Voici un court texte que j’avais écrit en 2012, et mon ami Will de Finlande avait fait des commentaires à son sujet que j’ai ajoutés. Merci! Je l’ai relu ce matin et j’ai pensé qu’il pourrait être intéressant de le publier maintenant …
Intel, Apple, Microsoft, Oracle, Genentech, Cisco, Google, Facebook, Skype. Vous connaissez sans doute ces entreprises. Elles ont été à l’origine d’innovations majeures pour nos sociétés. Peut-être connaissez-vous moins Niklas Zennström et Janus Friis, Mark Zuckerberg et Dustin Moskovitz, Larry Page et Sergey Brin, Leonard Bosack et Sandy Lerner, Bob Swanson et Herb Boyer, Larry Ellison mais bien mieux Bill Gates et Paul Allen, Steve Jobs et Stephen Wozniak, Bob Noyce et Gordon Moore. Ils sont des entrepreneurs, les fondateurs de ces entreprises qui furent toutes des start-up. L’Europe ne semble pas avoir compris l’importance de l’innovation high-tech produite par ces jeunes entrepreneurs. Skype est l’exception dans la liste et les Américains ont su produire des centaines de tels succès. Pourquoi avons-nous échoué et que pouvons-nous faire pour changer le cours de l’histoire ?
L’innovation est une culture, où l’essai et l’incertitude ont une grande part. L’échec aussi malheureusement ou peut-être heureusement. Comme la vie ! La culture européenne dans toute sa diversité a apporté un bien être à ses citoyens depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Ce confort sera peut-être cause de sa perte. Une culture ne peut vivre que de créativité et de renouveau. Comme l’a bien illustré un article récent de The Economist [1], nous les européens n’arrivons plus à innover, nos entreprises vieillissent dans l’innovation technologique telles Nokia ou Alcatel et nous ne créons plus de nouvelles innovations.
Les causes sont sans doute multiples, mais la peur d’essayer est la plus grave. Et je ne suis pas sûr que nous en ayons conscience. Sont-ils si nombreux les européens qui ont compris que l’innovation passe par l’entrepreneuriat ? Je crains que nous préférions avoir des enfants bien éduqués pour entrer dans les grandes entreprises établies que des individus créatifs prêts à tenter leur chance. Pire encore, quels modèles pourraient-ils avoir ?
Bob Noyce fut un modèle et un mentor pour Steve Jobs.
Dans ce lieu unique qu’est la Silicon Valley, des milliers d’entrepreneurs essaient chaque année. « La différence est question de psychologie: tout le monde dans la Silicon Valley connait quelqu’un qui a très bien réussi dans une start-up. Alors ils se disent: je ne suis pas plus idiot que lui et il a fait des millions, alors je dois aussi pouvoir le faire. Du coup, ils essayent et en pensant qu’ils peuvent réussir, ils augmentent leurs chances de succès. Cette psychologie-là n’existe pas souvent ailleurs. » a écrit Tom Perkins, célèbre investisseur de cette région.
L’Europe n’est pas tout à fait inconsciente du problème. L’année 2000 fut l’occasion pour l’Union Européenne de déclarer à Lisbonne son objectif de devenir d’ici à 2010 « l’économie basée sur la connaissance la plus compétitive du monde ». Echec total. Une multitude de mécanismes de soutien fut mise en place, mais les Européens semblent avoir oublié que l’innovation est avant tout histoire d’aventuriers, de pionniers. Les entrepreneurs sont des passionnés. « Fonder une start-up n’est pas un acte rationnel. Le succès ne vient qu’à ceux qui osent et qui sont assez fous pour penser de manière déraisonnable. Les entrepreneurs doivent sortir du cadre, des conventions et des contraintes habituelles pour atteindre l’extraordinaire, » nous dit Vinod Khosla autre icône de la Silicon Valley. Une start-up est un bébé dont les fondateurs sont les parents. Pas très étonnant qu’ils se lancent souvent en couple tant l’aventure va être difficile. Ils sont souvent migrants. Sans doute parce que les migrants n’ont pas les connections qu’il faut là où ils sont. La moitié des entrepreneurs de la Silicon Valley ne sont pas américains. Que n’avons-nous peur de cette richesse en Europe !
La Silicon Valley est une culture ouverte où même des concurrents comme Apple, Google ou Facebook se parlent et coopèrent. Ils sont souvent jeunes. Ce n’est pas une nécessité, mais la jeunesse (ou l’inconscience) bride souvent moins la créativité. Ila travaillent aussi avec passion sur leur innovation, augmentant encore la probabilité de succès. C’est cela la vraie « open innovation », pas celle qui est décrétée d’en haut.
La Silicon Valley est un endroit unique aux Etats Unis, que personne n’a jamais pu copier. Et pourtant chaque Etat, chaque région d’Europe essaie désespérément de créer la sienne ! Unissons nos efforts. En ne cherchant plus à créer le graal du cluster technologique européen et en coopérant à distance une fois pour toutes. Mais nos égoïsmes sont encore trop grands pour céder à une telle vision. Au moins travaillons ensemble sans gaspillage inutile !
Dans un discours récent [2] , Risto Siilasmaa, le jeune président de Nokia, a appelé à une réaction similaire et a ajouté que « l’entrepreneuriat est un état d’esprit, ce qui implique le pragmatisme, l’ambition, des rêves, la persévérance, l’optimisme et une culture du renoncement pour mieux recommencer ». Sans une grande ambition, ce n’est pas la peine d’essayer.
Une priorité est de se concentrer sur le développement d’une infrastructure où les entrepreneurs qui prennent des risques peuvent prospérer. Les entrepreneurs ne peuvent pas réussir seuls. Ils ont d’abord besoin d’investisseurs qui leur permettront de se lancer dans l’aventure. L’Amérique a su créer l’outil idéal qu’est le capital-risque : d’anciens entrepreneurs sont devenus les soutiens des nouveaux en devenant des financiers d’un type particulier, des financiers qui aident [3]. Ils ont ensuite besoin de managers qui connaissent cette culture des start-up. Il ne suffit pas d’avoir la compétence apportée par des années passées dans les grands groupes, elle peut parfois même être dangereuse si la culture de l’innovation ne l’accompagne pas. Il faut aussi des employés ayant eux aussi digéré cette culture, des employés qui seront intéressés par des mécanismes de stock-options. J’ai bien dit stock-option, ce mot devenu gros à force d’engraisser ceux qui ne le méritaient pas. Les stock-options devraient aller à ceux qui essaient. Sans doute faudra-t-il aussi flexibilité de l’emploi pour les start-up tant celles-ci doivent faire face à des incertitudes et des cycles rapides. Mais il ne faudrait pas croire que l’absence de ces mécanismes soit à l’origine de nos échecs. C’est l’absence de cette culture d’innovation qui nous blesse. N’ayons pas peur de l’échec. L’échec est la mère du succès dissent les chinois. Croyez-vous qu’un enfant tienne sur sa bicyclette au premier essai?
L’échec fera toujours partie de l’innovation. C’est la raison pour laquelle il faut une masse critique. Dans un seul lieu ou non. Et l’échec ne devra pas être stigmatisé. Je crois qu’il faut aller voir cette culture de la Silicon Valley, y passer du temps pour comprendre. Des semaines ou des mois. Sans craindre que nos enfants ne reviennent pas. Il vaut mieux essayer là-bas que de ne rien faire ici. Et ils reviendront nous apprendre au pire ! Nous devons aussi développer les échanges d’entrepreneurs entre régions d‘Europe, comme nous l’avons très bien fait pour nos étudiants.
On pourra me reprocher d’être trop fasciné par la culture américaine et par l’innovation technologique. L’Europe a une autre manière de faire me dit-on. Elle innove avec ses grands groupes comme Airbus ou ses PMEs allemandes ou suisses, ou dans les services. Parce que vous croyez que les Etats-Unis ne les ont pas ? On me dit que le capital-risque est en crise, que la Silicon Valley n’innove plus et il est vrai qu’en dehors du web, la créativité semble bien ralentie. Schumpeter, le grand économiste, avait bâti une formidable théorie, où les grands entreprises établies meurent et sont remplacées par de nouveaux entrants quand elles n’innovent plus. Le XXIème siècle serait-il différent du précédent ? Peut-être… mais nos problèmes d’énergie, de vieillissement, de santé ne vont-ils pas requérir de nouvelles innovations et de nouveaux entrepreneurs ? Je le crois.
L’Europe a besoin d’une nouvelle ambition, d’un nouvel enthousiasme et nous les européens vieillissants le devons à nos enfants, à notre jeunesse. Dès l’école primaire, laissons nos enfants exprimer leur créativité, apprenons leur que dire non est positif et qu’une carrière n’a de sens que si elle inclut passion et ambition. Ne les encourageons pas à suivre les chemins de la certitude qui sont peut-être mortifères. Steve Jobs dans un magnifique discours en 2005 [4], indiquait que nous allions tous mourir un jour, et qu’avant ce jour, il fallait toujours savoir rester fou et curieux. Suivons son conseil. Aidons nos enfants !
Hervé Lebret soutien l’entrepreneuriat high-tech à l’EPFL. Il est l’auteur du blog Start-Up, www.startup-book.com/fr
[1]: Les misérables – Europe not only has a euro crisis, it also has a growth crisis. That is because of its chronic failure to encourage ambitious entrepreneurs. The Economist, July 2012. www.economist.com/node/21559618
[2] Risto Siilasmaa à la conférence REE. Helsinki, Sept. 7, 2012.
[3] Ne manquez pas le film SomethingVentured qui décrit à merveille et avec humour les premières années du capital risque, www.somethingventuredthemovie.com
[4] Stay Hungry, Stay Foolish. ‘You’ve got to find what you love.’ http://news.stanford.edu/news/2005/june15/jobs-061505.html
En résumé, quelques points clés:
• L’Europe est derrière les USA et l’Asie dans l’innovation.
• Les entrepreneurs ne sont pas considérés comme des héros en Europe.
• Essais et erreurs, incertitude, et échec font partie (essentielle) de l’innovation
• Notre niveau de confort élevé accélérera notre propre fin (et non la destruction créatrice de nouveau).
• La peur d’essayer est le problème le plus grave avec l’innovation.
• Le mandat de l’Europe de devenir la première économie du monde fondée sur la connaissance a échoué.
• L’Innovation ne se décrète pas, elle est bottom-up, pas top-down.
• Les jeunes sont créatifs, car ils n’ont pas encore l’expérience de l’échec.
• Nous devons créer une infrastructure où les entrepreneurs qui prennent des risques peuvent prospérer.
• Tous les étudiants qui montrent un intérêt pour et la capacité d’innovation devraient connaître la culture de la Silicon Valley. Nous ne devrions pas craindre qu’ils ne reviennent pas.
• Les grandes universités en Europe peuvent être des facteurs de changement, des catalyseurs, en se mettant d’accord sur ce qui est important (l’éducation, l’innovation, l’entrepreneuriat) et investir dans ces domaines.
Comme écho à tout cela, l’article publié aujour’dhui, de Fleur Pélerin: L’échec est la mère de toutes les victoires: développons la culture du rebond! http://www.huffingtonpost.fr/fleur-pellerin/echecs-rebond-creation-entreprise_b_4589576.html?1389634038
Pour ce qui est de la Suisse, en plus des mentalités assez conservatrices, je pense que les conditions de travail sont trop bonnes pour que les gens veuillent travailler pour des startup.
HouseTrip a dû par exemple s’expatrier à Londres pour pouvoir assurer sa croissance au niveau RH.
Qu’en pensez-vous?
Vous avez à la fois raison et tort! En effet, la situation est peut-être trop bonne ici. Mais la situation dans la Silicon Valley aussi, on trouve assez facilement une bonne situation quand on a une compétence recherchée. Par contre la Silicon Valley n’st certainement pas conservatrice et on est d’autant plus encouragé à essayer que l’échec n’est pas un stigmate. Donc confortable oui, mais c’est le cas ailleurs. Plus conservateur sans doute et donc faire une start-up n’est pas toujours bien vu…