Voici ma troisième contribution à Créateurs, la newsletter genevoise, qui m’a demandé d’écrire une série de courts articles sur des start-up célèbres et leurs fondateurs. Après Adobe et Genentech, voici donc un article sur les femmes et l’entrepreneuriat high-tech.
Femmes Entrepreneurs ? Carol Bartz, Sandy Kurtzig…
… mais aussi Ann Winblad, Catarina Fake, Kim Polese, Candice Carpenter, Mena Trott. La liste pourrait continuer, mais elle ne serait pas très longue. Pourquoi aussi peu de femmes dans l’entrepreneuriat high-tech. Et peut-être pire encore, pourquoi si méconnues ? La réponse est simple : la situation n’est que le reflet de leur présence minoritaire dans les sciences et les techniques ou aux postes de responsabilité à tous les niveaux de la société. Quelques anecdotes toutefois montrent bien qu’elles n’ont rien à envier à leurs congénères masculins. En voici l’illustration.
Sandy Kurtzig est une school dropout. Elle abandonne le programme de doctorat qu’elle a entamé à Stanford pour rejoindre General Electric. Elle y découvre que l’informatique doit pouvoir apporter quelque chose à la production des biens (inventaire, logistique) et fonde Ask Computer en 1972 avec $2000 en poche. « Aucun capital-risqueur ne m’aurait donné de l’argent au début. D’abord un produit logiciel était considéré comme sans valeur et ensuite j’étais une femme. » Elle refuse une offre d’acquisition faite par HP en 1976, puis réussit une entrée en bourse en 1981 (pour mémoire Apple est entrée en bourse en décembre 1980 et Logitech fondée en janvier 1981). Quand elle quitte Ask en 1989, la société réalise $189M de ventes. Ses conseils ? Croyez-en vous, entourez vous des bonnes personnes et partagez le succès avec elles, n’ayez pas peur de faire des erreurs.
Carol Bartz commence aussi sa carrière dans une grande entreprise, 3M (l’inventeur du post-it). Elle y entend : « vous êtes une femme, qu’est-ce que vous faites ici ? ». Elle quitte 3M quand elle comprend que elle ne sera pas promue parce qu’elle est une femme. Elle se retrouve quelques années plus tard dans la Silicon Valley, mais elle ajoute « même dans cette région, être une femme, c’était appartenir à une minorité. » Ce qui ne l’empêchera pas d’arriver à la tête d’Autodesk en 1992. Autodesk est leader mondial des logiciels 3D pour l’architecture, l’automobile et le multimédia avec deux milliards de dollars de chiffres d’affaires en 2009. La même semaine, on lui diagnostique un cancer. Elle va suivre une chimiothérapie tout en gérant la société. Double succès. « Entre vie familiale et travail, vous n’avez pas le temps de vous demander si vous vous sentez bien le matin. » Le travail était une distraction et son exemple a sans doute amplifié la motivation de ses collègues. Son autre combat est la situation des femmes dans la science : « je crois sincèrement qu’on les dissuade [de faire de la science]. On leur dit que ça n’est pas important. »
Une autre femme entrepreneur, Ann Winblad, ajoute : “Une fille de mes amies s’inquiète de l’image qu’elle va donner d’elles si elle s’investit dans la science. Pourtant des femmes comme Carol Bartz ou moi-même avons réussi et avons vécu une adolescence et une vie d’adulte magnifiques. Le problème est qu’il faut plus de sources d’inspiration comme peut l’être Steve Jobs et son iPod. Ca n’est pas qu’un problème de sexe mais le problème plus général de la science et de la technique dans la société. Quelque chose a été perdu puisque rares sont ceux qui se disent, je veux être comme eux. »
En janvier 2009, Carol Bartz a été nommée à la tête de Yahoo. La tâche n’est pas mince. Faut-il suivre la remarque de Caratina Fake, fondatrice de Flickr: « il y a beaucoup de sexisme institutionnalisé dans le monde des affaires et je crois qu’on ne se rend même pas compte de son ampleur. » Cet article est malheureusement trop court pour rendre un véritable hommage aux femmes entrepreneurs. Celles qui ont réussi ont dû être tout à fait exceptionnelles et celles qui se lancent le sont aussi, sans aucun doute, tant les barrières auxquelles fait face l’entrepreneur sont amplifiées par celle du genre. Je me permettrai toutefois d’espérer comme le poète, que dans le monde des start-up high-tech aussi « la femme est l’avenir de l’homme. »
Pour en savoir plus:
Carol Bartz dans “Betting It All” de Michael Malone (Wiley, 2002).
Sandy Kurtzig dans “In the Company of Giants” de R. Dev Jager and R. Ortiz (McGraw Hill, 1997)
Prochain article: Un européen dans la Silicon Valley, Aart de Geus.