J’ai répondu récemment aux questions de Julien Tarby pour Le Nouvel Economiste sur la question de l’internationalisation des start-up. L’article est riche, ma contribution très limitée (mais vous y retrouverez mes obsessions ou références habituelles en italique). Vous en trouverez le texte intégral en cliquant sur le titre.
Création d’entreprise – Le monde est plat
Publié le 02/11/2011
Se penser mondial dès le départ
En voilà une drôle d’idée, alors qu’il est de notoriété publique qu’une entreprise, juste après sa création, doit faire ses preuves sur son marché domestique avant de partir hors des frontières affronter les champions étrangers. Certains entrepreneurs – fondateurs de sociétés “born global”, – cherchent d’emblée à faire du monde leur jardin : ils ont su se libérer du carcan des modèles “incontournables”. Profitant de la dématérialisation des échanges, de la valorisation croissante des innovations et de la spécificité de leur savoir-faire (IT, biotech, cleantech…), ces audacieux ne respectent pas les parcours classiques pour franchir les frontières et d’emblée recherchent directement les avantages comparatifs à l’échelle planétaire pour se financer, s’approvisionner et vendre. Ils ont davantage de possibilités qu’auparavant de se lancer dans cette course contre la montre, mais rencontrent en revanche toujours autant de difficultés à transformer l’essai dans la durée.
“I will call you back eventually.” Douche froide pour Sébastien Deguy – créateur en 2003 d’Allegorithmic, une entreprise de logiciels 3D à Clermont-Ferrand juste après l’obtention de sa thèse -, déçu par le manque d’enthousiasme de son prospect américain… jusqu’à ce qu’il réalise qu’“enventually” ne signifie pas “éventuellement”, mais “finalement” en anglais. La langue de Steve Jobs n’était pas son fort. Ce qui ne l’a pas empêché d’ouvrir dès le début de l’aventure un stand au salon Siggraph à San Diego, puis de travailler avec des représentants aux Etats-Unis, à Taïwan et en Chine. Allegorithmic fait donc partie de ces entreprises “born global”.
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A l’étroit
Etre pionnier signifie souvent être seul dans son pays et son marché. Autre raison d’extériorisation précoce. Excico dans les semiconducteurs, après avoir essuyé le refus d’un grand compte français, n’a eu d’autre choix que de prospecter le reste du monde : les grands clients susceptibles d’être intéressés par ses machines lasers à 3 millions d’euros se faisaient rares. “Nos 15 millions de ventes aujourd’hui proviennent entièrement de l’étranger”, commente Dominique Bérard. Le fait que beaucoup de ces soldats “born global” aient d’ailleurs pour patrie de petits pays en termes de population est révélateur. “Ayant commencé mon activité en Australie, j’ai constaté que mes clients partaient très vite s’installer aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni pour trouver des débouchés.
Un concepteur de logiciels ferroviaires a dû dès les premières années répondre à des appels d’offre en Europe du fait de la faiblesse de l’industrie ici”, illustre Christelle Damiens. Ainsi les sociétés israéliennes produisent localement, mais engagent directement des personnes business aux Etats-Unis. “De même elles se financent outre-Atlantique, à tel point que beaucoup d’entre elles sont perçues comme américaines”, décrit Hervé Lebret. Destinée partagée par Logitech, réputé pour ses claviers et souris d’ordinateur aux Etats-Unis, suisse à l’origine.
“Nous avons dû jouer très tôt la carte de l’internationalisation. La technologie était suisse, mais les Etats-Unis, et plus tard le monde, ont défini notre marché, alors que la production est vite devenue asiatique”, écrit son fondateur Daniel Borel. Question de vie ou de mort pour ces sociétés hyperspécialisées. Le laboratoire français HRA Pharma, avec sa pilule du lendemain, a parfaitement intégré cette dimension selon Béatrice Collin, professeur de stratégie et de management international à l’ESCP Europe : “Il a racheté des brevets non exploités : les détenteurs estimaient que le marché n’était pas suffisant pour être rentable. HRA Pharma, avec sa structure légère, a pu très vite se déployer dans une dizaine de pays.” La société réalise aujourd’hui 44 millions d’euros de chiffre d’affaires, dont les deux tiers à l’export.
Ecosystème
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L’émulation et les contacts sourient à ces audacieux comme nulle part ailleurs, comme l’illustre Hervé Lebret : “Dans les années 70, de nombreux ingénieurs de chez Fairchild, National… se rencontraient autour d’une bière au célèbre “Wagon Wheel Bar” pour évoquer les problèmes qu’ils rencontraient dans la production ou la vente de semi-conducteurs. Même les compétiteurs les plus vifs échangeaient des idées. Je croyais cette époque révolue, jusqu’à ce que des salariés de LinkedIn m’expliquent en septembre qu’il leur arrivait, lorsqu’ils étaient confrontés à un problème, de faire appel à leurs homologues de chez Facebook.” Une sorte de coopétition propre à la Silicon Valley.
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Agir vite, rester agile, tel est donc le credo. Ce manque de diversité peut être compensé par un bon réseau de partenaires locaux. Le parcours classique – accord commercial, joint-venture, filiale – n’est pas forcément piétiné mais au moins fortement anticipé. Pour ces entrepreneurs, il ne s’agit pas seulement d’exporter, mais de prendre pied sur des marchés stratégiques. Perspective passant par la sélection d’un distributeur ayant la capacité de devenir un partenaire, soit en créant une filiale commune, soit en investissant.
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Le petit malin qui parviendra à résoudre ces subtiles équations imposera son développement transfrontalier en quelques années. Le plus dur reste à faire : consolider cette présence dans la durée, ce qui pèche le plus chez les “born global” tricolores. “Les start-up hexagonales qui évoluent dans les dispositifs médicaux, les diagnostics… sont irrémédiablement rachetées dès qu’elles font la preuve du concept”, constate Hervé Le Lous, président des laboratoires Urgo.
La volonté des venture capitalists de se retirer après 5 à 7 ans sonne comme une date butoir. Les “born global” ont percé grâce à un avantage particulier qu’elles ont dû exploiter à l’étranger pour être rentables. Il leur reste à consolider cette expansion éclair en se faisant racheter, à trouver une autre niche – “HRA Pharma a su muter sur les maladies endocriniennes après la pilule du lendemain”, observe Béatrice Collin – ou, beaucoup plus compliqué, à transformer l’essai par elles-mêmes, en faisant grandir toutes leurs implantations. “Il nous faut atteindre la taille critique des 100 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2016 pour assurer notre pérennité, sinon nous allons “vivoter””, assure ainsi Dominique Bérard d’Excico.
Par Julien Tarby