Thiel conclut ses notes de cours (CS183 – Stanford, printemps 2012) par des considérations philosophiques sur l’unicité des fondateurs (classe 18) et la singularité de la technologie (classe 19). Les fondateurs sont un sujet que j’ai régulièrement couvert ici, par exemple dans European Founders at Work ou Founders at Work.
Encore une fois Thiel présente des idées insolites et stimulantes sur les fondateurs, qu’il voit comme une combinaison « d’outsiders extrêmes et d’initiés extrêmes ».
ce qu’il renforce par ce cercle vertueux / vicieux :
Si ce n’est pas clair , deux exemples peuvent aider:
– « Tous [ces] questions s’appliquent à Bill Gates. Était-ce la nature ou la culture? Il a été éduqué à Harvard mais est devenu un outsider en abandonnant l’université. Il portait de grosses lunettes. Est-il devenu un nerd involontairement ? A t-il prospéré en accentuant sa « nerdiness »? C’est difficile à dire. »
– « Et puis il y a le cas de Steve Jobs. […] Il avait tout de l’outsider extrême classique et des traits d’initié extrême. Il a abandonné ses études. Il était excentrique et pratiquait tous ces régimes fous. Il avait développé des téléphones illégaux avec Steve Wozniak. Il avait pris du LSD. »
Thiel est convaincant quand il explique que la start-up n’est pas une démocratie. Les fondateurs sont rois, et dans doute Thiel a-t-il sété influencé par René Girard à Stanford puisqu’il développe ensuite une théorie de boucs émissaires. Le dieu peut devenir une victime.
Thiel est un peu court sur le cas du double fondateur: « Le cas du double fondateur doit être noté. Les co-fondateurs semblent rencontrer beaucoup moins de problèmes que la situation plus déséquilibrée du fondateur unique. egardez Hewlett et Packard, Moore et Noyce, et Page et Brin. Il y a toutes sortes d’avantages théoriques à avoir plusieurs fondateurs tels que plus de puissance de réflexion, de collaboration, etc. Mais la vraie différence entre un seul fondateur ou plus est qu’avec plusieurs fondateurs, il est beaucoup plus difficile d’identifier un bouc émissaire. Est-ce Larry Page ? Ou est-ce Sergey Brin ? Il est très difficile pour un groupe de s’unir contre plusieurs personnes – le bouc émissaire doit être seul. Plus le fondateur est singulier et isolé, plus dangereux phénomène de bouc émissaire. Pour le sceptique incliné à voir la fiction déguisée en vérité, cela soulève des questions intéressantes. Page et Brin sont-ils, par exemple, vraiment égaux ? Ou est-ce une stratégie pour plus de sécurité ? Nous allons laisser ces questions sans réponse et de toute façon très peu abordées ».
La vision de Thiel (ainsi que les visions de ses invités – je les ai mélangées ici) sur la technologie a été mentionneé dans mon post précédent. Encore une fois, c’est tout à fait fascinant. « Les gens ont tendance avoir une certaine vision de l’avenir. Ils projettent souvent une relative stagnation. Les gens ont tendance à croire que, non seulement la plupart des choses ne changera pas, mais ce qui va changer ne changera pas très vite. » Mais « il y a des arguments convaincants que nous allons très probablement voir des progrès extraordinaires ou accélérés dans les décennies à venir. »
Un invité : « Mon point de vue est que l’innovation vient de deux endroits : de haut en bas et de bas en haut . Il y a une énorme communauté de bricoleurs. Ces amateurs travaillent dans les laboratoires qu’ils mettent en place dans leurs cuisines et les caves. À l’autre extrémité du spectre, vous avez le DARPA qui dépense des tonnes d’argent. Les scientifiques parlent aux uns et aux autres dans différents pays et collaborent. Cette inter-connectivité compte. Toutes ces interactions en fin de compte apporteront le changement .
Un autre invité : « Je suis en désaccord. Il y a très peu de gens visionnaires qui peuvent faire une réelle différence en amont C’est pourquoi les leaders d’opinion traditionnels sont absolument cruciaux. Aucun autre groupe de personnes ne pourrait faire davantage pour les technologies radicales. En maîtrisant la réticence du public et en influençant le discours, ces personnes peuvent stimuler tout un chacun à construire la technologie. Si nous changeons l’opinion publique, les grands visionnaires pourront agir. »
Le troisième invité : « Je ne pense pas que le progrès viendra de haut en bas ou de bas en haut, vraiment. les bienfaiteurs qui se concentrent sur une chose, comme Paul Allen, font certainement de bonnes choses. Mais ils ne poussent pas vraiment sur l’avenir, ils changent la conviction que l’avenir peut venir plus vite. Le sentiment est que ces gens ne sont pas vraiment en coordination suffisante les uns avec les autres. Historiquement, les grandes approches planifiées n’ont pas fonctionné. Et l’approche « bottom-up » ne fonctionne généralement pas non plus. C’est au milieu que se provoque le changement, avec des tribus comme les Quakers, les pères fondateurs, ou la Royal Society. Ces groupes efficaces se comptaient en dizaines de membres ou en petites centaines. Ce n’est presque jamais le génie isolé travaillant en solo. Et ce n’est presque jamais le ministère de la Défense ou une grande institution. Vous avez besoin de dépendance et de confiance. Ces traits ne peuvent pas exister chez une seule personne ou parmi des milliers ».
Peter Thiel : « Voici trois opinions différentes sur ce qui modifie l’avenir: une combinaison bottom-up et top-down, les leaders d’opinion sociale et les tribus. »
Pour être honnête, je suis plus convaincu par son analyse des fondateurs que des technologies. Sa conclusion mérite elle d’être lue comme source d’inspiration: « Ce cours a été en grande partie une analyse du concept de 0 à 1. Nous avons beaucoup parlé de la façon de créer de nouvelles technologies, et comment des technologies radicalement meilleures peuvent mener à la singularité. Mais nous pouvons appliquer le cadre de 0 à 1 de façon plus large que cela. Il y a quelque chose de singulier et d’important dans chaque nouvelle qui vient au monde. Il y a une mini-singularité à chaque fois que vous démarrez une entreprise ou que vous prenez une décision qui touche à votre vie. Dans un sens très profond, la vie de chaque personne est une singularité. La question évidente est ce que vous devriez faire avec votre singularité. La réponse évidente, malheureusement, a été de suivre un chemin bien tracé. Vous êtes constamment encouragés à jouer la sécurité et rester classique. L’avenir, nous dit-on, est fait seulement de probabilités et de statistiques. Vous êtes une statistique. Mais la réponse évidente est erronée. C’est de la courte vue. Les processus statistiques, la loi des grands nombres et la mondialisation – ces choses sont intemporelles, probabilistes et peut-être aléatoires. Mais, comme la technologie, votre vie est un récit d’événements ponctuels De par leur nature, des événements singuliers sont difficiles à enseigner ou généraliser. Mais le grand secret c’est qu’il y a beaucoup de secrets à découvrir. Il y a encore beaucoup de grands espaces blancs sur la carte de la connaissance humaine. Vous pouvez aller les découvrir. Donc faites-le. Sortez et remplissez les espaces vides. Chaque moment est une possibilité d’aller vers de nouveaux lieux et de les explorer. Il n’y a sans doute pas de bon moment pour lancer votre entreprise ou changer votre vie. Mais certains moments semblent plus propices que d’autres. C’est maintenant le moment. Si nous ne nous prenons pas en charge et ouvrons la voie de l’avenir – si vous ne prenez pas en charge votre vie – il y a le sentiment que personne ne le fera. Alors, allez trouver une frontière et allez-y. Choisissez de faire quelque chose d’important et de différent. Ne soyez pas découragés par les notions de chance, d’impossibilité, ou d’échec. Utilisez votre pouvoir de façonner votre propre vie et aller et faire de nouvelles choses ».
En lisant ces dernières lignes, je me suis souvenu de la conclusion de mon livre: Je me suis alors souvenu de la lecture d’un essai que Wilhelm Reich, le grand psychanalyste, rédigea en 1945 : « Écoute, Petit Homme » est un magnifique essai, petit par la taille, grand par l’inspiration. « Je vais te dire quelque chose, petit homme : tu as perdu le sens de ce qu’il y a de meilleur en toi. Tu l’as étranglé. Tu l’assassines partout où tu le trouves dans les autres, dans tes enfants, dans ta femme, dans ton mari, dans ton père et dans ta mère. Tu es petit et tu veux rester petit. » Le petit homme, c’est vous, c’est moi, c’est nous. Le petit homme a peur, il ne rêve que de normalité, il est en nous tous. Le refuge vers l’autorité nous rend aveugle à notre liberté. Rien ne s’obtient sans effort, sans risque, sans échec parfois. « Tu cherches le bonheur, mais tu préfères la sécurité, même au prix de ta colonne vertébrale, même au prix de ta vie. »