Le débat est récurrent et dans mon dernier post, je mentionne la question du journaliste sur ma fascination pour les start-up et la Silicon Valley. D’une certaine manière cela est lié, je reviendrai sur ce sujet à la fin. Deux articles récents ont failli me surprendre. Le premier a un auteur célèbre, Clayton Christensen. The Empires Strike Back – How Xerox and other large corporations are harnessing the force of disruptive innovation a été publié dans le dernier numéro de la MIT Tech Review.
Voici de courts extraits: « Il y a longtemps qu’on n’a plus considéré Xerox comme une puissance d’innovation. Au contraire, Xerox sert généralement comme exemple édifiant des occasions manquées: de nombreux articles nécrologiques de Steve Jobs ont décrit comment sa visite fatidique au Xerox Palo Alto Research Center en 1979, a inspiré Apple pour ses innovations de l’ordinateur Macintosh. À l’époque, Xerox dominait le marché du photocopieur et était naturellement porté sur l’amélioration et le maintien de ses produits à forte marge. Le siège de la société allait devenir le lieu où les inventions de ses laboratoires mouraient. Inévitablement, les copieurs simples et moins chers de Canon et d’autres rivaux devancèrent ceux de Xerox sur son propre marché. C’est une histoire classique du « dilemme de l’innovateur. » […] Mais maintenant, Xerox est en train de retourner les choses […] Dans le passé, le succès de Xerox aurait été une anomalie. Moins d’une décennie auparavant, lorsque nous finissions le livre The Innovator’s Solution, nous avions souligné le fait que les innovations de rupture sont généralement mis en place par les start-up, les rebelles de l’univers des affaires. […] Dans les années 1980 et 1990, seulement environ 25 pour cent des innovations de rupture, que nous avons recensées dans notre base de données, provenaient des acteurs établis, le reste venant de startups. Mais durant les années 2000, 35 pour cent de ces ruptures ont été lancées par ces « incumbents ». En d’autres termes, la bataille semble tourner en faveur de l’Empire, comme les exemples suivants confirment. » L’auteur mentionne des exemples tels que GE, Tesla en compétition avec GM, Dow et Microsoft dans l’article.
Le second article provient de The Ecomist et est intitulé « Pourquoi les grandes entreprises sont souvent plus inventives que les petites. » Laissez-moi le citer un peu plus longuement: « Joseph Schumpeter […] a soutenu les deux côtés de l’affaire. En 1909, il a déclaré que les petites entreprises étaient plus inventives. En 1942, il fait volte-face. Les grandes entreprises ont plus intérêt à investir dans de nouveaux produits, pensait-il, car elles peuvent les vendre à plus de gens et récolter de plus grands bénéfices plus rapidement. Dans un marché concurrentiel, les inventions sont rapidement imitées, si bien qu’un investissement trop petit échoue souvent à produire des fruits. […] Ces jours-ci le Schumpeter seconde période est passé de mode: on croit que les petites start-up sont créatives et les grandes entreprises sont lentes et bureaucratiques. Mais ceci est une simplification grossière, explique Michael Mandel du Progressive Policy Institute, un think-tank. Dans un nouveau rapport sur « facteur d’échelle et innovation », il conclut que l’économie d’aujourd’hui favorise les grandes entreprises plutôt que les plus petites. « Big » est de retour, comme ce magazine l’a soutenu. Et « Big » est ce qui compte pour trois raisons. » Les arguments sont que 1-les écosystèmes ont grandis, 2-les marchés sont globaux et 3-les problèmes à résoudre le sont sur une grande échelle. Ceci n’est pas fait pour les petites entreprises. « Il est juste que l’argument « petit est innovant » semble daté. Plusieurs des champions de la nouvelle économie sont les entreprises qui étaient autrefois saluées comme de courageuses petites start-up, mais se sont depuis longtemps énormément développées, comme Apple, Google et Facebook. […] Les grandes entreprises ont un grand avantage pour l’accès aux ressources les plus précieuses d’aujourd’hui: le talent. (Les diplômés ont des dettes, et beaucoup préfèrent la garantie d’un salaire à la loterie des stock-options dans une start-up.) Les grandes entreprises parviennent de mieux en mieux à éviter la stagnation bureaucratique: elles ont des hiérarchies plus horizontales et s’ouvrent à des idées venues d’ailleurs. Procter & Gamble, un géant des biens de consommation, trouve la plupart de ses idées à l’extérieur de ses murs. Sir George Buckley, le patron de 3M, une grande entreprise avec une histoire de 109 ans d’innovation, soutient que les entreprises comme la sienne peut combiner les vertus de la créativité et de la taille. »
Eh bien, je n’ai pas été surpris longtemps. Le débat ne porte pas en définitive sur les petites ou grandes entreprises. Laissez-moi vous expliquer en citant mon livre à nouveau et plus précisément le paragraphe Small is not beautiful [page 112] «Il existe un autre malentendu au sujet des start-up. Sous prétexte qu’elles seraient de jeunes entités, mais aussi parce que les analyses macro-économiques montrent l’importance grandissante de l’emploi généré par les petites structures, il semblerait que le dicton « small is beautiful » soit devenu une devise pour le monde des start-up. Les start-up ne devraient pas avoir velléité à rester modestes, bien au contraire. Les entreprises qui ont réussi dans l’industrie des technologies de l’information sont devenues de vrais mastodontes. Au début 2007, Intel comptait 94 000 employés, Oracle, 58 000, Cisco, 49 000 et Sun, 38 000. Ces entreprises sont devenues des multinationales […] Le San Jose Mercury News, le quotidien au centre de la Silicon Valley publie chaque année par exemple le classement des 150 plus grandes sociétés. La simple comparaison de l’évolution de la liste entre 1997 et 2004 montre que parmi les 50 premières sociétés en 2004, 12 ne faisaient pas partie des 150 premières en 1997. J. Zhang montre très bien cette dynamique étonnante en comparant la liste des quarante plus grandes sociétés high-tech de la Silicon Valley en 1982 et en 2002 telle que fournie par la société Dun & Bradstreet. Vingt des sociétés de la liste de 1982 n’existaient plus en 2002. Vingt et une des sociétés de la liste de 2002 n’avaient pas encore été créées en 1982. Cette dynamique de naissances et de morts d’entreprises semble reconnue et même acceptée. »
C’est exactement ce que l’article de The Economist explique: « Cependant, il y a deux objections à l’argument de M. Mandel. La première est que, bien que les grandes entreprises excellent souvent à l’innovation incrémentale (par exemple, en ajoutant des améliorations aux produits existants), elles sont moins à l’aise avec l’innovation de rupture, celle qui change les règles du jeu. Les grandes entreprises que Schumpeter a célébré ont souvent enterré les nouvelles idées qui menaçaient leurs lignes d’affaires établies, comme AT&T l’a fait avec la numérotation automatique. M. Mandel affirme qu’il faut s’appuyer sur les grandes entreprises pour résoudre les problèmes les plus pressants de l’Amérique dans la santé et l’éducation. Mais parfois, les meilleures idées commencent à petite échelle, puis se développent largement au point de transformer des systèmes entiers. Facebook a commencé comme un moyen pour les étudiants dans une université de rester en contact. Maintenant il a 800 millions d’utilisateurs. La seconde objection est que ce qui importe n’est pas tant de savoir si les entreprises sont petites ou grandes, mais si elles se développent. Le progrès a tendance à provenir de sociétés à forte croissance. Les meilleures peuvent prendre une bonne idée et l’utiliser pour se transformer en géants à partir d’embryons en quelques années, comme Amazon et Google. Ces entreprises à forte croissance créent beaucoup d’emplois: en Amérique seulement 1% des entreprises génèrent environ 40% des nouveaux emplois. Laissez les petites entreprises grandir. La clé de la promotion de l’innovation (et de la productivité en général) consiste à permettre la croissance de nouvelles entreprises vigoureuses, mais aussi aux anciennes inefficaces de mourir. Sur ce point, Schumpeter n’a jamais changé d’avis. »
Si besoin était, il faut le répéter, il y a bien une différence entre start-up et PME. Ceci ne répond pas entièrement à l’argument de Christensen sur l’empire qui contre-attaque. Et bien, cela signifie que les grandes entreprises ont des gestionnaires intelligents qui ont appris des erreurs du passé. Mais Christensen dit aussi implicitement que 65% des innovations de rupture viennent de nouveaux venus, et non des acteurs établis. Les Gazelles ont encore un bel avenir devant elles.