Comme souvent, excellente émission de Marc Voinchet sur France Culture ce matin. Tout d’abord excellente invitée, Cécile Lafontaine pour son livre Le corps-marché, La marchandisation de la vie humaine à l’ère de la bioéconomie qui au delà de son sujet pose des questions sur la tension entre individu et société. Elle apporte d’excellentes réponses aux débats ouverts par Thiel. Mais là je m’arrête et vous laisse découvrir l’entretien si le sujet vous intéresse.
De plus le très pertinent Xavier de la Porte a rédigé une excellente chronique que je me permets de copier directement du site de France Culture (pour pouvoir la traduire sur la partie EN de mon blog): Le cerveau, ce n’est pas 1 million de lignes de code
Quand on s’intéresse à ce que le monde du numérique dit du corps et de la vie, il y a des chances pour qu’on tombe assez vite sur des prédictions intimidantes : « bientôt, nous serons tous des cyborgs », et « en 2045, nous aurons complètement fusionné avec les machines » . Un des spécialistes de ce genre de déclarations, c’est un type du nom de Ray Kurzweil – dont je vous ai déjà parlé ici. Inventeur assez génial, homme d’affaire avisé, Kurweil est devenu depuis une vingtaine d’années le promoteur d’un courant qu’on appelle le transhumanisme – et qui considère que l’homme fusionnera bientôt avec les machines, donnant ainsi naissance à une post-humanité –, des idées que Kurzweil vend dans le monde entier à coup de livres et de conférences, des idées qu’il vend aussi à des entreprises sur-puissantes : Google l’a engagé pour diriger un programme sur l’apprentissage du langage par les machines. Le problème avec Kurzweil – et beaucoup de transhumanistes – c’est leur force de conviction qui passe par un discours scientifico-techno-philosophique dont on sent bien qu’il cloche, sans qu’on sache bien où. Or, dernièrement, je suis tombé sur la preuve que Kurzweil racontait n’importe quoi. Ca m’a réjoui et je tiens à partager cette réjouissance avec vous.
Ça concerne un aspect important du transhumanisme : la conviction toujours répétée que très bientôt, nous pourrons dupliquer nos cerveaux dans des ordinateurs. Kurzweil pense que ce sera possible en 2020, et d’ailleurs, il a conservé le cerveau de son père décédé dans cette perspective. Et à l’appui de sa thèse, voici le type de discours que Kurzweil peut tenir : “Le design du cerveau est dans le génome. Le génome humain, c’est 3 milliards de paires de bases, soit six milliards de bits, ce qui fait à peu près 800 millions de bits après compression. En éliminant les redondances […], cette information peut être compressée en à peu près 50 millions de bits. Or le cerveau, c’est à peu près la moitié de ça, environ 25 millions de bits, soit un million de lignes de codes ». Et voilà, en une démonstration implacable et intimidante, Kurzweil nous prouve qu’un million de lignes de codes suffiraient à dupliquer le fonctionnement du humain. (Je dis « suffiraient » parce que c’est peu 1 million de lignes de code, à titre de comparaison, Microsoft Office 2013, c’est 45 millions de lignes de code).
Sauf que pour une fois, quelqu’un s’est manifesté pour expliquer que Kurzweil racontait n’importe quoi. Cette personne s’appelle Paul Zacharie Myers, c’est un biologiste reconnu de l’Université du Minnesota, spécialisé en génétique du développement et il tient un blog du nom de Pharyngula. Et c’est sur son blog que Myers explique très calmement pourquoi Kurzweil raconte n’importe quoi. Voici sa démonstration. La prémisse du raisonnement de Kurzweil, est « Le design du cerveau est dans le génome ». Totalement faux, dit le chercheur. Le design du cerveau n’est pas encodé dans le génome. Ce qui est dans le génome, c’est une collection d’outils moléculaires, c’est la part régulatrice du génome, celle qui rend les cellules sensibles aux interactions avec un environnement complexe. Pendant son développement, le cerveau se déplie grâce à des interactions entre cellules, interactions dont nous ne comprenons aujourd’hui qu’une petite partie. Le résultat final, c’est un cerveau qui est beaucoup plus complexe que la somme des nucléotides qui encodent quelques milliers de protéines. On ne peut pas du tout déduire un cerveau des séquences de protéines de son génome. La manière dont vont s’exprimer ces séquences est dépendante de l’environnement et de l’histoire de quelques centaines de milliards de cellules, interdépendantes les unes des autres. Nous n’avons aucun moyen pour calculer en principe toutes les interactions et fonctions possibles d’une simple protéine avec les dizaines de milliers d’autres qui sont dans la cellule, qui serait la première étape essentielle à l’exécution de l’algorithme improbable de Kurzweil. A l’appui de sa démonstration, le chercheur prend quelques exemples de quelques protéines et on montre à quel point les interactions sont nombreuses, complexes et surtout, encore méconnues.
Ce qui est très intéressant, c’est que Myers tient bien à préciser qu’il n’est pas hostile à l’idée que le cerveau est une sorte d’ordinateur, et qu’on pourra un jour reproduire artificiellement ses fonctions. Mais, explique-t-il, il ne faut pas pour autant raconter n’importe quoi, comme le fait Kurzweil, et bâtir ses raisonnements sur des prémisses fausses. Et pan dans ta gueule Kurzweil. Si seulement plus de chercheurs pouvaient prendre la peine d’apporter leur savoir pour interroger les discours transhumanistes, ça nous éviterait peut-être d’entendre bien des absurdités et d’assister à une autre marchandisation de la vie humaine, celle qui consiste à vendre du rêve biotechnologique.
Malheureusement, aujourd’hui, ce n’est pas parce qu’on accès à plus d’informations qu’on est capable de produire des discours plus intelligent. La preuve, ce Kurzweil (dont, personnellement, je n’avais jamais entendu parler). Mais ce n’est pas le seul, loin de là. Et le pire de tout, d’ailleurs, c’est que la complexité créée par l’accès à l’information, fait qu’il est à peu près impossible de savoir si un expert dit n’importe ou quoi ou pas… à moins d’écouter d’autres experts sans vraiment savoir si ceux là sont plus crédibles que le premier. Bref, comment fait-on ? 🙂
Que vous répondre? Que j’essaie d’être le plus honnête possible… 🙂 cela fait plus de 20 ans que j’ai des doutes sur Kurzweil, que Google l’a pourtant recruté et Google déteste l’escroquerie intellectuelle, enfin je crois. Mais voilà entre le génie et le fou, l’escroc et le visionnaire, les frontières sont parfois floues et perméables. Wikipedia dit tout de même à propos de Kurzweil: « Kurzweil fut le développeur principal du premier OCR reconnaissant toutes les polices, du premier relecteur d’écran pour les non-voyants, du premier instrument électronique capable de recréer le son d’un piano à queue et d’autres instruments d’orchestre ainsi que d’un système de reconnaissance vocale. Il créa pas moins de neuf entreprises dans le secteur du traitement de signal. » Respect pour l’inventeur, prudence quant au visionnaire…
Un bref commentaire additionnel sous la forme d’une magnifique interview de Ronald Cicurel: « Un ordinateur calcule, mais seul l’homme crée »