Sans aucun doute le réchauffement climatique est au coin de la rue. Mais il y a des gens créatifs comme Candide Thovez qui a sa solution… une vision très différente de mon article de 2010. Joyeuses fêtes!
Archives mensuelles : décembre 2015
La biotechnologie et les start-up – Partie 3 : Genentech
J’aurais sans doute dû commencer cette série sur la biotech avec Genentech (voir la partie 1 : Amgen et la partie 2, traitant de statistiques sur les start-up biotech). Genentech ne fut pas la première start-up en biotechnologie, c’était Cetus, mais Genentech est vraiment celle qui a lancé et défini cette industrie. Tout cela a vraiment commencé avec la collaboration entre Cohen et Boyer. Genentech aurait aimé obtenir une licence exclusive sur leur brevet sur l’ADN recombinant, mais les universités ne pouvaient pas accepter autant pour des raisons économiques que pour des raisons politiques. Genentech était une petite start-up inconnue et l’ingénierie génétique un sujet très sensible à l’époque. Swanson avait essayé d’offrir des actions de Genentech à Stanford et UCSF (l’équivalent de 5% des actions existantes à l’époque)
Notez que j’ai déjà parlé ici de Genentech dans Bob Swanson et Herbert Boyer: Genentech. Mais ce nouvel article suit ma lecture de Genentech – The Beginnings of Biotech par Sally Smith Hughes.
Chronologie:
– Novembre 1972 : réunion de Cohen et Boyer lors d’une conférence à Hawaï
– Mars 1973 : 1ères expériences conjointes en laboratoire
– Novembre 1973 : publication scientifique
– 4 novembre 1974 : dépôt de brevet
– Mai 1975 : Cohen devient un conseiller de Cetus
– Janvier 1976 : réunion entre Swanson et Boyer
– 7 avril 1976 : fondation de Genentech
– Août 1878 : première insuline produite
– Q2 1979 : 4 projets de recherche avec Hoffmann – La Roche (interféron), Monsanto (hormone de croissance animale), Institut Mérieux (vaccin de l’hépatite B) et en interne (thymosine).
– Juillet 1979 : première hormone de croissance humaine
– Octobre 1982 : approbation par la FDA de l’insuline produite par Genentech
– Octobre 1985 : approbation par la FDA hormone de croissance humaine
Je dois admettre que je n’avais jamais entendu parler du site web (http://bancroft.berkeley.edu/ROHO/projects/biosci) de la Bibliothèque Bancroft et son programme d’études en sciences biologiques et biotechnologiques « dont la pièce maîtresse est une collection en constante expansion d’histoires orales sur les biosciences et les biotechnologies [avec] des interviews en profondeur, entièrement indexées de scientifiques de nombreuses disciplines, des cadres, des avocats, et d’autres personnalités de la biotechnologie. »
L’invention de nouvelles pratiques commerciales et scientifiques sur une très courte période
Swanson avait été séduit: « Cette idée [du génie génétique] est absolument fantastique; elle est révolutionnaire; elle va changer le monde; c’est la chose la plus importante dont j’ai jamais entendu parler. » [… Mais Swanson était presque seul.] « Cetus était pas seule dans son hésitation quant à l’application industrielle de la technologie de l’ADN recombinant. Les sociétés pharmaceutiques et chimiques, des institutions conservatrices dans l’âme, avaient également des réserves. » [Page 32] « Quelles que soient les applications pratiques que je pouvais voir de l’ADN recombinant… c’était à un horizon de cinq à dix ans, et, par conséquent, il n’y avait pas d’urgence pour commencer, d’un point de vue scientifique. » [Page 32] « Je maintiens toujours » se souvient Boyer, « que notre plus grande qualité était notre naïveté … Je pense que si nous avions su tous les problèmes que nous allions rencontrer, nous aurions réfléchi à deux fois avant de nous lancer… La naïveté était l’ingrédient supplémentaire de la biotechnologie. » [Page 36]
Le livre montre l’importance des collaborations scientifiques. Non seulement avec Boyer à UCSF, mais par exemple avec un hôpital de Los Angeles. Une licence a été signée avec l’Hôpital City of Hope qui incluait une redevance de 2% sur les ventes des produits basés sur la technologie sous licence. « […] négocia un accord entre Genentech et City of Hope qui donnait à Genentech la propriété exclusive de tous brevets basés sur collaboration en cours et payait le centre médical une redevance de 2 pour cent sur les ventes de produits issus de la recherche. » [Page 57]
Même si en l’an 2000, City of Hope avait reçu 285M $ en redevances, l’hôpital n’était pas satisfait du résultat. Après de nombreux procès, la Cour suprême de Californie en 2008 accorda un montant additionnel de 300M $ à City of Hope. Ainsi, le livre montre que ces collaborations ont aussi créé de nombreux litiges juridiques. [Page 58]
En quelques années, Genentech put synthétiser la somatostatine, l’insuline, l’hormone de croissance humaine et l’interféron. Il est fascinant de lire à quel point ces années furent intenses, incertaines, stressantes pour Swanson, Perkins, Boyer et le petit groupe d’employés de Genentech et de ses partenaires académiques (Goeddel, Kleid, Heyneker, Seeburg, Riggs, Itakura, Crea), entre autres en raison de la concurrence émergente d’autres start-up (Biogen, Chiron) et les laboratoires universitaires (Harvard, UCSF).
« Le 25 Août, 1978 – quatre jours après l’exploit de Goeddel sur l’insuline – les deux parties ont signé un accord de plusieurs millions de dollars sur vingt ans pour la recherche et développement. Pour un paiement initial de $500,000 dans la licence, Lilly a obtenu ce qu’elle voulait: les droits mondiaux exclusifs pour la fabrication et la vente de l’insuline humaine en utilisant la technologie de Genentech. Genentech devait recevoir 6 pour cent et City of Hope 2 pour cent des redevances sur les ventes de produits. » [Page 94]
Ils ont réussi à négocier une condition contractuelle qui limite l’utilisation de Lilly des bactéries modifiées de Genentech à la seule fabrication de l’insuline. La technologie resterait la propriété de Genentech, du moins ils l’espéraient. En fait, le contrat, et cette clause en particulier, fut à l’origine d’un litige prolongé. En 1990, les tribunaux attribuèrent à Genentech plus de 150 millions $ dans une décision déterminant que Lilly avait violé le contrat de 1978 par l’utilisation d’un composant de la technologie de l’insuline de Genentech pour faire son propre produit de l’hormone de croissance humaine. [Page 95]
Perkins pensait que la redevance de 8 pour cent était exceptionnellement élevée, à un moment où les redevances sur les produits pharmaceutiques étaient de l’ordre de 3 ou 4 pour cent. « C’était une royalty plutôt exorbitante, mais nous avions signé de toute façon – Lilly avait hâte d’être le premier (avec l’insuline humaine) » […] Le modèle grande entreprise – petite entreprise que Genentech et Lilly promulguèrent en biologie moléculaire allait devenir la forme d’organisation prééminente dans une industrie de la biotechnologie en devenir. [Page 97]
L’invention d’une nouvelle culture
Malgré sa jeunesse, Swanson réussit à maintenir tout le monde concentré sur une recherche axée sur le produit. Il continua à avoir peu de tolérance à investir du temps, des efforts et de l’argent sur une recherche qui ne soit pas liée directement à la création de produits commercialisables. « Nous étions intéressés à faire quelque chose d’utilisable que vous pourriez transformer en un médicament, injectable chez les humains, pour des essais cliniques. » Quelques années avant sa mort prématurée, Swanson avait remarqué : «Je pense que l’une des choses que je faisais le mieux en ces temps-là, était de nous garder très concentrés sur la formulation d’un produit. » Son style de gestion orienté vers un but différait nettement de celui des proches concurrents de Genentech. [Page 129]
Mais dans le même temps Boyer garantirait un niveau de recherche de haute qualité en encourageant les employés à écrire les meilleurs articles scientifiques possibles. Cette garantie fit la réputation de Genentech dans le monde académique.
Une culture prenait forme chez Genentech qui n’avait pas d’équivalent dans l’industrie ni dans les universités. Les entreprises high-tech dans la Silicon Valley et le long de la route 128 dans le Massachusetts partageaient son accent sur l’innovation, une recherche accélérée, et la création et la protection de propriété intellectuelle. Mais les industries électroniques et informatiques, et tout autre secteur industriel sur ce sujet, avaient négligé les liens proches, significatifs et durables avec la recherche universitaire que Genentech utilisa dès ses débuts et qui continuèrent à définir l’industrie des biotechnologies d’aujourd’hui. Presque tous les éléments dans le projet de recherche de l’entreprise – de ses scientifiques à ses fondements intellectuels et technologiques – étaient nés de décennies de connaissances de base scientifique accumulées et générées dans des laboratoires académiques. […] Sur l’insistance de Boyer, les scientifiques avaient été encouragés à publier et à s’engager dans la vaste communauté scientifique. [Page 131]
Mais les valeurs académiques avaient dû s’accommoder des réalités des entreprises: sur l’insistance de Swanson, la recherche devait conduire à des brevets solides, des produits commercialisables, et des profits. La culture de Genentech était en résumé un hybride de valeurs académiques alignées avec les objectifs et les pratiques commerciaux. [Page 132]
Swanson était le chef, supporter mais insistant, d’esclaves, exhortant les employés au-delà de leurs limites apparentes: « Bob voulait tout. Il disait: Si vous n’avez pas plus de choses dans votre programme que vous ne pouvez accomplir, alors vous ne faites pas assez d’efforts. Il voulait que vous ayez une liste assez longue pour que vous ne puissiez pas tout faire, et pourtant il voulait que vous essayiez. » […] Des start-up naissantes ne pourraient concurrencer les géants pharmaceutiques qu’en étant avant tout plus innovantes, agressives, et le pied au plancher. Dès le début Genentech avait réuni ces attributs en quantité. Swanson attendait – exigeait – beaucoup de tout le monde. Son attitude était comme Roberto Crea l’a rappelé: « Allez-y; soyez là les premiers; nous devons battre tout le monde … Nous étions petits, sous-capitalisés, et relativement inconnus de tout le monde. Nous devions faire mieux que quiconque pour gagner la légitimité de cette nouvelle industrie. Une fois que nous l’avions fait, nous voulions maintenir notre avance. » […] Comme l’a dit Perkins « Bob ne serait jamais accusé de manquer d’un sentiment d’urgence. » […] Même Ullrich, malgré l’inconfort d’un européen face au rude comportement américain, finit par se laisser séduire par cette culture inébranlablement engagée, du « c’est possible » de Genentech. [Page 133]
De nouvelles stratégies de sortie
Initialement Kleiner pensait que Genentech serait acquise par une grande entreprise pharmaceutique. C’était juste une question de temps. Il avait approché Johnson & Johnson et « lancé l’idée d’un prix d’achat de 80 millions $. L’offre est tombée à plat. Fred Middleton [le vice-président pour les finances de Genentech], présent aux négociations, spécula que J&J n’avait pas « la moindre idée de quoi faire avec cette technologie [de l’ADN recombinant] – ne savait certainement pas ce qu’elle valait. Ils ne pouvaient pas l’adapter au moule du Band-Aid ». Les dirigeants de J&J ne savaient pas comment valoriser Genentech, car il n’y ait aucune norme de comparaison ni la moindre histoire de bénéfices. » [Page 140]
Perkins et Swanson firent une tentative de plus pour vendre Genentech. A la fin de 1979, Perkins, Swanson, Kiley et Middleton avaient pris un avion pour Indianapolis pour rencontrer le PDG et d’autres cadres d’Eli Lilly. Perkins avait proposé un prix de vente de 100 millions $. De l’avis de Middleton, Lilly était paralysée par une mentalité conservatrice de « pas inventé ici », une opinion soutenue par la réputation de l’entreprise pharmaceutique de se baser principalement sur sa recherche interne et seulement à contrecœur sur des contrats externes. La technologie de la société était trop nouvelle, trop expérimentale, trop peu conventionnelle pour une industrie pharmaceutique conservatrice pour l’adopter en toute confiance. [Page 141]
Lorsque Genentech eut développé avec succès l’interféron, une nouvelle opportunité se présenta. L’interféron avait été découvert en 1957 et imaginé utile pour prévenir les infections de virus. En novembre 1978, Swanson signa une lettre d’intention confidentielle avec Hoffmann – La Roche, puis un accord formel en janvier 1980. Ils furent également chanceux : « Heyneker et un collègue avaient assisté à une réunion scientifique, dans laquelle l’orateur – au grand étonnement de tout le monde étant donné l’intensité de la concurrence – avait projeté une diapositive d’une séquence partielle d’interféron de fibroblastes. Ils avaient téléphoné l’information à Goeddel, qui avait relayé instantanément l’ordre de séquence à Crea. […] Crea commença à construire les sondes nécessaires. […] Goeddel bâtit une « bibliothèque » de milliers et de milliers de cellules bactériennes, puis chercha celles portant le gène de l’interféron. En utilisant la séquence partielle que Pestka récupéra, Goeddel clona des séquences d’ADN entières pour les fibroblastes et l’interféron leucocytaire. […] En juin 1980, après le dépôt d’un brevet, Genentech en annonça la production en collaboration avec Roche. » [Page 145] Genentech pourrait envisager d’aller en bourse et après une autre bataille entre Perkins et Swanson, Genentech se décida à le faire. Perkins avait vu que l’année 1980 était parfaite pour une IPO pour les entreprises de biotechnologie, mais Swanson avait entrevu les défis que cela impliquerait pour une jeune entreprise sans revenu ni produit.
De nouvelles sources d’inspiration
La période 1980-1981 verra la création d’une pléthore de sociétés entrepreneuriales basées sur la biologie – Amgen, Chiron, Calgene, Molecular Genetics, Integrated Genetics, et des entreprises de moindre importance – toutes inspirées par l’exemple de Genentech d’un nouveau modèle organisationnel pour la recherche biologique et pharmaceutique. Avant que la fenêtre d’IPO ne se referme en 1983, onze entreprises de biotechnologie en plus de Genentech et Cetus, étaient allés en bourse *. […] Mais ce ne sont pas seulement les institutions qui avaient été transformées. L’IPO de Genentech avait transformé Herb Boyer, un « gars d’une petite ville, essentiellement peuplée de de cols bleus, dans le premier multi-millionaire industriel de la biologie moléculaire. Pour des scientifiques admiratifs et vivant des maigres salaires universitaires dans une relative obscurité, il est devenu un remarquable source d’inspiration pour leur propre recherche qui pourrait être réorientée et leur réputation renforcée. Si Herb le modeste – juste un gars de Pittsburgh, comme un collègue l’avait noté – pouvait fonder une entreprise à succès avec toutes les récompenses et la renommée que cela implique, pourquoi ne le pourraient-ils pas ? [Page 145]
*: Selon une source, les entreprises IPO mise en bourse étaient Genetic Systems, Ribi Immunochem, Genome Therapeutics, Centocor, Bio-Technology General, California Biotechnology, Immunex, Amgen, Biogen, Chiron, and Immunomedics. (Robbins-Roth, From Alchemy To Ipo: The Business Of Biotechnology)
Comme suite à ces trois articles, il se pourrait que j’en écrive un quatrième sur les licences académiques dans la biotechnologie si et quand je trouve un peu de temps…
Lorsque l’entrepreneuriat rencontre le street art
De temps en temps, je poste des articles qui ne sont pas liés aux start-up ou à l’entrepreneuriat, mais à d’autres sujets tels que le Street Art par exemple. Maintenant se présente l’occasion de joindre les deux grâce à Banksy. Et en plus, je peux même parler des migrants (qui sont une composante essentielle de l’entrepreneuriat). Banksy a récemment créé l’œuvre de Street Aart qui suit:
Banksy a expliqué: « On nous amène souvent à penser que l’immigration est un fardeau pour les finances publiques. Mais Steve Jobs était le fils d’un immigrant syrien. Apple est l’entreprise qui fait le plus de profits au monde, et paye 7 milliards de dollars d’impôts par an. Et tout ça ne peut exister que parce qu’on a laissé entrer un jeune homme originaire de Homs (Syrie). » Dois-je ajouter quelque chose sur l’importance des migrants dans la haute technologie ? Si oui, il suffit de lire à nouveau AnnaLee Saxenian, Migrations, Silicon Valley, et Entrepreneuriat.
La biotechnologie et les start-up – Partie 2
Après une brève analyse d’Amgen à travers le livre de Gordon Binder – Science Lessons – voici une description plus statistique du monde de la biotech. J’envisage une troisième partie sur Genentech comme conclusion de cet ensemble. Depuis plusieurs années, je construis manuellement des tables de capitalisation de start-up grâce en général à leur documents d’entrées en bourse. Elles contiennent sans doute des erreurs tant l’exercice demande attention et précision, mais j’imagine que ces éventuelles erreurs sont moyennées. J’en suis aujourd’hui à plus de 350 cas, qui sont tous publiés sur slideshare.
A la fin de ce document, j’ai ajouté quelques données synthétiques dont j’extrais ce qui suit. Souvenez-vous que mon échantillonnage est fait au fil de l’eau, il n’est donc pas totalement aléatoire ni statistiquement neutre…
La biotechnologie représente une part non négligeable de mes données, j’y reviens plus bas. Les levées de fonds VC ne sont pas plus importantes que les autre domaines, ce qui peut paraître surprenant mais cela tient au fait qu’une start-up biotech va en bourse en terme de maturité bien avant les start-up des autres domaines. D’ailleurs leur niveau de vente ($11M en moyenne) est bien inférieurs aux autres ($114M pour la moyenne de l’ensemble). De plus elles comptent 71 employés contre 521 pour l’ensemble. Le cas d’Amgen illustrait qu’en fait l’IPO ressemble plus à un tour de VC complémentaire qu’à une validation par le marché. Par contre le premier tour est bien plus conséquent, sans doute en raison des ressources nécessaires pour des preuves de concept initiales. Par contre les pertes sont similaires aux autres domaines (hors logiciel et internet).
Petite parenthèse sur les fondateurs et le partage d’equity. Ils sont beaucoup plus âgés (45 ans) que la moyenne (38 ans) et seuls s’en approchent les fondateurs des start-up medtech. Sans doute en raison des spécificités du domaine (longueur des études universitaires et difficultés à inventer sans une longue expérience). Autre conséquence des dynamiques du domaine (y compris les incertitudes), les fondateurs gardent moins d’equity à l’IPO et les investisseurs obtiennent une plus grande part.
Je reviens maintenant à l’industrie biotech à travers sa géographie tout d’abord puis sa chronologie plus loin. Une évidence – l’importance de la région de Boston et de la côte est des USA en général – et peut-être une surprise – l’importance tout aussi grande de la Silicon Valley et de la Californie plus généralement. On croit souvent que la région de Boston est le lieu de la biotechnologie, ce qui est vrai relativement aux autres domaines, mais la côte ouest est tout aussi créative et entrepreneuriale.
Enfin il serait faux de croire que l’internet a fait disparaître la biotech. Les périodes indiquées ici représentent les années de création des start-up. La biotech est le premier domaine (plus du tiers) depuis les années 2000 alors qu’elles représentaient mois d’un quart auparavant. A nouveau souvenez-vous que mon échantillon n’est pas statistiquement validé…
Elon Musk et la recette secrète de l’entrepreneuriat (selon Tim Urban)
Un de mes étudiants (merci !) vient de m’envoyer un lien vers des articles étonnants sur Elon Musk. Je n’avais jamais entendu parler de l’auteur, Tim Urban, ni de son blog Wait But Why mais je vais certainement suivre son travail à partir d’aujourd’hui.
Tim Urban a écrit quatre articles sur « l’entrepreneur vivant le plus remarquable. » Ils sont écrits en angals et sont intitulés
Partie 1: Elon Musk: l’homme le plus radical du monde – http://waitbutwhy.com/2015/05/elon-musk-the-worlds-raddest-man.html
Partie 2: Comment Tesla va changer le monde – http://waitbutwhy.com/2015/06/how-tesla-will-change-your-life.html
Partie 3: Comment (et pourquoi) SpaceX colonisera Mars – http://waitbutwhy.com/2015/08/how-and-why-spacex-will-colonize-mars.html
Partie 4: Le chef et le cuisinier: la recette secrète de Musk – http://waitbutwhy.com/2015/11/the-cook-and-the-chef-musks-secret-sauce.html
Ces quatre articles représentent des centaines de pages si vous les imprimez. Sans blague! J’ai lu la partie 4 et cela a été un véritable choc (positif). Tim Urban explique les qualités entrepreneuriales de Elon Musk. Je vous en donne simplement quelques extraits:
« Je pense que généralement le processus de pensée des gens est trop attaché aux conventions et aux analogies avec leurs expériences antérieures. Il est rare que les gens essaient de penser à quelque chose sur la base des premiers principes. Ils diront: « Nous faisons cela que parce que cela a toujours été fait de cette façon. » Ou ils ne font pas parce que « Eh bien, personne n’a jamais fait cela, donc cela doit être une mauvaise idée. » Mais c’est juste une façon ridicule de penser. Vous devez construire votre raisonnement de bas en haut – « en utilisant les premiers principes » est la phrase qui est utilisée en physique. Vous regardez les fondamentaux et construisez votre raisonnement en conséquence, et ensuite vous voyez si vous arrivez à une conclusion qui fonctionne ou qui ne fonctionne pas, et il se peut que cela soit différent ou non de ce que les gens ont fait dans le passé. » […] Musk est un chef impressionnant sans aucun doute, mais ce qui fait de lui une telle personnalité hors du commun, ce n’est pas qu’il est impressionnant – c’est que la plupart d’entre nous ne sommes pas du tout des chefs. […] « Quand j’étais enfant, j’avais vraiment peur du noir. Puis j’ai appris à comprendre que l’obscurité signifie simplement l’absence de photons dans les longueurs d’onde visibles de 400 à 700 nanomètres. Puis je me suis dit que c’était vraiment stupide d’avoir peur d’un manque de photons. Alors je n’ai plus eu peur de l’obscurité après cela. » Voilà tout simplement un chef enfant qui apprécie la réalité d’une situation et décide que sa crainte était mal placée. En tant qu’adulte, Musk a dit ceci: « Parfois, les gens craignent trop la création d’une entreprise. Vraiment, quel est le pire qui puisse arriver? Tu ne vas pas mourir de faim, tu ne vas pas mourir de froid – quel est le pire qui puisse arriver? » Même citation, non? […] Voilà la recette secrète d’Elon Musk. Ce qui explique pourquoi la vraie histoire ici n’est pas celle de Musk. C’est la notre. […] Les gens croient que penser en dehors du cadre et des conventions requiert de l’intelligence et la créativité, mais cela demande surtout de l’indépendance. Lorsque vous ignorez simplement le cadre et de construisez votre raisonnement à partir de zéro, que vous soyez brillant(e) ou non, vous vous retrouvez avec une conclusion unique – qui sortira ou non du cadre.
Puis Tim Urban cite Steve Jobs et son célèbre discours à Stanford en 2005 (je crois) : « Quand vous grandissez, vous avez tendance à vous dire que le monde est comme il est et votre vie est juste de vivre votre vie à l’intérieur de ce monde. Essayez de ne pas trop cogner contre les murs. Essayez d’avoir une vie de famille agréable, avoir du plaisir, économiser un peu d’argent. Voilà une vie très limitée. La vie peut être beaucoup plus ample une fois que vous découvrez un fait simple. Et le voici: Tout ce que vous appelez la vie autour de vous a été faite par des gens qui n’étaient pas plus intelligents que vous. Et vous pouvez la changer, vous pouvez l’influencer, vous pouvez construire vos propres choses que d’autres personnes peuvent utiliser. Une fois que vous avez compris ceci, vous ne serez jamais la même personne ».
Et tout cela me rappelle environ un essai que j’ai mentionné dans la conclusion de mon livre, un essai que Wilhelm Reich, le grand psychanalyste, rédigea en 1945 : « Écoute, Petit Homme! » est un magnifique essai, petit par la taille, grand par l’inspiration. « Je vais te dire quelque chose, petit homme : tu as perdu le sens de ce qu’il y a de meilleur en toi. Tu l’as étranglé. Tu l’assassines partout où tu le trouves dans les autres, dans tes enfants, dans ta femme, dans ton mari, dans ton père et dans ta mère. Tu es petit et tu veux rester petit. » Le petit homme, c’est vous, c’est moi, c’est nous. Le petit homme a peur, il ne rêve que de normalité, il est en nous tous. Le refuge vers l’autorité nous rend aveugle à notre liberté. Rien ne s’obtient sans effort, sans risque, sans échec parfois. « Tu cherches le bonheur, mais tu préfères la sécurité, même au prix de ta colonne vertébrale, même au prix de ta vie. »
Tim Urban a tout à fait raison et vous devez lire son article sur les dogmes et les tribus. Il m’a fait aussi penser à mes récentes lectures de la grande philosophe français Cynthia Fleury et comment nous devons permettre l’équilibre entre les individus et les groupes et pourquoi la démocratie est un joyau fragile des sociétés …
PS: J’ai totalement oublié de mentionner une vidéo qu’une de mes collègues (merci à elle cette fois! 🙂 ) a mentionné il y a quelques jours. Par une de ces belles coïncidences de la vie, elle décrit l’une des raisons pour lesquelles selon Tim Urban certaines personnes sont des «cuisiniers» (des suiveurs ou des innovateurs incrémentaux) et d’autres des «chefs» (des innovateurs disrupteurs). Appréciez !
La biotechnologie et les start-up – Partie 1 : Amgen
Je ne sais pas grand-chose des biotechnologies (mon expérience est dans les technologies de l’information). Bien qu’une start-up soit une start-up, j’ai toujours eu le sentiment que la biotechnologie est un monde différent. On lit souvent qu’il faut facilement dix ans pour développer un médicament, de sorte que les start-up en biotechnologie ne vendent aucun produit pendant plus longtemps encore (avec des revenus éventuels ne provenant que de collaborations R&D avec les grandes sociétés pharmaceutiques). On entend aussi parler d’introductions en bourse, bien avant qu’un quelconque produit soit sur le marché – quelque chose d’inhabituel dans le monde de l’informatique (sauf pendant la bulle Internet). Enfin, les besoins de financement en capital-risque semblent être beaucoup plus grands que dans les technologies de l’information.
J’ai déjà écrit des articles sur le sujet et vous pouvez les trouver sous le tag biotech, mais je prévois d’écrire bientôt trois nouveaux posts, liés à des lectures et des analyses récentes:
– Ce post traite de ma lecture de Science Lessons – What the Business of Biotech Taught Me About Management par Gordon Binder, ancien PDG d’Amgen et Philip Bashe.
– Je vais ensuite donner une mise à jour de cap. tables avec plus de 350 entreprises (partie 2) et j’en profiterai pour me concentrer sur les entreprises de biotechnologie.
– Finalement, je devrais lire bientôt un autre livre, Genentech – les débuts de la Biotech par Sally Smith Hughes. Espérons qu’il sera aussi bon que celui sur Amgen. (voici le résultat de cette lecture, partie 3 – Genentech).
Le business de la biotech
Amgen est probablement la plus grande entreprise de biotechnologie aujourd’hui (avec une capitalisation boursière proche de 100 milliards de $ en 2015). « La société a fait ses débuts sur le Nasdaq le 17 juin 1983. Considérant qu’Amgen ne possédait pas de produits à l’époque, aller en bourse semblait prématuré pour certains observateurs. Et c’était vrai; une introduction en bourse n’était pas du tout dans l’agenda initial. Mais nos autres sources de capitaux s’étaient recroquevillées comme un feuillage pendant la saison sèche de Californie du Sud, laissant l’appel public comme notre seule option ». [Page 6]
L’arme secrète d’Amgen
« Dès le début, Amgen a été un aimant pour les surdoués, les hommes et les femmes innovantes. Comment une organisation attire-t-elle des employés exceptionnels? […] Certes, nous avons offert des salaires et des avantages attrayants ; et les options d’achat d’actions mises à disposition de chaque employé d’Amgen ont motivé sans aucun doute certaines personnes à rester alors qu’autrement, elles auraient cherché des occasions ailleurs. Comme de nombreuses études l’ont cependant montré, les salaires et avantages ne suffisent pas à fidéliser des employés à long terme. Il y a quelque chose de plus profond, quelque chose qui parle à l’âme même d’une entreprise. […] Parce que la culture d’une société se dégage de ses valeurs, nous avons interviewé des centaines de membres du personnel dans toutes les unités d’Amgen pour apprendre quelles sont les valeurs qu’ils croyaient constituer le noyau de cette culture. Aujourd’hui, il semble que chaque entreprise sous le soleil (ou sous un nuage) a un ensemble de valeurs. Certaines sont rédigées par le PDG, et d’autres sont concoctées par les relations publiques ou le département des ressources humaines. Parfois, elles sont écrites par des consultants qui ne travaillent même pas dans l’entreprise. Plus souvent encore, la déclaration ne reflète pas vraiment les valeurs des organisations; c’est soit une liste de ce que la société aspire à être ou un outil de relations publiques pour impressionner les clients, les fournisseurs, et les investisseurs. » [Page 9]
« Comme Amgen a grandi de façon exponentielle, nous avons constamment lutté avec le même dilemme auquel sont confrontées les entreprises les plus florissantes à un certain point: comment rester agiles lorsque vous n’êtes plus une petite start-up. Vous le faites par la décentralisation du pouvoir, bien sûr, mais aussi en établissant une culture entrepreneuriale qui embrasse le changement et encourage l’innovation. Pour cela, la direction doit donner du pouvoir à ses employés, puis les soutenir à 100 pour cent, parce les créateurs ne proposent pas d’idées librement si ils croient secrètement qu’ils seront destitués au premier flop de leur projet prometteur. Dans une industrie comme la biotechnologie, les échecs abondent. Si Amgen n’avait pas suivi son principe – « Les employés doivent avoir la liberté de faire des erreurs, » – nous n’aurions pas survécu. » [Page 14]
Les financements d’Amgen
Amgen a été créée le 8 avril 1980. Puis Bowes le cofondateur et 1er investisseur a « cajolé six venture-capitalistes à investir à peu près 81’000 $ chacun pour l’amorçage. » [Page 18] George Rathmann est devenu le PDG et seul employé de l’entreprise. Lorsque la société a eu besoin d’un vrai financement de série A, Rathmann était convaincu qu’il fallait beaucoup plus que le typique million du premier tour et chercha $15M. Aucun VC n’aurait accepté, alors il a convaincu d’abord des grandes entreprises. Abbott investit $5M (qui aurait une valeur de $700M en 1990). Tosco ajouta $3,5M. Et le fonds New Court (géré par Rothschild) suivra alors pour investir $3M. Le tour atteignit au total $19,4M le 23 janvier 1981. Puis l’introduction en bourse a apporté $42M en 1983, mais ce fut seulement un autre commencement car plus de financements publics suivraient: $35M en 1986 pour le «secondaire» et $120M pour un troisième financement l’année suivante.
Voici la table de capitalisation d’Amgen au moment de l’IPO:
Bien que les start-up biotech aient des horizons plus longs que les entreprises en IT, l’intensité extraordinaire des activités est très similaire. Binder montre des exemples tels que l’IPO d’Amgen (chapitre 2), la découverte de l’EPO (chapitre 4) et son approbation par la FDA (chapitre 5). Il y a cependant une différence majeure. En biotech, il est question de science et de recherche. « Il est juste de dire que dans de nombreuses entreprises, sinon la plupart, les équipes de ventes et marketing dominent dans l’élaboration des stratégies d’entreprise; les scientifiques ou les créatifs peuvent être derrière le volant, mais en fait les gens de la vente et de la commercialisation définissent la feuille de route, aboyant les directions depuis le siège du passager. Pas dans le domaine de la biotechnologie et certainement pas chez Amgen où même la localisation de l’entreprise a été choisie pour attirer des scientifiques du meilleur niveau. Notre siège social est situé plus ou moins à égale distance des trois centres de recherche principaux dans le sud de la Californie: l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA), l’Université de Californie à Santa Barbara (UCSB), et l’Institut de technologie de Californie (Caltech), à Pasadena ». [Pages 57-58]
Les partenaires d’Amgen
« Le succès est la capacité de survivre à vos erreurs. » George Rathman
Le chapitre 6 (« des partenariats au paradis – et dans cet autre endroit ») est à lire absolument. Binder explique l’importance des bons et des mauvais partenaires et cela, à nouveau, est lié aux valeurs et à l’éthique. Binder affirme que les gestionnaires sont beaucoup plus prudents quand ils embauchent quelqu’un que quand ils signent un partenariat.
« Notre recherche d’un partenaire pour l’entreprise commença ici, aux USA. À notre grande surprise, pas une seule entreprise pharmaceutique américaine n’a montré le moindre intérêt. […] Abbott Laboratories, un des investisseurs initiaux d’Amgen, a eu l’occasion d’être impliqué dans le projet Epogen. Le CEO et président Bob Schoellhorn déclina l’offre. Il avait été influencé par le chimiste en chef d’Abbott, qui ne pensait apparemment pas beaucoup de bien des médicaments à base de protéines de grande taille. Comme nous allions le découvrir plus tard, le biais n’était pas unique à Abbott; en fait, il a dominé l’industrie pharmaceutique traditionnelle. Le représentant d’une autre entreprise nous a informés que ses patrons avaient refusé l’offre sur Epogen parce que le marché était trop petit; leur département d’étude de marché avait prédit des ventes qui ne seraient jamais supérieures à 50 millions de $ par an. (Pour mémoire, le médicament génère 10 milliards de $ de revenus annuels. Quelles études de marché!) » [Page 126]
Leur premier partenaire serait Kirin, la compagnie de bière japonaise avec laquelle la confiance, la transparence et une bureaucratie minimale ont contribué à la construction d’un grand partenariat. Cela n’a pas été le cas avec Johnson & Johnson. « A ce jour, le mépris pour l’ancien partenaire d’Amgen est si profond que de nombreux employés proclament fièrement que leurs maisons sont à « 100 pour cent sans J&J ». Considérant que Johnson & Johnson et ses nombreuses entreprises vendent plus d’un millier de produits, du Band-Aids au Tylenol, ceci a tout d’un exploit. » [Page 133]
Amgen a également des partenaires académiques: « Memorial Sloan-Kettering possédait un mélange d’environ deux cents protéines. Mais ils n’avaient pas la technologie pour les séparer. Amgen l’avait. [… Amgen] a découvert le gène humain qui produit le G-CSF, situé sur le chromosome 17. Une fois isolé, le gène a été cloné en utilisant le même procédé que pour l’EPO humaine. Sloan-Kettering Memorial avait déposé un brevet faible, ne sachant pas ce qu’ils avaient exactement. Par conséquent, dit mon avocat général, Amgen était légalement libre de gérer son projet, sans avoir à payer une redevance à MSKCC. Cela ne me semblait pas éthique; sans Sloan-Kettering, nous aurions trébuché de nombreuses fois pour trouver le filgrastim (nom générique de Neupogen). Nous avons donc négocié une licence avec une redevance modeste. » [Pages 143-44]
Enfin, du moins pour cet article, voici la courbe de croissance d’Amgen – revenus et profits. Quand une start-up de biotechnologie est un succès, les chiffres sont impressionnants …