eux. Si vous avez parlé pendant plus d’un quart de la réunion, la conversation n’était pas intéressante. Les clients ont des problèmes dont vous ignoriez l’existence, et la meilleure façon de les découvrir est d’utiliser des points d’interrogation, pas des points d’exclamation. Autre point important : il faut un peu de chance.
3. « Non » est la bonne réponse pour déterminer le sérieux de l’investisseur. Quel que soit le type d’offre que vous recevez – investissement ou acquisition –, la seule réponse est : « J’apprécie vraiment votre offre, mais non merci. » Ce genre de réponse n’a jamais découragé un investisseur ou une entreprise déterminés – et s’ils ne le sont pas, ils n’investiront de toute façon pas. Autre point important : vous devez préparer un plan média, interne et externe ; en cas de fuite, vous n’aurez que le temps d’appuyer sur le bouton « Envoyer ».
4. La sortie n’est que le début d’un travail difficile. Au lendemain de votre fusion avec un géant, n’attendez pas que les options vestent. Adoptez plutôt une approche commando : nous faisons partie d’une grande armée, mais nous appartenons à une unité d’élite.
5. N’ayez pas peur de l’activisme. Dans toute entreprise, il arrive un moment où il faut donner un coup de pouce aux dirigeants conservateurs, puis passer à l’action. Pour offrir un environnement de travail optimal et recruter les meilleurs collaborateurs, il faut faire preuve de courage et prendre position, en s’engageant dans un militantisme social qui favorise un formidable esprit d’équipe.
6. Respirez profondément et n’expirez pas trop vite. Ne vous laissez pas aveugler par l’argent : utilisez-le plutôt pour acquérir rapidement des clients payants, refuser des offres d’acquisition de plusieurs centaines de millions de dollars et développer rapidement votre entreprise pour en faire une licorne.
7. Aujourd’hui, il est possible de surpasser tout le monde avec un ordinateur et Zoom.

A nouveau la prise de risque et l’ambition sans limite.

Références :
[1] : 7 lessons from reaching a $1.7 billion valuation in just one year https://www.calcalistech.com/ctech/articles/0,7340,L-3904610,00.html
[2] : WIZ, Esprit, es-tu là? Comment les fondateurs de Wiz refont des miracles après le succès d’Adallom https://trivialfinance.substack.com/p/wiz-esprit-es-tu-la

Deux belles histoires de startups récentes (pas dans la Silicon Valley, mais toutes deux acquises par Google) – partie 1 : DeepMind

Je dois probablement admettre que j’ai un penchant pour les startups dirigées par des fondateurs tech. C’est ce que je défends depuis des décennies. Alors, quand je lis des histoires qui vont dans ce sens, je suis plus que ravi. Récemment, des amis m’ont parlé d’un documentaire intituléThe Thinking Game.

Je ne sais pas pourquoi je n’avais pas analysé DeepMind plus tôt, d’autant plus qu’il est assez facile de trouver des informations sur les entreprises britanniques, et il s’agit d’une startup britannique. Vous m’avez bien lu ! J’ai établi sa table de capitalisation lors de son acquisition par Google en 2014 pour environ £400M.

Ce que j’ai lu dans la table :
– 3 ou 4 cofondateurs principaux, mais Demis Hassibis détenait la plus grosse participation initiale (80 %).
– Les investisseurs ont pris un risque élevé car l’entreprise ne disposait initialement que de peu de choses si ce n’est de talent (et aucun chiffre d’affaires avant son acquisition ?).
– Les investisseurs principaux, ou du moins les plus célèbres, étaient Peter Thiel et Elon Musk.
– L’entreprise n’a pas levé beaucoup de fonds : 2 millions de livres sterling en février 2011, 15 millions en décembre 2011/février 2012, puis 25 millions en 2013, avant son acquisition par Google pour 400 millions en janvier 2014.

Voilà pour les données de base. Plus importantes encore, les leçons de l’article que mes amis m’ont envoyé sont les suivantes :
– Premièrement, DeepMind allie une clarté stratégique irréprochable à une flexibilité tactique infinie. Ce qui transparaît dans le film, c’est l’extraordinaire propension de l’entreprise à expérimenter sans relâche et à échouer sans cesse.
– Deuxièmement, la mission de DeepMind l’a aidée à recruter des scientifiques talentueux, essentiels à sa réussite. Lors d’une discussion après le film, Hassabis a expliqué qu’il avait toujours résisté à la pression des investisseurs pour déménager dans la Silicon Valley et qu’il était déterminé à rester à Londres. « Le Royaume-Uni a toujours été très fort en science et en innovation et possède une riche histoire en informatique », a-t-il déclaré. « Nous essayons de perpétuer cette tradition.» Hassabis estimait qu’il y avait beaucoup de talents universitaires sous-utilisés en Europe, et ailleurs, qui pourraient être attirés par Londres. Et c’est ce qui s’est avéré.
– Troisièmement, la réussite de DeepMind a été essentielle à sa capacité à évoluer rapidement. En 2010, peu de capital-risqueurs étaient prêts à s’approcher d’une startup aux ambitions aussi extravagantes et dépourvue de business plan. Une grande partie de son capital initial provenait d’investisseurs américains, dont Peter Thiel et Elon Musk. L’entreprise s’est également sentie obligée de se céder à Google en 2014 pour se doter des capitaux, des données et de la puissance de calcul nécessaires pour rester à la pointe de l’IA. (Ces ressources supplémentaires étaient également essentielles pour recruter et fidéliser les meilleurs talents.)

Souvent, pour ne pas dire toujours, les mêmes leçons sur la prise de risque et l’ambition…

PS : Je n’ai pas encore regardé le film, je modifierai donc peut-être ce message dans un avenir proche.

50 ans de transfert de technologie à l’Université de Stanford

Je reviens à mon sujet de prédilection, la Silicon Valley, après quelques digressions. Je viens de redécouvrir un papier de 2022 intitulé Systematic analysis of 50 years of Stanford University technology transfer and commercialization. Le papier complet est disponible ici. En guise de commentaire annexe, cela a été motivé par des articles récents sur le Transfert de Technologie en France et plus particulièrement l’étude intitulée « Étude sur la performance des SATT vis-à-vis d’une sélection d’OTT ». Malheureusement, l’étude ne semble pas être publique et je n’ai pu lire que des commentaires à son sujet.

J’ai beaucoup publié sur l’Université de Stanford. Le moteur de recherche donne ici les articles. Je ne vais donc pas rentrer dans les détails mais juste extraire ce que j’ai trouvé intéressant pour ne pas dire surprenant. Et voici :

il s’agit d’argent, mais pas seulement d’argent.

« Le revenu net total des inventions pour toutes les années considérées est de 581 millions de dollars, et le revenu net moyen est de 0,13 million de dollars. Dans l’ensemble, la plupart des inventions ont un revenu net négatif, et seulement 20 % des inventions de cet ensemble de données ont produit un revenu net positif. » Plus loin dans le document, « L’octroi de licences d’invention via des OTL ne représente qu’une facette du transfert de technologie de l’université à l’industrie, bien qu’il s’agisse d’une facette importante. [Et] nous nous concentrons principalement sur le revenu net comme mesure de résultat, car il est simple à quantifier et constitue une mesure clé de la propre évaluation de l’OTL. Cependant, il est important de noter que les revenus de licence ne reflètent pas complètement l’impact, et la recherche de revenus de licence n’est pas l’objectif ultime de l’OTL de Stanford. »


Aperçu des données sur les inventions de Stanford : Nombre d’inventions par année commercialisées par l’Office of Technology Licensing de Stanford. La couleur des barres indique si le revenu net cumulé (jusqu’au 31 juin 2021) est positif.

les inventions les plus rentables sont majoritairement concédées sous licence par les startups des inventeurs eux-mêmes.

« Environ 20 % des inventions ont été concédées sous licence par les startups des inventeurs, ce que nous appelons « l’auto-licence ». Globalement, le taux d’auto-licence augmente au fil du temps. Le pic intéressant du taux d’auto-licence en 1995-1999 pourrait être lié à la bulle Internet. Nous avons également constaté que les inventions à revenu net élevé sont principalement des inventions concédées sous auto-licence. Par exemple, toutes les inventions qui ont généré plus de 10 millions de dollars de revenu net sont concédées sous auto-licence, et le taux d’auto-licence pour les inventions dont le revenu net est compris entre 1 et 10 millions de dollars est de 59 %. En revanche, le taux d’auto-licence pour les inventions dont le revenu net est inférieur à 10 000 dollars est de 16 %. Ce résultat est cohérent avec des recherches antérieures montrant que les startups ayant des liens directs avec l’université ont tendance à avoir plus de succès que les startups par ailleurs similaires ». Il y a un commentaire annexe plus général ici : « Shane et al. « Nous avons constaté que les nouvelles entreprises dont les fondateurs ont des relations directes et indirectes avec les investisseurs en capital-risque sont les plus susceptibles de recevoir un financement en capital-risque. »


Auto-licence (inventions concédées sous licence par les propres startups de l’inventeur)
(A) La fraction des inventions concédées sous licence par les startups de l’inventeur au fil du temps.
(B) La fraction des inventions dans chaque groupe de revenu net pour lesquelles les inventeurs ont obtenu une licence. Les tailles d’échantillon pour chaque catégorie de revenu net sont les suivantes : < 10 000 $ : 3 776 inventions ; 10 000 $ à 100 000 $ : 465 inventions ; 100 000 $ à 1 M$ : 212 inventions ; 1 000 $ à 10 M$ : 56 inventions ; ≥ 10 M$ : 5 inventions.

les inventions ont impliqué des équipes plus importantes au fil du temps. Il y a aussi un commentaire annexe intéressant : « Les petites équipes ont eu tendance à perturber la science et la technologie avec de nouvelles idées et opportunités, tandis que les grandes équipes ont eu tendance à développer celles qui existaient déjà. »

« De plus, nous avons constaté que les inventions des équipes composées uniquement de nouveaux inventeurs génèrent un revenu net plus élevé que les autres inventions. Cela souligne l’importance d’être ouvert aux nouveaux inventeurs. » Cela est en corrélation avec mon analyse des entrepreneurs en série ; j’ai constaté qu’ils ont tendance à s’en sortir moins bien au fil du temps. Voir Entrepreneurs en série : sont-ils meilleurs ?

Je conclurai brièvement que cet une nouvelle contribution très intéressante de l’apport de Stanford à l’innovation, qui confirme des choses bien connues et en ajoute de beaucoup moins connues. A lire pour les experts et « food for thought » pour les autres !

La recherche scientifique comme acte poétique et révolutionnaire

Être poète ce n’est pas nécessairement écrire – suivant ce régime de précision extrême, de rigueur obsessionnelle, de connaissance et de transgression des règles, qui caractérise le genre littéraire diffus et polymorphe nommé « poésie ». Ce serait, au-delà ou en deçà, un voeu de subversion du banal et de perversion de l’attendu.

En refermant l’hypothèse K d’Aurélien Barrau, j’ai surtout ressenti une fascination pour une analyse provocante de l’état actuel de la science et de sa sœur inséparable, la technologie. Je n’y ajouterai que deux citations à celle qui ouvre ce post (page 202 de l’édition Grasset dans la collection dirigée par Mathieu Vidard.)

Il serait bien trop simple d’opposer la « bonne science », fondamentale, pire, désintéressée, à la « mauvaise science », appliquée, ingénierique, technologique. Peut-être un certain manichéisme est-il légitime face à l’urgence et à l’ampleur de la catastrophe. Mais la ligne de démarcation n’est pas à chercher ici. Elle se dessinerait plutôt entre la science qui sur-affirme le déjà su ou le déjà vu et celle qui fait vaciller les construits et les édifiés. L’essentiel est ici. [Page 104]

La poésie n’intervient pas comme métaphore guillerette mais en tant que dynamique paradigmatique d’une connaissance pointue ouverte sur son propre questionné. Une maîtrise souveraine de la langue qui, pourtant, s’autorise à chaque phrase l’exercice d’une profonde violence à la grammaire comme à la syntaxe. [Page 112]

En refermant l’hypothèse K je n’ai pas eu d’autre choix que de le réouvrir et d’en faire une seconde lecture plus minutieuse, notamment pour noter tous les mots qui m’avaient arrêtés, avec l’intention d’en fournir un lexique à la fin de ce post.

Vous m’avez compris, l’essai d’Aurélien Barrau n’est pas toujours d’une lecture facile. Deux chapitres échappent au constat. « L’exemple » présente l’interprétation relationnelle et assez lumineuse de Carlo Rovelli de la mécanique quantique. Les choses n’existeraient qu’en tant qu’elles interagissent. Le chapitre « L’impossible » rappelle « la posture radicale » et « l’intransigeance acérée » d’Alexander Grothendieck.

Je crois qu’on peut lire Aurélien Barrau comme on peut lire Jón Kalman Stefánsson, pour la simple raison qu’ils illustrent l’importance de la poésie dans un monde qui va courir à sa perte si celle-ci disparait.

PS (avant lexique) : je mélange un peu les choses. Comment un individu peut-il en être amené à penser comme Aurélien Barrau ou Alexander Grothendieck. Et pourquoi certains vont-ils s’opposer farouchement à leurs idées ? Ce matin sur France Culture, une conversation similaire a eu lieu, que l’on peut résumer par son titre Être de droite ? Je vous encourage à écouter l’interview de Laetitia Strauch-Bonart. C’est instructif. IL s’agit sans doute d’une promotion d’un livre puisque le lendemain, on pouvait l’écouter sur France Inter !

Comme il est difficile de (é)changer (sur) les convictions, j’en préfère parfois la littérature. Que dire de cet extrait de la récente prix Nobel de littérature Han Kang ?

L’élément définitif qui décide de la morale des masses populaires n’est pas encore connu. Ce qui est intéressant, c’est qu’un flux éthique spécifique se crée sur place, indépendamment du niveau moral des individus formant la masse. Certaines masses populaires volent, violent et tuent, d’autres acquièrent un altruisme et un courage qu’elles n’auraient jamais atteints individuellement. Selon l’auteur, ce n’est pas que les individus de la seconde catégorie soient particulièrement nobles, mais la noblesse inhérente à l’homme s’exprime grâce à la force d’une masse ; de même, ce n’est pas que les individus de la première catégorie soient particulièrement barbares, mais la bestialité inhérente à l’homme est optimisée à travers la force d’une masse.

LEXIQUE

Aurélien Barrau emploie des mots techniques, des mots rares, on pourra s’en moquer ou apprécier. Il emploie deux fois « Holistique » qui est l’un des mots que j’ai de plus en plus de mal à entendre tant il me semble galvaudé. Mais les autres le sont moins, je vous laisse juger. Les pages font à nouveau référence à l’édition Grasset. Les sources sont indiquées à la fin de la définition et proviennent de Wikipedia, du Wiktionnaire, de Larousse ou du CNRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales).

Abstrus (p.107) : qui est difficile à comprendre (CNRTL).
Abscons : obscur, mystérieux, difficile à pénétrer. Étant donné que pour abstrus comme pour abscons, l’anton. est l’adj. clair, abscons peut être considéré comme un renforcement superl. de abstrus. (CNRTL)

Aléthique (p.51): se dit des modalités du sens d’une proposition : vrai ou faux, nécessaire ou contingent, possible ou impossible. (Wiktionnaire).

Allant (p.102) : qui fait preuve d’activité / qui aime l’activité (CNRTL).

Anachronie (p.141) : inadaptation d’une personne à son époque (Wiktionnaire).

Autolyse (p.51) : (du grec αὐτο- auto- « soi-même » et λύσις / lusis « dissolution ») destruction par ses enzymes, suicide en psychologie (Wikipedia). Voir aussi Lyse p.115, Zoélyse p.132.

Axiologie (p.47) : (du grec : axia ou axios, valeur, qualité) science des valeurs sociologiques et morales ou, en philosophie, à la fois une théorie des valeurs (axios) ou une branche de la philosophie s’intéressant au domaine des valeurs (Wikipedia).
Axiologique : relatif aux valeurs.

Cachexie (p.92) : état caractéristique de nombreux cancers en phase avancée qui se traduit par un amaigrissement extrême lié à une dénutrition, pouvant évoluer vers une issue fatale, sans traitement à l’heure actuelle (Wikipedia).

Cardinal (p.22) : qui est fondamental, essentiel (Larousse).

Céans (p.143) : ici, dedans (Wiktionnaire).

Clinamen (p.143) : (en français : déclinaison) en physique épicurienne, l’écart ou une déviation spontanée des atomes par rapport à leur chute dans le vide, qui permet aux atomes de s’entrechoquer (Wikipedia).

Définitoire (p.43) : 1. Relatif à une définition. 2. Qui constitue la définition de quelque chose (Wiktionnaire).

Diapré (p.35) : Varié de plusieurs couleurs. De couleur variée et changeante (Wiktionnaire).

Dialectal (p.45) : Relatif au dialecte.
Dialecte : Proche parent d’une langue dominante ou officielle mais qui s’en distingue et qui, avec cette langue dominante, étaient autrefois variétés régionales l’une de l’autre.
(Wiktionnaire)
Idiome : langue (envisagée comme ensemble des moyens d’expression communs à une communauté) et termes qui désignent diverses espèces de langues et variétés régionales et sociales d’une même langue (Wikipedia).

Efficient (p.101) : qui aboutit à de bons résultats avec le minimum de dépenses, d’efforts, etc. ; efficace : Une collaboration efficiente. (Larousse) Tout se joue donc dans la rapidité et l’optimisation dans l’efficience, tandis que l’efficacité cherche à faire les bonnes tâches peu importe le temps ou l’argent que cela prendra. (Voir aussi CNRTL)

Émétique (p.68) : vomitif (Wikipedia).

Épiphanie (p.52/171) : (du grec ancien ἐπιφάνεια, epiphaneia, « manifestation, apparition soudaine ») est la compréhension soudaine de l’essence ou de la signification de quelque chose (Wikipedia).

Épistémique (p.20) : Relatif à la connaissance. Voir aussi épistémè et épistémologie (Wikipedia).

Éthique (p.41) : (ou philosophie morale), discipline philosophique portant sur les jugements moraux. Elle examine les questions normatives, concernant ce que les individus devraient faire, ainsi que les questions méta-éthiques sur la nature même de la moralité (Wikipedia).

Étiologie (p.131/186) : en médecine, l’étiologie (ou étiopathogénie) est l’étude des causes et des facteurs d’une maladie (Wikipedia). Voir aussi téléologie plus bas.

Essence (p.16) : (du latin essentia, du verbe esse, être, traduction du grec ousia) en métaphysique « ce que la chose est », sa nature, par distinction d’avec l’existence, qui est « l’acte d’exister », et d’avec l’accident, qui est ce qui appartient à la chose de manière contingente. L’essence est ce qui répond à la question du « qu’est-ce que cela est ? » pour un être (Wikipedia).

Exergue (p.120) : formule, pensée, citation placée en tête d’un écrit pour en résumer le sens, l’esprit, la portée, ou inscription placée sur un objet quelconque à titre de devise ou de légende (CNRTL).

Hétérotopie/que (p.72) : localisation physique de l’utopie (terme dû à Michel Foucault) (Wikipedia).

Homéostasie (p.179) : stabilisation, réglage chez les organismes vivants, de certaines caractéristiques physiologiques (pression artérielle, température, etc.) (Wikipedia).

Immanent (p.140) : qui est contenu dans la nature d’un être, ne provient pas d’un principe extérieur (s’oppose à transcendant) (Larousse).
Immanentisme/iste : doctrine qui prône l’immanence de Dieu ou d’un absolu au sein de la nature, de l’homme, de l’histoire (Wikipedia).

Intellection (p.48) : Activité de l’intellect, acte par lequel l’esprit conçoit (Wiktionnaire).

Karkinos (p.179) : (du grec ancien Καρκίνος, « crabe ») « C’est Hippocrate (460-377 avant J-C) qui, le premier, compare le cancer à un crabe par analogie à l’aspect des tumeurs du sein avec cet animal lorsqu’elles s’étendent à la peau. La tumeur est en effet centrée par une formation arrondie entourée de prolongements en rayons semblables aux pattes d’un crabe » (Centre Paul Strauss)
Carcinogène : qui cause ou peut causer le cancer (Wiktionnaire).

Litote (p.19) : figure de style et d’atténuation qui consiste à dire moins pour laisser entendre davantage (Wikipedia).

Lyse (p.115) : Destruction d’éléments organiques par des agents physiques, chimiques ou biologiques. Voir aussi Auolyse p.51, Zoélyse p.132.

Mélioratif (p.48) : qui a une connotation favorable (CNRTL). Contraire : péjoratif.

Méphitique (p.68) : qui sent mauvais et est toxique (Wiktionnaire).

Ontologie (p.16) : une branche de la philosophie et plus spécifiquement de la métaphysique qui, dans son sens le plus général, s’interroge sur la signification du mot « être » (Wikipedia).

Palimpseste (p.44) : (du grec ancienπα λίμψηστος / palímpsêstos, « gratté de nouveau ») manuscrit constitué d’un parchemin déjà utilisé, dont on a fait disparaître les inscriptions pour pouvoir y écrire de nouveau (Wikipedia).

Poliade (p.174) : en théologie, divinité qui protège une cité qui lui rend un culte spécifique (Wikipedia).

Praxéologie/que (p.41) : (de praxis) champ disciplinaire centré sur l’étude de l’action humaine. Ses objectifs varient selon les disciplines et les chercheurs : la réflexion peut être orientée en vue d’intervenir sur des domaines d’action réels ou elle peut être destinée à constituer une approche analytique ou une science de l’action (Wikipedia).

Praxinoscope (p.196) : Jouet optique inventé en 1876 donnant l’illusion du mouvement et fonctionnant sur le principe de la compensation optique. (Wikipedia).

Profus.e (p.94) : qui se répand en abondance. Qui existe, se répand avec profusion (CNRTL).
Diffus.e (p.94) : qui se répand dans toutes les directions (qui délaye sa pensée).

Réourdissage (p.134) : terme issu de « ourdissage » qui est l’opération préalable et préparatoire du tissage qui consiste à assembler les fils de chaînes parallèlement par portées, dans l’ordre qu’ils occuperont dans l’étoffe. L’ourdissage consiste à disposer les fils les uns à côté des autres sur une grande longueur afin d’en former une nappe sur une largeur déterminée (CNRTL).

Sénescence (p.179) : en biologie, processus physiologique qui entraîne une lente dégradation des fonctions de la cellule à l’origine du vieillissement des organismes (Wikipedia).

Sentience (p.130) : Pour un être vivant, capacité à ressentir les émotions, la douleur, le bien-être, etc., et à percevoir de façon subjective son environnement et ses expériences de vie (Wikipedia).

Subsumer/ant (p.130) : penser/ant (un objet individuel) comme compris dans un ensemble (CNRTL).

Suraffirmer/ation (p.16) : Affirmer plus que la normale, ou de façon excessive (Wiktionnaire).

Systémique (p.17) : manière de définir, étudier, ou expliquer tout type de phénomène, qui consiste avant tout à considérer ce phénomène comme un système (Wikipedia).
Systéme : Un système est un ensemble d’éléments interagissant entre eux selon certains principes et règles (Wikipedia).

Tautégorique (p.115) : « La mythologie n’est pas allégorique : elle est tautégorique [allégorique renvoie à un autre ; tautégorique renvoie au même]. Pour elle, les dieux sont des êtres qui existent réellement, qui ne sont rien d’autre, qui ne signifient rien d’autre, mais signifient seulement ce qu’ils sont. (Selon Paul Ricoeur in « Le symbole donne à penser »).
Tautégorique étant particulièrement rare, voici une autre citation : Cependant, là où la Théorie critique exige de la prudence et une modification incessante du « jugement existentiel théorique [3] », l’esthétique lyotardienne semble absolutiser la sensation, celle-ci étant comprise d’une manière tautégorique, c’est-à-dire à la fois comme état et information sur cet état. La seule voie, pour l’œuvre d’art, de ne pas retomber dans une représentation, serait de devenir le témoin du « désastre » sublime, ou, autrement, d’une incompatibilité principielle entre le mode logique et le mode esthétique. Cependant cette projection du caractère tautégorique du jugement réfléchissant sur une œuvre d’art s’avère, d’une part, problématique car il s’agit d’un concept extra-artistique et, d’autre part, potentiellement contradictoire car elle semble reproduire – sur un niveau différent, certes – la logique de la représentation (dans le sens où il s’agit de représenter le « désastre » sublime par le moyen de la peinture par exemple). Dans cet article nous voudrions analyser la démarche philosophique de Lyotard qui consiste à s’opposer à l’esthétisation généralisée par une précision des concepts proprement esthétiques et leur différenciation par rapport aux concepts de la raison. Il s’agira de comprendre plus largement, en s’appuyant sur l’étude du cas de l’esthétique lyotardienne, s’il est possible de défaire le nœud de l’esthétique à l’époque de l’esthétisation omniprésente. (Cairn)

Taxinomie/onomie (p.38) : science des classifications (Wikipedia).

Téléologie (p.186) : courant philosophique soutenant le rôle déterminant des causes finales, de la finalité (Wikipedia).

Théandrique (p.63) : qui est à la fois homme et dieu; qui se rapporte, qui appartient à cette double nature humaine et divine. (Du grec ancien, composé de Θεός, Théos (« Dieu »), ἀνδρεῖος, andreios (« d’homme ») et -ικός, -ikós) (Wiktionnaire).

Topique(s) (p.142) : forme de représentation du fonctionnement de l’appareil psychique, différencié en systèmes organisés les uns par rapport aux autres (Wikipedia).

Trabendisme (p.127) : commerce de contrebande s’effectuant en Algérie, par voie aérienne, comme composante du commerce du cabas, ou via les frontières de l’Algérie (Wikipedia). Aurélien Barrau ajouter deux mots, Contrebandier et Bandolier. Je n’ai toutefois trouvé pour ce dernier qu’un terme anglais qui signifie cartouchière, c’est-à-dire un sac de petite taille (ou une ceinture) généralement en peau dont les soldats et les chasseurs se servent pour ranger leurs cartouches (L’Internaute) encore que Corneille l’utilise aussi (voir Wiktionnaire) au lieu de Bandoulier – Brigand qui écume les montagnes. C’est aussi le nom donné aux trafiquants qui passent la frontière franco-espagnole à travers les Pyrénées (Wiktionnaire à nouveau).

Truisme (p.19) : vérité trop manifeste, qu’il est superflu de vouloir démontrer et qui ne vaut même pas la peine d’être énoncée (Wiktionnaire). La page Wikipedia renvoie à Lapalissade.

Uchronie (p.126) : dans la fiction, genre qui repose sur le principe de la réécriture de l’Histoire à partir de la modification du passé (Wikipedia).

Zététique (p.94) : (du grec ancien zetetikos, qui aime chercher, qui recherche) étude rationnelle des phénomènes présentés comme paranormaux, des pseudosciences et des thérapies étranges (Wikipedia).

Zoélyse (p.132) : destruction totale et méthodique de la vie en son essence même (créé par l’auteur). Voir aussi Autolyse p.51 et Lyse p.115.

Xavier Niel – Une sacrée envie de foutre le bordel

J’avais écouté Xavier Niel sur France Culture le 6 décembre dernier et j’avais eu la confirmaiton d’un personnage relativement atypique. Interrogé en particulier sur Elon Musk, l’entrepreneur donna une réponse que je recopie du site Xavier Niel distingue chez lui l’entrepreneur, « probablement le meilleur du monde », et le personnage, « complètement fou et potentiellement dangereux ». Il loue sa volonté d’envisager des économies pour l’État américain : « s’il applique ces économies d’une manière raisonnée, pour baisser le coût de fonctionnement de l’État américain, je suis sûr que ça se passera très bien. Si, après, on commence à déborder, c’est n’importe quoi ! », nuance-t-il. Selon Xavier Niel, ce n’est pas tant le fait de payer 45 milliards Twitter pour s’approprier le réseau social qui pose un problème, mais plutôt le fait que le produit prenne l’image de son propriétaire, « ce qui à ce moment-là est moins emballant », considère le patron de Free. Le prix ne me choque pas s’il met en place un plan qui va faire que cette société dégage de l’argent. La finalité d’une société, c’est qu’elle agrège trois parties : des salariés, des clients et des actionnaires. Par conséquent, il faut que ces trois parties soient contentes. Or, les clients ne sont pas contents dans son cas ». Dans le dialogue qu’il établit avec Jean-Louis Missika, on retrouve un personnage assez passionant qui emploie les « ouai » et « nan » comme s’il était encore le gamin de Crétail d’où il a grandi. Le personnage est milliardaire mais son parcours ne l’a pas empêché de (ou peut-être l’a aidé à) rester les pieds sur terre contrairement à certains de ses homologues de la Silicon Valley.

J’ai aimé ce livre qui ne donne pas de conseils mais permet de comprendre certaines choses du personnage et de sa vision de l’entrepreneuriat. Un premier exemple : Je crois que la jeunesse d’esprit est essentielle. On la trouve plus souvent chez les jeunes, parce que quand on vieillit, on s’embourgeoise, on se sclérose. La jeunesse d’esprit permet de créer des trucs incroyables. T’as pas encore les contraintes qui s’imposent à toi quand tu veillis. Avec l’âge, la société t’impose des limites, tu n’as plus l’optimisme ou le rapport au risque que tu as dans la jeunesse. Alors que quand t’as 20 ans, que tu sors de ton école, t’as envie de bouffer le monde; t’as envie de faire des trucs de ouf. [Page 35]

Au delà des explications habituelles sur ce monde, Niel exprime un optimisme à toute épreuve. Quand j’ai commencé à investir dans les startup, j’étais persuadé que tous les entrepreneurs allaient cartonner, qu’ils allaient tous créer des boîtes énormes. Bon, y a eu quelques désillusions, mais tu vois le truc. Dans un autre genre, je pensais que Poutine agitait la menance d’une invasion de l’Ukraine mais ne passerait jamais à l’acte. Tout comme j’ai pensé que le Covid serai terminé en 3 jours, et que le Brexit n’aurait jamais lieu. Je suis une catastrophe ambulante en matière de prévisions, parce que je suis trop optimiste. Il y a des gens qui emploient le mot « génie » pour parler de moi ; c’est ridicule, je ne suis absolument pas un génie. J’ai deux forces, qui sont basées justement sur mon absence d’intelligence : la simplification des problèmes, et la naïveté. […]
JLM : Et quand ça rate ?
XN : Et quand ça rate, j’oublie et je passe à autre chose. Parce que si tu te laisses décourager par tes échecs, ou si t’écoutes tous ceux qui te disent « c’est impossible », tu ne fais rien. […] Quand j’ai créé Station F, j’espérais accueillir 1000 start-up. Et François Hollande, à qui je présente le projet, me dit : « Mais vous êtes sûr qu’il y a 1000 start-up en France ?  » Et bah, tu sais quoi, à l’époque, je m’étais jamais posé la question ! Pourtant c’est une question logique, j’aurais dû y penser, faire une étude de marché, ce genre de trucs.
[Page 39]

L’important c’est pas le projet, c’est le fondateur. [Page 133]

Avec Kima, ouais, on a une méthode. On répartit les risques. On investit de petits montants – environ 150000 euros – dans une centaine de start-up chaque année. Entre les échecs et les reventes, on doit être à 1500 participations.
JLM : Moins d’une cinquantaine qui marchent sur 1500, ça ne fait pas beaucoup…
XN : Ca fait partie du jeu. oui, tu te trompes, et tu te trompes souvent. […] On ne finance pas le succès, on finance le progrès. […] De tous mes investissements, [Square] est la performance la plus spectaculaire. Je crois qu’on a fait x1000. […]

Les Américains que je connais qui ont eu du succès avec leur start-up, ils étaient tous développeurs. [Page 139]

Non seulement ils avaient eu l’idée de leur produit, mais ils avaient aussi développé eux-même leur logiciel, leur site ou leur appli. Google, Facebook, Snapchat, ils ont tous été créés comme ça : par des gens qui codaient leurs propres produits. D’où cette idée qu’une start-up a plus de chances de réussir quand y a un codeur parmi ses fondateurs. C’est pour ça que j’ai créé 42.
[alors que] les fondateurs de licornes, je les adore hein, mai ils ont toujours un peu les mêmes têtes : trois mecs blancs qui ont fait une école de commerce [page 145]

Etre entrepreneur c’est [page 146]

choisir ce que tu fais de la journée. Si t’as pas envie de faire un truc, tu le fais pas. Tu crées ton propre job. Y a pas de plus grande liberté. Ca va, c’est assez convaincant ?
JLM : Plutôt. Mais tu oublies la pression…
XN : L’important c’est pas ça. l’important c’est ce que tu es capable de créer. […] Pour moi cette volonté de créer quelque chose à partir d’une idée, de regrouper des gens différents pour apporter quelque chose à la société, créer de la valeur, inventer un produit différent, aider les plus démunis. L’entrepreneuriat, c’est une démarche, un état d’esprit. T’as pas besoin de monter une boîte pour être entrepreneur. Tu lances une asso, un projet, un compte sur les réseaux sociaux avec une vraie ligne éditoriale ? Pour moi t’es un entrepreneur. L’entrepreneuriat, ça ne concerne pas que le business. Tu peux être entrepreneur dans l’humanitaire, le social, l’éducation, l’environnement, et j’en passe.

Un désir de revanche ? [Page 204]

Le goût du jeu se suffit à lui-même. Pas besoin de faire de la psychologie. Tout le monde aime jouer; ce sont les terrains de jeu qui différent. Le mien a été le marché des télécoms. Tout est un putain de jeu. Un jeu éternel, auquel les gens jouent depuis le commencement du monde. Alors je joue, et quel que soit le jeu, je veux gagner. Je veux être le premier. C’est plus ou moins long, parfois tu te fais doubler. Et puis tu te rattrapes. C’est ce qui donne du piment à la vie.

[…] Quand j’essaie de comprendre pourquoi j’ai raté, ce n’est pas parce que je regrette d’avoir perdu de l’argent. C’est parce que je veux être numéro un. […] Nan, j’aime gagner tout court. L’argent n’est que le signal que tu as gagné une partie, parce que tu joues avec de l’argent. [Page 205]

Niel n’est pas naïf. C’est même un combattant. Quand il est revenu à Créteil parler aux mômes C’est pas simple d’accrocher leur attention. On est plutôt des blancs, des vieux, voire des vieux cons. Alors j’ai un truc pour les réveiller. Je leur dit : « Voilà, moi aussi, je suis allé à l’école à Créteil, et après je suis allé en prison. » Et là d’un seul coup, les mômes se réveillent. [Page 22] Il reconnait aussi « Moi, depuis tout petit, je voulais gagner de l’argent » [page 15] alors que ses premiers mots de l’entretien sont « Franchement, j’ai eu l’enfance la plus heureuse du monde. On était une famille très unie. Je te jure, tout était parfait. j’étais tellement heureux que je pensais que j’étais le roi du monde, et que mes parents me le cachaient pour que je puisse avoir uen vie normale. »

Mes amis les plus proches sont des entrepreneurs, des Américains dont certains ont créé des réseaux sociaux ou d’autres sont investisseurs. J’aime les entrepreneurs parce qu’ils sont différents, parce qu’ils ont un petit grain, parce que je me fais pas chier avec eux : les gens me voient comme un milliardaire, mais moi, je me vois comme un entrepreneur. [Page 222]

Comment expliquer les débordements des entrepreneurs ? [Page 227]

JLM : Quand Elon Musk défie Mark Zuckerbeg pour un combat de MMA, tout le monde rigole mais il ridiculise l’écosystème. De façon moins visible, les prises de position de Peter Thiel ou de Marc Andreessen sont tout aussi sulfureuses, et donnent le sentiment d’une caste qui se croit au-dessus du commun des mortels. Tu les connais un peu, comment expliques-tu ces débordements ?

XN : Les gens que t’as cités sont super différents les uns des autres. T’en as qui sont un peu fous et qui estiment disposer d’une intelligence supérieure. Et t’en as d’autres qui sont un peu des enfants dans la cour de récré. C’est … spécial : mais ça n’empêche pas qu’ils aient leur charme et qu’ils soient intéressants. […] Mais ils ne sont pas tous comme ça. Et d’ailleurs ils ont quitté la Silicon Valley. C’est uen partie de l’écosystème. Très bruyante certes, mais une partie seulement.

JLM : Les autres on ne les entend plus. Ils sont aux abonnés absents.

XN : C’est faux, ils font juste autre chose. Et puis si tu prendds le patron actuel de Google, Sundar Pichai, c’est un immigré indien qui ne s’estime pas supérieur au reste de l’humanité. Je ne connais pas ses idées politiques, mais je suis sûr qu’elles sont assez différentes de celles d’Elon Musk. […] Elon Musk ne représente que lui-même. Il s’est enfermé dans un personnage d’extrémiste transgressif et je ne sais pas comment il va s’en sortir. Parce qu’à force de dire des conneries, vient le moment où tu le payes. La moralité c’est que tu peux être à la fois un entrepreneur brillant et un sale con.

Tu sais quand tu parles avec eux, tu te retrouves dans un monde irréel, où l’innovation de rupture est toujours pour demain matin. Combien de fois j’ai entendu dire que la fusion nucléaire, c’est dans un an. Pareil pour la captation de carbone. C’est ce qui fait la force des entrepreneurs : pour eux, si on on n’essaie pas, on n’a aucune chance de réussir. Alors il essayent, encore et encore. C’est pour ça que, malgré tous leurs défauts, j’aime autant ces gens.

En guise de conclusion

J’ai déjà abordé le sujet des dérives de la Silicon Valley, par exemple ici. Ses excès m’attristent et pourtant, j’ai une fascination certaine pour les réalisations de ses entrepreneurs. C’est sans doute la même raison pour laquelle j’ai aussi apprécié la lecture de Une sacrée envie de foutre le bordel. On pourra ne pas être du tout d’accord avec Xavier Niel. On pourra ne pas être d’accord avec tout ce que dit Xavier Niel. Le livre est riche en anecdotes passionantes et aussi en points de vue discutables, il faut simplement se souvenir que l’homme est optimiste et défend la liberté presque sans limite. Sa limite est la loi, et encore… pas à ses débuts.

Je fais un pas de côté. Ma chérie m’a fait découvrir les débuts du groupe MGMT à travers un article de FIP MGMT : une vidéo magique de « Kids » en 2003 fait surface

Le livre de Xavier Niel a un peu cet effet. On retrouve souvent l’enfant derrière le milliardaire, son ton, ses passions. On découvre que l’entrepreneur est un cataphile. Il s’y aventure environ une fois par mois; beaucoup plus quand il était jeune …

La dernière phrase du livre [page 300] : Putain, c’est quand même indécent, la chance que j’ai eue !

PS. Pour ceux que politique et Silicon Valley intéressent, un séminaire tout au long du premier semestre 2025 semble avoir un programme alléchant : Capitalisme numérique et idéologies.

PS2. Mon grand ami Philippe me signale une conférence de Xavier Niel à l’Ecole Polytechnique. Il me demande ce que je trouve « faux » dans les messages. Je réagis après l’encart.

Je ne suis pas convaincu que l’alliance technique – business (X – HEC pour faire court) chez les fondateurs soit une si bonne idée ni que les repeat (serial) entrepreneurs soient statistiquement plus intéressants. Faut-il faire sa startup en France (ou en Europe) ? En 2008, je ne le pensais pas. Aujourd’hui, je suis plus nuancé, mais il est utile de comprendre la culture et l’optimisme de la Silicon Valley. D’ailleurs Xavier Niel le dit de lui-même, c’est un optimiste inarrêtable. La conférence est tout à fait dans l’esprit du livre, et Xavier Niel transmet son optimisme et même son sentiment qu’il est positif de se sentir jeune.

Silicon F…! Valley

C’est un podcast de de France Culture qui m’a fait connaître la nouvelle série d’Arte, Silicon Fucking Valley. J’en extrais deux phrases : « Des histoires parfois connues mais toujours nécessaires à rappeler pour participer à notre culture numérique et permettre a tout à chacun de pouvoir un peu décoder notre monde connecté » et « J’ai eu un peu plus de mal avec le rythme parfois effréné des épisodes coincés dans 15 petites minutes. Une voix off, très présente qui accompagne un peu trop le spectateur qui gagnerait par moment à respirer pour trouver le temps de construire sa propre pensée. L’écriture épouse les recettes des vidéos publiées sur les réseaux sociaux dont l’objectif est de capter l’attention. »

Et j’ai envie d’ajouter sans, j’espère, passer pour le grincheux de service que la série est parfois paresseuse à force d’inexactitudes, certes sans grande importance mais tout de même:
– pourquoi dire que le campus de Stanford (7km2) fait le tiers de la surface de Paris (qui fait 100km2) ?
– pourquoi dire que les diplômes de cette université sont remis sur le Quad alors qu’ils sont plutôt remis dans le stade où Steve Jobs a fait son célèbre discours (1er article de ce blog) ?
– pourquoi dire que les frais de scolarité se montent à $80’000 alors qu’ils sont de $65’000 tout de même (en oubliant d’ajouter qu’au niveau Master, je pense qu’une majorité d’étudiants a une bourse ou un sponsor…) ?
– pourquoi dire que le Computer History Musuem est à Menlo Park alors qu’il est à Mountain View ?

Si l’on oublie ces détails et ce rythme forcené, alors, oui, il y a des choses très intéressantes. Vous y découvrirez donc Luc Julia et Adam Cheyer à l’origine de Siri issu du SRI (voir CALO), une startup vendue à Apple pour « $200M selon la rumeur » et qui ne m’a pas laissé de très bons souvenirs car l’EPFL aurait dû toucher une plus grosse part du gateau lors de cette vente. Julia a raison, c’était de la daube. Le F… word est de circonstance !

Vous y découvrirez aussi Curious Marc. On vous rappelle aussi ce que fut la « Mother of All Demos » (à l’étrange acronyme). Et plus sérieusement l’évolution récente avec les GAFAs. En voici deux illustrations : le nombre d’acquisitions de chacun de ses acteurs et le montant des amendes payées en Europe et aux USA.


Il y est aussi question de capital-risque et de la mythique San Hill Road

Et malgré toutes les bêtises pour ne pas dire plus du fondateur de Tesla, la série confirme ce que j’avais découvert il y a quelques années sur la démographie des parkings : Le phénomène Porsche et les spin-offs universitaires ! Ou le phénomène Tesla ?

Mais l’épisode le plus touchant reste le 6e sur les écarts de richesse, « pour un développeur tech, il y a six pauvres qui font le ménage, servent dans les cafétérias, assurent la sécurité, conduisent les Google bus » et ont le choix entre faire 6h de route par jour ou dormir dans une tente ou un camping car sur le bord de la route. Le titre est alors parlant, Silicon Fucking Valley.

PS (24/11/2024) : comme je le mentionne souvent, le meilleur documentaire que je connaisse sur la région reste SomethingVentured, voir https://www.startup-book.com/fr/2012/02/08/something-ventured-un-film-passionnant/

Les géants de la tech : rien ne change sauf leur nom !

J’adore les données et j’aime les analyser au niveau micro (tableaux de capitalisation) et macro (chiffre d’affaires, revenus, employés). Mais je suis surpris de découvrir que je n’avais pas posté à ce sujet depuis 2021 :
Tesla, Google et Facebook ne semblent pas souffrir de la crise, montraiyt la croissance de ces géants en février 2021,
Les plus grandes sociétés de technologie en Europe et aux USA en 2020 comparait environ 30 entreprises américaines et 15 européennes en janvier 2021.

Ce que j’ai mis à jour ci-dessous ne montre pas beaucoup de changement, sauf peut-être que Google est Alphabet et Facebook est Meta. Tesla n’a pas changé de nom mais Twitter est X ! Donc, sans trop de commentaires, voici d’abord les plus grandes entreprises technologiques en Europe et aux États-Unis en 2024 :


La conclusion est la même : les entreprises américaines sont environ 10 fois plus grandes en termes de capitalisation boursière et de ventes, et 5 fois plus grandes en termes de nombre d’employés. Je crains même que l’écart ait grandi… J’aime aussi les trois graphiques suivants qui illustrent les similitudes dans la croissance des entreprises.



Peut-être que tout cela n’est pas si bon que ça et a contribué à la destruction de la planète sans que nous en soyons conscients. Peut-être que l’innovation ne résout pas grand-chose et détruit beaucoup. Ce ne sont que des chiffres qui donnent matière à réflexion.

Au-delà de l’idéologie de la Silicon Valley

J’avais mentionné dans mon post précédent cette anthologie d’articles établie par Loup Cellard et Guillaume Heuguet. Constituée de six articles (dont 5 traduits) et d’une longue introduction des auteurs, il s’agit d’une plongée des plus intéressantes dans ce que représente cette région d’un point de vue historique et politique.

Voici donc ce que j’ai noté ou retenu :

– les auteurs nuancent l’influence de la contre-culture dans les origines de la Silicon Valley. « Le pouvoir économique et la culture de L’innovation technique de la région précédent de loin le mouvement hippie. » [page 18] puis « les contrats gouvernementaux ou l’existence d’un surplus de capital devraient sans doute se voir accorder autant d’importance que les imaginaire utopiques » [page 19].

– Les auteurs vont plus loin quant aux velléités idéologiques des entrepreneurs de la Silicon Valley. J’ai déjà exprimé un certain scepticisme sur le sujet mais le débat reste intéressant. Les auteurs mentionnent à ce sujet un autre ouvrage que je ne connais pas Une histoire politique de la Silicon Valley de Fabien Benoit. Je ne crois pas que l’affirmation qui suit soit correcte : « L’université de Stanford, spécialisée en sciences dures, a la particularité de ne pas réclamer de droits de propriété intellectuelle sur les brevets pourtant développés dans ses murs. » [Page 19] Le sujet est pourtant connu (voir ici) et je suis surpris d’une telle affirmation. Mariana Mazzucato est aussi appelée à la rescousse de l’argumentaire et si j’ai là aussi exprimé des nuances fortes, on ne peut guère douter de l’influence de Fred Terman, de HP et du MIT bien avant l’émergence de la contre-culture.

– Dans la même introduction, il est rappelé la lettre ouverte de Bill Gates aux Hobbystes du Homebrew Computer Club.

Cette introduction des auteurs est passionnante et on a à nouveau la confirmation de la complexité de la genèse de la région où des hippies à la Wozniak et des ingénieurs à la Noyce ont collaboré souvent dans le plus grand respect. (Cf à nouveau cet article pour les curieux, The tinkerings of Robert Noyce)

– Les articles sur le design sont surprenants tant le sujet a été à la mode (et m’avait jusqu’ici laissé circonspect et silencieux). Le chapitre De si vieilles promesses de Fred Turner est une analyse intéressante des liens entre prototypage et puritanisme protestant ! Celui de Ruha Benjamin intitulé Le design est complice va beaucoup plus loin. J’en retire les affirmations fortes qui suivent : « Design Thinking is Bullh*t » et l’auteur « exhorte les praticien.nes à éviter le jargon et les mots-clés à la mode et à s’engager davantage dans l’autocritique : quels sont les effet théoriques et pratiques de l’utilisation du langage du design pour décrire tous nos espoirs, nos rêves, cos critiques et nos visions du changement ? Qu’est-ce qui est gagné et par qui dans le processus qui revient à associer des choses aussi hétérogènes sous la rubrique du design? » […] Je pense que l’une des raisons pour lesquelles il règne est qu’il a réussi à plier tout et n’importe quoi sous ses ailes agiles.

– Les auteurs sont très critiques de certaines personnalités de la région qu’ils associent au monde ancien. Les réactionnaires investissent de Charlie Tyson est une analyse intéressante de Peter Thiel qui aimerait se présenter comme un intellectuel. Et de conclure « L’homme lui-même reste un mystère […] qui nous offre le spectacle d’un esprit brillant logé dans une personnalité difforme, un homme qui a transformé sa philosophie de salon en une vision imposée du monde ». Le chapitre suivant, Le Capital ne risque rien de Fabien Foureault est une description assez correcte de l’histoire du capital-risque. Le seul reproche que je ferai est que le passage des racines américaines à l’histoire de l’activité en France en oublie un peu les risques pris par les pionniers dans les années 60 et 70. La critique du capital-risque reste bien argumentée comme suit. Sur trois critères majeurs, le VC est critiqué :
+ un caractère dysfonctionnel qui empêche la stabilité par des cycles d’emballement et d’effondrement (boom & burst)
+ une utilité sociale absente en allant vers une rentabilité à court terme qui oublie les enjeux fondamentaux (climat, santé abordable)
+ Une activité peu rentable, au mieux avec un faible rendement de 8% sur le long terme. J’ai découvert un chercheur, Ludovic Phalippou, très critique du Private Equity en général dont l’absence de transparence conduit à des performances sans doutes très surestimée. Je vous encourage à lire How Ludovic Phalippou Became the Bête Noire of Private Equity. Le post-sciptum fera sans doute sourire les amateurs et les connaisseurs du capital-risque français…

– Que dire alors des deux derniers chapitres ? Ils sont tout simplement passionnants. Tout d’abord L’optimisation remplace le progrès de Orit Halpern et Robert Mitchell. J’avais l’intuition que l’optimisation, sujet qui m’est cher puisqu’il fut au cœur de ma thèse de doctorat, touchait aux limites du progrès. On ne cherche plus le meilleur, mais à être smart, intelligent, que ce soit la ville, la mobilité, l’éducation et la guerre. Le meilleur étant inaccessible, on cherche simplement à faire mieux, et souvent tout en minimisant les ressources et les coûts… et à être résilient, que les auteurs décrivent comme étant la capacité non pas à être robuste dans un système stable, mais à survivre et gagner dans un système incertain et en déséquilibre. La disruption n’est pas loin. La conclusion du chapitre peut faire peur : « au lieu de rechercher des réponses utopiques à nos interrogations concernant l’avenir, nous nous concentrons sur des méthodes quantitatives et algorithmiques et sur la logistique : comment déplacer les choses du point A au point B, plutôt que de se demander où elles devraient arriver (ou si elles devraient même se trouver là) » [page 129].

– Le dernier chapitre s’intitule L’apocalypse remplace l’utopie de Dave Karpf. Il y est question du longtermisme. « La valeur morale de la vie humaine d’aujourd’hui n’est pas différente de celle des post-humains potentiels qui pourraient venir à exister dans un lointain avenir. A partir de ce postulat, ils en viennent à des conclusions fantasques et contre-intuitives. Ils affirment que la croissance économique, le progrès technologique et la prévention des risques existentiels, c’est à dire des risques susceptibles d’anéantir l’Humanité (frappes d’astéroïdes, super virus mortels, intelligence artificielle hostile, etc) comptent au plus haut point pour l’Humanité. Améliorer la situation de l’Humanité d’aujourd’hui en s’attaquant aux inégalités systémiques, en guérissant le cancer et en prévenant le paludisme sont des initiatives de moindre importance. Les humains d’aujourd’hui ne sont que les précurseurs d’un avenir post-humain disséminé dans l’espace. » Les promoteurs de telles idées sont connues et l’auteur parle d’Idéologie californienne. J’aimerais penser qu’elles en sont que dans la t^te de quelques esprits déformés. L’auteur conclut ainsi : « Nous devrions dès lors reconnaître le longtermisme comme un mouvement de pensée pernicieux. C’est une philosophie qui dit que nous ne devons pas nous préoccuper du sort, de la dignité ou des injustices subies par des personnes qui vivent aujourd’hui, parce que ces personnes ne comptent pas plus que celles qui vivront dans des millénaires. […] C’est une recette qui excuse trop facilement la cruauté, la souffrance et les préjudices sociaux.

Il s’agit donc d’un petit ouvrage passionnant, qui ne décrit pas la Silicon Valley, mais à travers ses racines et ses ailes, quelques uns de ces excès le plus étonnants. Et comme je le disais dans mon précédent post, cela ne représente pas forcément la majorité, mais du moins une minorité, peut-être infime mais sans aucun doute très et trop visible.

PS: pour ceux qui ne seraient pas intéressés par les longues analyses, voici une vidéo assez drôle