Voici un nouveau livre et il s’intitule start-up! L’auteur Bruno Martinaud a la gentillesse de citer le mien dans son introduction pour montrer les différences entre l’Europe et les Etats Unis (du moins la Silicon Valley). Mais la copie s’arrête là car si Bruno Martinaud a, je crois, un point de vue similaire au mien sur le monde des start-up, son ouvrage est, comme il le décrit, une (anti-)bible à l’usage des fous et des futurs entrepreneurs.
Vous y trouverez nombre de conseils utiles que je n’ai pas fourni, mon objectif était plus l’inspiration, la stimulation alors que Bruno Martinaud va plus loin tout en montrant la folie de l’ouvrage, du moins sa difficulté et ses incertitudes. Non pas une bible donc, car il n’y a pas une réponse, mais une anti-bible! Je vais comme à mon habitude en faire mon analyse, non pas un résumé, mais sous la forme plutôt de quelques impressions. Tout d’abord, dommage que le livre n’existe qu’en français, une version anglaise serait utile à nombre d’Européens au moins! Mais cela viendra peut-être…
Martinaud veut « changer le rapport au risque » en mentionnant « qu’un étudiant [américain] connaîtra 10 à 14 emplois différents avant 38 ans ». Alors autant tenter l’aventure! Il faut donc dédramatiser l’échec [pages 3-4]. Il utilise la théorie du Black Swan de Taleb pour expliquer que si Microsoft ou Google sont des événements improbables, leur impact est lui considérable [page 7]. High risk, high reward en quelques sorte, mais au delà de l’aspect spéculatif, c’est l’impact sur nos sociétés de l’innovation par les start-up qui est illustré. Je suis moins d’accord avec lui quand il affirme [page 13] « qu’un entrepreneur qui a déjà réussi a 50% de plus de chances de réussir dans son projet suivant qu’un primo-entrepreneur ». Si je sais le sujet du serial entrepreneur en vogue, j’ai des données contradictoires sur le sujet (j’ai à peu près des taux similaires de 28% de succès pour les 2 groupes; par contre le taux chute pour les serial entrepreneurs qui ont échoué – article à venir!).
Un entrepreneur agit (avant de réfléchir) explique-t-il au chapitre 1. Il voit et il agit. Et d’ajouter en citant le STVP, « savoir échouer vite et fréquemment, à moindre coût et toujours avec élégance. » Je le suis totalement sur les complémentarités des fondateurs: l’association des profils scientifique et business ne fonctionne pas, car les deux aspects doivent être compris et portés simultanément par les mêmes cerveaux. Ce qui compte est le type d’intelligence et pas la compétence. Je vous laisse découvrir les pages 30-33.
« Tout comme dans le choix d’une vague, la probabilité de se tromper est importante et incompressible. L’entrepreneur avant tout s’engage, accepte les risques et les zones d’ombre qui subsistent. L’essentiel de ce qui fait le succès final lui est inconnu et, plus encore, inaccessible à ce stade et bien peu de choses séparent souvent les plus grandes opportunités des pires pièges à rat. » [page 80] Mais tel le surfeur, l’entrepreneur est aussi un visionnaire qui sait provoquer sa chance.
Martinaud vous explique dans des synthèses bien venues le marché, le produit, la finance et vous y (re)découvrirez avec profit les grands classiques de l’innovation écrits par Clayton Christensen (The Innovator’s Dilemma), Geoffrey Moore (Inside the Tornado, Crossing the Chasm), Guy Kawasaki (The Art of Start), Steve Blank (Les quatre étapes vers l’épiphanie), Eric Ries (The Lean Start-up) ou Randy Komisar(The Monk and the Riddle, Getting to Plan B) . Vous y (re)découvrirez que l’entrepreneuriat est exploratoire et itératif, où l’éxécution est tout: « une idée vaut 1, un projet vaut 10, et une éxécution vaut 100 » [page 263]. Il rappelle aussi la fréquente « impossibilité psychologique pour le porteur de projet de remettre en cause sa vision » et les pièges relatifs à cet attachement trop grand [page 158].
Aussi parle-t-il de se projeter sans prévoir (chapitre8) car l’entrepreneuriat est de « nature chaotique, non-linéaire, complexe » (ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’outils à maîtriser!) [page 189]. Et ainsi, « un projet entrepreneurial nécessite en moyenne trois à quatre fois ce que l’on estime au départ! » [page 226]. Martinaud aborde le débat du business plan, que les investisseurs souvent ne lisent pas. Il prône son usage comme exercice utile de structuration mais aussi utile à la crédibilité de l’entrepreneur. Comme outil de planification? Peut-être moins! Il nuance le propos de Kawasaki qui préfère le pitch au business plan [page 245] mais lisez tout de même Kawasaki ou le chapitre 11!
Martinaud décrit donc très bien cet animal à cinq pattes qu’est l’entrepreneur, ce schizophrène au comportements et rôles contradictoires [page 265]. Mais il espère aussi par cette jolie anti-bible montrer que l’entrepreneur est un personnage essentiel à nos sociétés et ainsi changer cette situation où « trois fois moins d’étudiants français [européens?] que leurs homologues européens créent des entreprises » [page 292].