Voici ma dernière chronique pour 2013 à Entreprise Romande. Sujet qui m’est cher, l’importance des migrants.
Les chemins de l’innovation et de l’entrepreneuriat sont pavés d’une myriade de dilemmes. Clayton Christensen avait il y a quelques années exploré le premier sujet dans son Innovator’s Dilemma et l’année dernière Noam Wasserman a publié un intéressant Founder’s Dillemmas. L’incertitude face au marché, la jeunesse face à l’expérience, la rupture face à l’incrémental, le nouveau face à l’établi font partie de ces choix difficiles. Un sujet plus controversé et politiquement sensible est l’apport de l’étranger, du migrant dans le domaine de la création.
A l’heure du débat en Europe comme en Suisse sur la menace que représenterait celui qui est différent et qui vient d’ailleurs, il est peut-être bon de rappeler quelques éléments beaucoup plus positifs sur l’importance de l’ouverture à l’extérieur. L’histoire suisse [1] nous rappelle que l’industrie horlogère est liée à l’arrivée des Huguenots au XVIe siècle, qu’une partie de l’industrie des textiles à Saint-Gall a son origine en Angleterre. Il y a aussi des Français à l’origine de l’industrie de la chimie bâloise. Peut-être est-il intéressant de rappeler que Christoph Blocher a de lointaines origines allemandes mais que dire de Nicolas Hayek, le sauveur de l’industrie horlogère, bercé par les cultures libanaise et française.
Beaucoup plus loin d’ici, la Silicon Valley, championne mondiale de l’entrepreneuriat innovant doit beaucoup à ses migrants. Bien sûr l’Amérique est terre de pionniers, mais la région de San Francisco a poussé la logique à l’extrême. Plus de la moitié des entrepreneurs de cette région sont d’origine étrangère et par exemple, Google, Yahoo, Intel comptaient un fondateur issu de ces migrations. Alors que l’Europe se ferme en raison de ses difficultés économiques, aux Etats Unis, le Start-up Act 2.0 envisage de simplifier l’obtention d’un visa pour les étrangers et de régulariser les enfants de migrants pour leur permettre de faire des études supérieures. Le Japon autre grand pays d’innovation il y a quelques décennies a peut-être pâti de sa fermeture au migrant ; le pays vieillit et n’a pas vraiment su se renouveler.
La Suisse est terre de migration, ne l’oublions pas, et c’est une de ses forces. Aujourd’hui encore, les campus de l’EPFL et de l’ETHZ comptent une grande part d’étudiants mais aussi de chercheurs et d’enseignants d’origine étrangère. La proportion augmente bien plus si l’on se concentre sur ceux qui créent des entreprises. Pour ceux qui ont reçu une bourse entrepreneuriale à l’EPFL, la proportion passe à 75% et même 25% de non-européens.
Les étrangers seraient-ils plus talentueux et créatifs ? La réponse est plutôt dans une plus grande expérience de ce qui est inconnu et incertain. Un migrant a accepté de quitter sa terre natale en laissant parfois tout derrière lui. Et il sait par son vécu que l’on peut se relever de cette perte. Il sait ainsi qu’il est toujours possible de recommencer et la peur d’échouer en est moindre. Il a aussi appris à domestiquer la nouveauté. Il faut ajouter qu’un migrant a moins accès aux cercles établis et reste bloqué par « les plafonds de verre ». Il doit donc plus souvent provoquer sa destinée. De ce point de vue, il ne prend pas la place de l’autre, il crée de nouvelles opportunités profitables aux autres !
[1] http://histoire-suisse.geschichte-schweiz.ch/industrialisation-suisse.html